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Le triomphe de la vérité

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Crise entre l’Etat Béninois et l’Aic/Cspr:Voici l’Etude qui en 2004, tirait déjà la sonnette d’alarme


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Publiée deux ans avant l’accession de Boni Yayi au pouvoir, cette Etude est parue dans six quotidiens béninois sous le titre « Entre réformes, conflits d’intérêts et désintégration : La Vérité sur le Malaise cotonnier béninois ». Son auteur, Jocelyn Nénéhidini alors Chef Service Communication et Conseils de la Sonapra avant d’être Directeur Commercial de cette société, prédisait la situation actuelle à partir d’une analyse comparative avec les filières voisines d’Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui en 2012, la crise a atteint son paroxysme et oblige l’Etat à prendre ses responsabilités. Nous reproduisons intégralement cette étude complète et pertinente, pour apprendre et comprendre…

Va-t-on laisser le Bénin devenir une lanterne rouge en or blanc et sa filière cotonnière mourir de sa propre réforme ? A force de s’offrir comme champ d’expérimentation des systèmes les plus audacieux, le Bénin cultive au profit de ses voisins mais à ses propres dépens, tant des modèles à suivre que parfois aussi hélas, des antithèses à rejeter. Ainsi en est-il de sa filière cotonnière dont la libéralisation pouvait faire l’économie des dysfonctionnements et autres conflits d’intérêts qui l’ont complètement détournée de son objet essentiel : l’accroissement quantitatif et qualitatif de sa production nationale.

Dans sa parution du troisième trimestre de 1996, la revue « Coton et Développement » éditée par l’ex-Compagnie Française de Développement des fibres Textiles (Cfdt) publiait un dossier intitulé « Nigeria, le contre-exemple ». Ce dossier démontrait comment malgré une population rurale de plus de 50 millions de personnes, malgré une tradition cotonnière remontant à 1904, malgré d’énormes superficies cultivables, malgré un excellent réseau routier et ferroviaire et malgré un potentiel industriel fort de 28 usines d’égrenage, le Nigeria, plus grand pays agricole de l’Afrique, en est pourtant un des piètres producteurs de coton. En 1996, avec un rendement agricole de 700 Kg/ha, sa production nationale n’atteignait que 250.000 tonnes de coton graine et c’était là, un record pour le Nigeria !

Pendant ce temps, le tableau d’honneur du coton ouest-africain revenait par ordre de mérite au Mali (336.000 tonnes – 1210 kg/ha), à la Côte d’Ivoire (204.000 tonnes – 1060 kg/ha) et au Burkina-Faso (160.000 tonnes – 950 kg/ha). Autant dire que les nombreux atouts dont dispose le géant de l’Afrique n’ont pas suffi à faire de lui, le géant cotonnier du continent. Et pour cause.

Le facteur essentiel qui expliquait les excellentes performances des filières francophones résidait dans le caractère intégré de ces dernières. Le malheur du Nigeria était et est encore aujourd’hui d’avoir une filière complètement désintégrée, situation dont les signes avant-coureurs sont apparus depuis quelques années dans le paysage cotonnier béninois et se sont exacerbés à l’occasion de la campagne 2003/2004.

Le Bénin, laboratoire de la remise en cause du système intégré des filières cotonnières africaines.

La fièvre du libéralisme économique, en s’emparant du secteur cotonnier béninois, a tôt fait d’en bouleverser les équilibres et acquis. Il s’agissait d’y introduire toutes les réformes possibles, à conditions de ne point toucher au caractère intégré et cohérent de la filière dont la Sonapra était à l’époque, le chef d’orchestre. On ne peut plus prémonitoire, Didier Mercier, Directeur Général de la Compagnie Cotonnière française (Copaco), écrivait en 1995 au sujet de la filière cotonnière béninoise : « Malgré le nombre d’intervenants, la cohérence de la filière et son efficacité ont jusqu’à présent, été préservées.

En particulier, l’exclusivité des achats de coton graine par la Sonapra, contrepartie de la garantie d’achat aux producteurs et des crédits intrants qui leur sont consentis, a été maintenue et la Sonapra conserve la maîtrise de l’organisation des campagnes cotonnières. Les raisons de ce succès doivent néanmoins être confortées. Celui-ci repose avant tout sur l’excellence du paysannat au Bénin et sur la gestion réussie de cette croissance par la Sonapra…

Par ailleurs, il n’est pas impossible que sous la pression de nombreux intervenants, bailleurs de fonds multilatéraux inclus, ces principes de base soient mis à mal, avec les risques que cela pourrait comporter en terme d’extensification de la production et de dégradation des terrains agricoles pouvant conduire au désintérêt des producteurs. » (Didier Mercier, « Bénin, Confirmation du record historique 93-94 », in. Coton et Développement n°13, janvier-février-mars 1995, P.5).

