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Le triomphe de la vérité

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le Médiateur de la république «sous l’arbre à palabre» au siège de l’événement précis: Albert Tévoédjrè fait des révélations; il parle de sa vie, du pouvoir, de 2016 et recommande


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Albert Tévoédjrè (2)Albert Tévoédjrè est le 68ème invité de la rubrique Sous l’Arbre à Palabre. Toute l’équipe de L’Evénement Précis l’a reçu la semaine dernière, au moment où le Médiateur de la République se préparait à quitter volontairement ses charges. Bilan de son action à la tête de l’Organe Présidentiel de médiation, nécessité pour tous d’agir en conscience, leçons tirées de ses 60 années de mariage et nouvelle mission de Frère Melchior, son nouveau nom. Tels ont été les points d’ancrage de cet entretien-événement. 

Vos premières impressions ?
Tout d’abord, je vous félicite d’exister. Ce n’est pas facile, tous les soirs d’être sûr que le lendemain, on a un journal qui paraît. Donc je vous félicite d’une part, et d’autre part, je suis content de venir à vous. Vous savez que j’ai des convictions que je rappelle souvent : « Pour faire de grandes choses, il ne faut pas être au-dessus des hommes, il faut être avec eux ». Venir chez vous, dans vos modestes locaux, c’est une chose que j’apprécie et que j’aime faire. C’est les deux premières impressions. Comme j’aime le souvenir de ce que beaucoup d’Ivoiriens semblent avoir gardé de mon parcours chez eux : « un frère parmi nous ». C’est aussi ce que je souhaite que les Béninois retiennent. Notre salut final, c’est cette fraternité en marche.

M. le Médiateur, pourquoi avez-vous décidé de vous retirer de la vie politique à un moment où la nation béninoise a encore besoin de vous ?
La nation a besoin de tout le monde. Et chacun de nous a sa part à jouer. Chacun de nous doit être aussi raisonnable. On ne peut pas être dans la politique, dans la vie active, tout le temps. Dieu a été très bon pour moi. J’aurai 84 ans dans deux mois, en novembre. Tous mes anciens camarades de classe sont déjà tous morts, du moins ceux avec qui j’ai étudié au Séminaire. Dieu me donne la chance et la grâce de me reposer, de réfléchir et de partir le rejoindre dans les moins mauvaises conditions possibles. Je dois surtout exprimer une immense gratitude ! Arrivé à une certaine étape, il faut tenter de bien transmettre son message. Vous avez vu que j’ai annoncé mon départ depuis au moins un an. Pourquoi ai –je pris tout ce temps ? J’ai pris ce temps pour m’organiser. On ne fait rien dans la précipitation. Si on sait qu’on a une décision intérieure qui est sérieuse, on s’organise, en se demandant : qu’est-ce que j’ai à faire pour que mon départ ne soit pas une catastrophe, ni pour le service que je rends ni pour les gens autour de moi ? Et vous pouvez témoigner que toutes les dates que j’ai annoncées ont été respectées jusqu’à ce que le 30 septembre arrive. Le Président de la République a eu le temps de réfléchir à qui pourrait me remplacer et tout cela a été fait correctement et calmement.
Bien sûr, si l’on est surpris, on prend les décisions en tenant compte de la surprise. Or« qui n’a rien su prévoir, ne peut rien empêcher ».

Mais la démission n’est pas propre aux Béninois, M. le Professeur
Ce n’est pas une démission, c’est un retrait.

Puisque cela intervient à la suite d’une autre démission majeure que le monde a vécue il y a quelques mois, celle du Pape …
Cela n’a rien à voir. Il faut avoir le sens des proportions et comparer ce qui est comparable. Honnêtement, j’ai pris ma décision avant celle du Pape. Il est absurde de se situer dans les fantasmes. Chacun fait ce qu’il a à faire. Il se fait que le Pape Benoit XVI nous a confortés dans une réflexion qui est universellement utile. Vous voyez, nous sommes tous sur terre à titre «essentiellement précaire et révocable ». J’ai appris l’autre jour qu’un ami diplomate est mort brutalement. Il faut donc prévoir dans sa vie la brutalité de ces choses-là. Si aujourd’hui, brutalement, qu’à Dieu ne plaise, l’un de nous affrontait cette mésaventure, qu’est-ce qu’il laisse à sa femme et à ses enfants ? Quelles sont les dispositions qu’il a prises pour que les choses ne se passent pas trop mal après lui ?

