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Le triomphe de la vérité

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Entretien avec le porte-parole du balai citoyen, ME GUY KAM: « Nous voulons aujourd’hui, des dirigeants patriotes pour l’Afrique »


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guy-kam-okLa lutte menée par l’une des organisations de la société civile burkinabé, le Balai citoyen, lors de l’insurrection ayant permis au Burkina-Faso de changer de régime, a été une grande réussite et un exemple démocratique pour les autres pays de la sous-région. Le porte-parole du Balai Citoyen, l’activiste de la société civile, Me Guy Kam, revient sur la genèse de ce mouvement qui s’est battu corps et âme pour en venir au départ du régime Compaoré. L’avocat d’affaires évoque ici les grandes lignes de leur lutte et le devenir du Balai citoyen après que le calme soit revenu au Burkina Faso. Après cet exemple démocratique dont le Burkina Faso a fait preuve, Me Guy Kam exhorte les chefs d’Etat africains à faire preuve de patriotisme pour le bonheur de leur peuple et le développement de l’Afrique.

 

L’Evénement Précis : D’où est partie véritablement l’idée du Balai citoyen ?

 

Me Guy Kam : C’est en réalité une histoire qui commence dans les années 2010. La plupart des personnes et organisations qui ont créé le mouvement Balai citoyen étaient déjà des organisations et personnes engagées sur les questions de changement au Burkina-Faso depuis de très longues années. La lutte au Burkina-Faso a pris un tournant particulier depuis décembre 1998 avec la mort de Norbert Zongo qui a fédéré beaucoup d’organisations et de personnes. Malheureusement, dix ans après, cette lutte s’est essoufflée. Les manifestations ne réunissent plus beaucoup de gens. Les revendications sont devenues de plus en plus modérées. Il y a un groupe de jeunes qui se rencontraient lors des manifestations au centre de presse Norbert Zongo et qui discutaient sur comment reprendre le flambeau de cette lutte. A la faveur des événements socio politiques de 2011, ces personnes ont jugé bon de créer une nouvelle structure qui va fédérer des personnes et des organisations, prêtes à changer des stratégies de lutte. Les dix ans passés ont prouvé que manifester sans continuer ne va pas arranger les choses. Une équipe a donc été mise en place, depuis ce moment, pour travailler sur les textes. L’histoire s’est accélérée en 2012 avec la victoire du parti au pouvoir recentrée sur la famille présidentielle. Du coup, nous comprenons que si rien n’est fait, la constitution serait modifiée. Un groupe s’est alors mis au travail pour réfléchir sur le manifeste, les orientations et autres. Mais, certains artistes ont trouvé qu’on perdait trop de temps et ont lancé le mouvement

Qui sont les têtes de pont du mouvement Balai Citoyen ?

Ce qui fait notre force au niveau du Balai citoyen, c’est que nous avons de grands intellectuels, les artistes, les étudiants, les gens du secteur informel  et nous fonctionnons sur une base qui permet à tout le monde de pouvoir discuter. C’est pour ça que nous avons choisi dans notre organisation, le mot porte-parole, en évitant les thèmes comme secrétaire général, coordonnateur et autres, pour mettre tout le monde au même niveau. Bien sûr, nous avons des personnes que nous considérons comme des icônes du mouvement. Ce sont les artistes parce qu’ils avaient déjà une certaine notoriété et nous avons utilisé leurs voix pour faire passer nos messages. Nous avons aussi une coordination composée de treize membres.

Pourquoi avoir choisi le thème Balai Citoyen ?

Lorsqu’on a décidé de créer le mouvement, la discussion s’est tenue sur le nom. Ce sont les artistes qui ont réfléchi pour donner le nom. C’est pour dire qu’il faut balayer la pourriture qui nous gouverne mais, le faire dans le respect des lois de la république. Quelqu’un a proposé le balai parce que le balai qui se trouve dans les maisons, le balai pour balayer les ordures, et comme c’est un ensemble de brindilles, dire qu’on n’est jamais seul. C’est-à dire que la brindille que l’on tient est une ordure à jeter et son ensemble sert à balayer les ordures. Voilà pourquoi on a choisi le balai au figuré et au propre pour balayer. On a ajouté citoyen pour dire qu’il faut balayer dans le respect des lois de la république.

