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Le triomphe de la vérité

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Entretien avec le Professeur Sébastien H. Azondékon, ancien Conseiller spécial en économie du président Mathieu Kérékou:« Boni Yayi doit cesser de voir en tous ceux qui critiquent sa gouvernance des ennemis »


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Sébastien H. Azondékon, il n’y a pas de démocratie viable sans une opposition viable

Ancien Conseiller spécial à l’économie du Président Mathieu Kérékou, le Professeur Sébastien Azondékon manifeste toujours de l’intérêt pour la vie socio-politique de son pays. Dans cet entretien, le Professeur titulaire d’Économie et de Gestion, Directeur des Programmes de Deuxième Cycle en Gestion de Projet, Consultation et Changement de l’Université du Québec au Canada apprécie la gouvernance économique du Président Boni Yayi. Conseiller en Charge de l’économie du candidat Abdoulaye Bio Tchané lors du scrutin présidentiel de 2011, il se prononce, entre autres, sur la nouvelle posture de la Renaissance du Bénin (RB) et la main tendue du Chef de l’Etat à l’endroit de la classe politique.

L’Evénement Précis : Après les élections présidentielles, on assiste à une recomposition du paysage politique avec le départ de la RB de l’Union fait la Nation pour la majorité présidentielle. Quelle lecture faites-vous de ce revirement ?

Sébastien H. Azondékon: Comme vous, j’ai suivi ce revirement avec consternation, mais après réflexion et analyse, j’ai fini par me résoudre à cette vérité que je détiens d’un grand homme de ce pays, à savoir que la classe politique de notre pays a encore du chemin à faire au plan de l’acceptation de la culture de l’opposition.

L’opposant n’est pas le mauvais type, bien au contraire, c’est celui-là qui contribue grandement au maintien de la vie démocratique. J’avais vu par-dessus tout, à travers l’avènement de l’UN dans le paysage politique de notre pays, un début de dépassement des petits ensembles qui ne valent que ce qu’ils valent et, contrairement à beaucoup de gens qui les avaient taxés de tout, j’avais applaudi la chose. Mais au regard du revirement de la RB qui en était une des chevilles ouvrières, au regard des déclarations des leaders de cette formation dans les temps forts de l’UN, j’avais été choqué par la nouvelle.

Je ne voudrais pas porter de jugements hâtifs sur la chose car n’en connaissant pas les raisons, mais j’aurais grandement préféré continuer à voir cette formation au sein de l’UN pour assurer une plus grande vitalité à notre démocratie. Une opposition forte est un gage sûr pour une démocratie forte et nous en avons grandement besoin. Quelles que puissent en être les raisons, ce revirement est donc à mon humble avis un appauvrissement de notre démocratie! Mais je respecte le choix des acteurs politiques de mon pays.

Certains leaders de la scène politique béninoise tel que Abdoulaye Bio Tchané n’ont pas encore répondu à la main tendue du Chef de l’Etat à la classe politique. Qu’est-ce qui explique, selon vous une telle attitude ?

Je ne suis pas Abdoulaye Bio Tchané et ne l’ayant pas consulté avant de vous accorder cette interview, je ne saurais prétendre répondre à cette question à sa place. Cependant, étant un des ses proches, un membre de l’Alliance ABT qu’il préside, je dirais ceci : Le Président Abdoulaye Bio Tchané lors des échanges de Vœux de l’année 2012 avec l’Alliance ABT, a clairement exprimé sa vision du développement du Bénin.

 Il a exprimé son souhait de l’organisation d’une Conférence Nationale sur les réformes pour les rendre plus acceptables parce que inclusives et pouvant de ce fait assurer un caractère consensuel aux décisions et recommandations qui en sortiraient, afin de susciter l’adhésion populaire aux réformes qui dès lors seraient conduites de façon à alléger la souffrance du peuple. Avec ce qui se passe sous nos yeux aujourd’hui je parlerai plutôt d’une Conférence Nationale sur l’économie pour être plus large.