C’est une leçon à la postérité, c’est-à-dire, savoir quitter les choses;
Ce n’est pas une leçon. C’est plutôt une confirmation de ce que nous savons et une invitation à en tenir compte immédiatement.

Alors, vous partez quand même, au moment où beaucoup de périls s’amoncèlent sur la nation..
Vous savez, aucun pays n’est le paradis. Nous sommes tous dans un milieu clair- obscur, tantôt au fond du purgatoire, tantôt au bord de l’enfer. Que ce soit en Europe, aux Etats-Unis, ou ailleurs, nous sommes tous empêtrés dans un dédale de problèmes. Partout.
En Afrique en particulier, c’est la tragédie quotidienne. Ce qui fait mal c’est que nous ne sommes pas préoccupés de la situation que nous vivons. J’ai l’impression que nous croyons que les choses vont aller toujours plus ou moins bien. On est insouciants. Je souhaite que les africains, qu’ils soient Béninois, kényans ou tchadiens, se rendent compte que nous avons trop souffert, et que nous avons une responsabilité de mobilisation intérieure qui nous manque.
Je commence par une observation apparemment d’importance mineure ;
L’un des périls que nous affrontons, c’est notre perception du temps. Le temps nous est donné. Quelle richesse ! Qu’en faisons –nous ?
Regardez, ma propre position, celle de Médiateur de la République !Cela fait vingt ans qu’on en parle au Bénin. Je dis bien 20 ans. On a lancé cette idée depuis la conférence nationale, et Kérékou à son dernier mandat a initié la procédure adéquate. Mais il a fallu encore 10 ans. Les autres pays ne sont pas comme nous. Le Sénégal par exemple dispose de son Médiateur de la République depuis très longtemps. Il en est de même pour la Côte-d’Ivoire, … Pourquoi avoir attendu si longtemps au Bénin ? Et pourquoi toute cette guerre de tranchées que Mathurin Nago n’est pas près d’oublier ? Parce qu’on personnalise tout, parce qu’on soupçonne des avantages cachés … La Cour des comptes de l’UEMOA ? On en parle depuis 10 ans, alors qu’on dit que c’est urgent. Personne n’est contre, ni au Parlement, ni ailleurs. Qu’est-ce qui nous empêche de le faire ? Des choix, des chemins toujours douteux et alambiqués ! Pendant que les Japonais prennent une décision technique sur un marché, en quelques heures, nous, il nous faudra des mois sinon des années !« Cela risque de profiter à un tel, de telle région, de tel parti » ! On ne se fait pas confiance.

Au moment où vous vous retirez, quel bilan pouvez-vous faire de votre passage à la tête de l’organe de médiation ?
Je ne veux pas être prétentieux. Mais je peux vous dire ceci. Je suis heureux de partir après avoir fortement contribué à créer l’institution. Ce n’est pas pour moi. Cet organe est utile pour notre pays. Avec la grâce de Dieu, j’aurai un successeur, lui aussi en aura un autre. Ainsi de suite. Donc l’institution existe. Elle va faire quoi ? Voyez vous-même. Désormais, les populations peuvent s’adresser à une institution et faire remarquer abus et injustices. L’administration ne peut plus tout faire n’importe comment. Il y a un défenseur des droits.
Au niveau régional, nous avons été plus loin. C’est nous, malgré notre retard, qui avons poussé à ce que les Médiateurs de la zone UEMOA, où nous parlons de la libre circulation des personnes et des biens, se rassemblent. C’est lié à beaucoup de soucis, beaucoup de problèmes. Si j’ai des collègues dans d’autres pays que je peux joindre pour dire : « Tel commerçant à la frontière du Niger a eu tel problème, votre administration a fait ci ou a fait ça », ils sont appelés à répondre. C’est un grand progrès dans l’effort d’intégration régionale.