Qu’est-ce qui vous inspire au Balai citoyen ?

Le balai citoyen est traversé par plusieurs sensibilités mais, la sensibilité qui nous anime tous est notre appartenance au continent africain, notre croyance qui dit que nous devons nous émanciper de toutes nos idéologies et pour nous fonder uniquement sur les valeurs africaines. Et de ce point de vu, nous avons des repères comme Thomas Sankara, Joseph KiZerbo, Cheik AntaDiop. Toutes ces personnes sont présentes dans nos discussions parce qu’elles ont pensé à bâtir l’Afrique sur l’Afrique. Nous pensons que c’est ce qui est important. Aujourd’hui, notre symbole suprême c’est Thomas Sankara parce qu’il a pu mettre en avant les valeurs comme l’intégrité qu’on reconnait dans le pays. Les autres sont des référents qui nous inspirent

Il parait que vous êtes aussi influencé par Mandela ?

Bien entendu. On a aussi des personnes ressources comme Nelson Mandela, Kwamé N’Krumah, qui nous inspirent. Nous nous inspirons de la pensée politique de ceux qui ont été cités plus haut. Les politiciens parlent aujourd’hui de l’idéologie marxiste, libérale et bien d’autres. Nous avons des africains qui ont pensé aussi au développement. Nelson Mandela et Kwamé N’Krumah sont pour tout africain, des références morales parce qu’ils sont des valeurs de tolérance, de citoyenneté, de non-violence qui ont été prônés par ces personnes que nous essayons d’inculquer à nos jeunes et militants.

Comment fonctionnez-vous au sein du Balai citoyen ?

Nous avons une coordination nationale composée de treize membres. Après cet organe, nous descendons directement au niveau des clubs symboles qui sont de proximité ou liés à la profession de chacun. Ces clubs doivent être mixtes pour que la coordination nationale puisse vous reconnaitre. Après ces clubs, nous avons des points focaux au niveau de chaque commune et province, pour ne pas avoir une organisation lourde à gérer. Le point focal est le relai entre le club et la coordination nationale. Nous avons une équipe chargée de la gestion des clubs dans les régions et actuellement nous revoyons l’organisation pour mettre en place les coordinations régionales. Parce que nous avions des coordinations nationales qui existaient et qui produisent de bons résultats.

Comment arrivez-vous à faire fonctionner les ressources pour le Balai citoyen ?

Nous avons des personnes venant de tout horizon. Lorsque nous voulons organiser des séances au Balai citoyen, nous procédons à l’identification des besoins. Nous procédons ensuite à un légué de fonds. Ceci peut être en nature ou en espèce. C’est ainsi que nous avons toujours fonctionné jusqu’à l’insurrection et même après. Nous avons organisé des manifestations dans le cadre des élections pour inciter les jeunes à s’inscrite sur ces listes électorales, à aller voter. Le budget en ce moment était plus lourd dont, huit millions pour les inscriptions et trente-sixmillions pour la première phase. Pour cette tape, c’est la Commission électorale qui nous a accompagnés puisque cela rentrait dans ses prérogatives. Pour la seconde, c’est aussi le cas. C’est les deux investissements que nous avons eus de l’extérieur. Pour les autres activités, elles ont été organisées à l’interne

Il n’y a donc pas de mains invisibles qui accompagnent Balai citoyen ?

C’est ce qu’on entend parce qu’en Afrique, nous avons cette facilité de le dire. Il n’y a pas de mains invisibles pour la simple raison que notre mouvement est composé de gens très engagés. Tout ce qui se passe vient de la contribution volontaire des membres du mouvement. Ce qui facilite les choses. Par exemple, nous pouvons organiser un concert à zéro franc parce que les artistes ont la sonorisation, la prestation et là où les partis politiques vont mettre quinze millions, nous l’organisons à zéro franc. Chacun apporte ce qu’il peut faire et ça fonctionne. La réalité ,c’est qu’il n’y a pas de mains invisibles et d’ailleurs, nous l’avons dit, personne ne nous demandait où on gagnait l’argent pour organiser des manifestations lors de l’insurrection. Mais la question est survenue après l’insurrection. On n’est financé par personne. On s’engage et je peux vous assurer que ça coûte à beaucoup de militants des ressources propres. Chacun apporte ce qu’il peut. Compte tenu de ma situation, j’apporte beaucoup plus que d’autres personnes. C’est par conviction.

