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Le triomphe de la vérité

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Claude Djankaki, ex-conseiller communal et expert en décentralisation: « Il y a une main invisible qui manipule les destitutions »


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claude-djankaki-2-okLes menaces de destitution de plusieurs maires du Bénin se font de plus en plus persistantes. Claude Djankaki, administrateur des finances, ex-conseiller communal et auteur de plusieurs ouvrages sur la décentralisation, revient ici sur les vraies causes. Il en appelle à de nouvelles dispositions de loi pour redynamiser les communes béninoises. Il s’est aussi prononcé sur le régime de la Rupture et les actes qu’il pose depuis son avènement au pouvoir, voici déjà 5 mois.

L’Evénement Précis : Depuis un certain temps, un vent de destitution des maires plane sur plusieurs conseils communaux. Quelle appréciation faites-vous de cette situation ?

Claude Djankaki : Je tiens d’abord à faire remarquer que la loi, elle-même, est muette sur la définition de l’objet qui peut amener à la destitution. Elle parle de crise de confiance ou désaccord entre les conseillers communaux et le maire, mais elle ne la définit pas clairement. Ceci étant, les conseillers en profitent pour régler des comptes au maire. Il est vrai, ce dernier doit son élection à un collège de conseillers, et à partir de cet instant, tous les chantages sont permis. Il faut aussi noter qu’il y a des non-dits dans l’élection d’un maire et le non respect d’un accord peut devenir un désaccord. Ce qu’il faut savoir aussi est qu’il n’y a pas que cette procédure. Il y a ce que la loi appelle aussi destitution en cas de fautes lourdes, et ceci, par le pouvoir central. Et comme fautes lourdes, on peut citer : l’utilisation des fonds de la commune à des fins personnelles, faux en écriture publique, aliénation abusive de biens domaniaux, etc. Mais cette deuxième possibilité, en réalité, n’a jamais été utilisée à ce jour au Bénin. Et cela ne veut pas dire, qu’il n’y a jamais eu de fautes lourdes, c’est que les maires usent d’assez de moyens de corruption pour s’en échapper.

D’aucuns ne manquent pas de doigter le pouvoir central dans les destitutions des maires opérés par les conseillers communaux. Etes-vous du même avis ?
Le pouvoir central peut tout en vérité. Pour tout pouvoir au niveau de la décentralisation, on observe un phénomène de transposition qui consiste à faire en sorte que, comme c’est moi qui suis là, il faut que tout me ressemble. C’est un phénomène naturel. Bref, on ne destitue jamais un maire sans l’implication indirecte des autorités centrales. Le gouvernement joue à fond dans le phénomène. Je vais vous rappeler deux cas. A une certaine époque dans le passé, le gouvernement d’alors a favorisé la destitution du maire de Parakou qui était Rachidi Gbadamassi en le mettant aux arrêts dans l’affaire Coovi, et lorsque celui-ci a bénéficié entre-temps d’une liberté provisoire, les conseillers ont profité pour le destituer. Le même cas s’était également produit avec le maire de Pèrèrè qui était également mêlé à une affaire d’assassinat qui l’a conduit en prison, mais de retour, il n’a pas été destitué, lui. C’est-dire que tout est politisé dans cette affaire. Il y a une main invisible qui manipule les destitutions. Je dois aussi vous dire qu’à ma connaissance, en dehors des cas des maires de Natitingou, de Kalalé et de Parakou, le vent de destitution avait plané sur toutes les autres communes du Bénin, mais curieusement, là où ça détonnait le plus, le maire n’a jamais pu être destitué.

Que faire pour éviter ces destitutions de maires dans nos communes qui perturbent davantage leur développement, à cause des crises interminables qui en résultent ?
Je dois vous avouer que ce qui favorise le phénomène de destitution est tel qu’’il sera difficile à corriger dans l’état actuel de notre processus de décentralisation et les dispositions qui le régissent. Il y a surtout le profil des conseillers communaux qui demeure une question préoccupante. La loi n’impose pas, en effet, un quotient d’intellectualité. Ce qui fait qu’il y en a aujourd’hui dans nos communes, des conseillers qui ne savent ni lire, ni écrire. Le législateur en adoptant la loi sur la décentralisation a insisté sur deux principes fondamentaux : l’exercice de la démocratie à la base et le développement local, mais aujourd’hui, on a l’impression que c’est le premier qui intéresse la plupart des gens, parce qu’il n’exige pas, selon eux, de grandes compétences et de connaissances, comme dans le cas du développement.

Le gouvernement de la Rupture a lancé récemment des audits dans 16 communes du Bénin, alors qu’il y en a eu plusieurs autres dans le passé dont les résultats sont restés lettres mortes ?
Les audits sont toujours utiles. Il ne faut jamais se lasser de chercher à comprendre comment se gèrent les ressources affectées aux communes. C’est aussi une manière au gouvernement de la Rupture pour signaler qu’il est là et qu’il travaille. C’est le fort de tout pouvoir. Ne ramenons pas les choses au gouvernement actuel, c’est la nature de tout pouvoir. L’essentiel est d’en finir avec l’impunité, tous les textes en la matière existent déjà.

