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Avortements au Bénin: Les ados, proie des cabinets de soins clandestins


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Dans ces centres de santé publics, des adolescentes victimes d’avortements clandestins retroussent le sourire

Dans ces centres de santé publics, des adolescentes victimes d’avortements clandestins retroussent le sourire

Al’abri de toute réprimande, de nombreuses adolescentes se débarrassent de grossesses non désirées dans des cabinets de soins clandestins. Un phénomène assombri toutefois par de nombreuses complications.

10h. Devant la Clinique universitaire de gynécologie obstétrique (CUGO) du Centre national hospitalier universitaire Hubert Koutoukou Maga de Cotonou, c’est le branle-bas. Des effets personnels un peu épars aux divers coins de la cour. Un monde bigarré, le regard attentiste. Les portes de la salle d’accouchement accueillent et refoulent du monde. Dans un fauteuil roulant dirigé par un homme de bleu vêtu, se tord de douleur une jeune fille. Le visage hagard, elle agonise. Derrière elle, ses parents sans doute. La patiente disparaît peu à peu dans les dédales de la salle. Quelques heures de soins plus tard, Mme Rachel Tonoukouin, surveillante de la salle d’accouchement apparaît, l’air rassuré. La patiente présente un syndrome douloureux abdominal depuis quatre jours. Son état est profondément altéré avec une contracture abdominale généralisée rendant pour l’instant impossible l’examen gynécologique. Quoique les parents soient atterrés, la sage-femme reste bien sereine. Les avortements provoqués qui tournent mal dans des cabinets privés de soins, la CUGO en accueille et la fréquence est loin de l’ébranler. Cependant, elle reste perplexe quant à la tranche d’âge des patientes. La majorité des patientes référées aussi bien à la CUGO qu’à l’Hôpital de la Mère et de l’Enfant (HOMEL) ont un âge compris entre 15 et 24 ans, selon les diverses statistiques recueillies dans ces centres hospitaliers. Des avortements enregistrés, notamment ceux se situant entre cette tranche d’âge, excèdent les 50%.

