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Grossesses en milieu scolaire: Quand le tabou familial livre l’avenir des filles à la rue


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GrossesseL’accès à une éducation sexuelle de qualité demeure encore une quête pour les adolescents au Bénin. Privées d’informations en famille et à l’école pour une sexualité responsable, des milliers d’adolescentes font les frais de grossesses non désirées.

Il sonnait 17h23 mn ce vendredi 23 août 2013. Assis derrière son bureau, Martin Assogba, le président de l’ONG ALCRER – une organisation de promotion et de protection des droits humains – peine à cacher sa tristesse. Trente minutes durant, Rosemonde, une jeune fille d’environ dix-sept ans vient de lui exposer sa tragédie. « J’ai fait mon test de grossesse il y a trois jours et j’ai découvert que je suis enceinte. Mon copain a refusé de reconnaître la grossesse et me demande d’avorter. Ma mère est d’accord avec lui et me met la pression parce que la rentrée est proche et elle souhaite que je continue les cours. Mais, j’ai peur de perdre ma vie ou de devenir stérile plus tard parce que j’ai déjà fait un avortement à l’insu de ma mère même si j’ai envie de continuer d’aller à l’école », confie les yeux remplis de larmes cette jeune élève au collège « Performance » de Fidjrossè dans le 12ème arrondissement de Cotonou. Enfant unique, elle est investie de tous les espoirs de sa génitrice – revendeuse de denrées alimentaires- pour sortir de la pauvreté. Avec son nouvel état, Rosemonde voit – en raison d’une furtive aventure de trois mois avec un élève du Collège technique Coulibaly de Cotonou – se briser son rêve de réaliser les ambitions de sa mère abandonnée, par un mari polygame dès les premiers mois de sa naissance. Ce cas n’est pas le seul apanage de Rosemonde. A l’instar de cette adolescente, de nombreuses élèves béninoises continuent de faire l’amère expérience des grossesses non désirées sur les bancs. Cette situation aux multiples conséquences socio-économiques et sanitaires pour les adolescentes n’est pas sans lien avec le déficit d’éducation sexuelle dans les familles béninoises.

Le sexe, un tabou familial

« Si seulement j’avais bénéficié de bons conseils lorsque j’étais encore sur les bancs, je ne serais pas aujourd’hui ici », relate -amère- Marthe Hountovi, une élève déscolarisée de 18 ans, sa fille de deux ans posée sur les jambes. Ce récit est partagé par Amina S., élève en classe de première D au Collège d’enseignement général (CEG) 1 de Djougou, une localité située à 450 km de Cotonou. « Moi, je n’ai jamais parlé de sexe avec mes parents. Nous pouvons discuter de tout sauf de ça », explique d’une voix timide cette jeune fille de confession musulmane qui garde encore en souvenir le traumatisme de son avortement clandestin. Ainsi, à en croire cette adolescente de 17 ans, « c’est par ignorance et par naïveté que je suis tombée enceinte d’un de mes enseignants», explique-t-elle. Dans l’Atacora-Donga, deux des douze départements du Bénin, par exemple, 1.648 élèves et écolières sont tombées enceintes au cours de la période 2010-2013, soit une moyenne de 549 cas de grossesses enregistrés chaque année en milieu scolaire », à en croire Mama Somou Fousséni, Chef Service Etudes, Statistiques, Planification et Documentation de la Direction Départementale de la Famille. Ainsi, pour Clarisse Gomez de l’Association béninoise pour le marketing social et la communication en santé (ABMS-PSI), une organisation de promotion de la santé de la reproduction au sein des adolescents et jeunes, « si nous observons autant de grossesses au sein des adolescentes dans les établissements scolaires, c’est à cause de l’absence de dialogue entre parents et enfants sur la sexualité. Seulement 28,3% des parents d’adolescents ont déclaré avoir été témoins des problèmes de sexualité de leurs enfants. Le sexe est un tabou dans la plupart des familles béninoises à cause de la religion et surtout de notre tradition qui ne nous permet pas de parler ouvertement du sexe avec l’enfant. D’un autre côté, certains parents n’ont pas les informations fiables ou n’ont plus le temps pour éduquer leurs enfants à cause de leurs activités professionnelles. Et c’est donc la rue qui éduque désormais cette frange sensible », confie-t-il. Il est ainsi noté, renchérit le sociologue et chercheur en sexualité humaine, Calixte Houédey, l’« absence d’un cadre de canalisation de la forte pulsion sexuelle chez les adolescents, surtout les filles… ». Le sexe ainsi érigé en tabou dans le cercle familial explique donc, aux yeux de la coordonnatrice des activités communautaires du Projet « Amour et Vie » de PSI/ABMS, Clarisse Gomez, la précocité des rapports sexuels observée chez 13,12% des filles avant l’âge de 15 ans contre 12,9% chez les garçons. Or, à en croire l’économiste de la santé et spécialiste en santé publique, Patrick Makoutodé, « 25% des 14-17 ans ont 30% de chances de tomber enceinte dès leur premier rapport sexuel ». Il en découle ainsi, à ses yeux, le taux important de grossesses enregistrées dans les établissements scolaires du Bénin. De ce fait, si la pauvreté et la faible prévalence contraceptive sont des facteurs évoqués pour justifier l’ampleur du phénomène, il n’en demeure pas moins, pour ces spécialistes que l’absence d’éducation sexuelle dans les ménages béninois, joue un grand rôle, selon Clarisse Gomez, dans la persistance des grossesses en milieu scolaire définies, par l’arrêté interministériel portant sanctions des auteurs de violences sexuelles dans les écoles et établissements d’enseignements secondaire, général et technique professionnels, publics et privés du 1er octobre 2003 comme « la conséquence des relations non autorisées qu’un enseignant, un autre élève ou toute autre personne a entretenues avec l’apprenante… ». Ainsi, selon la spécialiste, « les proportions d’adolescents ayant commencé leur vie féconde augmentent rapidement avec l’âge passant de 5% à 15 ans à 44% à 19 ans, âge auquel 38% des jeunes filles ont déjà eu, au moins, un enfant ». Les grossesses précoces et non désirées suivies dans bien des cas d’avortements clandestins ou d’infanticides, les infections sexuellement transmissibles (IST) sont les conséquences de cette absence de dialogue parents-enfants sur la sexualité ». Pour Marthe Hountovi, l’abandon des classes est la conséquence la plus amère. « Mes parents m’ont dit qu’ils n’avaient pas les moyens pour s’occuper à la fois de ma scolarité et de mon enfant. Le père de ma fille est étudiant au campus d’Abomey-Calavi et n’a pas encore suffisamment de moyens pour s’occuper de nous». Dans ce sillage, Patrick Makoutodé note que « la grossesse en milieu scolaire n’assure pas le maintien des filles à l’école ». Même si, précise-t-il, « la loi permet désormais aux filles enceintes de continuer leur scolarité sans entraves ». Face à l’ampleur du déficit de communication des parents à l’endroit de leurs progénitures et la gravité de ses conséquences pour les 10 à 24 ans estimés à 33% de la population béninoise, diverses initiatives sont mises en branle pour faire de l’accès à des informations fiables sur la sexualité une réalité notamment dans le cercle familial.

