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Le triomphe de la vérité

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Interview avec le politologue béninois, Mathias Hounkpè:« Il faut assouplir les procédures de poursuite des ministres »


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Le politologue béninois, Mathias Hounkpè

Il est un politologue connu pour ses observations sur la vie politique nationale. Son nom, c’est Mathias Hounkpè. Au sujet de la révision de la constitution, l’homme exprime ses inquiétudes et propose des aménagements à la Haute Cour de Justice.

L’Evénement Précis : Le débat qui agite le peuple béninois aujourd’hui, c’est la révision de la constitution. Mais nous allons nous intéresser fondamentalement à la question de l’opportunité ou non de la Haute Cour de Justice. Quel est votre avis par rapport à cette institution ? Est-ce qu’elle vaut la peine d’être maintenue dans le projet de Constitution soumise à la révision ?

Mathias Hounkpè : Je voudrais avant de répondre à la question dire que je comprends très bien que cette question soit posée. Parce qu’on a beaucoup d’autres institutions par rapport auxquelles personne n’a demandé s’il faut maintenir ou non. Parce que les sentiments que nous avons c’est comme si l’institution ne sert à rien.

Mais je veux vous rassurer que ce n’est pas facile. Parce que ce n’est pas seulement au Bénin. Je ne sais si vous vous rappelez combien de fois en France les présidents sont allés devant la haute cour de justice. Je pense qu’il n’y en a presque pas. Aux Etats-Unis, combien de fois, des hommes d’Etat, des présidents qui se retrouvent dans certaines situations comme Bill Clinton, sont traduits devant une haute juridiction ? Je dirai que c’est très rare. Et donc dans toutes les démocraties, c’est très rare d’amener des hommes d’Etats à un certain niveau, devant des instances pour les juger. C’est l’hypothèse avec laquelle il faut réfléchir.

 On vient au Bénin. Le problème est encore un peu difficile. Parce que vous savez, une institution comme la haute cour de justice est une institution qui doit à la fois aider à juger mais elle doit avoir aussi une dimension politique. C’est pourquoi d’ailleurs vous voyez qu’au niveau de la Cour, à peu près la moitié des membres qui la composent, c’est-à-dire 6 de ses membres viennent de la cour constitutionnelle qu’on considère grosso modo comme des techniciens. Et vous avez 6 autres qui viennent de l’Assemblée nationale conformément à la configuration politique. Il faut tenir compte de la configuration politique du moment pour décider de la manière dont on juge un homme politique de ce niveau-là. De quoi a-t-on peur ?

Ces politiques utilisent ce genre d’institution pour se régler des comptes. Vous voyez pourquoi ces genres d’institutions sont difficiles à mettre en œuvre. Il faut pouvoir lui permettre d’amener à rendre compte les hommes d’Etats, les Présidents, les ministres qui ne se comportent pas comme il faut dans la gestion des affaires de la cité. Dans le même temps éviter qu’elle soit un instrument qu’on puisse utiliser facilement pour se régler des comptes politiques.

Vous convenez donc avec moi que la lourdeur de la procédure de saisine de l’institution pose problème. En tant que politologue, que pensez-vous qu’on peut y changer pour la rendre plus active ?

Je ne veux pas être très précis parce que je n’ai pas lu ses dispositions il y a un moment mais je peux vous dire que par exemple au Bénin, on a besoin de clarification de la procédure. Vous vous rappelez à chaque fois que le problème s’est posé d’aller devant la haute cour de justice, on ne sait pas vraiment qui initie la procédure. La deuxième chose, je crois que les membres de la cour eux-mêmes ont à un moment donné attiré l’attention sur le fait qu’on a besoin de clarifier, de préciser le dispositif légal pour leur permettre de mieux travailler.

