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Le triomphe de la vérité

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Le syndicaliste Thierry Dovonou, « Invité du lundi »: « Au Bénin, nous ne gérons pas bien le temps scolaire »


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thyierry-dovonou-okLe ministre de l’enseignement secondaire a placé la rentrée 2016-2017 sous le sceau du respect du temps intégral de travail.  Pour mieux comprendre les implications de la question, votre rubrique hebdomadaire, INVITE DU LUNDI, s’est approchée du syndicaliste, Thierry Dovonou, Professeur certifié des Sciences de la vie et de la terre (Svt) en service au CEG Djègan-Kpèvi à Porto-Novo. Il précise ici les partitions qui reviennent à chacun des acteurs de l’école à jouer, pour parvenir à une gestion rationnelle du temps scolaire. 

L’Evénement Précis : Que peut-on comprendre par temps scolaire ?

Thierry Dovonou : Le temps scolaire, c’est la période pendant laquelle, les élèves sont à l’école, en train de travailler, en présence de leurs enseignants. Ça se confond pratiquement avec le temps d’apprentissage qui est le temps pendant lequel, les élèves sont en face des enseignants, en train de travailler. Ce temps est défini par les normes de l’UNESCO. Les enfants doivent faire au minimum trente-deux (32) semaines et même trente-six (36) semaines de cours pour un minimum de 900 heures de cours. C’est la norme mais malheureusement au Bénin, nous ne faisons jamais ce nombre d’heures avec les enfants. Nous tournons autour de 500 heures de cours, soit 22 ou 23 semaines, pour plusieurs raisons.

Pouvez-vous nous parler de quelques-unes de ces raisons ?
On pense dans un premier temps que ce sont les grèves mais moi, je vous dis que ce n’est pas seulement les grèves qui font que les enseignants ne font pas le temps scolaire prévu. Il y a d’autres paramètres. Prenons par exemple, la rentrée qui a commencé depuis le lundi 03 Octobre 2016. Mais si vous parcourez 80% de nos écoles primaires et collèges, vous verrez que personne n’a encore commencé les cours. Ils sont en train, soit de faire le nettoyage ou d’enregistrer les nouveaux élèves. C’est du temps déjà perdu pour les enfants et cela va sans doute, continuer encore, la semaine prochaine. La pré-rentrée a été lancée depuis la semaine dernière, mais imaginez-vous, les programmes que nous allons exécuter avec les élèves en SVT dans les classes de 3ème, ne sont pas encore disponibles. L’autre chose, c’est que les formations que les enseignants doivent suivre pendant les vacances scolaires, n’ont pas été organisées et vous verrez que c’est en pleine année scolaire qu’elles seront organisées pour prétendre mettre les professeurs à niveau. C’est au cours de l’année scolaire qu’on vient lancer ces formations, souvent les jeudi et vendredi. C’est du temps des enfants qu’on prend. C’est donc le ministère même qui amène les enseignants à consommer du nombre d’heures dévolues pour les activités scolaires. Vous convenez avec moi que si on se met à consommer du temps qui doit être fait avec les enfants, les résultats seront toujours ce qu’ils ont été.

En lançant la pré-rentrée en Septembre avec le calendrier de l’année scolaire, vous ne pensez pas que le ministre de l’enseignement secondaire s’est mis dans la logique d’anticiper sur les choses et éviter les pertes de temps ?
Vous savez, entre les effets d’annonce et la réalité, il y a un pas. Je dis qu’ au ministère de l’enseignement secondaire, les gens manquent encore de technicité. Imaginez ! Nous sommes aujourd’hui le 05 Octobre, mais nous n’avons pas encore les directeurs et les censeurs généraux dans nos collèges. Cela voudra dire que lorsqu’ils seront nommés la semaine prochaine, je suppose, on prendra parmi des enseignants qui ont déjà pris leurs classes. Les enfants vont donc, en pleine année scolaire, changer de professeur. Or vous savez, chaque professeur prend une semaine, voire une semaine et demie pour prendre réellement possession de sa classe. Du côté de ceux qui parlent de la gestion rationnelle du temps scolaire, nous n’avons pas encore sur le terrain, les programmes à exécuter, une semaine après la rentrée. Et vous pensez qu’il y a une cohérence entre ce qu’ils sont entrain de dire et ce qu’ils sont en train de faire ? Il n’y a pas une cohérence. C’est ça, le problème du système scolaire. Et lorsque nous trichons depuis dix ans sur le temps scolaire, à la fin, on va nous demander de tricher aussi sur les résultats scolaires.

