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Le triomphe de la vérité

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Entretien avec le vice-président du PRD, Ismaël Tidjani-Serpos:« La rencontre entre Yayi et Houngbédji n’est pas synonyme d’une entrée du PRD au gouvernement »


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Ancien ministre, ancien député à l’Assemblée nationale et vice-président du parti du Renouveau démocratique (PRD), Ismaël Tidjani-Serpos est une figure bien connue dans le paysage politique béninois. Dans cet entretien à cœur ouvert, il se prononce sur les propos faisant état de l’entrée prochaine de sa formation politique au gouvernement de Boni Yayi. Pour lui, si une telle perspective n’est pas à exclure, elle doit obéir à des préalables.

L’Evénement Précis : Monsieur le vice-président, le Prd s’est déclaré récemment de l’opposition. Qu’est-ce qui justifie la persistance des rumeurs au sujet de son entrée prochaine au gouvernement de Boni Yayi ?

Ismaël Tidjani-Serpos : La question de l’entrée éventuelle du PRD au Gouvernement du Président Boni Yayi agite en ce moment les esprits au sein de l’opinion publique de notre pays et du landernau politique, aidée et excitée en cela par l’insistance des mass média sur le sujet. Pour ma part, la position du PRD me semble suffisamment claire. Je voudrais en cela me référer au discours de son président lors de la cérémonie d’ouverture du dernier congrès du parti en février de cette année ; en réalité ça a été un véritable discours d’orientation, puisqu’en aucun point les conclusions dudit congrès n’ont mis en cause son contenu.

Il y est dit notamment « Oui, nous sommes dans l’opposition. C’est une évidence. Mais qu’on m’entende bien. Nous avons mal au Bénin, car c’est notre Pays. Le mal que nous dénonçons est un mal qui frappe notre pays dans son ensemble, qui frappe nos populations. Si le régime prend enfin conscience de ce mal, (et nous espérons qu’il en prendra conscience), s’il prend conscience que pour guérir, le Bénin a besoin d’un sursaut national qui rassemble toutes ses forces politiques et sociales autour du chantier de la reconstruction, bref, s’il prend conscience qu’il y a une crise nationale larvée, et qu’il appelle l’opposition à prendre sa part de responsabilité dans un gouvernement d’union nationale, est-ce que nous pourrions nous dérober ?

 Je l’ai dit par avance depuis le 19 mai : nous ne nous déroberons pas.Nous n’en sommes peut-être pas loin. Mais nous n’en sommes pas là. Pour le moment, nous avons entendu parler d’un appel au dialogue…Je le dis et le souligne, appel au dialogue et appel au gouvernement ne sont pas synonymes. Le PRD est prêt au dialogue, à tout moment.

Le PRD est, pour l’heure, dans l’opposition. Il se bat pour une autre politique ».

En nous référant à ces propos, la question qui se pose et qui demeure sans réponse, c’est de savoir si le chef de l’Etat a déclaré ou reconnu que le pays est en crise (crise politique, économique, sociale) et invité les forces politiques de l’opposition à la constitution d’un gouvernement d’union nationale ; si tel était le cas, cette invitation ne concernerait pas que le PRD.

Une autre question essentielle, c’est également de connaître la base de réorientation et de correctifs sur laquelle un tel gouvernement d’union nationale peut être efficacement constitué ; en effet vous conviendrez avec moi qu’après avoir dénoncé abondamment le caractère « ventilateur » du régime, il est impensable que nous sautions à pieds joints là-dedans, sans autre forme de procès, au risque évident de nous laisser désarticuler, défigurer et broyer par les hélices du ventilateur ; a-t-on adapté à ce ventilateur des rhéostats appropriés pour éviter qu’il ne nous ampute le nez ou les oreilles dans son élan naturellement incontrôlé et désordonné ?

L’allocution du président Houngbédji précédemment visée a évoqué cette question évidente. Il y a dit :« Je salue l’appel au dialogue. A condition que cet appel soit conséquent. On ne peut pas inviter les forces politiques d’opposition au dialogue, en supputant qu’elles ne poseront pas les vraies questions. Celles que se pose tout un peuple, relatives à la gouvernance économique, à l’extension de la pauvreté, aux droits fondamentaux que sont la liberté de la presse, le droit de grève, le statut de l’opposition, le droit de vote… etc. »

En vérité, serait-il rationnel d’entrer dans un gouvernement titubant juste pour servir de caution ou pour se laisser mettre un bâillon d’une solidarité gouvernementale ? En effet, le dialogue national et la constitution d’un gouvernement d’union nationale doivent s’effectuer sur une base transparente de redéfinition du mode de fonctionnement du gouvernement et de gestion rationnelle, réfléchie et légale des affaires publiques ; cette exigence exclut l’improvisation qui s’est avérée à l’épreuve handicapante pour notre pays.