Dans les griffes de la mort

A l’instar d’Ameline (nom d’emprunt), Pascaline, 17 ans, a subi un avortement clandestin. Dans la salle de dystocie de la CUGO où elle se remet peu à peu de son traitement, elle confie qu’elle s’est fait avorter dans une clinique à Cococodji dans la commune d’Abomey-Calavi. En classe de 1ère G 2, elle a été orientée vers un agent de santé opérant dans un hôpital de la ville de Cotonou. « D’abord il m’a prescrit un produit et m’a certifié qu’une fois utilisé, le fœtus s’expulsera de lui-même. Mais deux jours plus tard j’ai repris le test et j’ai constaté que je portais toujours cette grossesse dont je ne voulais pas. C’est à la suite de ce constat qu’il m’a recommandé la technique dite d’aspiration. Je la redoutais certes mais face au désir de poursuivre mes études, je n’ai pas reculé », témoigne-t-elle, la parole balbutiante. D’atroces douleurs pelviennes et des saignements à n’en point finir le lendemain la ramèneront à la réalité. D’abord référée à l’hôpital Saint Luc où l’on a procédé à une aspiration manuelle intra-utérine pour l’extraction du reste des débris fœtaux du fait d’un avortement incomplet, elle n’aura sa rédemption qu’à la CUGO. Les adolescentes qui se disent pas prêtes pour assumer le rôle de mère recourent à plusieurs méthodes abortives dont le curetage et l’aspiration endo-utérine, les produits pharmaceutiques, les produits traditionnels et l’insertion vaginale de tige. Des moyens qui ne sont pas sans complications. Les avortements faits à l’abri de cabinets de soins de fortune sont souvent émaillés de complications hémorragiques, infectieuses et traumatiques mais aussi dramatiques. Diverses séquelles telles que la stérilité et même des décès sont enregistrées. Une jeune fille aux témoignages des agents du CNHU a perdu 7 cm de son intestin à la suite d’un avortement provoqué.
Outre le fait que les grossesses chez les adolescentes sont très dangereuses pour la santé de la mère et du bébé (1 cas sur 5 de décès maternels provient d’une adolescente), le corps de l’adolescente n’étant pas encore prêt pour la maternité, selon les spécialistes des questions de population, les complications relevant des avortements provoqués, accroissent les risques.
A l’opposé de Pascaline qui a accepté de raconter son calvaire, son père par contre, rejette la thèse de l’avortement. « Ma fille s’est sentie mal ; elle a l’ulcère. Ce sont les agents de Saint Luc qui se sont trompés dans leur diagnostic », martèle-t-il, le regard persuadé. Un déni que les agents de la CUGO comprennent quoiqu’il jette l’anathème sur toute une corporation. Face à l’avortement, « personne ne veut assumer la honte. Il reste avant tout dans nos sociétés un sujet tabou », explique Barnabé Afougnon, socio-anthropologue ayant mené des études sur le phénomène. Les parents considèrent cet acte comme un échec de leur part dans l’éducation de leurs filles, ajoute-t-il. La propension des jeunes filles à recourir à la pratique de l’avortement se justifie, à son avis, par le fait qu’elles sont sexuellement actives à cette période de leur vie où elles ne devraient pas l’être et qu’elles ne sont sûrement pas informées des méthodes de contraception ou feignent de les inscrire dans leurs habitudes. Selon l’Enquête démographique et de santé 2012, la majorité (86%) des filles sexuellement actives n’utilisent aucune méthode contraceptive. Aussi au Bénin, 43% des accouchements sont-ils du fait des adolescentes. Il s’agit véritablement d’un phénomène de santé publique qui interpelle au plus haut niveau, les pouvoirs publics pour la mise en place des mécanismes crédibles de régulation et de contrôle de l’avortement ainsi que pour l’implémentation d’une politique plus sérieuse de sensibilisation sexuelle des adolescentes.

Système de santé  en cause

Loin de toute réprimande quoique l’avortement soit puni par la loi au regard du silence qu’observent les familles ayant connu des drames, les cabinets de soins clandestins exercent en toute impunité et rares sont ceux dont les responsables répondent de leurs actes. Serge D., employé d’une société privée, se rappelle encore de ce drame qu’il a vécu il y a une dizaine d’années. « Ma fiancée aurait eu aujourd’hui 32 ans, confie-t-il, en sanglots. Elle a perdu la vie par ma faute et l’agent de santé coupable court toujours les rues. La justice a prononcé un non-lieu et j’ai failli même être poursuivi pour fausse accusation puisque sa défense a argué que le cabinet de soins l’a reçue après l’avortement et qu’il n’a commis aucune erreur en voulant sauver une vie humaine ». Si l’homme a refait sa vie, il ne vit pas sans remords.

Des drames qui ne sont pas étrangers à l’engagement du ministère de la Santé de procéder à la fermeture des cabinets de soins illégaux ou dits sauvages qui poussent tels des champignons dans les quartiers de villes et hameaux du Bénin sous le couvert d’ONG ou de fausse autorisation d’installation.

Quoique certains rendent des services appréciables aux populations, les cabinets de soins privés ne sont pas à l’abri des déviances. Profitant de la défaillance du système de santé public qui a l’obligation de s’assurer qu’ils remplissent les conditions légales et réglementaires pour être ouverts, ils prolifèrent au grand dam des populations. Bien que la loi existe, sa mise en application est loin d’être une réalité faute de volonté politique. De nombreuses cliniques ne répondant pas aux normes sont opérationnelles et dispensent des soins aux populations. La déontologie médicale est foulée au pied au détriment de profits induits. D’où ces avortements à risques préjudiciables à la santé des adolescentes.

Par Kokouvi EKLOU 

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