Il a également insisté sur la nécessité de procéder à l’Audit de la Lépi par des experts et à la correction des innombrables irrégularités contenues dans la Lépi telles qu’acceptées sans exception par toutes les parties prenantes avant les dernières élections et ce, comme convenu, avant les prochaines élections dans le souci de la sauvegarde de notre démocratie chèrement acquise.

Depuis cette sortie, certes des voix ont commencé par lui emboîter les pas sur ces propositions, même si pour le moment elles sont encore timides. Mais le gouvernement tarde à réagir et cela impacte négativement sur la vie politique, économique et sociale du pays. À mon humble avis, ces propositions du Président de l’Alliance ABT sont énormément plus importantes que toute réponse précipitée à une quelconque main tendue.

L’Alliance ABT reste comme toujours d’ailleurs en mode solution et non en mode problème et ces propositions en sont des preuves éloquentes ! C’est ça qui doit retenir votre attention plutôt qu’une impatience à voir ABT courir se jeter dans les bras de la mouvance au mépris de la vision et des positions qu’il a défendues avec tant de conviction, tant de pertinence et tant de préparation au cours de la dernière campagne présidentielle.

Ceci étant, nous n’avons pas vu la main tendue car à aucun moment nous n’avons reçu d’appels à discuter et à aucun moment nous n’avons senti une volonté du pouvoir de discuter des politiques ou des réformes. Pour notre groupe politique, la main tendue ne peut porter que sur les politiques de développement et sur ce qui peut conduire au mieux être de nos compatriotes. Elle ne portera sûrement pas sur « le partage de gâteau » tel que certains l’imaginent.

 C’est la ligne que nous nous sommes tracée. Au fait n’est-ce pas le pays et sa transformation qualitative aux plans politique, économique et social pour l’assurance d’un mieux-être à nos compatriotes les défis majeurs de l’heure? Alors souffrez un instant qu’ABT reste polarisé sur ces enjeux qui doivent être au centre de toute main tendue digne de réponse positive à l’heure où nous sommes.

Vous aviez été en charge de l’économie dans l’équipe de campagne du candidat ABT lors de l’élection présidentielle de 2011. Quel est votre regard sur la gouvernance économique actuelle du Bénin ?

Effectivement j’étais en charge de l’économie dans l’équipe de campagne d’Abdoulaye Bio Tchané lors de l’élection présidentielle de 2011 et croyez-moi, ce fut tout un honneur pour moi d’être investi d’une telle responsabilité par lui.

Je suis d’autant plus fier aujourd’hui d’en discuter avec vous que, au regard du projet de société présenté par ABT au cours de la campagne, projet piraté par nos compétiteurs de tous cotés, mon candidat a su montrer sa capacité à gouverner ce pays. Je veux dire par là, que, à travers son projet de société, il a fait preuve de vision, d’anticipation, de prévention, bref qu’il s’est montré un véritable gestionnaire de risque et non de crise. Il y a une différence entre les deux ! Le gestionnaire de risque, c’est celui qui fait de la gestion proactive, préventive et prospective, alors que le gestionnaire de crise est celui qui attend que les problèmes lui pètent à la figure pour commencer par réagir (gestion réactive). C’est justement pour cela que l’on vous dira toujours que gouverner c’est décider et décider c’est prévoir.

C’est là tout le sens très profond que donne ABT à son projet lorsqu’il dit qu’il est toujours en mode solution et non en mode problème. Il est vrai, les possibilités qui nous avaient été offertes pour mieux diffuser notre projet, comme vous le savez, étaient très restreintes. Malgré cela, nous nous sommes battus à même nos moyens très maigres au regard de ceux de nos adversaires, pour faire entendre nos positions et nos propositions. Même si tout avait été mis en œuvre pour nous empêcher d’être entendu, l’essentiel a quand même été fait et, malgré notre défaite, le peuple commence à comprendre de plus en plus la justesse de nos positions et propositions, à comprendre que notre candidat est un visionnaire, un homme de consensus, le candidat du développement et de la vraie lutte contre la pauvreté et la précarité !