Que peut-on retenir de votre concept « La conscience en action » ?
J’ai accueilli récemment en visite de courtoisie un couple de diplomates retraités et nous échangions sur leurs expériences dans divers pays et aussi leurs impressions à leur retour chez eux. A un moment de l’entretien, l’épouse s’est exclamée ; « Si les choses vont si mal dans l’administration, la famille, les entreprises, les écoles… c’est que notre âme n’est pas propre ! »
J’ai été profondément remué par cette réaction spontanée et cette fulgurante interpellation qui m’a aussitôt remis en mémoire le tableau de la négociation d’Abraham avec Yahvé au sujet de la cité pourrie ! « Et s’il y avait quarante, trente, vingt justes »etc. ? Et c’est le fameux avertissement de Césaire qui me saisit aussitôt: « L’ennemi de ce peuple, c’est son indolence, sa haine de la discipline, l’esprit de jouissance et de torpeur » Ainsi, nous disons accorder de l’importance à la famille. Mais est-ce que vous ne voyez pas que la famille se dégrade ? Est-ce que vous ne voyez pas qu’à la maison les parents se mentent ? Les enfants voient que ça se ment. La mère de famille qui dit à sa fille : « papa ne doit pas savoir »,Le père de famille qui dit à son enfant : « tu n’as rien entendu hein ! » Elle a raison l’épouse du diplomate retraité : « Notre âme n’est pas propre ! »Traduisant tout ceci en termes de possibilités manquées de développement, il est cristallin qu’on ne peut inférer rien d’autre qu’une débâcle générale et donc l’urgente nécessité d’une conversion rédemptrice
C’est la raison pour laquelle, la seule chose qu’un ancien comme moi peut laisser, c’est de rappeler ces éléments simples, et de dire : « la conscience en action », voilà le vrai chemin.

Et donc la conscience en action, cela veut dire
« Vous , journalistes, faites votre travail consciencieusement. Ne donnez pas de mauvaises informations. Ne prenez pas l’argent de quelqu’un pour lui faire plaisir et faire un gros titre. Dites le vrai en conscience. Si vous êtes professeur, faites votre travail de professeur ! » Quand j’entends que des professeurs ont aidé des gens à tricher aux examens, quand j’entends que des mères de famille vont composer à la place de leurs filles dans un concours, où va-t-on ?
Il suffit que chacun fasse son travail le mieux possible dans les normes qui sont requises. C’est tout. Si on agit ainsi au niveau du gouvernement, au niveau du parlement, de l’enseignement, au niveau des entreprises, du corps médical, ce sera déjà énorme. On n’a pas besoin pour cela de professer la même foi…En général les adeptes de toutes les religions, tous les humanistes reconnaissent et se réfèrent à la voix de la conscience et c’est important que nous partagions ce « sens commun » de la présence en nous d’un œil- boussole ! Il est clair que si chacun, dans son rôle, fait son boulot, si chacun travaille véritablement en conscience, nous aurons de gros problèmes en moins.

