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Le triomphe de la vérité

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Me Marie-Elise Gbèdo, avocate, « Invitée du lundi »: « J’ai été lavée de toutes les diffamations orchestrées contre ma personne »


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Le garde des sceaux, Ministre  de la justice, Marie Elise GBEDO

Le garde des sceaux, Ministre de la justice, Marie Elise GBEDO

« L’Invité du lundi » reçoit Me Marie-Elise Gbèdo, « l’amazone des temps modernes », première femme candidate à une élection présidentielle au Bénin (en 2001, puis2006, 2011 et 2016), ancien ministre et toujours activiste acharnée des droits de la femme et de la fille. Me Gbèdo parle d’elle, de ses années de militantisme en faveur de la promotion et du respect des droits humains, de ses regrets aussi, comme après son passage à la tête du ministère de la Justice.   


L’Evénement Précis : Que devient l’Amazone et activiste acharnée des droits humains et surtout des droits de la femme, Me Marie-Elise GBEDO ?

Me Marie-Elise Gbèdo : Maître Marie-Elise Gbèdo est toujours dans la dynamique de la défense des droits de l’homme, et plus spécifiquement des droits de la femme et des petites filles et aujourd’hui,  je suis beaucoup dans les cabinets des juges d’instruction et surtout des juges des mineurs pour défendre les femmes contre le violences et surtout les petites filles et les adolescentes contre le viol. Marie-Elise continue toujours de faire son travail. On ne me voit pas, mais je suis dans les audiences. Je continue mon travail, donc, ne vous inquiétez pas. L’activiste continue de faire son travail. Je pense que ce qui dérange est qu’on dise on ne la voit plus, mais on n’oublie que l’Association des femmes juristes du Bénin (AFJB) a été créée en 1990 à la faveur de la conférence nationale des forces vives, et on a tôt fait d’oublier que notre présidente de l’époque, feue Me grâce d’Almeida Adamon à qui je rends encore hommage, était dans le bureau de la conférence. Plus tard nus avons été de ceux qui ont participé à l’élaboration de la Constitution. J’étais membre de la Commission des lois, de la promotion et de la protection des Droits de l’Homme,  de l’administration territoriale et de la supervision des élections du Haut conseil de la république de 1990 à 1991.  Et en juin 1990, je peux vous dire que j’étais membre de la commission constitutionnelle du Haut conseil de la république chargée de la supervision départementale de la popularisation de l’avant-projet de la Constitution du Bénin. J’ai participé activement à cette époque-là à la popularisation de l’avant-projet de la Constitution de notre pays. Le chantier était nouveau, l’implication de la femme à un haut niveau de la république en construction démocratique, c’était  nouveau. L’AFJB était l’association pionnière. Il n’y en n’avait pas d’autre, représentant les femmes juristes à cette époque. Forcément, on nous voyait, on nous entendait. Aujourd’hui, tout est déjà bien mâché. Je suis toujours là, toujours activiste, mais autrement.  Je n’ai pas abandonné mes idéaux pour la défense des droits de la femme et la défense des droits de la petite fille.

L’Association des Femmes Juristes du Bénin (AFJB) dont vous parliez tantôt et que vous dirigez est désormais moins visible dans le paysage associatif béninois. Qu’est-ce qui explique ce silence ?

