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Le triomphe de la vérité

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Edito: La marche paradoxale


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Boni Yayi est allé marcher devant les caméras du monde entier à Paris. Le président de la République fait partie des six chefs d’Etat africains ayant choisi de manifester dans la capitale française ce dimanche 11 janvier 2015 pour la liberté d’expression et contre l’intolérance. 3,7 millions de manifestants ont défilé ce dimanche dans ce qui est désormais considéré comme la plus grande manifestation en France depuis la libération.
Pour avoir exterminé les têtes les plus emblématiques de Charlie Hebdo, les terroristes ont ainsi cristallisé en quelques jours ce qu’il y a de plus abouti en matière de barbarie et de bêtise humaine. Pour nous autres journalistes, les événements de Paris ont rappelé qu’à tout moment, un fou peut nous effacer de la terre pour un mot, une phrase de trop ou même un simple dessin. Mais la bêtise, c’est aussi ces morts qui tombent par milliers au Nigeria ou ailleurs au Congo depuis si longtemps. Le cas le plus tragique aujourd’hui reste évidemment le Nigeria dont les citoyens paient un lourd tribut à la violence terroriste.
Justement, pendant que la mort de dix sept personnes froidement abattues mobilise des centaines de milliers puis des millions de citoyens français révoltés partout en France, on assiste impuissants au massacre de plus de deux mille Nigérians au Nord-Est du Nigeria, presque dans un silence parfait de la communauté internationale. C’est en effet ce mercredi que Boko Haram a commis à Baga, au nord-Est du Nigeria le plus effroyable massacre de son histoire depuis 2009. Deux mille morts, seize villages rasés, vingt mille déplacés, des centaines de milliers de blessés et une épouvantable horreur… Ce samedi encore, sur un marché de Maiduguri, dans l’épicentre de la guerre, une fillette de dix ans s’est fait exploser causant une vingtaine de morts en plein marché.
Pour dix-sept têtes qui tombent, 3,7 millions de personnes marchent mais lorsque tombent deux mille vieillards, femmes et enfants sous les balles de Boko Haram, c’est le silence plat. La tragédie nigériane, c’est que le massacre de Baga a lieu dans la même semaine que la tuerie de Paris, comme si la main furieuse de Satan qui est ici à l’œuvre voulait nous montrer combien la sensibilité des Africains est incapable de frémir de rage pure devant les nôtres qui tombent comme des mouches, alors qu’elle s’éveille de mille émotions lorsque ce sont des Blancs qui sont tués par les mêmes fous à six milles kilomètres de chez nous. Il y a qu’à force d’accoutumance, les Africains ont perdu le sens de l’abjection et de l’horreur.
Regardez comment dans cette semaine épouvantable pour son propre pays, au milieu d’atrocités sans nom commises par Boko Haram, Jonathan Goodluck, le président nigérian, a pu être capable de lancer sa campagne électorale comptant pour les présidentielles de février prochain. Des seize villages rasés, des milliers de morts ou des vingt mille déplacés rien que cette semaine, il s’en fout. Et dire qu’il s’est trouvé des foules pour l’applaudir ! Il y a là une insensibilité indicible, une démission de la raison, une abdication radicale de l’homme dans une Afrique désespérée.
Le cas Boni Yayi est encore une autre paire de manche. Le président béninois marche pour la liberté d’expression à Paris, alors qu’il a passé ses deux quinquennats à museler les organes publics d’information, notamment, la télévision nationale. Qui l’eût cru ? Malgré la chape de plomb de la présidence qui écrase la télévision nationale de tout son poids depuis neuf ans, le chef de l’Etat a été capable de se mettre dans la danse de Paris, en espérant acheter par ce biais la mansuétude de François Hollande dans la crise politique qui risque de s’aggraver dans les prochains mois. Le président de la République se trompe à ce niveau, puisque la marche de Paris revendique même le droit à l’impertinence qui est hissé au rang des hérésies à Cotonou. Charlie Hebdo reste pour toujours, avec le Canard Enchaîné, le symbole d’une démocratie qui accepte et magnifie la différence. Les points de vue dérangeants, les sarcasmes époustouflants comme les coups de génie de la caricature sont les fruits d’esprits libres ayant délibérément choisi de se rire de tout. Y compris de Dieu lui-même. Les nations libres ont ainsi compris depuis longtemps que l’esprit que l’on enferme est un atelier de médiocrité qui ouvre sur la déchéance des Etats.
Si donc Boni Yayi a été capable de marcher pour la liberté d’expression, il faut qu’il permette désormais à la télévision nationale de respirer.

Olivier ALLOCHEME

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