Est-ce à dire que le Bénin au jour d’aujourd’hui est gouverné par l’inconscience ?
Oui. Il est clair que tous les Béninois ont une part de responsabilité dans l’inconscience collective qui s’affiche honteusement. Il ne faut pas seulement voir Zinsou, Soglo ,Kérékou ou Yayi . Vous, moi, chacun est interpellé. Je dois chaque jour m’interroger : « Est-ce que je fais la médiation comme il faut. Est ce que celui qui est venu, est-ce que je l’ai bien reçu et bien écouté ? Est ce que j’ai vraiment eu la bonne réponse aujourd’hui par rapport à cette personne ?Il ne faut pas seulement dire « l’autre » ou « moi ». Si vous voulez changer l’avenir, changez vous-même. Vous avez aussi le droit d’interroger l’autre. Ce n’est pas que l’autre fait bien. Si vous déjà, vous faites bien ce que vous faites, vous avez le droit et le devoir de dire à l’autre : «Vous connaissez les règles, pourquoi faites-vous ça ? » Si vous ne répondez pas vous- même à une auto-évaluation positive et que vous interpellez autrui, il ne sent pas la valeur de votre interpellation. Si déjà, il a sur vous des dossiers et qu’il sait ce que vous faites dans le couloir, il y a problème. Donc il faut absolument que partout où nous sommes, nous soyons au moins habités par l’inquiétude. Est-ce que j’ai bien fait ? Ce que j’ai appris de plus important quand j’étais au Séminaire et qui me reste toujours, c’est « l’examen de conscience ». Tous les jours à midi moins le quart, les séminaristes ont une plage de leur programme qui s’appelle «l’examen de conscience. » Est-ce que tu as bien fait ? Et personne ne t’interroge. C’est toi-même qui te dis à la fin de l’exercice : « Non ! Là, j’ai exagéré !je dois faire un effort ». C’est ce que je propose aux Béninois. Ce n’est pas facile. Et ne croyez pas que tout le monde va agir en même temps. Si vous qui m’interrogez, vous décidez de changer vous serez remarqué. Vous étonnerez. J’ai appris en philosophie quelque chose que je vous livre comme véritable recette, exceptionnelle découverte : « l’étonnement est le commencement de la science ». On me l’a appris en philosophie et je n’y ai pas beaucoup prêté attention. Maintenant que je suis en religion, à la recherche constante d’une foi active et croissante je crois de plus en plus à la valeur absolument scientifique de l’étonnement. Si je prends Jésus- Christ, humainement parlant, c’est qui ? Un charpentier de Nazareth dont j’ignore s’il fut licencié ou docteur, ingénieur ou astronome. N’est –il pas « étonnant » que depuis deux mille ans, on parle de cet homme, charpentier sans diplôme comme maître de l’histoire et du temps qui s’égrène? Deux mille ans avant Jésus christ, deux mille ans après Jésus- Christ .Et cela ne se discute plus ! C’est qui les apôtres ? Pierre, Jacques, Jude et les autres ? Des pêcheurs, probablement tous illettrés. Comment se fait-il que ces gens soient aujourd’hui les repères incontestés d’une Eglise qui dure depuis deux mille ans ? Ils sont millions les étonnements suscités par Jésus-Christ depuis plus de 2000 ans. Des faits cumulés, additionnés, conjugués, multipliés visant le même objet de manière répétitive ne peuvent qu’interpeler l’honnête intelligence. Claude Bernard, un maitre de la science expérimentale fondée sur l’induction et la répétition accumulée des phénomènes, nous a laissé une norme de vérité que je considère assez rassurante : « Le fait suggère l’idée, l’idée dirige l’expérience, l’expérience juge l’idée» J’en ai déduit pour ma part que ma foi en Jésus- Christ est tout à fait « scientifique vérité » chaque jour vérifiée.
Quittons la sphère religieuse et nous découvrirons que seuls les audacieux font irruption dans l’histoire et transforment la condition humaine.
Alors, nous aussi, prenons le risque de l’audace, l’audace d’étonner par « la conscience en action «…Et nous ferons des émules !

Quelle appréciation faites-vous des échanges parfois vifs qu’il y a eu ces derniers temps, entre le chef de l’Etat et la conférence épiscopale ?
J’ai déjà dit le 7 septembre 2013, à la cathédrale de Porto-Novo que les agitations de l’heure ne m’émeuvent nullement. Chacun s’agace sur des rumeurs qui n’ont aucun sens. Il n’y aura jamais, je dis »JAMAIS »un début de commencement de ces choses dont on parle. Mes soucis, mes graves soucis sont d’un autre ordre et l’orage gronde ailleurs ! C’est ce péril majeur que je voudrais confier ardemment à nos autorités spirituelles maintenant que je me suis extrait des « allées et des palais du soupçon ». La chose est urgente, l’attente est forte, la réponse est lente ! Je crains le pire !
Ici je tiens à évoquer une initiative à laquelle nous sommes très nombreux à nous identifier
Je pense évidemment à la Fondation Cardinal Bernardin Gantin, initiative majeure portant l’ambition de prix internationalement reconnus qui signalent un pays à l’estime du monde et en fait un point de ralliement pour des causes d’humanité montante. J’insiste spécialement auprès de tous nos dirigeants et de tout notre Peuple pour une juste perception de cette richesse commune que vient de magnifier l’Institution à Rome d’une Chaire Cardinal Bernardin Gantin au sein de l’Université pontificale Saint Jean de Latran, prolongeant le respect inspiré à tous par un compatriote de renom.

