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Le triomphe de la vérité

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interview du père André Quenum face à la tension sociale actuelle: “La sortie de crise est possible quand celui qui contrôle le pouvoir a l’humilité de l’écoute”


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Père André QuenumLe 19 février 1990, s’ouvrait à Cotonou la Conférence des forces vives de la nation qui allait faire du Bénin un exemple en matière de démocratie sur le continent. Ce 19 février 2014, le Bénin se trouve enlisé dans une crise sociopolitique qui dure depuis plusieurs semaines déjà. Dans l’entretien qui suit, le Père André Quenum, journaliste, éditorialiste au journal catholique « La Croix » du Bénin revient sur cette période très importante de l’histoire du Bénin. Il s’exprime sur les tensions sociopolitiques qui secouent le Bénin actuellement, mais également sur la visibilité amoindrie de l’Eglise catholique dans la résolution de cette crise. Le Père Quenum interpelle aussi la responsabilité individuelle de chacun pour que le Bénin puisse rebondir.

 L’Evénement Précis :Le 19 février 1990s’ouvrait à Cotonou la Conférence des forces vives de la nation,avec une église catholique très impliquée dans la sortie de crise. Vingt-quatre ans après, alors que le Bénin se trouve secoué par une grave crise sociopolitique, cette église semble absente. Pourquoi ?

 

Père André Quenum :La période de la Conférence nationaleétait une période exceptionnelle et l’Eglise, par un évêque, a fait ce qu’elle ne doit pas faire, c’est-à-dire aller sur le terrain politique de façon directe. L’évêquenefait pas la politique, c’est-à-dire qu’il n’anime pas la vie politique, c’est une interdiction.Mais,pour les besoins de la cause, la hiérarchie a permis à l’un de ses membresd’aller animer de façon directe, et pas simplement comme représentant. Monseigneur de Souzaétait en mandat accepté par la Conférence épiscopale et par les autorités à Rome, parce que nous sommes une communauté d’obéissance. Il fallait aller aider, négocier pour que la paix revienne dans la société. Donc, Monseigneur a fait son devoir, l’Esprit Saint l’a guidé. Il a joué ce rôle-là pour nous. C’estsupposé être un rôle provisoire. Cela n’est pas supposé devenir un rôle permanent, car la démocratie a ses mécanismes de règlement de conflit. Les institutions existent pour que, dans la balance et la contrebalance des pouvoirs, la société démocratique se gère elle-même, sans que des autorités moralesou religieuses viennent tout le temps la gérer. Ça, c’est l’avantage de ce qu’on a vécu. L’inconvénient c’est que nous n’avons pas assez appris à nous gérer nous-mêmes. Et pendant longtemps, de temps à autre, on fait appel à l’église qui est heureuse de jouer ce rôle si elle le peut. Mais, l’inconvénient, c’est qu’un certain nombre de prises de responsabilités n’ont pas été effectives. Et aussi, ce qui a été possible pendant la Conférence nationale, c’est que nous avions un capital social de crédit confiance. C’est comme si on l’avait épuisé en 24 ans, et maintenant nous sommes nez les uns contres les autres. Ce n’est pas simplement que l’Eglise catholique a joué un rôle, c’est que la situation permettait à l’Eglise de jouer ce rôle. Tout le monde faisait confiance à l’église et à Mgr de Souza. Il n’était pas élu, mais c’est parce que tout le monde cherchait une personne neutre à qui faire confiance.

 

Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ?

Aujourd’hui,la méfiance est à un telniveau que c’est plus difficile à quelque autorité religieuse, fut-elle catholique,de faire la même chose. Une autre dimension aussi, c’est que le dialogue ou la sortie de crise est possible quand celui qui contrôle le plus de pouvoir a l’humilité et l’écoute. Kérékou a prouvé qu’il pouvait, à certains moments, avoir l’humilité et l’écoute.L’église n’a pas cessé de jouer son rôle en fait. C’est qu’il n’ya plus l’humilité nécessair eet l’écoute nécessaire, surtout de l’autorité première qui a le plus de pouvoir, et nommément de Yayi Boni.Et c’est à cause de ça que c’est plus difficile. Qu’il vous souvienne que le 15 août dernier, les évêques ont envoyé un message dans lequel ils avaient déjà appelé au dialogue. Et dans l’échange qu’il y a eu entre la réponse que le président a daigné envoyer aux évêques et la nouvelle réaction que Mgr l’archevêque a eue, on s’est rendu compte qu’il y avait d’autres courriers dont le public n’était pas informé. C’est dire que l’église a joué son rôle, et que son rôle n’est pas toujours de venir au-devant de la scène.Quand c’est possible, elle le fait de façon discrète parce que l’essentiel c’est d’aider, ce n’est pas de se mettre au devant de la scène, de prendre la place des acteurs politiques. Si l’autorité première avait eu l’humilité et la grâce de l’écoute, on serait déjà allés au dialogue qu’on n’en serait pas aux tensions qu’on vit actuellement. Donc, il faut insister sur ça et dire que les défis qui sont devant nous sont nouveaux et sont des défis encore plus exigeants que par le passé. L’Eglise joue son rôle et elle ne peut pas se substituer aux acteurs politiques. Moi, je pense qu’il faut interpeller les consciences individuelles, dans le sens de la responsabilité individuelle.La situation dans laquelle on est, Yayi Boni n’est pas le seul à nous y mettre. Beaucoup y ont contribué par des trahisons, par des silences coupables et par des complicités condamnables.

 

A qui faites-vous allusion en parlant de silence coupable ?