Vous avez réussi par balayer le régime de Compaoré. Quel a été le moteur de mécanique ?

La mécanique était l’organisation. Lorsque nous traversons le Burkina et nous discutons avec les populations, nous savons qu’il y avait un mécontentement et quelque chose à faire. Nous savons simplement que tout ce qui pouvait à la fois réussir et échouer était l’organisation. Donc, d’abord, aucune personne ne pouvait le faire seul. Il fallait créer des alliances avec les partis politiques. Pour garder nos distances, nous avons fait alliance avec les partis politiques réunis au sein du chef de fil de l’opposition. Mais pour l’organisation, nous savons que dès lors que vous vous mettez en marche, et que l’action peut entrainer un changement de régime, la question de leadership va se poser. Nous avons réfléchi à comment fédérer les partis politiques sans que les questions de leadership ne viennent gâcher la lutte. C’est cette question qu’on a pu mettre en place dès le début du mois d’octobre 2014, à l’année de l’insurrection. Nous avons tout simplement identifié les partis politiques de l’opposition que nous avons approchés individuellement, avec qui nous avons travaillé individuellement jusqu’à ce que l’insurrection arrive, aucun de ces partis n’a été mis face à face avec l’autre parti pour une discussion. On s’appuyait sur la force des partis pour travailler individuellement avec eux. Pour une manifestation, notre analyse nous dit le parti le plus influent du quartier. On le met en avant et c’est ainsi que la mayonnaise a pris

N’avez-vous pas été soumis aux tentatives de division ?

Non. Elles n’ont pas éclaté parce qu’au niveau de ces partis politiques, les partis politiques étaient conscients du fait que nous n’étions pas au service de l’autre. Ce qui leur a permis d’avoir la confiance qu’il faut. Quand les chefs de partis acceptent de travailler avec vous, ces derniers donnent des mots d’ordre à leurs militants pour travailler avec vous et c’est ce qui crée la confiance

Le Balai citoyen est une opération réussie à cause du nouveau pouvoir qui est en place. Quelle relation entretenez-vous aujourd’hui avec ce pouvoir ?

Il faut dire que c’est les mêmes relations que nous entretenions avec l’ancien pouvoir. Nous nous considérons comme des partenaires sociaux, comme des acteurs ayant pour mission de jouer le rôle de vigile. Nous les reconnaissons mais nous continuons à nous battre pour que ce nouveau pouvoir réponde aux objectifs.

Voulez-vous dire que vous n’attendez pas des récompenses ?

Non. Notre principale récompense sera l’instauration d’une bonne gouvernance dans ce pays. Nous disons que le combat vise à donner le droit aux burkinabé de rêver. Il faut que le gardien  puisse rêver que demain il sera ingénieur. Personne d’entre nous ne veut des récompenses individuelles. Ceux qui en voulaient ont compris et ont quitté le mouvement parce que nous le leur avons dit.

Le silence commence par déranger certains acteurs. Est-ce qu’on doit dire qu’il n’y a plus rien à balayer dans la cité ?

Ceux qui contestent ou évoquent le silence du balai sont peut-être dans un rôle politique trop exacerbé. Nous avons dit que le pays vient de loin. Nous avons fait deux ans de crise. Le nouveau gouvernement est venu et comme je le dis, le jour de l’élection, le nouveau gouvernement ne peut pas répondre aux préoccupations du gouvernement le lendemain. Par contre, il a l’obligation de montrer des signaux pour montrer que du mode de sa gouvernance les choses peuvent changer. Nous étions aussi conscients que pour aller dans ce sens, il fallait une sorte de stabilité interne. Quand je prends mon cas, je sais ce qui peut inquiéter le pays et on doit en tenir compte.  Nous savons aussi faire une analyse politique et économique du pays. Nous disons donc qu’il faut laisser le gouvernement s’installer mais en faisant pression pour qu’il ne dévie pas. Après les cent premiers jours, nous avons fait une analyse et nous avons dit que ça ne va pas sur la bonne voie. Nous avons organisé un panel débat où nous avons fait l’analyse de la transition parce que nous avons constaté que le gouvernement est dans un processus de remise en cause des institutions des acquis de la transition. Nous avons élaboré ainsi le bilan et les perspectives. La seule organisation de la société civile qui s’est prononcée, depuis la mise en place du gouvernement, de toutes les questions importantes est notre organisation. Chaque chose a son temps pour organiser des manifestations.

