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Le triomphe de la vérité

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Editorial: Etat de droit ?


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Le Bénin est un Etat de droit. Tout le monde est content. Mais faites un tour à la prison civile de Cotonou, et nous pourrons toujours discuter de ce prétendu Etat de droit. Dans ces enceintes de béton, de fil de fer barbelé où la liberté n’a plus de sens, l’on comprend immédiatement que l’Etat de droit au Bénin tient à très peu de choses.

Non, il tient plutôt à la volonté de quelque procureur douteux qui prolonge à volonté une détention préventive au-delà de toute limite raisonnable. Il tient à quelque avocat tout aussi véreux qui ruse avec son client dont il exploite à fond la détresse. Il tient à ces magistrats dont la ministre de la justice a déjà dit ce que l’on sait. Et c’est dans l’espace carcéral que cette conspiration se cristallise pour faire du citoyen béninois un jouet aux mains des acteurs.

Lorsque dans certaines circonstances, le politique fait son irruption dans ces arènes sauvages, c’est le bon sens le plus élémentaire qui fiche le camp ! Et l’on entend alors des phrases aussi paradoxales comme : « le Chef de l’Etat veut que… » ou encore « le ministre ne peut pas comprendre que… » Il faut avoir vécu ces situations proprement dantesques pour le savoir : le Bénin n’est pas un pays de droit.

Je le dis, d’autant que pour le peu que j’y ai vu ces dernières semaines, nos prisons sont pleines d’innocents qui ne demandent qu’à mourir pour cesser de vivre l’innommable. Un exemple, entre mille autres. J’ai vu un cadre du ministère des finances détenu dans l’affaire ICC-services depuis trois ans pour une raison assez saugrenue. Membre d’une cellule en charge des structures financières, il avait été sollicité du fait de ses compétences professionnelles pour intervenir à la télévision nationale dans le cadre de l’affaire. Au jour J, sur le plateau de télévision, il était prêt à parler, tous les projecteurs étant déjà allumés, lorsqu’un message tomba. Son arrestation aurait été ordonnée depuis le Palais de la république. Il finit en prison où il croupit depuis lors. Selon ses voisins de cellule, il a déjà tenté de se suicider à plusieurs reprises, impuissant à comprendre ce qui lui arrive à quelques mois de la retraite.

Allez lui dire, à celui-là, que le Bénin est un Etat de droit, et il vous rétorquera que ceci n’est vrai que lorsqu’on est un politicien ou un syndicaliste protégé par la clameur publique. Ou lorsque les jeux ethnico-régionalistes permettent de vous protéger des manipulations judiciaires les plus sordides. Ou encore, et ce n’est pas rien, lorsque vous avez suffisamment d’argent pour mouiller tout l’appareil réputé corrompu, selon le mot de la ministre elle-même. Parfois, ce sont les humeurs des magistrats, surchargés de dossiers, qui décident du sort de familles entières. Et dans ces cas, comme dans bien d’autres, notre pays montre un recul intolérable de la force du droit qui impose le droit de la force.

L’Etat de droit se dépouille de plus en plus de sa réalité. Il est devenu une incantation au même titre que d’autres flatteries basses qui fleurissent lors des grands foras ou des conférences internationales dans lesquels les paroles de circonstance importent plus que la réalité. Et le drame, ce n’est pas la prolifération de l’injustice. C’est la dissipation effrénée de la capacité d’indignation du peuple. En écrivant son fameux Indignez-vous !, Stéphane Hessel faisait appel à cette vertu cruciale qui fait la force des grandes nations.

La capacité d’indignation et de révolte est celle qui permet à tout peuple, au-delà de tous les clivages et de toutes les différences, de se révolter pour dire non à l’imposture, non au rabaissement immonde de la morale publique, non à une gouvernance à la dérive. Et les peuples arabes, même perclus de dictature et d’islamisme moyenâgeux, ont su s’éveiller au sursaut salvateur qui fait les peuples de progrès. Pouvons-nous en dire autant du peuple béninois ? J’en doute. Ici, même les injustices les plus abjectes finissent par paraitre normales aux yeux du public, à force d’invocation hypocrite de Dieu, des liens ethnico-familiaux et à force d’argent. Mais une chose est sûre : cela n’arrive pas qu’aux autres.

Olivier ALLOCHEME

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