Qui a amené Yayi au pouvoir ? Qui a contribué à sa réélection ?Aujourd’hui, de temps à autre, on voit des gens qui ne sont plus au-devant de la scène mais qui ne disent plus rien. C’est un peu trop simple !Je ne veux pas nommer des gens, mais c’est un peu trop simple.

 

Qui sont ceux qui ont trahi ?

C’est la même chose, c’est-à-dire que des gens sont allés défendre leurs intérêts. Tout ce que Yayi fait aujourd’hui n’est pas nouveau.Je donne un exemple : quand le 1er août 2012, le président de la république a fait des déclarations que dans l’histoire, et jusqu’à ce que le monde finisse,on condamnera toujours, qui sont ceux qui, du camp-même de la mouvance ont eu l’audace de dire « non, Monsieur le président, je suis de la mouvance, mais vous ne pouvez pas dire ça » ? C’est ça, les trahisons. Tout le monde sait que c’est mauvais, mais c’est le jour que ces gens quitteront la mouvance qu’ils diront que c’était mauvais. Nous sommes des consciences individuelles et devons assumer nos responsabilités. C’est un peu trop simple maintenait qu’on dise qu’une autorité religieuse vienne pour régler ça.

Mais la situation s’aggrave de jour en jour avec la paralysie dans le secteur de la santé, de l’éducation, de la justice… L’Eglise peut tout de même tenter quelque chose 

Elle l’a fait, mais on ne veut pas l’écouter. L’église n’est pas élue, elle ne peut pas se substituer au pouvoir politique. Il faut que le pouvoir exécutif ait l’humilité de l’écoute.

Est-ce à dire que Yayi n’est pas humble et n’écoute pas?

En tous cas, Yayi n’écoute pas. Ça, c’est clair.

Et si les autres prenaient l’initiative d’aller vers Yayi?

Les membres de la Fondation Mathieu Kérékou sont passés sur tous les médias pour dire qu’ils ont rencontré les syndicalistes et qu’ils veulent rencontrer le président de la république. Comment peut-on rencontrer le président de la république s’il ne vous accorde pas une audience ?C’est ça le problème et c’est aussi simple que ça. Ce n’est pas que Yayi a tous les torts et que les autres ont entièrement raison. Quand je parle de complicité, c’est ça. Qu’on se rappelle bien, la déchéance morale de ce système a commencé en 2007avec la manière dont on a fait le vote du bureau de l’Assemblée nationale, par procuration, alors que les députés étaient là. Des incohérences morales comme ça se sont multipliées. Parmi ceux-là, il y en a qui sont aujourd’hui dans l’opposition. Tous ceux qui ont contribué à faire la Lépi ; des gens qui sont aujourd’hui dans l’opposition ; des anciens ministres qui ont servi le régime probablement pour des intérêts ; des présidents d’institutions qui se sont tus au moment où il fallait parler. Quand onne respecte pas des principes, ça vous rattrape toujours. En plus, j’entends dire que, dans l’opposition, il y a des gens que Yayi accuse d’agir sous l’impulsion de la puissance d’argent. Je n’en doute pas, car Yayi doit savoir ce que les puissances d’argent peuvent vous faire faire. Il en parle parce qu’il en a l’expérience, et ils doiventse reconnaître entre eux. Ce que je dis n’est pas pour mettre le tort sur un camp contre un autre, mais je répète qu’il suffit que celui qui contrôle le plus de pouvoirmontre une disposition d’écoute et que cela peut déjà beaucoup aider.

 

Vingt-quatre ans après la conférence nationale et vu ce qui se passe actuellement, pensez-vous que le Bénin puisse rebondir ?

Il va le falloir. Il faut que le Bénin puisse rebondir, que nous soyons capables de nous réinventer. Mais, je crois qu’il faut que nous puissions tirer l’expérience de nos erreurs. Nous trouvons des solutions extraordinaires au moment où nous sommes au bord du gouffre.Une fois qu’on se sort du gouffre, ce qui n’est qu’un salut provisoire, on ne fait plus le travail qu’il faut pour enraciner les solutions trouvées dans le quotidien. Et c’est ça notre faiblesse depuis 1990, et qui nous rattrape aujourd’hui. C’est clair qu’aujourd’hui nous devons réfléchirsur toutes nos actions qui nous font retourner au bord du gouffre chaque fois. Et ce sera peut-être une nouvelle réinvention du Bénin qui va approfondir davantage les acquis de la Conférence nationale. Je crois que nous sommes à un niveau où nous devons nous réinventer de nouveau, trouver une solution extraordinairequi nous pousse à passer à l’enracinement dans le quotidien. Comment cela peut se faire ? C’est à nous tous de continuer à y réfléchir. Il y a une seule chose qui manque aujourd’hui, c’est le jour où le pouvoir public ne pourra pas payer les salaires. Ça va être pire qu’en 89, parce que les signaux sont clairs. En 1989, ce qui s’y est ajouté, c’est que les travailleurs n’étaient plus payés.Pour lemoment, l’Etat paye les salaires. Il semble avec beaucoup de difficultés. Mais si jamais on en arrive à la cessation des paiements des salaires, ça va être compliqué. Tout est bloqué déjà et quand tout est bloqué, ça veut dire qu’on ne produit plus. Si on ne produit plus, ça veut dire qu’on ne paiera plus de salaires. Nous sommes vraiment au bord du gouffre. Mais, je pense qu’il faut qu’on éveille en nous notre responsabilité individuelle. Ça,c’est très important pour moi.

Interview réalisée par Flore S. NOBIME

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