Quel a été le bilan ainsi que les perspectives qui ont été faits ?

Jusqu’à ce jour, à part le fait qu’on sente une remise en cause des acquis de la transition, le pire est qu’on a l’impression d’être toujours en campagne. Il n’y a aucune visibilité sur la vision du nouveau gouvernement. Ils ont pris des mesures mais nous leur avons dit qu’elles ne font pas la politique mais concourent à la politique. Nous avons tiré sur la sonnette d’alarme  parce que rien de concret n’a été vu lors des six premiers mois, du point de vu de la réalisation des objectifs pour lesquels les populations se sont battues pour le changement. Il  y a  des mesures ponctuelles qui, pour nous, ne répondent à rien. Elles sont démagogiques et populistes. C’est l’exemple d’un recrutement de quatre mille personnes dans l’enseignement mais qui n’ont pas de diplôme pour enseigner. Est-ce pour lutter contre le chômage ? Il y a de ces mesures qu’on a soulevées. Pour les perspectives, nous avons convié le gouvernement à s’engager résolument à ce que plus rien ne soit comme avant. Et pour ce fait, il faut une meilleure gouvernance dans le domaine de la lutte contre l’impunité, de l’égalité et de la justice sociale. Nous avons dit au gouvernement que si nous avons des mesures concrètes, n’importe qui peut attendre. Ces mesures vont permettre de créer des conditions de stabilité sociale nécessaires à l’implémentation des politiques

Devons-nous dire que le temps de grâce du balai citoyen est terminé ?

Même-si ce n’est pas pour nous, le temps de grâce est terminé puisque le programme politique de 2016 est déjà à l’eau. Même si on prend des décisions politiques aujourd’hui, rien ne pourra se faire. Le plus important c’est qu’on ait déjà des signaux qui nous disent que ce qui se fait maintenant produira des effets en 2017. Une chose est certaine, la mutation reste à l’Etat et personne ne pourra garantir la sécurité en 2017

Quelques dossiers défraient la chronique notamment le deal des parcelles dans lequel est impliqué le colonel Zida. Quelle est la position du Balai citoyen ?

Notre combat au niveau du Balai citoyen n’a jamais été un combat de personnes. Mais un combat de principes, de respects des règles de gouvernance. Et ce pays a des règles bien faites, il ne manque que des volontés politiques pour les mettre en œuvre. Nous avons dit que si quelqu’un a fauté, peu importe qui il soit ou les fonctions qu’il a occupées, le gouvernement a l’obligation de donner suite. A partir de ce moment, nous disons que les débats qui se mènent sont une manière de noyer le poisson dans l’eau. Il y a un audit qui a donné des résultats. On n’a pas besoin de discours pour transmettre ces résultats à la justice. C’est ce que nous disons en demandant d’élargir les enquêtes de l’autorité supérieure de contrôle d’Etat sur ces sujets. Aujourd’hui, quand vous écoutez tous ceux qui veulent faire de la restauration, on nous dit que la transition était un échec et que Zida était un voleur. Il ne faut pas confondre la transition à ses acteurs. Si des acteurs ont voté, ils répondent personnellement sans que cela ne puisse s’étendre sur la transition. Le deuxième élément est que nous nous méfions de cette stratégie qui peut être une course pourrie pour le nouveau gouvernement. Vous êtes au gouvernement, vous avez des gens qui ont fauté mais il faut mettre la machine en marche au lieu d’organiser tous les jours des débats et conférences pour décrier ce qu’ils ont fait.

Pensez-vous que la justice peut faire quelque chose alors que vous acteurs de la société civile ne lui faites pas confiance ?