C’est pour vous dire qu’au regard de la situation que traverse notre pays présentement et qui est caractérisée par une triple crise (politique, économique et sociale) en moins d’une année après une présidentielle (chose inédite dans l’histoire de notre pays), aucun béninois patriote ne saurait rester indifférent. Normalement, après sa victoire, tout président élu devrait connaître une lune de miel compte tenu du rêve qu’il a suscité en le peuple au cours de sa campagne. Mais nous voilà après un KO (chose également inédite dans l’histoire de notre démocratie) face à face avec une crise tridimensionnelle en moins d’une année ! C’est particulièrement préoccupant au point où toute personne qui aime le Bénin, doit se poser au moins la question « qu’est-ce qui a pu causer une telle situation ? ».

D’aucuns diront la crise économique et financière mondiale, mais cette explication est assez simpliste et bien sûr réfutable, car la crise économique et financière ne peut pas à elle seule expliquer toute cette situation que traverse notre pays. À mon avis il y a également des causes endogènes profondes.

En effet, au lendemain des élections présidentielles et surtout après les législatives qui ont cimenté le KO, la mouvance, forte de son triomphe jurait déjà de rendre le deuxième mandat du Président Yayi le plus reluisant possible, parce que disposant de la majorité absolue. C’est ça la première erreur. Par de telles déclarations, les mouvanciers ont perdu de vue deux choses indispensables à tout succès en démocratie : il n’y a pas de démocratie viable sans une opposition viable ; le consensus est plus que nécessaire même en cas de majorité absolue pour s’assurer de l’adhésion populaire au actions de la majorité.

…même lorsqu’on dispose de la majorité à l’Assemblée ?

Ayant perdu de vue ces deux choses, la mouvance actuelle s’est laissé saoulée par sa majorité et, au nom de la refondation, sans modifier d’un iota les pratiques de l’ère du changement, elle s’est lancée dès la mise sur pied du bureau de l’Assemblée, dans la ratification sans analyses approfondies de toutes sortes d’accords et dans le vote précipité de lois non assez documentées allant parfois même à l’encontre des dispositions constitutionnelles. Pire, une course véritable au débauchage de députés de l’opposition a permis de couronner l’œuvre tant rêvée pour s’assurer que tout commence et finisse dans les murs du parlement sans recours à des consultations populaires.

Ce qui reste de l’opposition est désormais marginalisé et réduit au silence. Tout passe comme une lettre à la poste. Le consensus est désormais mouvancier et non bipolaire. Le peuple est donc ignoré, car un consensus unipolaire n’en est pas un. Pire, il est porteur de crises fort préjudiciables, car le peuple ne se retrouve plus dans les décisions prises, la démocratie n’est plus inclusive. C’est à ce stade que nous en sommes aujourd’hui.

Dans ces conditions, les mêmes causes produisant les mêmes effets, si cette situation n’est pas corrigée au plus vite, la refondation connaîtra le même sort que le changement et puisque la première a succédé à la dernière, son sort sera plus terrible et nous risquons de constater avec regrets et amertumes, que la « KOcratie » a généré une « Chaocratie ». Le Président Yayi est à son dernier mandat et ne doit plus rien à ses partisans. Il doit alors se dissocier de ce type de gouvernance pour s’inscrire en bien dans la mémoire de son peuple en prenant désormais fait et cause pour ce dernier. Les signes annonciateurs sont là sous nos yeux et m’inquiètent personnellement.

Le gouvernement devra faire beaucoup attention à son processus décisionnel pour lui donner une issue victorieuse et paisible. N’étant plus candidat à rien (il a donné sa parole et tranché ce débat à la face du monde et à plusieurs occasions), le Chef de l’État n’a plus besoin de se stresser inutilement par des décisions hâtives et immédiatement renversées par la rue à l’étape d’exécution, car tout le problème des réformes est là. À titre d’exemples je mentionnerai celle du Port, celle de l’augmentation salariale de 25% à tous les agents permanents de l’état sans au préalable tenir compte du respect de la limite de 35% de la masse salariale dans le budget national, celle de nos choix des investissements, celles de la révision de la constitution, du redécoupage administratif, la multiplication des institutions sans penser à leur incidence sur un budget en souffrance terrible, le maintien du train de vie de l’État à l’heure où, les dirigeants de plusieurs pays en ont donné l’exemple contraire pour faire leur part des sacrifices qu’imposent de telles situations et j’en passe.

