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Le triomphe de la vérité

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Rencontre avec Bokonon Kouwanou Yao Dénis alias Gbèdégbé, consultant du Fâ depuis 20 ans:« Le Fâ est un don de Dieu avec lequel on ne saurait faire du mal »


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Bokonon Kouwanou Yao Dénis alias Gbèdégbé, «Ce que je sais, c’est qu’à travers les consultations, nous pouvons discuter avec les morts...»

Sur mon insistance, le redoutable Bokonon (Consultant du Fâ) dit Gèdégbé résident non loin du Commissariat d’Agla dans la maison Alonomba accepte de me parler. Avec lui, nous avons scruté cet univers fait d’interdits et de secrets. Des révélations, ce consultant du Fâ en a sérieusement fait. Sans briser les tabous ni les interdits, il parle de ses exploits depuis 20 ans, ses succès et ses échecs et surtout des combats quotidiens auxquels sont confrontés les Bokonon avec les forces du mal. Notez bien : c’est une interview entièrement réalisée en langue locale « Fon » que nous avons fidèlement traduite en français.

L’Evénement Précis: Vous êtes un Consultant du Fâ depuis déjà 20 ans. Dites-nous : comment apprend-t-on le Fâ tout en étant analphabète ?

Bokonon Gbèdégbé: Comme vous le dites, je me suis engagé dans la consultation du Fâ il y a effectivement 20 ans aujourd’hui. Ceux qui m’ont initié à cette activité ont noms Bokonon Vognon, Bokonon Kpossin, Bokonon Dègnon, Bokonon Doukpé, Bokonon Houèdji et bien d’autres anciens de la profession. J’avoue que je ne me mesure pas à eux, mais je fais de mon mieux pour donner satisfaction à ceux qui se confient à moi.

A la question de savoir si on peut être analphabète et apprendre et mieux comprendre le Fâ, je vous répondrai que c’est totalement possible. En réalité, ce sont ceux qui ne connaissent pas papier qui comprennent mieux le Fâ. C’est une science intégrée à la tradition. Et la tradition, ce n’est pas une affaire exclusive de ceux qui sont instruits.

Vous êtes d’Aklankpa et vous avez fait vos premières consultations là-bas. Pourquoi avez-vous finalement pris la résolution de quitter votre village natal où vous pouvez sauver beaucoup de gens pour vous installer à Cotonou depuis des années ?

Vous avez raison de poser une telle question. Mais mon arrivée à Cotonou n’est pas anodine. Si j’ai quitté Aklankpa, mon village natal pour venir m’installer à Cotonou, c’est bien grâce à mon professionnalisme en matière de Fâ. Sans me vanter, grâce au sérieux dont je fais preuve dans mes consultations, j’ai été identifié par un homme. Il s’appelle Vissoh Philippes. C’est lui qui m’a amené à Cotonou depuis 10 ans déjà. Et le but qu’il visait, c’est de m’aider à mieux profiter de ce que je fais et que je sais bien faire d’ailleurs. Mais cela ne m’a pas empêché d’aller de temps en temps à Aklankpa pour faire des mois afin de satisfaire les miens.

Sinon, lorsque j’ai appris le Fâ, je n’avais pas pour ambition de faire des consultations pour les populations. Mon objectif, c’était de faire exclusivement des consultations pour ma famille en vue de son bien-être. Mais compte tenu de ma dextérité et de mon professionnalisme en la matière, les populations d’Aklankpa ont fini par me découvrir et peu à peu, des gens viennent me consulter sur leurs problèmes.

Il y a un rituel qu’on appelle « Fâ yiyi » après lequel on consacre un initié du Fâ. Comment cela s’opère-t-il ?