Si nous n’avons pas confiance à la justice, c’est parce que les magistrats sont incompétents, parce que le pouvoir ne donne pas des gages de confiance qui ne s’immiscent pas dans la justice.  Tout dernièrement, le président de la république a même dit que les magistrats ne peuvent pas travailler sans patron. C’est grave. Nous nous battons pour la justice. Maintenant, si elle ne fait pas le travail, c’est notre rôle de la mettre au pas. S’il y a une responsabilité pour le gouvernement, elle doit l’exécuter. Ensuite, elle va aussi sur les juges qui, au lieu de regarder la loi, regardent la volonté du prince du moment .Ils répondront de leurs actes.

Devons-nous dire que la justice n’a pas été influencée, un tant soit peu, dans le droit chemin, malgré le départ de Blaise Compaoré ?

Je dois dire que la justice burkinabé a été traumatisée par Blaise Compaoré. Elle a été très politisée mais tous ces problèmes ne se résolvent pas du jour au lendemain. La première étape a été de prendre des textes très courageux dans le sens de la magistrature. L’indépendance de la magistrature est maintenant un problème de texte et de personnes. Le plus important, c’est de prendre des textes qui permettent au magistrat de faire preuve de compétences sans compromettre sa carrière. Je pense qu’au Burkina, nous avons des textes du genre. Il y a aussi cette question de personne à régler et pour le faire, ce sont les institutions de contrôle de la magistrature comme le conseil supérieur de la magistrature dont nous avons revendiqué et obtenu l’indépendance. Il y a aussi des dossiers de magistrats qui ont pris des libertés avec les exigences de leurs professions. Nous disons qu’il faut aussi poursuivre ces dossiers, sanctionner ces magistrats.

Saurons-nous un jour la vérité sur le dossier Thomas Sankara ?

Ce dossier a suscité de grands espoirs avec la transition lorsqu’il a été ouvert. Même-si le pouvoir actuel a des hésitations sur ce dossier, nous disons qu’il va forcément avoir une issue. Le pouvoir sait que c’est l’un des dossiers emblématiques de la république et sans la vérité dans l’affaire Thomas Sankara et Norbert Zongo, aucun pouvoir ne pourra avoir la tranquillité pour travailler.

Me Kam, en tant que citoyen, s’est-il senti avoir gagné le combat de ceux qui se sont engagés pour le développement du Burkina ?

Malgré tout ce qu’on peut avoir comme regret, ce qui s’est passé dans ce pays en 2013, 2014 et 2015,  est un événement fondateur parce qu’on peut dire tout ce qu’on veut, mais plus rien ne sera comme avant. Vu ce qu’on a vécu en 2014, je me suis dit que c’était la plus grande université à ciel ouvert sur la théorie de la souveraineté populaire. Vous partez dans n’importe quel village aujourd’hui au Burkina, on sait que la population n’est pas d’accord avec le président et qu’elles l’ont chassé. Ce qui veut dire que le pouvoir suprême appartient au peuple. Du point de vue des paradigmes de la république, nous expliquons aujourd’hui aux populations que le ministre, le député, le conseiller ne sont pas les chefs. C’est plutôt nous, parce que c’est nous qui les employons. A partir de ce moment, nous devons leur demander des comptes. C’est quelque chose de formidable qui s’est passé dans ce pays du point de vue de la prise de conscience de la population, de son importance dans la conscience de ce pays et plus rien ne peut changer ça.

Plus rien ne sera comme avant. Est-ce à dire que vous vous emballez dans une chasse aux sorcières ?

Non. C’est du point de vue de la gouvernance

Mais il faut sanctionner

Evidemment. Nous nous disons qu’il faut une justice. Ce qui est important dans la justice n’est pas la sanction mais la vérité. Si la justice permet de faire éclater la vérité, le reste peut s’arranger. Nous disons que nous sommes d’accord pour l’amnistie mais pas une amnistie amnésie. Avant l’amnistie, il faut savoir ce qui s’est passé avant de tourner la page, il faut lire celle qui est ouverte. C’est quelque chose qu’il faut. Et à partir de ce moment, tout le reste peut se discuter. Le Burkina Faso est un peuple tolérant et s’il n’y en avait pas, beaucoup de dignitaires de l’ancien système auraient été tués mais il n’y en avait pas eu.