Pensez-vous que l’absence de consensus soit à l’origine des difficultés que rencontrent les réformes?

C’est l’oubli du consensus dans ces processus de décisions qui est en train de mettre à mal notre économie et qui allume çà et là les tensions sociales actuelles. Et chaque fois, l’approche gouvernementale de résolution de ces crises a été la même : lynchages médiatiques en règle contre les travailleurs, occupations outrageuses de l’espace médiatique par les ministres, les conseillers et autres affidés du pouvoir et ceci à grands frais comme en campagne électorale, à la recherche d’une approbation populaire en guise de solution.

Résultat : plutôt que de résoudre la crise, non seulement ces méthodes les exacerbent, mais ruinent l’économie compte tenu des primes et perdiems et autres distribués à cet effet à un moment où nos difficultés de trésorerie ne sont plus qu’un secret de polichinelle pour le commun des citoyens béninois.

À mon humble avis, une reconnaissance mutuelle des manquements de chacune des parties à son devoir nous aurait épargné un tel gaspillage. Cela s’appelle la recherche de consensus et elle passe nécessairement par la négociation. Mais au lieu de cela, nous assistons aujourd’hui à des déclarations malencontreuses des envoyés du pouvoir qui viennent envenimer davantage la situation. J’en veux pour preuve la dernière déclaration de la Ministre des Finances le 11 mars dernier à la télé face à un responsable syndical en parlant de son traitement, je cite : « J’aurais d’ailleurs aimé rester à ma situation financière d’avant plutôt que ce que je gagne maintenant » ! En quoi des propos du genre contribuent à la résolution de la crise ?

La ministre a-t-elle par hasard oublié qu’elle était en présence d’un enseignant, un représentant de la frange la plus critique de toute société ? Quel enseignant ignore aujourd’hui au Bénin tout ce que comporte en termes d’émoluments le poste de Ministre des Finances ? Et si cela était vrai, qui a jamais forcé quelqu’un dans notre pays à accepter un poste ministériel ? Pourquoi alors dans ce cas la Ministre n’a pas démissionné ? Voilà autant de questions que suscitent de telles déclarations malheureusement légions chez nos dirigeants et qui ne sont pas de nature à apaiser les foyers de tension. C’est en tout cas mon point de vue sur la question de la gouvernance économique actuelle.

L’actualité économique du Bénin est marquée par le Programme de vérification des importations au Port de Cotonou. Comment appréciez-vous la mise en œuvre de cette réforme?

Encore les réformes ! Vous savez, une des caractéristiques de la refondation, son contenu connu jusqu’à date, puisque personne ne nous en a donné un autre contenu, c’est les réformes. Je n’ai franchement rien contre les réformes et les réformes sont souhaitables, car aucun environnement n’est statique, surtout pas à notre époque caractérisée par la vitesse, le changement et la complexité. Mais une chose doit être claire dans l’esprit des réformateurs et c’est valable dans tous les contextes ; c’est que les réformateurs sont presque toujours emportés par leurs propres réformes lorsqu’ils agissent par sectarisme et font fi du consensus et du caractère inclusif qui doivent en être les socles.

 Ceci est incompatible avec l’isolement de soi et le mépris pour ceux pour qui et au nom de qui les réformes sont faites. Cela suppose la mise à disposition des concernés du vrai contenu et des implications de la réforme, sa large diffusion, son explication et l’encouragement de débats contradictoires là-dessus pour en convaincre les concernés et prendre la mesure juste de la frontière entre l’acceptable et l’inacceptable. Une fois ce travail fait et la réforme décidée, l’adhésion devient une Convaincre et ensuite contraindre, c’est là la clé de la réussite d’une réforme ! Toute autre voie est pure aventure contrainte pour tous.. Ce que je constate avec amertume aujourd’hui dans notre pays est que malheureusement cette voie n’est pas privilégiée par nos dirigeants et ceci depuis le premier mandat du Président Yayi.