Quelle image voulez-vous que les générations futures retiennent de l’homme d’action et de l’homme politique que vous êtes ?
« Un frère parmi nous » qui a toujours essayé de dire la vérité. Et laissez moi vous dire que moi, je n’ai pas d’ennemi. J’ai horreur de ça. D’abord, c’est contre mon être et ensuite ce que je veux, c’est faire au mieux pour que les autres retiennent des choses positives. Ma démarche est de tenter la voie pédagogique de la différence, de « l’autre chemin ».
Pour nos 60 ans de mariage, on pouvait faire une grande fête avec caviar et champagne. On a les moyens pour ça. Mais ces moyens-là, pourquoi ne pas les convertir en assistance à d’autres qui ont besoin qu’on pense à eux ? Eh bien, sachez que ma plus grande joie, c’est que le 8 septembre, les 9.000 prisonniers du Bénin ont reçu un repas correct à midi, à l’heure et cela s’est très bien passé. Et que Madame GAZARD, notre vaillante Ministre de la santé a reçu avec reconnaissance notre modeste chèque de 2.000.000 de Fcfa pour renforcer le mécanisme d’installation du Régime d’ Assurance Maladie Universelle(RAMU) .
Les Béninois l’ont remarqué et très nombreux sont ceux qui nous ont encouragés, promettant de suivre cet exemple : « On peut donc faire autrement »!
C’est ce souvenir-là que je souhaite laisser.
Je souhaite laisser aussi le souvenir d’une parole prononcée également à la cathédrale de Porto –novo le 7 Septembre. Ce n’était pas un effet de manche, une rhétorique de circonstance. Je veux la répéter et vous prie d’en porter témoignage :
« Je conclus vraiment en demandant pardon à l’épouse parce qu’on n’a pas toujours été à la hauteur de ses attentes. Il faut demander pardon aux enfants qui ont pu percevoir une trop grande distance, une incompréhension sans doute involontaire, qui ont pu souffrir secrètement de frustrations insoupçonnées. Je veux demander pardon à tous les autres qui ont pris les malentendus pour des méchancetés »
J’ai dit ces mots en pleine sincérité devant Dieu et devant les hommes.

Parlez-nous de vos actions sociales
D’abord, il faut être humble. Ne pas croire qu’on est un monument. Il faut faire ce que l’on a à faire et laisser les autres penser ce qu’ils veulent. Deuxièmement, il faut que vous reteniez absolument que pour faire de grandes choses, il ne faut pas être au-dessus des autres. Je dis aux gens : « Si vous ne pouvez pas avoir la vertu de l’humilité, ayez-en l’intelligence ». Tous ceux qui échouent oublient une chose, et c’est Saint Pierre qui l’a écrit : « Dieu s’oppose aux orgueilleux ». Mais regardez bien, quelqu’un qui croit qu’il sait tout est toujours un homme dangereux. Hier, j’ai écouté quelqu’un qui disait des choses très bien sur l’emploi. Mais dans sa déclaration, j’ai retenu une phrase : « Je vais faire tout pour que d’ici un (01) an, au Burkina Faso, il n’y ait plus de chômeur.» On ne dit pas des choses de ce genre…Ma démarche, c’est agir en conscience dans mon domaine pour contribuer au changement qui font grandir l’ensemble avec pour cible « la priorité au plus souffrant » ! Mais il est clair que ce n’est pas moi qui vais régler tous les problèmes…