 Donc, je pense que pour le premier travail à faire, c’est la clarification de la procédure. Qu’on sache par exemple qui a autorité à initier une procédure vis-à-vis du Président. On connait les grandes étapes. C’est-à-dire qu’il faut commencer au niveau de l’Assemblée qui vote au 2/3 pour demander n’est-ce pas qu’on mette en accusation le chef de l’Etat. Il faut aller faire une investigation et revenir avec les éléments afin que l’Assemblée vote à nouveau.

Je crois pour la première chose, il faut déjà clarifier la procédure, la deuxième chose il faut peut-être réduire un tout petit peu l’implication de la politique. Vous voyez déjà que le vote à l’Assemblée intervient déjà deux fois. Avant d’aller au moment où vous faites le jugement, vous devez obtenir la majorité à l’assemblée. Vous savez très bien comment ça se passe à l’assemblée nationale, ça c’est déjà difficile. La troisième chose que je voulais ajouter, on peut essayer, je n’ai rien contre qu’on protège les Chefs d’Etat parc que c’est quand même une position sensible et qu’il ne faut pas les dédouaner lorsqu’ils présentent des écarts de conduites dans la gestion de nos affaires.

Mais on peut au moins réduire ou assouplir les procédures en ce qui concerne les ministres. Parce que c’est plus facile d’amener les ministres devant ces institutions que de les soumettre au même type de contrainte que les présidents. Je pense que ça nous aiderait déjà parce qu’en règle générale, lorsque le gouvernement pose des actes de mauvaise gestion, c’est souvent par les ministres. Puisque le président ne gère rien directement lui-même. Donc si on peut avoir les moyens d’arrêter plus facilement, de mettre en accusation et de sanctionner les ministres, je crois que ça peut régler un tout petit peu les problèmes de la mauvaise gouvernance que nous avons.

A travers le Wanep-Bénin, la société civile estime qu’il faut désormais soustraire les infractions liées aux crimes économiques de la compétence de la haute cour de justice aux fins de les soumettre à la compétence des juridictions ordinaires. Quel est votre avis par rapport à cette proposition ?

Disons que dès que la personne est en fonction, c’est ça la question, et que les actes qu’elle pose sont liés à la fonction, liés à sa charge. C’est donc très difficile de séparer les infractions de crimes économiques des autres infractions qu’elle aura commis. Ces avocats peuvent facilement te démontrer que vous ne pouvez pas séparer et qu’il ne peut être jugé que devant la haute cour de juridiction.

Il y a un élément qui existe déjà aujourd’hui parce que dans la loi contre la corruption qui a été votée, je n’ai pas bonne souvenance des dispositions précises. Je crois qu’on est en train de parler d’imprescriptibilité des crimes économiques. Ça veut dire qu’on ne peut pas jouir de la prescription de ces infractions. C’est un délai au delà duquel on se dit qu’on ne peut plus vous poursuivre pour les crimes économiques, et je crois que c’est un moyen si on veut être sérieux, pour continuer à poursuivre les gens une fois qu’ils ont quitté la charge.

Surtout si vous êtes ministre au Bénin à part des cas exceptionnels, la moyenne de durée que vous faites aux affaires c’est entre deux ans et trois ans. C’est le cas depuis bien longtemps au Bénin. Donc je pense que les ministres ne sont pas si protégés que ça. Si naturellement les crimes qu’ils commettent ne sont pas prescriptibles, si par exemple ils ne sont pas protégés, je crois qu’ils sont faciles à rattraper par ce qu’ils ont fait.

Autrement dit la position de la société civile par rapport à cette question parait aussi ambiguë et confuse ?

Je crois que ça pourrait être difficile à mettre en œuvre. Mais une fois encore, ça dépend de la capacité de ceux qui veulent mettre ça en œuvre. Vous savez, il ne faut pas limiter le caractère réalisable de quelque chose à votre capacité de compréhension à vous seul. Peut- être que moi je ne vois pas immédiatement comment ça va se faire. Mais il est possible que s’ils articulaient mieux leur proposition, que ça soit faisable.