Je dois souligner que le PVI est une réforme qui a été instaurée par le Président Soglo et poursuivie depuis par le Président Kérékou. Ce n’est donc rien de nouveau. Ce qui est nouveau par contre, c’est l’introduction de méthodes nouvelles comme les scanners, les GPS etc. Ces méthodes justifient-elles que le contrat soit donné à une entreprise sans aucune expérience dans le domaine ? Cela justifie-t-il que le contrat soit donné à une entreprise dont le principal actionnaire est concurrent des autres opérateurs – importateurs, transitaires, exportateurs, etc., qu’il est amené à contrôler ?

 Cela justifie-t-il que le contrat soit donné à une entreprise dont le principal actionnaire contrôle déjà un des principaux secteurs de l’économie (le Coton) ? Cela justifie-t-il que ce contrat qui d’habitude est de 3 à 5 ans soit d’une durée de 16 ans? Mieux l’absence d’expertise de l’opérateur ne commandait-il pas une prudence et à tout le moins la fixation d’objectifs ou une période test ? Quand on lit par la suite que le contrat aurait été signé avant le décret autorisant la mise en place de ce PVI, il est légitime de se poser des questions sur la validité de ce contrat. La multiplicité des interventions de toute sorte orchestrées n’a probablement pas dupé les observateurs. Le Président Yayi sait à quoi s’en tenir.

…pourtant le Chef de l’Etat imprime la vitesse à ses reformes pour les concrétiser ?

Effectivement, le Chef de l’État, en toute chose, privilégie la vitesse. C’est une approche parmi tant d’autres et je ne veux pas en juger, mais à l’ère de la complexité et du changement, vite et bien c’est très difficile pour ne pas dire impossible. Il va falloir qu’il change d’approche. Prenez toutes les réformes depuis 2006 à ce jour, depuis les audits à la révision de la Constitution et tirez vous-même les conclusions !

C’est pour vous dire que la réforme connue sous le nom de Programme de Vérification des Importations (PVI) au Port de Cotonou n’échappe pas à cette règle. Elle n’a été ni consensuelle ni inclusive. Comment pouvons-nous réussir quelque chose de si important sans y associer les acteurs de premier plan que sont les douaniers, les hommes d’affaires, les prestataires de services du Port de Cotonou et autres ? Un décret est sans valeur sans son application effective et l’application effective est impossible sans les acteurs concernés au premier plan.

Or si je ne me trompe pas, la réforme a été décidée et accouchée et c’est devant les difficultés rencontrées dans son application que le gouvernement a mobilisé tous les ministres, tous les directeurs et tous les médias, non pas pour en expliquer la portée, mais pour lyncher les douaniers et les commerçants auprès des populations. C’est une erreur très grave, tant au plan financier qu’au plan de l’acceptabilité de ladite réforme. Mais malheureusement, devant toute situation de crise, cette approche a toujours été celle privilégiée pas le gouvernement. Prenons exemple sur la Conférence Nationale de 1990, c’est la réforme la plus acceptée de toute l’histoire de notre pays, puisqu’elle continue d’être la référence de toute analyse qualitative dans le développement de notre pays. Et pourquoi ?

Elle a été inclusive et consensuelle et a accouché de décisions acceptées et respectées depuis 22 ans ! Les gens en perçoivent tellement la pertinence qu’ils s’opposent à la moindre déviance et même vont jusqu’à en réclamer une autre aujourd’hui pour résorber la triple crise que nous traversons ! Nos gouvernants devraient s’en inspirer.

Deuxième chose importante, vu le rôle que joue encore (hélas !) le Port de Cotonou dans l’économie nationale et l’importance du PVI dans l’amélioration de l’efficacité et l’efficience de ce rôle, jamais et au grand jamais, sous aucun prétexte la gestion de ce programme ne devait être confiée à une société sans expérience avérée dans le domaine. Mieux encore, même si par erreur la chose a été faite (puisque l’erreur est humaine), jamais on ne devrait donner quitus à cette société pour 16 années ! Quelle garantie avons-nous de son succès ? Comme vous pouvez le voir, les risques contenus dans la conception et la mise en œuvre de cette réforme sont multiples, multidimensionnels et incalculables et posent la question du rôle de contrôle de l’action gouvernementale par les institutions de contre pouvoir que sont l’Assemblée Nationale, la Cour Constitutionnelle et le Conseil Économique et Social pour ne citer que celles-là.