L’AFJB est peut-être moins visible à la télévision, mais bien installée dans le paysage associatif béninois. Nous sommes bien actives sur le terrain. Je peux vous dire qu’en 2016, avec le partenariat qu’on a eu avec l’Association béninoise pour la promotion de la famille (ABPF), nous étions sur le terrain pour sensibiliser les adolescentes et les jeunes filles à la planification familiale, vu les grossesses non désirées, les avortements à risque, surtout en milieu scolaire. Avec l’ABPF, nous avons organisé un plaidoyer à l’endroit des six maires du département du Mono pour la prise en compte d’une ligne budgétaire  qui ait la participation aux activités relatives à la prise en charge des droits à la santé sexuelle et reproductive des adolescents et jeunes. On était en partenariat avec trois chaînes radio du Mono, les radios Possotomé, Comé, et Lokossa. Nous avons réalisé des spots, en français et traduits en langues mina et adja. Nous avons réalisé et diffusé des émissions radiophoniques également, en français et en langues nationales sur les radios. On a fait ça sur l’année. Nous avons également organisé un atelier d’information à l’endroit des OSC et des CPS, des élus locaux et des journalistes du Mono et du Couffo. On était à Comé, Oumako. Toujours dans le cadre de ce projet, nous avons formé  les artisans, on a organisé un atelier avec 30 participants, 23 hommes et7 femmes qui sont venus des six communes du Mono. Nous avons organisé un atelier d’information et de formation à l’endroit  des élèves responsables dans les collèges du Mono.  Nous avons réuni tous les maires du Mono pour qu’ils soient nos interlocuteurs auprès des populations. Au-delà de cela, nous avons participé à des ateliers. L’AFJB a participé à l’atelier de formation sur la résolution 325 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Nous n’étions pas, en Algérie, d’accord, mais nous savons ce qui s’est passé. Nous avons participé, au ministère des affaires sociales, à la validation du rapport d’évaluation du plan d’action sur les violences faites aux femmes. Globalement, vous voyez bien que dans l’année 2016, nous avons été occupées. On ne nous voit pas à la télévision qui coûte cher. L’AFJB continue de travailler dans les centres. Nous avons trois centres d’aide juridique sur le territoire national, à Lokossa, Abomey-Calavi et à Porto-Novo. Nous continuons de recevoir les bénéficiaires, hommes comme femmes. Nous continuons de prôner l’entente dans les couples, nous aidons les femmes à mieux comprendre leur rôle, les hommes aussi sur les pensions alimentaires. Nous sommes respectés. Quand les gens sont convoqués par l’AFJB, ils viennent. Quand il y a une plainte, et qu’on invite les gens, ils viennent. Nous sommes sur le terrain, nous ne faisons pas de tapage. Comme je l’ai dit, dans les années 90, nous étions les pionnières. Il fallait que les gens comprennent les enjeux et les objectifs de cette association. Nous avons reçu beaucoup de coups, on nous a traitées de tous les noms, principalement Me Marie-Elise Gbèdo ! Qu’est-ce qu’on n’a pas dit ! Mais, inexorablement, on a continué. N’oubliez pas le Code des personnes et de la famille. A cette époque-là, il y avait des enjeux. Il fallait changer les mentalités, relativement à l’importance de la femme en tant que personne à respecter, relativement aux droits de l’Homme. Vous savez comment on considérait la femme dans nos sociétés. Nous avons travaillé à faire changer l’image de la femme dans notre société, pour qu’on la respecte, pour qu’on sache que la femme est capable au même titre que l’homme, de diriger un foyer, de travailler dans la fonction publique, et de mobiliser des ressources pour la famille. Effectivement, c’était tout nouveau et on était devenu la cible à un moment donné. Des gens ont dit qu’on était là pour détruire les foyers. On parlait d’égalité entre homme et femme. Vous voyez l’enjeu ? Mais regardez aujourd’hui : est-ce que notre lutte a payé ? C’est toujours ce que je me demande. On n’a plus besoin de nous voir. Nous travaillons sur ce que nous avons pu faire. C’est grâce à nous qu’on a eu le Code des personnes et de la famille. On a eu la loi contre le harcèlement sexuel, on a eu la loi contre les violences faites aux femmes, etc. Mais l’AFJB a toujours été de ce combat-là ! Nous sommes incontournables sur le terrain. Les populations savent que nous sommes là. Nous sommes bien visibles, mais pas à la télévision.

Quel bilan pouvez-vous faire personnellement de la promotion et du respect des droits humains au Bénin?
Je peux dire aujourd’hui, sans sourciller que le bilan est positif, totalement positif. Nous avons démarré nos activités en 1990 avec de grands défis à relever et des changements à opérer sur les mentalités et la société béninoise, relativement au regard que la société porte sur les droits de la femme. C’était une véritable gageure.Nous avons réussi. Nous sommes les pionnières et je peux dire que nous avons impacté toutes les générations d’hommes et de femmes depuis 1990. Nous avons participé à l’élaboration et au référendum sur la Constitution de 1990. Nous avons contribué à l’adoption de plusieurs lois comme le Code des personnes et de la famille, la loi sur le harcèlement sexuel,  la corruption, le code des enfants, et toutes formes de discriminations faite aux femmes, et les violences faites aux femmes. Ce sont des lois qui trouvent leur application dans les tribunaux aujourd’hui et protègent toute la communauté, et contribuent au respect des droits humains. Je peux donc dire que nous avons travaillé, mais nous continuons parce qu’il n’est pas facile de travailler sur les mentalités et sur les pratiques séculaires et l’éducation traditionnelle qui nous a été inculquée, où on continue de croire encore aujourd’hui que la femme est faite pour la maison, et non pour le public. Et c’est ça qui pose encore un problème sur l’application des lois. Je donne l’exemple des violences faites aux femmes. Si aujourd’hui cette loi-là ne trouve pas application, c’est la faute des femmes. Je n’arrête pas de le dire. Lorsque nous commençons la procédure, ce sont les femmes qui se désistent. Elles ont peur de la belle-famille, commencent à dire « Après tout, c’est le père de mes enfants ». Dès qu’on sort ces deux arguments, la femme béninoise laisse tout tomber. Elle préfère recevoir des coups et blessures.