Mais monsieur Dovonou, vous semblez culpabiliser seulement les autorités, alors que de votre côté, il y a les syndicats  qui appellent les enseignants à aller en grève en pleine année scolaire. Si vous teniez aussi à une gestion rationnelle du temps scolaire, pourquoi ne cherchiez-vous pas à trouver un terrain d’entente, avant la reprise des classes ?
L’année dernière, on n’avait pas fait grève, mais je ne dis pas que les grèves n’influencent pas le temps scolaire. Ce qui est important, c’est ce que l’institution elle-même fait pour favoriser une bonne gestion du temps scolaire. Les grèves devraient être des cas exceptionnels. Mais si l’institution s’amuse et ne fait pas ce qu’elle doit faire, n’accusez pas les enseignants. C’est pourquoi, quand je vois les gens accuser les enseignants d’être à la base de l’échec des enfants, je m’inscrits en faux. L’institution n’est pas sérieuse. Et malheureusement, le président Talon a mis des gens qui ne sont pas capables de faire le travail à la tête des institutions qui s’occupent du système éducatif béninois. On doit éviter les nominations politiques. Le président avait été applaudi, en tout cas, moi j’étais content quand il avait parlé de faire des nominations par appel à candidature. On était tous content. Je connais des gens qui sont efficaces et qui attendaient l’appel à candidature pour postuler et relever le système parce qu’ils ont le profil. Je cite en exemple, un cadre que je connais et s’il y avait eu appel à candidature et qu’il postulait pour la direction de l’enseignement primaire, personne ne peut le battre et il va, indiscutablement, remettre l’institution sur les rails. Mais malheureusement, c’est ceux qui ont battu campagne pour le président qui ont été nommés. On est donc dans la continuité. On n’est pas dans un nouveau Départ mais on est dans un nouveau « repas ». Moi j’ai voté pour lui mais je veux que les choses aillent bien pour notre système.

Alors, Monsieur Dovonou, comment pensez-vous qu’on peut s’y prendre pendant que nous sommes encore à l’orée de la nouvelle année scolaire ?
Je voudrais d’abord que l’institution redevienne sérieuse. Dans le système éducatif, nous avons trois pôles. Le pôle administration qui est le pôle politique, le pôle parent d’élèves et le pôle enseignant, les parents sociaux, etc… Si le pôle qui est en haut de la pyramide ne fonctionne pas bien, tout est parterre. Et aujourd’hui, au niveau de ce pôle, il n’y a pas la technicité. Et pourtant, ce n’est pas des techniciens qui manquent. Vous auriez constaté que les hauts techniciens ne battent pas campagne pour l’élection d’un président. Mais malheureusement, on ne choisit pas parmi ces gens-là. Et c’est pourquoi, je dis au président Talon de faire beaucoup attention, sinon il fa échouer au bout des cinq ans dans le secteur de l’éducation comme au temps du président Soglo. Et quand il échoue à ce niveau, c’est qu’il a échoué dans tout. Nous devons nous mettre dans la tête que l’éducation, c’est trois choses. L’enseignement, la recherche et le développement économique. Alors, lorsque vous ne comprenez pas que c’est à partir de l’éducation qu’il peut y avoir le développement économique, vous passez à côté. Et déjà, au bout des dix dernières années, on a le Nigéria qui a écrit au gouvernement de mon pays, pour dire que notre système éducatif lui crée des problèmes parce que nous formons des jeunes qui vont déstructurer son économie. Effectivement, nous avons formé des gens dans les filières : gestion des banques, gestion des entreprises, etc… qui sont partis pour travailler au Nigéria et qui ont écroulé le système du pays.