Maintenant, voilà les erreurs principales commises dans la mise en œuvre de cette réforme. Au vu de ces erreurs, les acteurs concernés par cette mise en œuvre peuvent facilement situer leur niveau de responsabilité. Nous sommes dans la société du savoir. Quelles mesures devrait prendre le gouvernement pour limiter quelque peu les conséquences fort préjudiciables de la mise en œuvre de cette réforme ? Le Président Yayi veut résilier le contrat.

Immédiatement des gens de son propre camps s’insurgent contre cette position arguant que cela fera fuir tous les investisseurs, parce que projetant une mauvaise image de notre pays au plan des affaires. Soit. Mais donc en vertu de leur vision, il vaut mieux maintenir pour 16 ans cette société sans aucun espoir d’amélioration de sa gestion dudit programme parce que soit disant, elle aurait des recours légaux qui nous feraient perdre des milliards en dommages et intérêts. Mais calculons l’apport annuel du Port de Cotonou au Trésor Public de la période avant réforme et sommons ces apports avec actualisation jusqu’à la seizième année.

 Lequel des deux préjudices est plus dommageable pour l’économie nationale ? Les dommages et intérêts à payer en cas de résiliation du contrat ou le trou creusé au budget national par le manque à gagner généré par la privation de l’État de cet apport de jadis en laissant le PVI à la même société ? Pour qui travaillent alors les tenants de cette position ? Depuis quand les affaires connaissent les amitiés ou la compassion ?

Examinons maintenant l’approche contraire à la position du Chef de l’État, celle qui consiste à ne pas toucher au contrat pour les raisons évoquées pas ses tenants. L’échec peut fort bien se révéler plus cuisant, car assise dans les clauses douillettes de son contrat léonien, la société ne fera pas de gros efforts d’amélioration. Le PVI va alors échouer. Nos partenaires et les hommes d’affaires bouderont notre pays au prétexte qu’ils nous ont soutenus dans les réformes de très grande envergure, nous les avons laissées dans les mains de nos amis qui les ont conduites à la catastrophe. Nous ne sommes plus crédibles et éligibles à un tas de programmes.

 Échec du PVI + perte de confiance en notre gestion n’est-ce pas un gage sûr de perte des opportunités d’affaires et de catastrophes économique et social ? Je suis alors d’accord avec l’approche du Chef de l’État, car ce sera là la plus belle démonstration de notre rigueur en matière de gestion et, croyez-moi, cela amènera nos hommes d’affaires à comprendre qu’en la matière, il n’y a pas de pitié.

Enfin, les intellectuels de notre pays sont aussi interpellés. Il ne sert à rien de passer son temps à s’attaquer à la personne du Chef de l’État jusque dans sa vie privée, car la fonction qu’il incarne doit être respectée. Nous devons l’aider et selon moi, la meilleure façon de l’aider n’est pas non plus de l’aduler, mais plutôt de critiquer ce qui ne va pas dans sa gouvernance, solutions à l’appui. Il en a grandement besoin aujourd’hui et nous devons sortir nos plumes pour les mettre au service de notre peuple et non celui des politiciens. Mais dans ce cas, le Chef de l’État doit cesser également de voir en tous ceux qui critiquent sa gouvernance ses ennemis.

Pensez-vous comme certains que cette réforme est la panacée pour remettre l’économie béninoise sur orbite?

Le développement est à dimensions multiples et l’économie l’est également. Lorsque je vois défiler à la télé des ministres, des députés et autres pour dire que, sans le PVI, le Président ne pourra pas réaliser son programme ou que le développement du Bénin sera impossible, cela me fait rire au point où je me pose des questions qui vous feront rire également. Quelle est cette vision étriquée de l’économie et à la limite alarmiste que nous projetons ? Est-ce-à- dire que le Président Yayi ne compte que sur le PVI pour faire du Bénin un pays émergent ? Et les pays de l’Hinterland qui n’ont pas de Port et de PVI, sont-ils condamnés pour autant au sous-développement ad vitam aeternam ?

