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Le triomphe de la vérité

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Edito: Larmes intérieures


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Je revois encore l’image de cette amie. Effondrée et au bord des larmes, elle renonce à chercher un emploi. « ça ne sert à rien, je sais d’avance que les gens vont me demander de coucher avec eux et me renvoyer après ». Il me revient aussi le courage de cet autre, diplômé de l’université depuis quatre ans. Il est carrément retourné à la terre. Avec des amis, il monte aujourd’hui de fascinants projets agricoles dans le but de s’en sortir et d’assouvir sa nouvelle passion. J’en connais aussi qui ont carrément changé de profession, préférant les petits boulots pour joindre les deux bouts. Et dans cette accoutumance avec la débrouillardise, beaucoup oublient même leur droit à une vie décente.
J’ai décidé aujourd’hui de parler de ces petits bouts de vie qui cherchent leur petit bout de pain. Il y a quelques jours, un autre ami m’arrête en pleine circulation. Sa femme, m’a-t-il confié, a accouché il y a deux semaines, mais il n’a même pas un rond pour l’amener aux consultations d’usage, alors que le bébé est visiblement souffrant. Derrière la moto, la femme (que je connais bien), tenait religieusement son « p’tit bout d’chou » enveloppé dans un beau couvre-bébé beige. Au chômage depuis deux ans, n’a-t-il pas le droit, lui aussi, de fonder une famille ? Comment ne pas me souvenir de cet autre qui, aujourd’hui, à près de 45 ans et même bardé des plus gros diplômes professionnels et académiques, est contraint à la débrouillardise. Tandis qu’il voit passer les années et que le poids de l’âge l’exclut de la fonction publique, il n’a ni femme ni enfant. Faute d’argent.
Peu d’adultes de la génération des indépendances peuvent imaginer le désarroi de tous ces jeunes rejetés du cercle du bonheur auquel eux, ils ont appartenu. Les études à peine achevées, ils avaient décroché un emploi gracieusement offert par l’Etat. Depuis la banqueroute généralisée de la fin des années 80, c’est terminé. Le jeune béninois est livré à lui-même sur un marché de l’emploi étriqué. Les luttes ici sont féroces.
Officiellement pourtant, le Bénin ne compte « que » 2,6% de chômeurs. Le sous-emploi frappe 85% des actifs, avec des situations d’une extrême variété. C’est au mieux, le règne de la débrouille, au pire un envahissement incontrôlable de petits boulots dégradants et meurtriers. Nous connaissions le zémidjan, métier de tous ceux qui savent conduire une moto. Nous connaissions aussi les « transitaires », race particulièrement dynamique écumant le port. Comme on connait également les vendeurs d’essence, corporation aussi utile que dangereuse. Mais qui connait les coiffeuses ambulantes, les maitrisards vendeurs de yaourt, les vitriers devenus gardiens de nuit ou encore les juristes reconvertis en tontiniers ?
Qui connait les souffrances indicibles de ces femmes formées à grands frais par leurs parents qui se sont saignés aux quatre veines, mais qui sont obligés aujourd’hui de « rester à la maison » attendant qu’un homme les sauve du désespoir ? Et pourtant, dans ce dernier cas, ce sont souvent nos sœurs, nos filles, nos amies, nos nièces ou nos cousines. Chez beaucoup d’entre elles, le mariage est tout simplement une question de survie. Et non pas d’amour.
Quand je pense à mes propres filles, je ne peux que pleurer avec toutes celles qui pleurent pour leur jeunesse volée, leur dignité salie, leurs rêves brisés et leurs attentes flouées.
Mais aujourd’hui, beaucoup ont compris la nécessité d’orienter, plus que par le passé, la conquête par elles-mêmes des instruments de leur propre bonheur. Un nombre croissant de jeunes, femmes et hommes, se tourne résolument vers le secteur privé. Certains parents les y encouragent d’ailleurs en leur martelant, à juste titre, que seule l’entreprise privée enrichit le travailleur et le manager honnête. A côté de cette minorité, la grande majorité croit encore que le vrai travail se trouve dans la fonction publique.
C’est une fausse route qui traduit l’ampleur de la tâche à accomplir pour décrocher nos mentalités, minées par des décennies d’Etat Providence, de l’attente enfiévrée d’un emploi permanent dans la vaste fonction publique. Mais il est aujourd’hui impérieux, au vu des graves déviances occasionnées par le sous-emploi et le chômage, que les pouvoirs publics instaurent une indemnité chômage, comme ailleurs en Europe, en Amérique ou en Asie. Ce n’est plus une faveur, mais une exigence, si l’on ne veut pas perdre la qualité de toutes ces ressources humaines immolées sur l’autel de la précarité et de la misère. “L’excès d’indulgence est une marque de sottise” disait Houngbé dans Le chant du lac d’Olympe Bhêly-Quenum (Seuil, 1965). Notre jeunesse a été jusqu’ici trop tolérante vis-à-vis de l’incurie de la classe politique, si indulgente qu’elle se croit obligée de vivre le malheur et l’indigence au quotidien. Il faut que ça change!

Par Olivier ALLOCHEME

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