Quelles vérités attendez-vous au niveau du Balai citoyen ?

Nous attendons beaucoup de choses. Comment et pourquoi sont morts Thomas Sankara, Norbert Zongo, ce qui s’est passé le 30 octobre, le 16 septembre. Au-delà de ça, il y a un important lot de crimes économiques et de sang qui ont été identifiés par le collège de sages. A ces crimes, beaucoup se sont ajoutés à la Commission nationale des réformes créées par la transition. Le plus important pour nous, c’est de savoir ce qui s’est passé. C’est de lire ces pages de l’histoire de notre pays. Après cette lecture, on pourra choisir la manière de la tourner

Pensez-vous que les citoyens sont engagés dans ce sens ?

De toutes les façons, on peut fermer les yeux en pensant que le mal n’existe plus mais ça va toujours rejaillir un jour ou l’autre. J’ai reçu un jour un jeune de 24 ans qui voulait savoir les circonstances dans lesquelles était décédé son père. Pensez-vous que ces personnes ne sont pas des bombes à retardement quand la vérité n’aura pas éclaté. La vie d’une nation dépasse les questions d’individus. Si pour la stabilité du Burkina, il est bon qu’on accorde quoi que ce soit à n’importe qui, on doit le faire. On ne doit pas oublier qu’il faut savoir ce qui s’est passé si non ce sera comme mettre une bande sur une plaie puante

Vous gardez espoir ?

75% de la population du Burkina aujourd’hui est composé de jeunes de moins de 25 ans qui vivent dans un monde ouvert. Les revendications de justice sociale de ces jeunes sont énormes. Pour cela, aucun pouvoir, quelque soit le taux de légitimité, la force qu’il peut avoir ne peut marcher contre cela.

On dirait que votre engagement politique donne de l’affluence ?

Je ne pense pas. La dernière fois, j’étais sur une étude mais mes partenaires étaient gênés de savoir que j’étais un acteur du Balai citoyen. Ce qui veut dire qu’ils ne vont plus travailler prochainement avec moi. Quand je prends ensuite le chiffre d’affaire de mon cabinet, il a toujours augmenté de façon significative jusqu’en 2013 où il a baissé. Aujourd’hui, je fais plus d’activités professionnelles avec ceux qui ne me connaissent pas parce que les gens ont peur

Vous êtes quand même connu même sur le plan international

Je suis plus un avocat d’affaire qu’un plaidant dans les causes significatives

Une reconversion s’impose alors ?

Non. C’est une question de sensibilité. On peut s’engager dans de grands procès mais quand on n’a pas la grande sensibilité, ça pose problème. Moi, je suis formé dans le droit. Après l’engagement social, il y a des avantages et des inconvénients

Quelle est la durée du mandat au poste du porte-parole du Balai citoyen ?

Un an renouvelable

Balai citoyen a mené des luttes comme « Touche pas à ma constitution ». La même chose a été connue également au Bénin. Quel regard avez-vous aujourd’hui sur l’évolution de la chose politique au Bénin ?

Beaucoup de choses positives se sont passées au Bénin depuis la conférence nationale de 1990. Il y a beaucoup d’institutions fortes mais si le Bénin est ce qu’il est c’est parce que la cour constitutionnelle et autres institutions ont toujours fonctionné. Aussi,  parce qu’il y a eu des organisations qui ont réclamé de ne pas toucher à la constitution. Tout cela montre que la démocratie n’est pas un luxe pour l’Afrique et que ces derniers savent aussi aller voter. Nous sommes en période de construction et tout cela va changer. Maintenant, il y a au Bénin la question sur le mandat unique et nous suivons cela avec intérêt.    On en avait déjà entendu parler avec certains politologues constitutionnalistes. Le débat vaut la peine d’être mené.

Etes-vous favorable ?

Non. Je ne suis pas favorable à un mandat unique. Même-si ça a des avantages qui peuvent être des inconvénients. Lorsqu’un président vient pour un mandat unique, il est clair qu’il ne va plus solliciter le suffrage des populations. Quand vous avez deux mandats de quatre ou de cinq ans, le risque de perdre l’efficacité va se dérouler sur quatre ou  cinq ans au lieu de sept à neuf ans. A partir de ce moment, je suis assez réservé

Pour vous qui avez vu ces types de mandat s’exercer dans votre pays, quel conseil avez-vous à donner au Bénin ?