Mais Professeur, vous oubliez que c’est ici dans nos universités privées que la plupart de leurs étudiants viennent se faire former désormais ?
Mais justement, c’est ça que le président de la république fédérale du Nigéria déplore. Il a dit « nos enfants viennent s’inscrire et se faire former chez vous mais vous ne leur donnez pas une bonne formation. Et à leur retour, ils déstructurent notre économie ». Il nous recommande alors de soigner notre système éducatif pour redevenir performants. Et c’est l’une des raisons qui sous-tendent la fermeture des universités privées au Bénin. La ministre de l’enseignement supérieur ne l’a peut-être pas dit à haute voix mais nous « lanceurs d’alerte », on le met sur la place publique aujourd’hui. On ne doit pas créer une université pour la forme.

Il se pose alors le problème d’inadéquation entre la formation et l’emploi. Et nous allons profiter pour demander votre avis sur la fermeture de certains lycées techniques par votre ministre de tutelle.
C’est nécessaire ! C’est des lycées qui n’ont rien de lycée. Techniquement, les invariables opératoires n’y existaient pas. On s’amusait avec les enfants. Il y a même d’autres lycées qu’il faut fermer comme le Lycée technique de Bohicon, le Lycée Coulibaly de Cotonou.

Le Lycée Coulibaly aussi ?
Je vous jure, parce que ça ne répond pas aux normes. Sinon, l’Etat doit mettre à la disposition des enseignants qui sont dans ces Lycées, les vrais moyens de travail à savoir les laboratoires, les matériels didactiques et autres. Et il doit y avoir des enseignants formés pour dispenser les cours dans les lycées, ceux qui ont réellement le niveau (…) La preuve, on a lancé un concours pour recruter des gens pour travailler dans l’industrie au niveau de la Zone Franche Industrielle, mais on n’a trouvé personne parce que nous n’avons formé personne dans ce domaine. Et vous savez, lorsqu’un pays ne forme plus pour l’emploi, il forme des guerriers et des révoltés qui, un jour , vont prendre les armes. Et c’est dangereux !

Professeur Dovonou, on revient à la gestion du temps scolaire, quels conseils avez-vous à prodiguer à l’endroit de vos jeunes frères et sœurs  qui ont déjà embrassé la carrière d’enseignant ?
Voilà un autre problème. En principe, je n’ai pas de conseils à donner à quiconque parce que c’est l’Etat même qui met en difficulté les jeunes vacataires là. Est-ce qu’ils ont été formés pour l’enseignement ? Ils ne le sont pas. Est-ce que les conditions dans lesquelles ils travaillent, l’Etat s’en soucie ? Non !  Et l’Unesco a dit en 1976 que l’école est trop sensible pour qu’on utilise des saisonniers pour l’éducation des enfants. Ces jeunes vacataires sont des saisonniers. Ils exécutent leurs heures de vacation et sautent de collège en collège. L’Etat doit les former sur la gestion du temps scolaire et les programmes à exécuter. Quels conseils le Prof Thierry Dovonou peut-il donner à un enseignant pour qu’il se mette réellement au travail dans sa classe, lorsque ce dernier n’a pas le programme et  ne connait pas le temps scolaire dévolu pour chaque situation d’apprentissage ? Ce n’est pas un miracle. J’interpelle une fois encore l’institution qui doit jouer sa partition jusqu’au bout.

Votre dernier mot
Je finis en disant que la gestion du temps scolaire dépend de ce que nos autorités y mettent. Pour parvenir à une gestion rationnelle de ce temps, il faut que ces autorités commencent par anticiper réellement sur un certain nombre de choses. La rentrée scolaire ne doit jamais nous surprendre. Mais malheureusement, elle nous surprend chaque fois au Bénin si bien que c’est au cours de l’année scolaire, qu’on prend du temps des enfants pour régler un certain nombre de choses. Je voudrais qu’au temps du régime de la « Rupture », on finisse avec ça. Et si tout est bien préparé, la chaîne enseignants-apprenants-parents d’élèves fonctionnera bien et notre système éducatif sera redynamisé. Je vous remercie.

Propos recueillis et transcrits pour L’Evénement Précis par : Germin DJIMIDO

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