D’aucuns pensent également qu’il vaut mieux en faire une institution ad’ hoc qui ne siègerait que lorsqu’il y aurait des éléments pour lesquels elle devrait se prononcer. Etes-vous d’avis ?

Moi je pense que telle qu’elle est maintenant, elle fonctionne un peu comme une institution ad’hoc. Je ne crois pas que ce soit une institution installée une fois pour de bon comme le parlement qui fonctionne quand elle veut ou comme la cour constitutionnelle. Les membres de cette institution sont des animateurs d’autres institutions. Donc ils sont des membres non réguliers. De mon point de vue en réalité, cette cour ne fonctionne que lorsqu’il y a des cas avérés. S’il n’y a pas de cas donc ils ont de rencontres périodiques comme pour toute institution pour faire le point sur ce qu’ils font.

Ils ont peut-être une administration. Si c’est de ça qu’on veut parler, je ne crois pas que ça suffit pour justifier par exemple qu’on la considère comme une institution ad’hoc. Parce que quand vous rendez une institution ad’hoc, ça a également ses conséquences. Disons que le fait que l’institution existe et est pérenne à des avantages et des inconvénients. Par exemple le coût peut être un inconvénient si l’institution ne fonctionne pas de façon continue. Mais quand vous la rendez ad’hoc, ça a aussi également ces inconvénients. Je pense que c’est à nous de voir. Je ne suis pas dogmatique par rapport à cette question.

Je n’ai pas une position fixe. Il suffit de montrer qu’on a bien pesé le pour et le contre qu’on a choisi la voie qui nous arrange. Qu’on ne laisse pas seulement le coût être le déterminant de tout ce que nous faisons. La démocratie coûte chere. Donc il est possible qu’on emprunte des chemins qui sont un peu couteux mais qui sont les seuls qui s’offrent à nous pour régler des problèmes précis. L’essentiel est qu’on soit sûr que les problèmes sont réglés et que les coûts soient justifiés.

En guise de conclusion, vous allez nous dire un peu ce qui vous gène fondamentalement par rapport à la révision actuelle qui s’effectue.

Moi la chose fondamentale qui me gène, c’est que je n’ai pas le sentiment qu’on veut laisser le temps aux débats. Moi je pense que la révision de la constitution est quelque chose d’extrêmement important. Et qu’on doit éviter de considérer ça comme n’appartenant qu’à un groupe d’individus. Il faut permettre au débat d’avoir lieu. Permettre au débat d’avoir lieu, c’est créer un environnement et laisser un temps.

Parce que vous ne pouvez pas vous lever et dire comme nous avons la majorité des 4/5 à l’Assemblée nationale, là on peut faire passer en une semaine la révision de la constitution et continuer notre chemin. Et ceci est d’autant plus important pour moi parce qu’à mon humble avis, la moitié des dispositions du texte actuellement soumis à l’Assemblée nationale méritent d’être débattues. Que tous ceux qui ne sont pas d’accord et qui ont des arguments à faire valoir sur le texte actuel, qu’on leur donne l’occasion de l’exprimer. Que ce soit au parlement, que ce soit à travers les médias, qu’on laisse la possibilité aux gens.

Moi j’inciterais par exemple les députés, même s’ils disposent la majorité qualifiée qu’il faut pour réviser la constitution par eux- même, de créer des opportunités pour débattre du texte. Ils n’ont qu’à payer des espaces sur les médias et identifier les personnes capables de faire ce débat et que publiquement qu’on prenne point par point les dispositions concernées et qu’on explique réellement les motivations des modifications proposées. Au moins il faut que le peuple soit édifié par rapport à la pertinence de la révision qu’on veut faire. Parce que si on révise la constitution sans être en mesure de dire quel est le bien que cela apporte, ça serait un danger et on doit l’éviter à tout prix.

Entretien réalisé par

Donatien GBAGUIDI et Flore S. NOBIME

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