 Le PVI est une bonne chose s’il est réussi, certes, mais nous progressions sans lui et progresserons encore sans lui. Ce n’est pas alors la panacée pour remettre l’économie du Bénin en orbite. On ne se développe pas sur un seul pied. Je crois que nous l’avons déjà appris à nos dépens avec la production du coton, ne la recommençons plus avec le PVI. Encourageons l’imagination, la créativité et l’innovation pour aller de l’avant, pour mettre notre économie et notre pays en orbite. Cela requiert de l’investissement massif dans la formation or voilà que nos dirigeants restent apparemment impuissants devant l’annonce de l’éventualité d’une année blanche !

La croissance à deux chiffres pour un pays aux ressources limitées comme le Bénin est-elle une utopie selon vous?

Aujourd’hui ce n’est plus l’abondance des ressources qui fait le développement des pays. Si cela était vrai, l’Afrique ne serait plus du tout dans sa situation actuelle. Il y a plein d’exemples de pays vraiment gâtés par la nature comme notre voisin le Nigéria ou plus grave encore le Congo Démocratique qui peine pourtant à trouver le chemin de la croissance, alors que les pays asiatiques (Chine, Inde, Indonésie, Malaisie et autres) sont en ascension sur ce plan.

 C’est vous dire que ce qui fait la richesse et le développement des nations, ce qui génère plus la croissance, la ressource principale de notre époque, c’est le savoir et c’est justement pour ça que nous devons tout faire pour sortir de nos us et coutumes les années blanches. Malheureusement en Afrique surtout francophone, nous n’accordons aucune valeur à la science et ne voulons pas investir dans le développement de nos universités, écoles et collèges.

D’où sortira cette croissance à deux chiffres ? Je l’avais dit à l’époque du changement, je le redis à celle de la refondation, si nous continuons avec notre forte propension au gaspillage, à la priorisation des dépenses administratives (et c’est là l’une des causes endogènes de la crise actuelle dans notre pays) sur celles dans la formation et la production, la croissance à deux chiffres ne sera qu’un vœu pieux, une illusion, de l’utopie !

Le Bénin figure toujours à la traîne dans le classement Doing Business. Quelle solution préconisez-vous pour inverser cette tendance ?

Ce n’est pas une fatalité de traîner au bas de ce classement international. Des pays Africains se sont attaqués à ce défi et ont enregistré des résultats salutaires : Ghana, Burkina, Sénégal, Cap Vert. Mais il faut accepter de réformer l’administration et cela commence par des règles objectives qui sont contraires à la mise en place d’un état FCFBE comme on le voit. Ceci n’est pas possible avec une administration politisée.

Vous savez, dans une société où l’activisme politique devient la seule voie de l’enrichissement, le travail a perdu sa valeur et sa vertu. Cette société n’a plus de repère, car elle ne crée plus de richesse. On dit qui n’entreprend rien n’a rien. L’entreprenariat est alors une source de création de richesse pour ne pas dire la source de création de richesse des nations. Nous en sommes là aujourd’hui et il n’y a rien d’étonnant à notre recul ; il est l’issue logique de notre course au gain facile. Mais contrairement à ce que vous pensez, la solution au renversement de cette tendance est très simple.

En effet quand on rencontre quelqu’un dans notre pays et qu’on lui dit « comment ça va ? », il répond spontanément « on se défend ! ». Cela résume toute notre philosophie dominante présentement dans le pays. Une telle philosophie est antinomique au développement et ne peut pas aider au renversement de la tendance. Nous nous sommes assez défendus sans grand succès. Il nous faut insuffler à notre société une nouvelle philosophie. Nous devons cesser de paraître plutôt que d’être et passer résolument du stade de « on se défend » au stade de « on se bat » ! La voilà ma thérapie ! Vous voyez, elle est simple, mais très dense.