Au regard de la faible place qu’occupe encore les femmes dans l’administration publique et sur l’échiquier politique, n’avez-vous pas l’impression que votre combat n’a pas abouti ?
Il n’y a pas d’échec quand il est question d’agir sur la reconversion des mentalités et des comportements séculaires d’un peuple. Le combat trouve son aboutissement sur le long terme. C’est comme les drames de Porga sur le camion d’essence qui n’a pas marqué suffisamment les consciences pour que le peuple évite le drame d’Avamè. Les mentalités sur certains problèmes sont très dures. C’est pourquoi je ne peux pas dire que mon combat n’a pas abouti. Reconnaissons quand-même aujourd’hui que les mentalités ont évolué depuis 1990, en ce qui concerne la prise de conscience sur l’existence des droits de la femme au Bénin. Qui ne sait pas aujourd’hui au Bénin que la femme béninoise a des droits ? Ce n’était pas évident en 1990. J’étais combattue, vilipendée, traitée de celle qui voulait détruire les bases de la famille. Il m’en a fallu de la détermination pour intéresser les médias à cette époque. Je peux dire que notre combat a bel et bien abouti en ce qui nous concerne. Aujourd’hui, il s’agit d’une question qui interpelle l’exécutif et la volonté politique, pour donner à notre combat une autre réussite ; l’engament politique des femmes béninoises elles-mêmes à se servir des instruments que nous avons mis à disposition. Nous avons toutes les lois possibles pour protéger et faire la promotion de la femme aujourd’hui. Il appartient aux femmes béninoises elles-mêmes, de s’accaparer ces instruments légaux et juridiques pour se soutenir et montrer leur volonté de peser sur le politique pour être présentes et visibles dans l’administration publique et sur l’échiquier politique.

On retient de votre passage à la tête du ministère de la Justice, le rapprochement de la justice des justiciables, l’amélioration des conditions de détention ou encore la protection judiciaire de l’enfance. Avez-vous des regrets ?
J’ai eu deux grands regrets majeurs concernant d’une part le milieu carcéral et de l’autre, l’examen  d’aptitude aux fonctions de notaire. Sur le milieu carcéral, j’ai élaboré un projet intégré sur la production alimentaire par et pour les prisonniers eux-mêmes et la mise en place d’unité agricoles, avicoles et animales et des sites maraîchères au sein des prisons. Ce projet est conçu dans un partenariat public privé avec le professeur Alphonse Babadjidé qui va former des prisonniers dans sa ferme et au sein de la prison. Cela permettrait de mettre les prisonniers au travail, à terme leur insertion sociale dans la vie active. D’un autre côté les prisonniers se nourriront de leur production directement et des foyers seront mis à leur disposition pour préparer de la nourriture saine. Cela permettrait de mettre fin aux restaurateurs extérieurs à qui on doit aujourd’hui des milliards pour une restauration souvent douteuse. Mon projet a été adopté en conseil des ministres et même budgétisé. Nous avons décidé que la prison d’Abomey-Calavi servirait de projet-pilote et à terme la construction des prisons seraient repensée. Au moment de la mise en œuvre de ce projet, on m’a dit que les fonds alloués ont servi à d’autres «priorités». J’en ai été meurtrie.De l’autre côté, la non-finalisation des résultats de l’examen d’aptitude aux fonctions de notaire des 17 et 18 janvier 2013 est resté un évènement surréaliste de  ma vie. Je ne sais pas si vous vous rappelez, à l’époque. J’ai été vilipendée et poursuivie en justice par le bureau de la chambre des notaires devant le tribunal, la cour d’appel et jusqu’à la cour suprême pour avoir organisé cet examen qui fait partie des prérogatives du ministère de la justice. Ce qui était plus surréaliste, c’est qu’on me poursuivait intuitu personae, c’est-à-dire à titre personnel pour contester mes attributions de Ministre de la Justice. On a injustement fait du mal à quatre (04) futurs notaires pendant plus de cinq (05) ans pour des problèmes de personne. Heureusement qu’on ne cache pas la vérité longtemps. Je salue au passage la sagacité du ministre Valentin Djènontin qui ne s’est pas laissé tromper.  La nature m’a rendue justice. Le droit a été dit et avec l’avènement du gouvernement du Président Patrice Talon, le pouvoir et l’autorité de l’Etat ont été restaurés. Par décret pris en conseil des ministres en avril 2016, les charges de Parakou, Dassa-Zoumé, Djougou et Natitingou ont été occupées par ces jeunes notaires. J’ai été «lavée» de tout le tapage diffamatoire organisé contre ma personne. Je dirais que c’est cela aussi la protection des droits humains.

Que diriez-vous pour clore cet entretien ?
Je peux vous dire que pour moi aujourd’hui, l’AFJB, c’est la légende qui continue.  En 1990, l’AFJB était une association ‘bizarre’’, combattue pour son idéal vis-à-vis de la femme. Je retiens tout simplement aujourd’hui que l’AFJB, c’est un nom, c’est une éthique et c’est tout ça qui fait sa crédibilité au sein de la population. Lorsqu’un bénéficiaire ou une bénéficiaire s’adresse au centre d’aide juridique de l’AFJB, il ou elle est sûr (e) de trouver réponse,  solution et assistance à la mesure de ses préoccupations. Et lorsque l’AFJB invite un adversaire d’un bénéficiaire pour comprendre ce qui se passe, il ou elle sait qu’il faut se présenter. Nous sommes bien ancrées dans la mémoire des populations et des institutions de la république et également des partenaires étrangers. On ne fait pas de tapage mais on est là. Je dis bravo à l’AFJB. Il n’y a pas à désespérer, nous continuons et nous disons merci à tous ceux qui continuent de nous faire confiance.

Entretien réalisé par Flore S. NOBIME

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