Cette prévision ne tarda pas à se réaliser. Déjà en 1998, la Banque mondiale tenta d’introduire dans la filière béninoise, l’audacieuse formule de vente aux enchères du coton graine, en remplacement du monopole alors détenu par la Sonapra sur la commercialisation primaire. A l’unisson, la famille des cotonniers rejeta cette forme sauvage de libéralisation en proposant dès 1999, ce qui allait devenir plus tard, le système Aic/Cspr qui suscita la curiosité des concurrents africains du Bénin, avec la clé, le plan annoncé de privatisation de la Sonapra.

 L’un après l’autre, le Mali, la Côte d’Ivoire et le Burkina-Faso eux-aussi acculés par les ordonnances privatisatrices des bailleurs de fonds, envoyèrent des délégations au Bénin pour voir ce que mijotait « le laboratoire ». Mais l’effet « Conférence nationale » ne se produisit pas sur ces pays voisins, tant l’opacité de notre mécanisme ne rassurait ni leurs paysans, ni leurs politiques des meilleures perspectives qu’elles prétendaient offrir au coton. Seule la Côte d’Ivoire, tout en reconnaissant les risques de l’abandon du système intégré, tenta de donner une touche ivoirienne au modèle béninois qui n’était encore qu’à sa phase expérimentale.

Mais elle déchanta à ce coup d’essai. Si la situation de guerre qui affecte particulièrement les régions ivoiriennes productrices de coton ne permet pas de mesurer l’effet destructeur de l’abandon du modèle intégré sur les performances cotonnières de ce pays, il reste cependant que sa formule de privatisation par lot de l’ex-Cidt (Compagnie Ivoirienne de Développement des fibres Textiles), en réservant un lot d’usines à une « Cidt résiduelle » pour gérer certaines fonctions critiques notamment les semences de coton, révèle à quel point l’Etat ivoirien était soucieux de ne point voir ces dernières échapper à son contrôle régalien.

Production nationale stagnante et déficitaire.

On se rappelle qu’à l’époque où la Sonapra elle était la seule société d’égrenage, et précisément en 93-94, sur 277.000 tonnes produites, 246.460 tonnes seulement ont été égrenées par la société d’Etat, soit 30.540 tonnes de coton graine exportées brutes. La même situation s’est reproduite en 94-95 où, sur 265.500 tonnes, la Sonapra n’a traité que 233.993 tonnes pour 31.500 tonnes de coton graine exportées en l’état sans compter les sorties frauduleuses vers le Nigeria, estimées à 13.000 tonnes.

Face à d’aussi importants manques à gagner en termes de valeur ajoutée, l’augmentation des capacités d’égrenage de la Sonapra et l’ouverture du secteur de l’égrenage aux opérateurs privés se révéla alors d’une nécessité impérieuse. Aussi, la Sonapra mit-elle en service ses usines de Parakou 2 en 1995 et de Bohicon 2 en 1996, portant ainsi son parc à 10 usines. Du côté des opérateurs privés, 3 usines ont été installées en 1995 : Il s’agit de Ccb à Kandi, Icb à Ouassa-Péhunco et Socobé à Avogbana, toutes réunies au sein du Gié Industries Cotonnières Associées (Ica) de Patrice Talon. Pour une production nationale qui tournait autour de 350.000 tonnes, la capacité industrielle était ainsi passée en 1995 à 387.500 tonnes. Elle était pour ainsi dire, largement suffisante pour couvrir les besoins d’égrenage.

Mais dans son engagement à encourager une progression arithmétique régulièrement positive de la production cotonnière, l’Etat a cru devoir anticiper les besoins industriels futurs en accordant de nouveaux agréments à des sociétés privées. En 1997, la Seicb et le Lcb furent mis en service respectivement à Savalou et à Paouignan. Puis en 1998, la Sodicot à Ndali, Ibeco à Kétou et Mci à Nikki. Dès lors, pour une production de 350.000 tonnes, les agréments accordés ont porté les besoins en matière première cotonnière à 587.500 tonnes !

Face à un tel tableau, on peut dire qu’au Bénin, ce sont les usines qui manquent le moins. Le problème essentiel qui méritait qu’on lui consacre toutes les énergies devint celui de savoir comment accroître la production cotonnière le plus rapidement possible, de manière à permettre à chaque usine d’en avoir pour sa capacité d’égrenage et de contribuer, chacune en ce qui la concerne, au développement des localités respectives où elles sont implantées, comme on le constate surtout dans les autres pays de la sous-région qui ont adopté le système de zonage.