La marque d’Albert Tévoedjrè ?
Je vous ai parlé des prisonniers et vous savez le reste vous-mêmes. Je voudrais que vous vous rappeliez d’une chose : la jeunesse, il faut qu’elle soit instruite. Il faut qu’elle soit éduquée. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai créé l’école Toussaint Louverture où j’ai demandé qu’on enseigne à la fois le Français, l’Anglais et le Yoruba. Il y a ceux qui souffrent et qui sont méprisés. J’ai horreur du mépris des autres. Voilà pourquoi je me suis investi dans cela, l’initiative humanitaire africaine par exemple. Epargnez –moi cependant la comptabilité« voyante»

Tévoédjrè, le faiseur de Roi, face aux échéances de 2016
Pour une fois, les Béninois seront libres de tous les anciens et ce sont eux qui vont classer. Je pense même que nous aurons des élections à la Macky Sall au Bénin. Et il n’y aura même pas Wade. Cela veut dire que vous verrez que les Béninois vont être impressionnés par des gens qui vont leur proposer des programmes et l’un d’entre eux tranchera. Ce que je regrette, qui est ce dont je souhaite que nous soyons vraiment libérés, c’est que l’argent corrupteur ne vienne pas bousculer outre mesure les choses. Mais je reste confiant : les Béninois sont intelligents et capables de réfléchir. Ils savent assez vite détecter le vrai du faux. Ils savent aussi être déçus et le dire.

Les secrets des 60 ans du mariage des Tévoedjrè
Madame Tévoédjrè l’a dit. Moi-même, je regrette beaucoup que nous les hommes nous cachions des trésors. Isabelle Ekué, épouse Tévoédjrè, est plus forte que moi en anglais. En mathématiques, elle était très bonne. Elle est l’une des premières bachelières du Dahomey, le Dahomey du temps de l’excellence jamais contestée. Elle s’est mariée, elle a voué sa vie à vivre avec un homme et une famille, et elle a donné sa priorité à ce choix. Ce n’est pas pour cela qu’elle serait une ingénue. Je la laisse dire ce qu’elle a à dire. Sans oublier qu’elle a été elle aussi une enseignante, licenciée es lettres dont les élèves se souviennent avec bonheur
Elle a dit : « Nous nous sommes mariés avec trois repères qui nous ont aidé à limiter les dégâts. Car, tous les mariages sont une aventure. Vous ne savez pas bien où vous allez. Ça peut marcher comme ça peut échouer complètement ». Beaucoup de mes amis ont eu des mariages difficiles. C’est ma chance à moi d’avoir connu une femme qui a eu l’intelligence et la volonté de faire en sorte que l’on se soit attaché à ces trois repères coûte que coûte. Alors, quels sont ces repères ? Premièrement, nous nous sommes dit : « Nous allons vivre ensemble quelles que soient les circonstances ». Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que nous aurons des enfants. Si ça marche, garçons-filles, c’est formidable ; garçons seulement, filles seulement, c’est bon. On est allé jusqu’à dire « s’il n’y en a pas, nous restons ensemble, nous adoptons un enfant et nous continuons. » On est restés fidèles à cela. On a dit aussi que jamais dans cette maison les enfants n’entendront les hauts cris de leurs parents. Ça arrive qu’on soit fâchés. On n’a pas les mêmes caractères. Un de nos fils, Christian est allé jusqu’à nous demander : « Vous-là, vous ne vous fâchez jamais ? »Et on lui a répondu tout simplement : « Cela arrive, mais on règle la chose entre nous. Enfin, il y a la question de l’argent. Nous, on a une méthode. Je ne dis pas que c’est la meilleure. Mais nous avons responsabilisé « Madame » pour la gestion de l’argent. Quand je vais à la messe, c’est elle qui me donne l’argent pour la quête. C’est une personne intelligente, réfléchie qui sait qu’on lui a donné la clé de l’intendance et que si ça ne fonctionne pas, c’est tout le monde qui en pâtit. D’autres ont réglé leurs problèmes en instituant une caisse commune pour les dépenses communes. Chacun a sa méthode. Mais nous, ces trois repères nous ont aidés. Alors, quand les gens viennent me voir pour être témoin de mariage, je leur dis ceci : « je suis témoin pour ne jamais intervenir dans ton ménage. Je suis témoin pour constater que tu n’es jamais venu me voir pour te plaindre de ta femme ».