Par ailleurs, la prudence et la rigueur doivent être de mise sur tout appel à participer à un gouvernement de ce régime qui s’est révélé adepte de l’assassinat moral sans vergogne de ceux qui, à des moments cruciaux de son parcours, se sont portés à son secours (Fagbohoun, Talon….). Sans Fagbohoun qui a influencé de façon déterminante l’alliance Wôlôguèdè, Yayi Boni n’aurait certainement pas été élu en 2006 ; et pourtant, moins d’un an après cet acte d’engagement personnel de la part de l’intéressé, le gouvernement l’a payé en monnaie de singe en l’envoyant valdinguer en prison pendant plus de deux ans et en le mettant à la diète financière en le privant de ses ressources essentielles.

En ce qui concerne Talon, dont le soutien a été tout aussi significatif pour Yayi Boni tant en 2006 qu’en 2011, les déboires connus par l’intéressé dans une même période dans le dossier PVI et la filière du coton avec tentative de son arrestation sont suffisamment éloquents pour traduire la volatilité et le caractère essentiellement versatile et peu fiable de ce pouvoir avec ses partenaires.

Cela étant dit, le PRD, en tant que parti, n’a pas été sollicité pour entrer, dans l’ambiance d’embrouillamini total qui prévaut actuellement, dans le prochain gouvernement. Mais nous avons vu en France Sarkozy, de droite, recourir à des membres de l’opposition socialiste dans son gouvernement ; nous avons vu également au Bénin Yayi Boni solliciter dans son gouvernement des responsables de partis nationaux dont les représentants au parlement ne soutenaient pas son action ; le dernier en date, c’était bien le secrétaire général du MADEP. On ne peut exclure l’avènement ou la reproduction de tels cas de figure qui n’engageraient pas le parti et qui ne changeraient pas ses positions et appréciations.

Pourquoi au sommet du parti, a-t-on fait l’option d’entretenir un flou sur la question ?

En vérité, c’est aux animateurs des mass media qui inondent les journaux et les ondes de supputations relatives à une entrée imminente du PRD dans le gouvernement qu’il faut poser la question de savoir d’où ils tiennent cette information. En tout cas, le bureau politique du parti n’a pas été saisi d’une telle question qui n’est pas inscrite, à ma connaissance, dans ses préoccupations majeures.

Le fait pour le PRD, parti officiellement de l’opposition, d’accepter de rencontrer, sur son invitation, le Président de la République ne signifie rien en soi ; dans tout pays qui se veut de tradition démocratique, cette pratique ne constitue pas un événement sensationnel ou extraordinaire, qui justifierait tout le foin qui est actuellement soulevé au plan médiatique.

 A en croire votre président lors d’une de ses sorties médiatiques, certains ténors du parti souhaiteraient que le PRD aille au gouvernement. Peut-on dire que vous faites partie de ces ténors ?

Je crois qu’avec les observations que j’ai formulées dans ma réponse à la première question, votre religion devrait être faite à ce sujet, non pas que je sois radicalement contre un gouvernement d’union nationale pour secourir notre pays embourbé dans une crise qui aurait été officiellement reconnue, mais j’estime qu’un tel gouvernement ne devrait advenir que dans un cadre transparent de dialogue national et de redéfinition des bases politiques de fonctionnement et de gestion de l’Etat et des affaires publiques. Selon moi, si les choses se passaient autrement et que l’on allait au gouvernement juste pour la forme, il y aurait un risque évident d’y perdre sa crédibilité et son âme.

Vous avez été ministre du gouvernement Kérékou en 1996. Etes-vous tenté par une nouvelle expérience gouvernementale?

Ma personne importe très peu face à l’enjeu fondamental que constitue notre pays. Les positions que j’affiche personnellement s’inscrivent dans mon souci constant de flirter avec l’histoire devant le tribunal de laquelle nous comparaîtrons tous, soit individuellement à titre personnel, soit collectivement dans le cadre de l’interpellation d’une génération. Comme vous le savez, le silence peut être considéré comme l’expression d’une complicité dans la dérive. Il ne sera pas dit que nous étions là bouche cousue, impavide, indifférent, calculateur quand tout allait à vau l’eau dans le pays.

L’honorable Charlemagne Honfo, soutenu par la mouvance est désigné pour siéger au nom de l’opposition au sein du groupe devant procéder à la correction de la LEPI. Vous ne trouvez pas ça bizarre ?

Je suis mal placé pour apprécier cette donnée parce que je ne maîtrise pas les conditions et les circonstances de la mise en place du groupe que vous évoquez ; mais ne pensez-vous pas qu’en tant qu’auteur de la seule proposition de loi corrective de la LEPI introduite au Parlement, Honfo a bien sa place dans ce groupe ? Au-delà de cet aspect secondaire selon moi, je pense que c’est toute la procédure d’élaboration de la LEPI qui est viciée.

Notre LEPI, que tout le monde reconnait bancale et tronquée, souffre globalement de deux choses. Primo, la loi relative à cette réforme a été élaborée et les organes chargés de sa mise en œuvre ont fonctionné sur la base de rapports de forces. Alors que tout le monde s’accorde sur le caractère fondamentalement consensuel d’une bonne LEPI, on ne peut tabler raisonnablement sur une confrontation « mouvance gouvernementale /opposition », « majorité/minorité » pour son élaboration ou sa correction, d’où la nécessité de définir le contenu du concept de consensus.