Un mandat double au-delà de cinq ans est trop. Un mandat double doit être au maximum cinq ans ou être en dessous de cinq ans. Ce qui peut aussi être trop parce que nos pays n’ont pas suffisamment de ressources pour se payer des élections chaque quatre an, comme c’est le cas aux Etats-Unis. Je pense qu’il faut le juste milieu et le fait d’avoir un mandat double permet d’obliger le président sur une certaine durée. C’est vrai que Talon a dit qu’il veut faire un seul mandat. Ce qui est dommage parce qu’en réalité, c’est comme s’il se foutait de cela. Si un président vient généralement, c’est une machine qu’il veut redynamiser. Ce qui l’oblige au moins, pour le premier mandat, à prendre des mesures fortes pour que les populations l’aident à son deuxième mandat et après, rentrer dans l’histoire. Mais là, on a l’impression que c’est de l’irresponsabilité au sommet de l’Etat

Pensez-vous que les révolutions béninoises et burkinabé doivent inspirer les autres pays de la sous-région ?

Elles vont inspirer les autres Etats mais comme je le dis, chaque pays doit s’inspirer de ce qui se fait de bien ailleurs en fonction des réalités sociales. Les réalités socio- politiques du Bénin ne sont pas les mêmes qu’ici, au Mali et au Cameroun. Mais, ce qui nous intéresse, c’est peut-être de voir qu’au Bénin, les gens s’organisent et font barrage. On doit reconnaitre que du point de vue de la construction de la démocratie en Afrique francophone, vous avez beaucoup d’exemples à donner au reste du continent.

Pensez-vous de par vos expériences que le Burkina doit être un exemple pour les pays voisins ?

Lorsqu’en 2014 nous disions que Blaise Compaoré ne doit pas modifier la constitution, c’était pour nous et pour tous les pays où la menace de la révision persistait. Nous nous disions que si ça passe au Burkina, ce sera le cas dans les autres pays. Il fallait empêcher ça pour que ça n’inspire pas ailleurs. C’était dans notre esprit de servir pour de bon exemple que de mauvais exemple et nous espérons que cet exemple sera suivi. Lorsqu’on prend le cas du Burundi et autres, leur histoire politique n’est pas la même que celle du Burkina Faso. Au Burkina, nous avions une armée qui était une armée nationale. Nous n’avons jamais connu de parti unique ce qui n’est pas le cas dans certains pays. Au Burkina, nous avons des syndicalistes très développés et actifs qui sont plus politiques que corporatistes. Ce qui fait que la tradition de lutte politique n’est pas la même que celle des autres pays. Ce sont ces pays qui sont dans l’actualité et c’est à l’une des réalités socio politiques de chaque pays que nous devons nous servir pour la lutte. En Afrique, nous avons connu la démocratie, le tournant des droits de l’homme dans les années 80, on a gagné le tournoi de la démocratie dans les années 90 avec le  Bénin et les conférences nationales qui ont eu lieu, mettant des régimes démocratiques sur pieds. On est aujourd’hui dans le tournant de l’alternance et on va le gagner. Les derniers résistants vont partir. C’est une marche irréversible

Quel est le type de dirigeants que vous souhaitez aujourd’hui pour les pays africains ?

Des dirigeants patriotes. C’est tout un discours, tout un programme. Aujourd’hui, nous avons des dirigeants africains qu’il est difficile de comprendre. On se demande même s’ils savent d’où ils viennent, s’ils connaissent l’histoire de leur peuple. Ce sont des dirigeants extravertis par les canevas. Nous voulons des dirigeants africains qui soient au courant des réalités socio-politiques de leur pays et qui vont sur cette base, construire le développement des populations. Il faut une sorte de rupture. Malheureusement, toute la génération politique africaine aujourd’hui est une génération qui n’a rien à voir avec les réalités africaines. Soyez des chefs d’Etat pour l’Afrique.

Entretien réalisé par Gérard AGOGNON

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