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Le triomphe de la vérité

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Entretien avec Boni Yayi à Paris « Les terroristes ont créé des cellules dormantes dans chacun de nos pays ».


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Le Chef de l’Etat Thomas Boni Yayi, dresse au journal français  L’Expression, le  diagnostic lucide de la performance des institutions africaines  dans  la crise malienne. Président en exercice de l’Union africaine (UA) jusqu’au 27 janvier, il salue surtout la promptitude de la France et attire l’attention sur les risques qu’encourent les Etats africains intervenant au Mali.

Le Président Béninois Boni Yayi


L’Express : Vous avez salué à diverses reprises le “leadership” de la France sur le théâtre malien. Cette primauté ne serait-elle pas avant tout le révélateur de l’échec de l’Union africaine et de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao)?

 

Le constat s’impose: nous avons mis du temps à réagir. Car, nous avons cru à la bonne foi des rebelles armés. D’abord le MNLA -Mouvement national de libération de l’Azawad-, qui est à l’origine de toute cette confusion, puis Aqmi, Ansar-Eddine et le Mujao. Nous avons voulu croire à la possibilité de dialoguer, de manière à restaurer l’ordre constitutionnel et à permettre au Mali de renouer avec sa tradition démocratique. Finalement, les faits nous ont donné tort. Une fois installés, ces terroristes-là ont déclaré la guerre à l’humanité. En ce sens, vous avez parfaitement raison: il y a eu des difficultés pour forger un consensus au niveau de Bamako, mais aussi de la Cédéao appuyée par l’UA, comme de la communauté internationale. Même après le vote de la résolution 2085 [par le Conseil de sécurité de l’Onu], obtenir le principe de l’envoi d’une force internationale n’a pas été facile. Aux Nations unies, ça discute énormément. C’est pourquoi je salue la fermeté de la France, son intervention appropriée et le professionnalisme de son armée.

Voilà plus de dix ans que l’on annonce la naissance d’une Force africaine en attente. La Cédéao a avalisé l’octroi –éphémère, il est vrai- du statut d’ancien chef d’Etat au capitaine putschiste Amadou Sanogo. Quels enseignements tirez-vous de tels errements?

 

C’est dans l’organisation du travail que nous avons à progresser. Lorsque le coup d’Etat a eu lieu [le 22 mars 2012], un médiateur a été nommé…

Lequel médiateur, en l’occurrence le président burkinabé Blaise Compaoré, a fait preuve d’une singulière mansuétude envers les rebelles comme envers Sanogo.

 

Disons qu’il s’est donné les instruments pour tenir un certain nombre de conciliabules. Mais le statut d’ancien chef d’Etat n’a pas été conféré au capitaine Sanogo par la Cédéao. Jamais. Nous avons réfuté cela. Nous l’avons même invité à rentrer à la caserne. Moi-même, j’ai demandé au président Goodluck Jonathan du Nigeria de créer les conditions pour qu’il cesse d’interférer dans la vie politique du Mali et de lui proposer l’asile à Abuja. Ce qu’il a fait. Hélas, Sanogo a refusé. Ce que nous avons déploré. C’est donc avec stupéfaction et tristesse que nous avons appris que le même capitaine fait irruption de temps en temps dans l’arène politique malienne, au point d’avoir orchestré la destitution du Premier ministre Cheick Modibo Diarra. Pour le reste, il est vrai que nous avons tardé à agir et les terroristes nous ont trahi, déclarant la guerre au monde entier en projetant de prendre Mopti puis Bamako. A cet instant, nous n’avions pas, c’est exact, une force disponible. Elle a pourtant été créée, cette Force en attente. Chaque pays est autorisé à libérer un contingent pour la constituer. Une Force virtuelle? Soit. Soyons honnêtes: notre capacité à la mobiliser pose problème. C’est l’un des aspects de l’état des lieux que j’ai laissé à la présidente de la commission de l’Union africaine [allusion à la Sud-Africaine NkosazanaDlamini-Zuma, patronne de l’exécutif permanent de l’UA]. Nous devons en tirer les leçons pour l’avenir. Plus jamais ça! La crise malienne doit nous conduire à nous réorganiser, de manière à afficher une certaine responsabilité dans la gestion des affaires de notre continent.

 

Comment tarir dans l’aire sahélienne le trafic de drogue, source de revenus essentielle des djihadistes?

 

Nous devons agir à trois niveaux. D’abord, au niveau de nos Etats, où il faut une meilleure gouvernance politique, économique et sociale, fondée sur la vertu et le sens des responsabilités. Avec un mécanisme de surveillance continental doté d’un mandat permettant de rappeler à l’ordre si besoin chacun de nous. Là où il y a saine gouvernance, il ne peut y avoir de narcotrafic ou de groupe ethnique marginalisé au point de prétendre proclamer sa république [allusion aux Touaregs du MNLA].

De même, il faut éviter de remettre en cause la laïcité et de faire de la religion un instrument de gestion des affaires de nos pays. Je fais référence ici à Ansar-Eddin qui prétendait créer un Etat islamique fondé sur la charia. Attacher des enfants pour leur couper les bras ou les jambes, ce n’est pas l’islam. L’islam est une religion de tolérance, d’amitié, d’amour et de bon voisinage. Le Prophète n’a jamais exigé que l’on oblige tout citoyen à se convertir. Ensuite, il faut aussi une meilleure gouvernance à l’échelle de nos régions, en veillant au respect de l’intangibilité de nos frontières. Enfin, au niveau de l’UA, il importe de revoir l’édifice institutionnel, afin de renforcer notre unité et de parler d’une seule voix.

 

Un citoyen béninois, qui se fait appeler Abdullah, a remplacé fin 2012 un Nigérien à la tête d’une katiba -phalange combattante- du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). Que vous inspire ce fait quant à l’essor de l’islamisme armé dans la sous-région?

 

Lorsque j’ai appris cela sur RFI (Radio France Internationale), j’ai été surpris. On savait qu’il y avait des éléments terroristes de l’Aqmi, venant d’un pays proche [l’Algérie] qui a vécu des moments difficiles et dont nous partageons les douleurs. C’est quand la crise a éclaté qu’ils ont commencé à recruter des jeunes des pays voisins, dont ce Béninois qui a gravi les échelons au point d’accéder à la tête d’une unité du Mujao. On trouve dans les rangs des terroristes des Béninois, des Togolais, des Sénégalais, des Ivoiriens, mais aussi des Canadiens, des Français, des Japonais, des Coréens, des Chinois, venus de partout, d’Afghanistan, du Pakistan ou d’ailleurs. Voilà pourquoi il faut non seulement traiter la question du Mali, mais aussi intégrer la dimension saharo-sahélienne. D’après nos renseignements, ces gars-là ont créé des cellules dormantes dans chacun de nos pays. Voilà pourquoi, en tant que président de l’Union africaine, j’ai tiré le signal d’alarme et fait le tour du continent et du monde entier, j’ai visité les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, alerté les partenaires du G-20 et du G-8. Je suis aussi venu voir le président François Hollande, qui, quant à lui, m’a écouté religieusement.

 

Propos recueillis par Vincent Hugeux, L’Express

 

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