Qu’est ce qui a servi de lumière à votre engagement dans la cité ?
Encore une fois, je ne veux pas donner l’impression de trop religioser les choses. C’est la nécessité de la solidarité humaine et qui, pour moi, passe par la nécessité aussi de croire à un évangile qui me prescrit d’être fraternel. A un évangile ou à une philosophie qui me permet de vouloir que la justice l’emporte. Je suis un nègre et j’ai souffert d’être nègre car le monde n’a pas toujours été gentil avec nous, loin de là. L’esclavage, ce n’est pas quelque chose d’acceptable. Alors, je me suis engagé comme d’autres. L’évangile est absolument mon chemin et ce chemin ne me déçoit pas.

Les principaux regrets de Tévoédjrè, après tout ce temps ?
Je regrette personnellement de n’avoir pas pu faire autant que je voulais, pour des raisons diverses. L’essentiel, c’est jusqu’au bout agir en conscience dans l’audace inventive. Je retiens d’Alexandre Soljenitsyne ce lumineux éclairage : « Sur la crête de la gloire terrestre je considère avec étonnement ce chemin d’où j’ai pu, même moi, envoyer à l’humanité un reflet de tes rayons Tout ce que je n’ai pas pu refléter cela veut dire que tu l’as assigné à d’autres.» Les hommes sont ce qu’ils sont. Vous voyez des gens que vous aidez en politique, en société, en église ou ailleurs, qui soudain vous déçoivent lourdement. Certains auraient souhaité que je termine mon parcours…autrement et ils ont tout fait pour cela ! Mais le psaume est connu : « Ma lumière, mon salut, la protection de ma vie sont en lieu sûr » .Alors, « a quo trepidabo ? » Nulle inquiétude !

Quel est le secret de votre ponctualité ?
Je l’ai appris. Comme tout le monde. J’ai appris à être discipliné. Vous voyez, je parle de St Augustin très souvent. C’était un garçon qui aimait la vie, l’argent, les femmes etc. Sa mère en souffrait énormément. Il n’est donc pas né saint. Il l’est devenu parce qu’il s’est rendu compte à un moment donné qu’il fallait arrêter tout ça.

C’est parce que vous avez eu des mésaventures que vous avez pris ce pli ?
C’est possible puisque j’ai connu deux aventures qui m’ont marqué.
Ayant servi le BIT à Addis-Abeba, j’ai eu le privilège de connaitre l’Empereur d’Ethiopie Hailé Sélassié qui recevait de temps en temps les responsables des institutions, et moi j’étais responsable pour le BIT. Plus tard j’ai été appelé à Genève à un poste de plus grande responsabilité qui m’a permis de concourir à la décision d’inviter l’empereur au cinquantenaire de l’OIT .Il est venu. Nous avions réussi l’exploit d’inviter en même temps le Pape Paul VI. Les deux personnalités ont convenu de se rencontrer. J’étais chargé du protocole parce que mon directeur général m’aimait bien. Je n’y connaissais rien en cette époque-là. Je me suis rendu compte que c’était très important, le chef du protocole. Donc, j’étais chargé de gérer le moment où le Pape Paul VI et l’empereur allaient se rencontrer. Il y avait eu un petit retard de quelques minutes, l’empereur était assis dans un salon. Je suis arrivé, je lui parlais et je me suis assis à côté de lui. Il s’est levé tranquillement sans rien dire parce que je ne devais pas m’asseoir à côté de lui. Ça m’a marqué. Il n’a rien dit, il s’est levé. Je me suis rendu compte que je n’aurais pas dû m’asseoir à côté de lui. Ce sont des choses qui vous éduquent. Un autre cas, Senghor qui est un grand ami. Lui, c’est un homme de quart d’heure en quart d’heure. Il est comme ça. Je devais le voir à 14h 15. Malheureusement, il y avait embouteillage à l’avenue Roux, et je suis arrivé dix minutes en retard. Il m’a dit : « J’ai autre chose à faire Albert, tu viendras plus tard ». Or, j’avais un dossier qui était brûlant pour moi mais j’ai dû ravaler mon affaire. Et j’ai appris par là. Mais il faut être sincère, c’est le séminaire qui m’a aidé. Au séminaire, il y a ce qu’on appelle le réglementaire. C’est celui qui sonne et vous devez être là à l’heure. Vous devez obéir à un règlement« Age quod agis ! Fais ce que tu fais –à temps et en conscience !