Votre conclusion à cet entretien

En conclusion à cet entretien, je j’attire votre attention une fois encore sur le consensus et le caractère inclusif qui doivent caractériser les différentes approches que nous utilisons dans la gestion de ce pays. Tous les acteurs politiques doivent en tout temps avoir présent à l’esprit que nul n’a le titre foncier du Bénin, il est à nous tous. Et dans ce sens, permettez-moi une fois encore d’insister sur la nécessité, en vertu de ce que je viens de dire, de corriger un certain nombre de tours de vis ou de passages en force que nous avons imposés à ce peuple et qui n’ont eu comme résultats que de contribuer à sa division. Le cumul des frustrations ne peut conduire qu’au chaos, surtout si ces frustrations affectent les individus dans ce qu’ils ont de fondamental et de plus cher, en l’occurrence la liberté et les droits civiques.

Dans ce sens je dirai que la crise tridimensionnelle que traverse notre pays aujourd’hui est en grande partie due à cela. Je voudrais humblement attirer l’attention de nos politiciens sur la nécessité de mettre de l’eau dans leur vin, car la haine ne supprime pas la haine, seul l’amour peut y parvenir et, dans le cas d’espèce, cet amour peut naître de cinq choses fondamentales à savoir une révision de la constitution largement partagée par les différentes couches de notre population, parce que consensuelle et non précipitée voire opportuniste comme cela a tout l’air aujourd’hui, car on ne peut pas prétendre faire le bonheur de quelqu’un sans lui en définir clairement au préalable les contours.

C’est le minimum avant tout vote à l’Assemblée et rien ne nous presse dans la réalisation de ce projet. La tournure de la situation au Sénégal doit nous prouver que mieux vaut utiliser une démarche consensuelle qu’une démarche maligne. Cela finit toujours par se retourner contre ses auteurs ; une correction des innombrables irrégularités contenues dans la Lépi par respect de la parole donnée et librement consentie par toutes les forces politiques comme préalable à leur participation aux dernières présidentielles. Le droit de vote est un droit civique fondamental et nul ne peut en priver un citoyen.

Or jusqu’à ce jour, personne ne connaît le nombre d’électeurs ayant participé à ces élections, pire des centaines de milliers de béninois n’ont pas été pris en compte et n’ont pas pu exercer leur droit civique. À partir de là, le citoyen lambda quelque peu formé à l’arithmétique élémentaire peut se poser la question de savoir par quel miracle nous avons pu déterminer les pourcentages obtenus par les candidats respectifs sans connaître le nombre des électeurs ?

Trouver une fraction sans en connaître le dénominateur ? N’est-ce pas renverser l’arithmétique sur la tête ? Rectifions alors le tir au plus tôt ; une correction de la gouvernance actuelle avec l’introduction d’une véritable politique de lutte contre la corruption et non la propagande gouvernementale menée par des hommes et des femmes qui ont depuis perdu leur crédibilité dans le domaine. Au fait, peut-on nous dire combien de ministres ont acheté des villas Cen-Sad ? Et sur la base de quelles ressources ? Au plan économique, une meilleure maîtrise des finances publiques, l’assainissement de l’environnement économique pour le rendre plus compétitif dans la sous-région.

 Nous devons reconnaître que depuis le 6 avril 2011, le gouvernement n’a encore pris aucune mesure financière ou économique à la hauteur des enjeux du moment. Au plan social, il urge de mettre en oeuvre une solidarité plus grande envers les plus vulnérables, car la misère actuelle est épouvantable et risque fort de tout décimer sur son passage si aucune mesure n’est prise pour l’endiguer quelque peu.

Je n’interviens pas souvent parce que voulant toujours rester dans ma position d’observateur critique de la vie politique, économique et sociale de mon pays. J’ai donc accepté de le faire aujourd’hui, pas pour aller contre quelqu’un, mais juste pour ne pas trahir mes convictions d’intellectuel ayant beaucoup reçu de son pays et devant en retour beaucoup lui donner. C’est ma modeste contribution aux réflexions actuellement en cours dans mon pays.

Entretien réalisé par

Jean-Claude DOSSA

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