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Le triomphe de la vérité

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Edito: Décoloniser les esprits


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« The case for colonialism ». Tel est le titre d’un article publié en avril 2017 par la revue américaine Third World Quaterly par Bruce Gilley, professeur de sciences politiques à la Portland State University aux Etats-Unis. Cette publication académique a semé une véritable controverse sur la thèse que son auteur y défend. Bruce Gilley estime en effet que la colonisation a été « objectivement bénéfique et subjectivement légitime » pour la plupart des territoires qu’elle a touchés. Les exemples pris et la conclusion à l’emporte-pièce ont provoqué une pétition signée par plus de 10.000 personnes. Une bonne partie de l’équipe éditoriale de la revue a dû démissionner dans la foulée et l’article lui-même a fini par être retiré. L’auteur s’est excusé pour « la peine et la colère » que ses écrits ont occasionnées. Ce n’est pas tant la thèse, totalement contestable que la conclusion qui en a été tirée qui a semé la controverse. Pour l’universitaire américain, la solution à la pauvreté et au sous-développement économique des pays du sud passe par « un mode de gouvernance colonial, par la recolonisation de ces territoires et la création de nouvelles colonies occidentales à partir de zéro ». Vous l’avez compris, cet universitaire ne demande rien d’autre que la recolonisation des pays pauvres comme solution à leur sous-développement.
Le fait est qu’une bonne partie des gens, aussi bien dans les pays colonisateurs que dans les pays colonisés eux-mêmes, ont oublié tout le mal causé par le système colonial. Au Bénin, on a encore vaguement à l’esprit le service de travail obligatoire (les travaux forcés) qui n’était rien d’autre que de l’esclavage, les impôts payés à la chicotte, les chefs de villages décapités lorsqu’ils tentaient de se révolter, leurs têtes exposées au bout d’un pieu au centre du village (comme Kaba à Natitingou) pour servir de leçon à tout le monde…Ailleurs, ce sont les mains que l’on coupe pour n’avoir pas récolté assez de caoutchouc, des villages entiers qui disparaissaient du fait des opérations punitives organisées par l’armée coloniale à l’encontre de tel village, de tel cercle ou de tel canton.
On ne compte pas encore l’aliénation culturelle qui a transformé aujourd’hui la presque totalité des populations lettrées en de véritables zombies culturelles. On a oublié nos religions, enterré nos pratiques traditionnelles, consacré la disparition programmée de nos langues…Plus personne ne raisonne sans citer tel psaume ou tel chapitre des évangiles, tandis que l’on tient pour diabolique la moindre évocation du dieu Sakpata ou de Fâ. Si vous suivez ceux qui conspuent le plus le système colonial, vous remarquerez que dès qu’ils en ont la possibilité, ils achètent une maison en France ou s’en vont s’y soigner à la moindre toux. La colonisation a tellement formaté nos esprits qu’il faut un ouragan de la taille de Harvey ou de Katrina pour que les intellectuels africains francophones perçoivent que leurs pays ont le droit, eux aussi, à une monnaie contrôlée par eux-mêmes. De tous les maux que le colonialisme a pu engendrer, c’est de loin le pire : la dépossession de nous-mêmes, l’incapacité où nous nous trouvons de penser par nous-mêmes aux solutions idoines à nos problèmes. Quelques-uns y croient, forcent les autres à les suivre. S’ils ne sont pas moqués comme des fous à lier, ils sont abattus comme Thomas Sankara ou Patrice Lumumba. Pour les autres, petits intellectuels aux scrupules de curée, il s’agit d’entrer dans les rangs à grande vitesse ou de périr au fond d’une amertume sans nom…
C’est en effet qu’aucune solution véritable ne pointe à l’horizon. Nous sommes bien devant ce que la science a convenu d’appeler du doux euphémisme d’aporie : comment sortir de tant d’aliénation qui ne présage d’aucun changement véritable, même dans deux cents ans ? Même si certains révolutionnaires pensent à une solution violente et éclairée à la Mao Tsé Toung comme en Chine, ou à la Kagamé au Rwanda, vous en êtes encore à vous rendre compte que ces figures de l’histoire ne voient le jour que dans des contextes effrayants, et somme toute peu souhaitables. Décoloniser les esprits, c’est encore aujourd’hui une entreprise vouée à l’échec.

Par Olivier ALLOCHEME

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