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Pour faire une bonne carrière  dans l’enseignement à l’université, il s’impose de faire des publications d’articles. C’est à cela que s’attèle le psycho-sociologue Jean Tata Tossou. Ainsi, après la soutenance de sa thèse,  il a pris la mesure de la chose et s’est lancé dans des recherches dont celle qui porte dans cet entretien sur les représentations sociales des jumeaux dans le sud-ouest du Bénin. En justifiant le choix de ce sujet, Jean Tata Tossou  entend impacterla vie de la société. Pour lui, il s’impose dans ce cadre de travailler de sorte à permettre à la société d’éliminer les actes nocifs qui nuisent et de faire avancer ce qui est positif et susceptible de  contribuer  au développement. Enfant d’une jumelle qui a perdu sa seconde très tôt, Jean Tata Tossou maitrise mieux son sujet pour avoirobservé son environnement immédiat.Etant déjà à cinq (05) articles, son sujet de thèse est intitulé « Migration et développement : analyse des mutations dans la gouvernance du lac Ahémé face aux migrations des pêcheurs de Guézin, xwéda au sud-ouest du Bénin ».

L’Evénement Précis : Vous avez réalisé un travail scientifique sur les jumeaux. Dites pourquoi la joie vient dans les familles quand la mère accouche des jumeaux ?

Dr Jean Tata Tossou : Merci, vous savez, parmi les évènements les plus significatifs qui marquent la vie de toutes les sociétés, il y a, la venue des enfants. C’est un phénomène qui a un poids, un poids d’importance capitale sur toute société. C’est en cela que Victor Hugo disait en son temps : « Quand l’enfant apparaît, le cercle de la famille applaudit à grand cris ». Si déjà avec la venue d’un enfant, il y a la joie dans la famille, vous convenez avec moi que quand la femme revient de la maternité avec deux ou trois enfants, cette joie sera davantage grande. Ceci, simplement parce que, quand une femme va à la maternité, elle n’y va pas toujours avec 100% de chances de revenir vivante. Qu’elle revienne, d’abord elle-même sainte et sauve, constitue déjà un mobile de joie. Mieux, qu’elle revienne encore avec ce qui apparaît dès lors comme un cadeau, la joie de la famille ne peut être que grande. Enfin, si c’est deux ou trois cadeaux, la joie ne peut être davantage que grande. Voilà pourquoi quand une dame fait des jumeaux, la famille est joyeuse.

Alors quel sens peut-on donner aux rituels des jumeaux ?

Bon, vous savez, l’homme est un loup pour l’homme et c’est comme ça dans toutes les sociétés. Lorsque votre femme va à la maternité pour accoucher,  il n’est pas évident que tout le monde soit content qu’elle revienne avec l’enfant. Nous sommes dans une société de convoitise, de jaloux. Pendant que certains sont contents de ce que la femme ait fait un accouchement apaisé, d’autres par contre sont plus jaloux de ce qu’elle soit revenue et avec un bébé et précisément avec ses bébés quand il s’agit des jumeaux. Alors, pour éloigner de ces jumeaux des vibrations négatives, ce que nous appelons aussi les yeux rouges (parce qu’on estime que la jalousie sera plus grande quand il s’agit des jumeaux que quand il s’agit d’un seul enfant), des rituels sont organisés, ne serait-ce que pour préparer psychologiquement non seulement la maman, mais aussi les jumeaux, eux-mêmes. Ceci simplement parce que, bien qu’enfants-bébés, ils  reçoivent des vibrations. Le sens de cette cérémonie est de montrer à la maman qu’elle est en sécurité ; c’est de montrer aux enfants qu’ils sont en sécurité ; c’est de montrer à l’entourage qu’on sait aussi prendre des dispositions et des mesures qu’il faut pour ne pas se laisser atteindre facilement. Voilà un sens particulier qui peut être donné à cette cérémonie.

Quelle est alors la place de la  cérémonie du marché dans les rituels ?