Notre très chère usine de délintage chimique

Cette question cruciale fit l’objet d’un forum national qui a rassemblé tous les opérateurs du secteur cotonnier béninois, du 16 au 18 juin 1998 à l’Hôtel Accord Alédjo de Cotonou, sur « La Stratégie pour l’Amélioration de la Production cotonnière au Bénin ». Ce forum encouragea l’idée de la création d’une usine de délintage chimique des semences. En effet, les avantages de la semence délintée sont nombreux. Outre son fort pouvoir germinatif et sa forte résistance aux parasites, elle permet au paysan de gagner du temps au semis et à la culture proprement dite en lui assurant un fort rendement à l’hectare.

Or un an avant le forum de Cotonou, la Sonapra qui conservait jusque-là la fonction critique régalienne de production des semences dont la bonne qualité justifiait les fuites de graines béninoises vers les pays frontaliers, avait déboursé plus de 3,5 milliards de Fcfa pour l’achat de cette usine de délintage chimique auprès de l’Américain Continental Eagle. Alors que les équipements étaient déjà au Port de Cotonou depuis 1997, la perspective de privatisation de la Sonapra justifia la rétrocession par l’Etat de cet important projet à la société privée Mci de Martin Rodriguez, ce qui supposait le remboursement intégral par ce dernier, des sommes investies par la société d’Etat pour l’achat de l’usine.

Malheureusement jusqu’ici, les négociations avec le promoteur n’ont pu accoucher ni dudit remboursement, ni d’un modus operandi favorable à sa mise en service effective. Si cette nouvelle technologie était fonctionnelle depuis 1997 qu’elle avait été achetée et débarquée à Cotonou, nul doute que le désordre dont la campagne cotonnière a été l’objet en cette saison 2003-2004 n’aurait pas eu lieu, puisque chacun en aurait eu pour sa capacité d’égrenage.

Le Bénin l’aurait mise en service depuis cette époque, qu’il aurait été le premier pays de la sous-région à disposer d’une usine de délintage chimique de dernière technologie, après la petite unité installée à Vélingara au Sénégal. Cet investissement que bien des concurrentes africaines de la Sonapra jalousaient n’en est encore à ce jour hélas, qu’à son stade de projet. Face aux longues polémiques qui en ont fait oublier l’extrême urgence, le fabricant américain a failli renvoyer ce bijou au grand Mali qui en avait besoin et qui ne dispose d’ailleurs pas encore jusqu’à ce jour. Quant au Burkina-Faso, il ne s’est pas fait prier pour reprendre à son compte la belle idée béninoise…

que le Bénin tarde lui-même à mettre en œuvre : Le Pays des hommes intègres a installé à Bobo-Dioulasso, son usine de délintage chimique en 2002 par la Sofitex, société d’Etat. Et le résultat ne s’est pas fait attendre. Le Burkina qui se classait au 4ème rang des producteurs de la zone franc derrière le Mali, le Bénin et la Côte d’Ivoire est désormais excellent deuxième avec un record de 550.000 tonnes loin devant le Bénin qui, depuis près d’une décennie, continue de marquer le pas autour de 350.000 tonnes.

 L’Etat béninois propriétaire de la Sonapra et donc propriétaire de l’usine de délintage chimique achetée par cette société, devra faciliter et accélérer son implantation et sa mise en service en vue de l’introduction rapide de la semence délintée dans les habitudes culturales des producteurs, pour un accroissement qualitatif et quantitatif de la production nationale, source de pacification générale de la filière coton.

Le système Aic/Cspr à l’épreuve de la gouvernance cotonnière

Les conclusions de l’hôtel Accor Alédjo s’étouffèrent face à l’exacerbation des conflits d’intérêts, loin du souci d’augmentation de la production. De 1999 à 2004, les nouvelles structures Aic, Cspr et Cagia, héritières chacune en ce qui la concerne d’un pan spécifique des anciennes missions de la Sonapra, assistèrent impuissantes à une impitoyable guerre de clocher qui a révélé au grand jour, non seulement les limites des réformes du fait du caractère laconique de leur fondements juridiques, mais surtout l’incapacité desdites structures, à gérer les intérêts croisés des opérateurs privés.

 Cette situation a atteint son paroxysme au cours de la campagne 2003/2004 qui s’achève : le système Aic/Cspr qui annonçait une production nationale de 400.000 tonnes de coton graine dut se contenter d’une récolte de 330.000 tonnes. Situation déficitaire exacerbée par la concurrence de deux acteurs Mci et Sodicot qui, contestant l’autorité de la Cspr à laquelle ils reprochent d’avoir « un mécanisme injuste », ont choisi l’option de ne pas en respecter les conditionnalités et de descendre directement sur les marchés. Dès lors, le plan de répartition du coton de l’Aic resta lettre morte.