Le régime de la Rupture est au pouvoir depuis 5 mois déjà. Comment appréciez-vous les actes et décisions déjà à son actif ?
D’abord, je dois réaffirmer que je suis l’un des soutiens de la Rupture et je continue de l’être par rapport à ce que nous avons vécu par le passé sous le régime de Yayi. Mais je pense que le régime actuel a intérêt à se ressaisir. Il est vrai, le peuple a souhaité faire une autre expérience avec un créateur de richesses, un chef d’entreprise, pour voir s’il peut donner la même impulsion à l’Etat pour se développer, mais diriger une nation, c’est un peu plus d’ouverture, parce que lorsqu’on vient et on pense, qu’on peut faire des nominations sans que les populations ne soient informées, cela ne pourrait marcher. Le gouvernement a besoin de composer avec le peuple en lui présentant ses dirigeants. Par ailleurs, c’est également une erreur de faire croire que par un jeu d’appel à candidatures, on peut nommer des cadres au Bénin. Tel que se pratique aujourd’hui l’appel à candidature, il fausse la vraie concurrence. Il pourrait également tabler les critères sur l’homme qu’on tient à placer. Lorsque nous voulons élire Miss Bénin par exemple, ce n’est pas toujours les meilleures beautés qui sont choisies. C’est la même chose qui pourrait arriver au niveau de l’appel à candidatures dont on parle. Il pourrait être un couteau à double tranchant qui pourrait freiner l’ascension des agents permanents de l’Etat au détriment des agents contractuels ou dans l’état actuel de nos textes. Un agent contractuel de l’Etat ne saurait diriger un agent permanent de l’Etat de la même catégorie. Les nominations doivent tenir compte des qualifications professionnelles avérées, de probité, de loyauté et autres valeurs cardinales. Nous avons des règles de déontologie administrative qu’il faut nécessairement sauvegarder.

Le gouvernement Talon a aussi mis en chantier des réformes politiques et institutionnelles, avec au cœur, la récurrente question du mandat unique. Votre commentaire ?
C’est une très bonne chose que le Chef de l’Etat, Patrice Talon ait décidé de faire personnellement un mandat unique à l’instar de Nelson Mandela. Si non, avoir un mandat et le faire renouveler, c’est le peuple qui le décide, comme le prévoit notre constitution. Vouloir introduire d’ailleurs, un seul mandat unique dans cette constitution pourrait également révéler des faiblesses, car c’est un peu comme si on veut enlever au peuple, une partie de sa souveraineté qui consiste à sanctionner un chef d’Etat en ne le reconduisant pas au terme de son premier mandat, ou à l’encourager en le lui renouvelant. La constitution actuelle donne droit à deux mandats, mais le président Soglo en avait fait qu’un seul, parce que le peuple en a décidé ainsi. Si Talon aussi veut faire un seul mandat, c’est sa volonté à lui. Ne fermons pas la porte lorsqu’on rentre par la fenêtre. Laissons le temps au temps. Ce n’est pas tous les aspects de cette constitution que nous avons déjà appliqués, je ne nie pas qu’il y a des lacunes à corriger par endroits. Mais sur ce volet, je conseille la prudence au président Talon. Le chef de l’Etat a plutôt à se mettre à la tâche en oubliant cette histoire de mandat unique.
Un mot pour conclure ?
Aujourd’hui, on parle de rupture, mais il faut une rupture intégrale et non parcellaire. Le régime du Nouveau Départ a pris un certain nombre de décisions pour soulager les finances publiques, mais il faut l’imposer à tous les niveaux, y compris les collectivités locales. Je trouve inadmissible d’interdire aux ministres de nommer des chargés de mission et autres, alors qu’au niveau des communes où les textes ont prévu un organigramme type, on continue à nommer des attachés de cabinets, des chargés de missions, sous les maigres ressources de nos communes. Je suis parfaitement en accord avec le gouvernement qui a décidé de soulager les caisses de l’Etat. Mais cette volonté doit descendre également à la base. Si la décentralisation au Bénin est dans l’impasse, c’est parce que les textes avaient été élaborés sur mesure pour permettre aux partis politiques influents dans les régions d’installer leurs valets locaux. La gestion ne s’improvise pas, on l’append, soit dans les grandes écoles ou par l’expérience. En gros, il ne faut pas que le gouvernement pense qu’en réglant la question au niveau central sans vouloir l’imposer à la base, cela suffirait. Nous sommes au Bénin, et chasser le naturel, il revient au galop. Dans les propositions, j’attends de voir les aménagements proposés pour la redynamisation de nos communes. Dans la constitution béninoise en vigueur, il n’y a que 5 articles qui parlent des communes. Au niveau des lois d’application, quand bien même, les enjeux de la décentralisation sont le développement et la démocratie à la base, lorsqu’on prend les articles relatifs à mobilisation et à la gestion des recettes des communes, sur les 7, il y a 6 qui sont consacrés aux recettes pour le fonctionnement et un seul destiné à l’investissement. Ce seul article, d’ailleurs, tient compte des emprunts ou des dotations du gouvernement, qui du reste , sont insignifiants. Je dois aussi faire remarquer que telles que les communes fonctionnent aujourd’hui, il sera difficile que des fonds servent au financement des équipements sociocommunautaires. Il faut envisager une typologie des communes, pour permettre à celles de moindre taille et de ressources insuffisantes à disposer de deux adjoints au maire, payés sur les frais de la commune, sans attribution réelle, surtout que les pouvoirs sont concentrés dans les mains des maires et que leurs adjoints ne sont utiles que par préséance en leur absence, aucune délégation du pouvoir n’est accordée à ces derniers.

Propos recueillis par
Christian Tchanou

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