 Normalement au regard de cette exigence de consensualisme et pour ne pas retomber dans les errements du passé, les organes chargés de corriger la LEPI devraient être essentiellement paritaires, à savoir moitié mouvance gouvernementale, moitié opposition. Et c’est uniquement ce sur quoi il y a consensus qui devrait prévaloir. Il ne s’agit pas d’imposer des points de vue générateurs de fraudes parce qu’on est majoritaire, ou qu’on a acheté la conscience d’une bonne partie des décideurs.

Secundo, l’application de la LEPI s’est effectuée en constante violation partisane de la loi tant par la CPS que par la Cour Constitutionnelle. La preuve, personne ne sait quel est le contenu de cette fameuse LEPI, ni comment y accéder puisqu’elle n’est publiée nulle part ; pourtant, malgré l’exigence légale de publication de la LEPI, la Cour a jugé bon de l’utiliser dans la confusion et l’opacité totales génératrices de fraudes évidentes pendant les dernières élections. En conséquence, le caractère consensuel de la LEPI et le strict respect de la loi doivent être privilégiés dans la préparation des correctifs à apporter à cet instrument électoral et dans les organes de sa gestion.

Comment le PRD prépare-t-il les communales dans la commune d’Allada où vous êtes plus assis ?

La trop forte politisation de nos élections locales dénature la gestion de nos communes. Nos conseillers communaux ne sont pas élus sur le fondement d’une vision de développement de nos localités et de l’aptitude réelle des candidats à mettre en œuvre ladite vision. Nous avons besoin de sensibiliser les populations sur la signification des choix qu’elles font. Nous avons vu des élus communaux totalement analphabètes siéger à ce niveau.

 Franchement, que peut-on attendre d’une telle situation du point de vue des projets à concevoir et de leur mise en œuvre ? Notre objectif est de faire en sorte que des équipes cohérentes, dynamiques et véritablement aptes à assurer une gestion de développement au-delà des considérations purement politiciennes, s’occupent de chacune de nos communes en vue de les booster réellement. Allada s’inscrit dans cette problématique et nous y travaillons.

Comptez-vous être candidat dans cette circonscription aux prochaines législatives ? Disons quel est votre avenir politique ?

A chaque jour suffit sa peine ; on appréciera au moment opportun l’option appropriée. Que Dieu nous prête vie, force et vigueur!

 Votre appréciation sur la gestion du pays. Le Pvi, la filière coton, la correction de la Lépi ?

Comme l’a dit Houngbédji dans son discours précédemment cité, le pays va mal, très mal, tant au plan politique, économique que social. Les grandes réformes engagées par le régime et couronnées pour l’essentiel par des échecs cuisants sont le reflet de l’amateurisme avec lequel le pays est géré ; cette gestion se caractérise par des improvisations suivies de la remise en cause systématique desdites réformes parce que mal pensées, mal conçues.

Cette situation est aggravée par l’instrumentalisation des institutions étatiques qui devraient être de contre-pouvoir. Nous avons vu la Cour Constitutionnelle qui, cherchant à plaire au gouvernement, a déclaré contraires à la Constitution les 25% accordés entretemps aux agents du ministère des finances. La Cour pensait ainsi faire supprimer cette bonification ; eh bien tintin ! Au lieu qu’elle soit supprimée, eh bien voilà, cette bonification a été élargie à tous les agents publics, aggravant du coup, à force de vouloir jouer, la situation budgétaire d’un Etat ahanant.

Pendant ce temps, cette Cour dont certains membres, et non des moindres, relèvent de l’enseignement supérieur, n’a pas trouvé que les nouveaux avantages fantastiques accordés à cette catégorie d’agents publics étaient discriminatoires. Evidemment, il ne pouvait en être autrement puisque des membres éminents de cette cour avaient leurs propres intérêts en jeu.

En outre, la violation de la loi est l’une des constantes du régime Yayi. Ce qui vient de se passer avec les intrants coton en est une piteuse illustration. Il en est de même de la mise en œuvre de la loi sur la LEPI ; cette violation de la loi a été également appuyée par la Cour Constitutionnelle.

Un mot à l’endroit de vos militants qui ne savent plus où donner de la tête face à cette rumeur sur l’entrée prochaine du PRD au gouvernement?

Je crois avoir exprimé abondamment ma pensée profonde sur cette rumeur ; soyons sereins ; nous venons de sortir d’un congrès où l’optimisme et l’engagement ont été de règle. Au sein d’un organisme démocratique, les pensées et les approches ne peuvent pas être unanimes ni uniques. Néanmoins, le PRD demeure jusqu’aujourd’hui le seul grand parti à n’avoir participé à aucun des gouvernements du régime Yayi ; c’est pourquoi je suis convaincu que la discipline, qui fait la force du PRD, l’emportera face à toutes velléités éventuelles tendancieuses contraires aux orientations du parti.

Entretien réalisé par

la Rédaction

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