Il y a plusieurs sortes de rituels « Fâ Yiyi ». C’est le rituel qui consiste à l’installation du Fâ dans une maison donnée qu’on appelle « Fâ yiyi ». C’est cela qu’on appelle « Fâ sinsin ». Le Fâ sinsin en question permet de donner les rudiments nécessaires à une personne pour pouvoir opérer des consultations au sein de sa famille. Pour le « Fâ yiyi » donc, avec une somme forfaitaire de 30.000FCFA, on peut opérer ce rituel. Mais le rituel « Fâ titè » qui consiste à donner le Fâ à une personne qui peut à son tour être appelé Bokonon est beaucoup plus cher que ça.

Ce rituel, selon les cas peut faire intervenir des poulets comme des moutons ou même du porc. Tout dépend de ce que réclament les divinités après consultation. Mais la vérité, c’est qu’on ne peut le faire à moins de 300.000Fcfa. Cela nécessite beaucoup de dépenses.

Pourquoi le « Fâ titè » est-il si cher ?

Comme je vous l’ai dit, cela nécessite beaucoup de dépenses. Il ne s’agit pas uniquement d’un mouton ou d’un poulet. C’est peut-être 7 différentes catégories de moutons, de poulets ou même des porcs qui interviennent dans ce rituel. Vous savez bien combien coûte un seul mouton. Ne parlons pas des porcs ni des poulets. Tout cela fait partie des dépenses à effectuer. Et il y a encore différentes catégories de nourritures qu’on doit préparer. Pour ce rituel, il faut également mobiliser tous les Bokonon de la localité. Je pense que c’est donc normal que le «Fâ titè» soit aussi cher.

On raconte que les Bokonon voient dans les ténèbres et ont même la capacité de discuter avec les morts. C’est le cas chez vous ?

J’en entends parler. Mais moi particulièrement je ne vois pas physiquement les morts. Ce que je sais, c’est qu’à travers les consultations, que nous pouvons discuter avec les morts. Il ne s’agit pas d’une discussion comme ce que nous sommes en train de le faire. Mais c’est une discussion à travers le Fâ. Autrement dit, il ne s’agit pas d’une rencontre physique qu’on effectue avec les morts. C’est le Fâ consulté, qui par le « Dou », parle des défunts, des esprits, du dan (serpent) ou autres choses spirituelles.

Dites-moi franchement, vous est-il arrivé de recevoir quelqu’un qui vous propose une forte somme d’argent pour éliminer une personne qu’il estime dangereuse pour sa vie ?

Je vais être franc ave vous. On en reçoit beaucoup. Mais le Bokonon est comme un médecin. Comme le médecin donc, le Bokonon ne tue pas, mais il ne fait que guérir les malades. Le Fâ est un don de Dieu avec lequel on ne saurait faire du mal. Pour être clair, on ne se sert pas du Fâ pour tuer un être humain. Même si tu es un ennemi à un Bokonon, il doit pouvoir te guérir s’il arrivait que tu te réfères à lui.

 Je puis vous dire donc que moi particulièrement, je n’ai jamais tué quelqu’un dans ma vie. Mais il y a une nuance que je dois faire. Lorsqu’après consultation, le Fâ réclame du consultant des sacrifices et qu’il obtempère et par la suite, on apprend que celui qui le pourchasse meurt, ce n’est plus le Bokonon qui a tué. Cette situation peut arriver si les dieux estiment nécessaire la mort de celui-ci avant que le consultant du Fâ ne retrouve sa santé normale.

Soyons objectif. Excusez-moi si je suis trop curieux dans mes questions. Vous êtes actuellement en location. Imaginons un instant que quelqu’un vienne vers vous et vous demande d’éliminer un de ses ennemis et en échange, il se propose de vous acheter une parcelle à Cotonou sur laquelle il prend l’engagement de vous construire une belle maison. Ne seriez-vous pas tenté ?

Je serais énergique dans ma réponse. Si je ne dois que tuer quelqu’un pour bénéficier de ces biens-là, je ne le ferai jamais. Je préfère ma situation de locataire à une telle pratique. Je vais vous dire une chose. Au-delà de tout, la nature a ses interdits. Lorsque vous les brisez, attendez vous sûrement à des représailles. Celui qui tue, s’il ne le paie pas lui-même, ses enfants vont le payer. Pour avoir fait 20 ans de pratique du Fâ, j’ai beaucoup vu dans ma vie et je pense qu’il vaut mieux respecter les lois de la nature.