C’est par ici que les cérémonies prennent leur sens. Il y a toujours un point commun, un dénominateur commun à tous ces rituels qui s’organisent autour des jumeaux.  A la fin, la maman des jumeaux, accompagnée d’une autre dame, amène les enfants au marché, que ceux-ci soient vivants ou non. Cette dame est appelée à faire le tour d’un certain nombre de marchés. L’objectif est de présenter à la société les enfants qu’elle a faits, c’est-à-dire, les jumeaux. Et puis, vous savez que la venue des enfants induit toujours des charges. Mais quand il s’agit de deux ou trois enfants auxquels la famille ne s’attend pas toujours (parce que ce n’est pas comme aujourd’hui où l’échographie permet de savoir tout de suite que des jumeaux sont attendus), la charge est immense. Et donc, lorsque tous les rituels sont faits, la dame doit faire le tour du marché comme pour présenter les enfants à la société, pour montrer le cadeau qu’elle a ramené de la maternité. La maman des jumeaux ou l’accompagnatrice est appelée à dire : « ce sont vos enfants, ils ne sont pas à moi seule ». Ainsi, tous ceux qui comprennent qu’il n’y a de richesse que d’homme contribuent à leur manière à l’allègement de cette charge en déposant des pièces d’argent, des fruits, tout ce qu’ils ont à offrir comme cadeau. Ils le font, ne serait-ce que pour soutenir les enfants, pour soutenir la famille de ces jumeaux.

 Je voudrais savoir si les rituels varient d’une région à une autre?

Parlant de variance ou de variabilité, si c’est par rapport à la manière dont se déroulent ces cérémonies, je dirai évidement oui. Puisque la façon dont les jumeaux sont présentés ou lakolaest présentée au cours du rituel varie en fonction des cultures et des langues. Mais quel que soit le milieu géographique dans lequel vous vous trouvez, l’objectif est le même. La finalité est la même. Il s’agit de la sécurisation des enfants. Donc, je dirai que, pour l’objectif, il n’y pas de différence. Mais, il se peut qu’on observe des variations dans les manières de faire.

Faites une comparaison des rituels dans l’ancien temps et des rituels que nous faisons aujourd’hui ?

Vous abordez-là le point crucial de la recherche. Vous savez, dans l’ancien temps, les anciens étaient vraiment psychologues. J’ai dit tout à l’heure que ces rituels étaient faits dans l’optique de montrer à la maman des jumeaux, à la famille des jumeaux et aux jumeaux, eux-mêmes, qu’ils sont en sécurité, qu’ils peuvent compter sur leur famille et quelques fois sur leur entourage. C’est un travail psychologique qui est fait. Généralement, quand vous prenez deux jumeaux dans nos sociétés, on a l’habitude de designer celui qui est sorti en 2^ème position comme le grand-frère ou la grande-sœur selon qu’il s’agisse d’un garçon ou d’une fille, en tous cas comme l’aîné de l’autre qui est pourtant sorti en 1^ère position. Biologiquement, c’est une lutte que les deux se font à l’intérieur et c’est le plus fort qui sort en 1^ère position parce que, avec la dilatation du ventre, il y a une lumière qui traverse le corps de la femme et des enfants. Dès qu’ils perçoivent cette lumière, ils déclenchent une lutte entre eux, et ils se disent qu’ils ne sont plus en sécurité ; il faut qu’ils sortent de là. Dans cette lutte, c’est logiquement le plus fort qui sort en 1^ère position. Voilà pourquoi le 2^ème jumeau est souvent physiquement plus faible que celui qui est sorti en 1^ère position. Mais les anciens disent à celui qui est sorti en 2^ème position que c’est lui, l’aîné : « Tu es le plus fort, ne regarde pas ton jeune frère. Tu le domines, tu es le plus dominant ». C’est pour préparer le second jumeau psychologiquement, pour qu’il ne régresse pas. Puisque le verbe a une puissance, à force de lui chanter ça, il est préparé et il prend goût à la vie. Les cérémonies que les anciens organisaient s’inscrivaient dans cette psychologie. Alors, au terme de cette cérémonie, la maman des jumeaux est appelée à faire des marchés comme je l’avais dit. Mais, ce marché, en réalité, ne dure pas plus d’une semaine, c’est trois jours ou une semaine au plus. Ça ne sort pas des sept jours. Mieux, lorsque la maman des jumeaux va au marché, elle s’organise toujours pour rentrer à la maison avant la nuit. Vous n’allez jamais la voir dans la rue après une certaine heure. Après 18heures ou 18h30, c’est terminé, elle ne peut plus être au marché avec les jumeaux. Cela fait partie des interdits ou des règles formelles  que les gens respectaient scrupuleusement.

