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Le triomphe de la vérité

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Edito: L’esclavage, et alors ?


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Je ne changerai pas mon profil Facebook pour lutter contre l’esclavage en Libye. Un profil Facebook est juste impuissant à changer quoi que ce soit dans la situation actuelle. Même quand les manifestations populaires à Paris, Dakar, Bamako ou Cotonou n’auront pas une meilleure efficacité non plus.
Oui, le tollé général provoqué par la mobilisation internationale a contraint le gouvernement de Tripoli à ouvrir une enquête sur le drame que vivent des milliers de migrants en transit dans le pays pour l’Europe. Ce qui choque tout le monde, c’est la résurgence d’une pratique que l’on pensait terminée depuis près de deux siècles. Un cauchemar qui revient et rappelle à tous les Africains comment leurs ancêtres ont été marqués au fer rouge par trois cents ans de souffrances.
Si tous les espoirs reposent actuellement sur l’efficacité du gouvernement de Tripoli, il faut se demander ce qu’il peut faire concrètement dans une situation où le pays même est déchiré de part en part et lui échappe. Car la Libye, c’est une superficie de 1 759 500 km² (plus de dix fois le Bénin), une population d’environ 6 280 000, mais surtout deux gouvernements rivaux. Le gouvernement de Tripoli dirigé par Faïez Sarraj est soutenu par les Nations unies et la communauté internationale, tandis que celui de Tobrouk, dans le Cyrénaïque, est dirigé par le maréchal Khalifa Haftar, chef en titre de l’Armée nationale libyenne (ANL). Khalifa Haftar est soutenu par l’Egypte et les Emirats Arabes Unies et tient la portion du pays où se produit le pétrole, principale richesse de la Libye. C’est dire que depuis son entrée en fonction à Tripoli en mars 2016, Faïez Sarraj n’est toujours pas parvenu à asseoir son autorité sur l’ensemble du pays, y compris à l’ouest, où des dizaines de milices font la loi. Massacres, kidnappings, travaux forcés, esclavage et viols collectifs sont généralisés sur ce territoire.
Mais c’est aussi un passage obligé des migrants qui rêvent d’Europe. L’Italie est à 300 km des côtes libyennes et ils sont prêts à tout pour y arriver. Selon les derniers chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), près de 156.000 migrants et réfugiés sont arrivés en Europe par la mer depuis le 1er janvier (contre près de 341.000 durant la même période en 2016), dont 73% en Italie. Près de 3.000 sont morts en tentant la traversée. Malgré ces statistiques hallucinantes, les Africains sont de plus en plus nombreux à vouloir affronter la mer, la faim, la soif, les viols et l’esclavage au besoin, pour sortir du continent.
Minée par les guerres, le chômage, la mauvaise gouvernance et le mal-vivre, l’Afrique est vécue par beaucoup de ses citoyens comme un enfer. Pendant que les ressources dont dispose le continent ainsi que ses potentialités de progrès leur disent que l’Afrique est une terre d’avenir, une bonne partie des Africains, y compris l’immense majorité de ceux qui restent, pensent que l’eldorado est ailleurs. Dans certaines contrées, partir est entré dans la culture. Il en est ainsi par exemple dans la région de Kayes au Mali, en Gambie, au Sénégal ou dans le département de la Donga (et surtout la commune de Djougou), au Bénin. Dans les pays qui ne sont pas en guerre, cette culture du départ est profondément ancrée dans les mentalités, malgré l’esclavage, les naufrages et toutes les misères dues à la clandestinité en Europe même. Il en est ainsi par exemple de cette dame quadragénaire de Cotonou qui a fermé sa belle boutique et liquidé ses affaires pour vivre l’aventure européenne. De patronne menant grand train à Cotonou, elle est aujourd’hui ouvrière agricole, exploitée comme une esclave en Espagne. Cet autre, déjà grand-père de 51 ans, choisit de laisser femmes, enfants et petits enfants à Cotonou, pour vivre dans la clandestinité en France. A la recherche d’un hypothétique paradis.
S’il faut combattre les Libyens, c’est d’abord cette culture du départ qu’il faut combattre. S’il faut combattre les Libyens et leur racisme, les Algériens ou les Marocains pour leur racisme contre les négro-africains qui passent les frontières chez eux, c’est bien d’abord contre le chômage, le sous-emploi, la personnalisation de l’action politique, la politisation de l’administration, la corruption de la justice et la mauvaise gouvernance qu’il va falloir lutter d’abord. A défaut de mettre fin ou de combattre sérieusement et sauvagement ces goulots d’étranglement, il n’y a aucun espoir possible : l’esclavage va continuer en Libye.

Par Olivier ALLOCHEME

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