La fonction de médiateur
Je voudrais vous dire une chose : la fonction de médiateur n’est pas une fonction honorifique. Non, c’est une fonction de dévouement social à un niveau très élevé et c’est ce que j’ai dit au Président de la république. Ne nommez pas quelqu’un parce qu’il est grand, mais nommez –le parce qu’il est utile. Il est utile à une société qui souffre et il a les moyens personnels d’éducation et de considération pour briser les chaines, les barrières qui empêchent de résoudre des problèmes. Etre médiateur de la République, ce n’est pas une fonction honorifique, mais c’est un haut niveau de service social que les pays ont découvert pour permettre aux citoyens les plus démunis d’avoir un avocat. Ailleurs, on dit que c’est « l’avocat du peuple ». C’est ça, quelqu’un de très haut niveau mais qui est l’avocat du mendiant et du reste des sans voix.

Au Bénin, il y a des crises sociales qui ont ébranlé le pays, malgré l’existence du médiateur…
Je crois que chacun a son rôle dans la sphère de la médiation. Le Médiateur de la République agit dans le cadre d’une loi qui fixe ses attributions et ses domaines de compétence. Mais je veux profiter de la chance de cet entretien pour attirer l’attention de tous sur des risques de déchéance qui menacent nos sociétés et nos civilisations. Il faut se préoccuper de la tournure prise depuis quelques années par la gestion internationale des relations avec le monde musulman .Il me parait urgent de retrouver des valeurs communes pour des actions communes entre chrétiens et musulmans dans le monde entier. Afghanistan, Syrie, Mali, Centrafrique aujourd’hui, c’est grave ! Il faut trouver les moyens de nous parler autrement. Je lis très souvent les 99 noms de Dieu professés par les adeptes du Coran. Aucun de ces noms ne me gène. Bien au contraire, tous m’inspirent adoration et louange. Quand les frères musulmans fêtent la Tabaski, la foi d’Abraham, je dois pouvoir fêter avec eux. Il faut donc trouver les moyens, dans nos pays, de résoudre autrement les problèmes pour lesquels les fous de la violence s’enflamment, mêlant le nom de Dieu à l’absurdité de la destruction de sa propre création !
A mon âge, ce n’est pas à la Lépi ou à des querelles subalternes de postes à occuper que je dois m’intéresser. Il y aura bien une liste électorale. Par contre je dois m’investir dans le mariage homosexuel. Je dois m’investir contre cela et le dire avec des frères musulmans ou de religion traditionnelle. Je dois m’investir pour un dialogue interreligieux positif. Ce sont là des priorités de civilisation humaine à propos desquelles le « silence africain » est un scandale monstrueux.

Parlant de la Lépi, vous étiez dans ce pays lorsqu’on disait qu’elle n’existait pas….

Et j’ai tout fait pour qu’il y ait une Lépi et il y en aura une. Parce que bientôt c’est le vote électronique qui s’imposera. Nous serons contraints, que nous le veuillons ou non, d’avoir une liste électorale informatisée, parce que le monde entier va devoir voter par des méthodes scientifiques qui s’imposeront partout. Le temps des votes des morts, des étrangers, des mineurs, des fantômes est révolu. Il vaut mieux le « vote en conscience »C’est bien plus avantageux !

Quelle sera la nouvelle vie de Frère Melchior ?
Une vie de prières, de conseil, une vie de fraternité agissante centrée sur le dialogue inter- religieux, la protection de la famille et l’approfondissement de la valeur de «l’autre chemin» qui assure l’authentique développement.

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