Alors, qu’est-ce que nous constatons aujourd’hui ?

Nous constatons aujourd’hui que tous ceux que nous rencontrons dans la rue et qui nous disent que « les jumeaux demandent de l’argent » ne sont que des mendiants. Ce n’est pas le langage que les anciens tenaient. « Nous sommes venues vous présenter les jumeaux, nous sommes venues vous présenter vos enfants ». C’est avec ce langage que les jumeaux étaient présentés. Aujourd’hui, le langage a changé. On vous dit violemment : « les jumeaux vous demandent des cadeaux ». Même les gens qui ne sont pas parents de jumeaux, s’improvisent comme tel. Pour peu qu’elles réussissent à trouver des symboles de jumeaux, des représentations de jumeaux décédés, elles mettent ça sous leur pagne noué à la poitrine pour demander de l’argent. Alors qu’elles n’ont jamais fait des rituels et même si elles en ont fait, il y a  certainement un moment. Mais, on ne peut pas faire le marché des jumeaux pendant un ou deux ans. Je connais personnellement une dame qui se livre à cette sale besogne. Et c’est d’ailleurs ce qui m’a motivé à faire des recherches sur cette affaire. Depuis pratiquement 15 ans, elle quémande de l’argent au nom des jumeaux dans les environs du stade de Kouhounou. Elle pourrait avoir fait des jumeaux dans sa vie, parce que c’est une dame d’un certain âge, mais elle n’en a pas fait maintenant ! Et tout le temps, elle se promène dans les rues en demandant de l’argent ». Elle en fait un commerce. C’est de la mendicité pure et dure. C’est là où je dis que nous sommes dans une société de désordre tout court. Donc, il y a un grand fossé entre la manière d’organiser les rituels dans l’ancien temps et la manière dont ils sont organisés aujourd’hui.

Vous avez parlé des représentations à travers les statues. Quel sens peut-on donner à cela ?

Vous savez, en Afrique, « les morts ne sont pas morts. Ils sont dans l’eau qui coule, ils sont dans l’eau qui dort, ils sont dans l’air, ils sont dans le feu, ils sont partout ». C’est souvent difficile pour une maman de perdre un enfant. Quand vous perdez un enfant, à des moments donnés, vous vous souvenez de lui. Surtout quand la femme a le malheur de faire cet enfant un même jour qu’une autre dame de sa localité et dont l’enfant vit. A chaque fois que celle qui a perdu son enfant verra l’enfant de l’autre, elle va se rappeler son enfant défunt. Les jumeaux sont plus forts ensemble. Quand vous êtes en face des jumeaux, surtout des vrais jumeaux, et que vous provoquez l’un, l’autre réagit automatiquement. Et l’un ou l’autre se sent plus en sécurité quand il est à côté de son second parce qu’ils se disent qu’ils constituent une même personne et d’ailleurs,ils le sont. Car, c’est des œufs homozygotes. Ensemble, ils sont plus forts et ils en ont conscience. Lorsque vous avez des jumeaux, aucun d’eux n’a peur quand son second est à côté. Chacun d’eux considère l’autre comme son bras droit pouvant le défendre à tout instant ; ce qui arrive souvent. Mais lorsque l’un des deux trépasse, les Africains estiment que, pour la sécurité ne serait-ce que morale de celui qui est resté, il faut représenter son second pour qu’en voyant cette représentation, il se dise qu’il n’a jamais été seul, qu’il est toujours avec l’autre, surtout que l’autre est censé incarner une certaine force, une certaine puissance. Voilà ce qui amène les Africains à représenter les jumeaux décédés par des statues.

Propos recueillis pas Emmanuel GBETO