On raconte que très souvent, vous êtes tenté par les esprits maléfiques contre lesquels vous livrez des combats de délivrance pour le compte de leur victime. Avez-vous une fois subi la colère de ces esprits là ?

Ça, c’est fréquent d’ailleurs. Par exemple, après avoir guéri quelqu’un grâce à mes connaissances en matière du Fâ, j’ai été attaqué spirituellement. J’avais même été victime d’un grave accident au bout duquel j’ai survécu. Je garde sur moi les séquelles sur mon front. Je devrais mourir, mais grâce à Dieu, j’ai survécu. Il y a de cela 4 ans déjà. Il arrive parfois que nous fassions des sacrifices et la nuit, nous n’arrivons pas à dormir.

On est terriblement troublé par les esprits maléfiques contre lesquels les sacrifices ont été consentis. C’est l’un des prix à payer quand vous avez décidé de guérir les gens de leurs ennuis sanitaires et spirituels. En personne avertie, nous même nous nous préparons à ces éventualités.

Vous est-il arrivé d’être récompensé par quelqu’un que vous avez guéri de par vos pratiques ?

C’est pratiquement de ça que nous, on se nourrit. Je ne peux pas vous compter le nombre de personnes qui grâce à moi sont allées aujourd’hui à l’extérieur. Et c’est bien grâce au Fâ. Pour vous dire vrai, même la tenue dans laquelle je suis actuellement, c’est une femme qui me l’a cousue. Pourquoi ? Juste parce que grâce au Fâ, elle a eu entière satisfaction des ennuis pour lesquels elle était venue me voir.

Dites-moi franchement, combien de gens vous ont consulté, mais qui en dépit de tout ce que vous aviez fait pour les sauver, sont décédés par la suite ?

Je ne vais pas vous mentir en disant que de pareils cas, je n’en ai jamais connus. Mais ce que je sais, c’est très rare. Je peux bien les compter. Depuis 20 ans que je pratique le Fâ, j’ai fait face à 3 cas comme ça. Comme je vous l’ai dit au départ, le Bokonon est comme le médecin. Il peut donc arriver que par la suite d’un bon traitement, le médecin perde son patient. C’est pareil chez le Bokonon.

Il y a un rituel que l’on remarque dans certaines sociétés. Il est baptisé « Sè kpikpé », un cérémonial au cours duquel devant tout le monde, le Bokonon initie une conversation entre un défunt et les vivants pour savoir davantage les réelles causes de son décès. Le faites-vous aussi ?

Ceux qui font de pareils rituels sont appelés « San yin Bokonon ». Ils sont en réalité nos patrons en matière de consultation. Eux ils sont de véritables charlatans, mais nous autres, nous sommes des consultants du Fâ. En réalité, on se complète. C’est à l’aide d’une jarre renversée qu’on appelle le défunt qui à haute voix parle à l’assistance et donne d’amples explications sur les vraies raisons de son décès.

Un mot pour conclure cet entretien

Je voudrais vous remercier d’avoir initié cet entretien pour nous permettre à nous autres qui ne sommes pas instruits, mais qui grâce à nos connaissances faisons beaucoup de choses pour sauver l’humanité des griffes des esprits maléfiques. Je voudrais rassurer vos lecteurs et les Béninois en général que le Fâ, nous le connaissons vraiment. Ce n’est pas pour nous vanter. Si vous avez des ennuis, n’hésitez pas.

Moi je suis à Agla, juste à côté de l’Eglise dite « Maison blanche », non loin du Commissariat d’Agla. Quiconque veut trouver des solutions à son avenir, qu’il vienne seulement là et demande à aller dans la maison Alonomba. Il me trouvera et je pense que par l’aide de nos ancêtres et du Dieu Tout-puissant, il trouvera satisfaction à ses problèmes.

Propos recueillis par

Donatien GBAGUIDI

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