 

L’accès à l’information comme solution

Plusieurs approches sont préconisées pour mettre la jeune fille à l’abri des grossesses indésirables et préjudiciables à sa santé et à son avenir. « Nous avons compris qu’il est indispensable que le dialogue soit davantage promu entre les parents et leurs enfants au sujet de la sexualité. C’est pourquoi nous mettons en œuvre le projet ‘’Amour et Vie’’ », confie Clarisse Gomez. Pour cette dernière, en effet, la cellule familiale demeure une solution pour une sexualité responsable au sein des jeunes et adolescentes. Cet avis est partagé par le directeur exécutif de l’Association béninoise de la promotion de la famille (ABPF), Serge Kintohoun qui perçoit à travers l’accès à l’information de cette frange de la société béninoise l’occasion propice de promouvoir les méthodes contraceptives et maîtriser ainsi le taux de fécondité des jeunes et adolescentes estimé à 21% au Bénin. « Si les adolescents et les jeunes sont bien informés, nous pourrons améliorer la faible prévalence contraceptive de 2,9% pour les 15-19 ans et 4,7% pour les 19-24 ans contre une moyenne nationale estimée à 6,2%. « Une planification familiale adaptée aux besoins peut réduire le nombre de grossesses de 20% et diminuer d’autant la mortalité et les séquelles liées à la grossesse et à l’accouchement. La planification familiale est donc un moyen pour diminuer le taux de mortalité maternelle et le nombre de complications liées à la grossesse en réduisant les grossesses chez les jeunes », fait-il observer à cet effet. Pour sa part, Patrick Makoutodé préconise l’institutionnalisation d’un programme en santé sexuelle et en santé de la reproduction à l’endroit des jeunes élèves ». « Il faut instaurer l’éducation sexuelle dès la classe de 6ème dans les établissements scolaires ». A en croire le chef Service Planification Familiale de la Direction de la Santé de la Mère et de l’Enfant (DSME), le Ministère de la santé n’est pas en marge de ces efforts. Actuellement, fait-il remarquer, ce Ministère met en œuvre la Stratégie nationale multisectorielle en santé reproductive des adolescents et des jeunes (SRAJ) en vue « d’améliorer le niveau de connaissances et les compétences des adolescents et jeunes sur la santé de la reproduction ».

Jean-Claude DOSSA

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