A la faveur du nouveau contexte créé par la décentralisation, certains nouveaux élus en quête de subsides pour asseoir leurs pouvoirs locaux, faire fonctionner leurs administrations et financer leurs actions de développement, s’engagèrent aux côtés de ces opérateurs « rebelles » en les consacrant feudataires de leurs principautés cotonnières, où nul n’a le droit de pénétrer « s’il n’est d’ici ». La conséquence de cette situation est que les échaudés de la saison qui s’achève, se prépareront dans la perspective des campagnes prochaines, chacun dans la zone où est implantée son usine, à faire main-basse sur la production locale ou régionale.

 Le Bénin se verrait ainsi transformé en une fédération cotonnière où seules, les régions productrices dont il est impossible à un quelconque égreneur de boucler les frontières, seront abandonnées à leur sort de « réserves de chasse » au coton graine. Le sous-secteur des intrants traditionnellement sécurisé tant en disponibilité qu’en qualité, s’en trouverait réduit à des logiques dignes des filières désintégrées. Menace d’autant plus grande sur la filière coton que l’une des sociétés « rebelles » vient de se permettre la « cotonicide » imprudence de mettre en place des semences non-conventionnelles dans une région où elle a réussi à se faire octroyer du coton graine, situation que l’Aic est appelée à corriger en urgence en faisant disparaître jusqu’à la dernière graine ces fausses semences.

Alors que l’environnement cotonnier actuel du Bénin nous rapproche à grande vitesse de la catégorie des filières désintégrées où toutes les données statistiques se disent « sous toutes réserves » et dont les estimations cotonnières se conjuguent au conditionnel incertain, les autres pays de la sous-région qui ont défendu leurs filières intégrées ont réussi à relever le défi de l’accroissement quantitatif et qualitatif de leurs productions respectives. Sous la houlette des homologues de la Sonapra que sont la Cmdt et la Sofitex, le Mali et le Burkina-Faso ont respectivement franchi les barres de 600.000 et 550.000 tonnes en 2003/2004.

Une fois encore et avec une maigre récolte de mois de 330.000 tonnes, le Bénin attendu dans l’effort collectif d’accroissement de la production sous-régionale, n’a pas été au rendez-vous. Sous le régime des réformes tous azimuts qui ont déjà entamé le caractère intégré de sa filière cotonnière, l’ex-numéro deux du coton africain s’est illustré par des contre-performances qui, faute de mesures hardies et pragmatiques, risquent de le gommer définitivement du tableau d’honneur des producteurs.

On ne le dira jamais assez, la raison d’être d’une filière cotonnière est d’apporter le bonheur aux paysans à travers une production abondante et de qualité. L’agriculture en général et la culture du coton en particulier, ne sont point réductibles à de simples activités commerciales. L’industrie cotonnière doit donner au paysan de bonnes raisons de renforcer son intimité avec la terre. Il n’y a rien de plus sacré pour une culture de rente que cette intimité du paysan avec la terre.

 C’est la foi du paysan dans la rentabilité du coton qui favorise le développement des activités et les performances économiques des distributeurs d’intrants, des égreneurs, des transporteurs, des banques, du Port de Cotonou, des sociétés de transit, de manutention, de magasinage et d’une fourmilière de prestataires de services qui rendent possible la transformation et la commercialisation finale des produits cotonniers. C’est parce que cette relation de producteur avec la terre est sacrée qu’il faut la sauvegarder et la débarrasser autant que possible de toute sa pénibilité. Si rien n’est fait pour freiner le rythme où vont les choses, on peut dire que le désordre cotonnier béninois n’a pas encore atteint son point culminant et que le pire reste à venir.

Mais, fort heureusement, cette décadence annoncée n’est pas irréversible. Le retour à la normale ne tient qu’à deux béquilles de sauvetage et de rééducation : d’une part, une volonté politique de remettre les choses à plat pour redéfinir le cadre légal d’exercice des activités cotonnières ; et d’autre part, une capacité des acteurs de tous les bords à fondre leurs antagonismes en vue de refonder l’interprofession cotonnière et de recentrer de façon consensuelle leurs énergies sur l’essentiel : l’accroissement qualitatif et quantitatif de la production nationale.

Seule cette thérapie peut permettre non seulement au Bénin de reconquérir sa place de choix dans le concert des grands producteurs en consolidant la valeur marchande de sa fibre, mais aussi d’épargner sa filière coton de la désintégration qui affecte déjà, les comptes d’exploitation de tous ses acteurs et en définitive, les finances et la stabilité de l’Etat béninois. Au regard du caractère hautement stratégique de cette filière pour l’économie nationale, seule la Raison d’Etat pourrait justifier toutes les mesures exceptionnelles qui viendraient à être prises pour sauver le coton béninois.

Jocelyn Nénéhidini

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