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Le triomphe de la vérité

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Entretien avec Togbé Cyriaque Agonkpahoun:« Les programmes immobiliers doivent diversifier leurs produits »


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A Lokossa ou ailleurs, les logements sociaux initiés par le gouvernement tendent à devenir un éléphant blanc. Des programmes immobiliers lancés par certains privés sont sans suite. Le logement est en souffrance au Bénin. Les programmes immobiliers semblent ne pas répondre aux réalités sociales et techniques. Togbé Cyriaque Agonkpahoun, consultant en montage d’opérations, en aménagement, urbanisme et immobilier sur les échecs des politiques de logements au Béninanalyse la situation. Avec son allure critique parfois acerbe et sans parti pris, il met chaque chose à sa place.

L’Evénement Précis: Face aux besoins énormes sur le terrain, on constate que les programmes immobiliers ne prospèrent pas…

Togbé Cyriaque Agonkpahoun: Avec la volonté du Chef de l’Etat de mettre à la disposition des Béninois des logements, cela a été réalisé, mais il n’y a pas de preneur parce que c’est une opération mal montée. C’est une ratée.

C’est trop fort !

Une opération, ça se pense. Ici c’est une opération qui ne motive pas. L’acheteur d’une maison est nourri d’un certain nombre de rêves. Il faut donc qu’il soit motivé. Or celui qui veut acheter une maison n’est pas celui qui a pris part à la construction. Quelques éléments de l’aspect extérieur du bâtiment déterminent sa décision. C’est juste 20% d’éléments extérieurs de l’ouvrage qui motive le futur propriétaire dans sa décision d’achat.

Les pouvoirs publics qui ont la charge de la promotion de ces programmes immobiliers ne jouent donc pas leur rôle…

C’est une grosse erreur que le pouvoir public se mêle à ces questions de programmes immobiliers. C’est vrai que la question du logement doit préoccuper l’Etat au plus haut niveau. Mais quand l’Etat pense à ces choses, il doit faire appel aux privés. Chaque fois que l’Etat s’y ingère, c’est l’échec garanti. Il ne sert donc à rien que nous fassions une telle expérience. Cela ne marche pas. L’Etat pense et délègue aux privés.

En tant que spécialiste du domaine, est-ce que vous voulez dire par là que le ministère en charge de l’habitat ne joue pas réellement son rôle ?

Ce ministère doit normalement jouer un rôle de coordination. En principe cela devrait s’arrêter là. Moi en tant qu’observateur averti, quand je voie les organes de l’Etat s’impliquer dans des dossiers que le privé doit normalement penser, concevoir, piloter, gérer et conduire vers l’aboutissement, je me dis que l’échec se dessine. Et j’ai toujours eu raison sur les observations que je fais. Différents exemples à Porto-Novo, Adjarra, Sèmè-Kpodji, Lokossa et ailleurs me donnent raison. Leur durée infinie jusque-là est la preuve que ce n’est pas bien monté.

Faut-il accuser le ministère en charge de l’habitat et de l’urbanisme et la délégation à l’aménagement du territoire. Est-ce qu’il n’est pas temps d’évaluer ces structures ?

Je vais vous surprendre en disant que je crois que les structures ont raison. Il y a un chevauchement d’actions au niveau de ces structures. Qui doit faire quoi, comment et quand ?

On devrait écrire une politique pour tout réglementer. Il urge que nous fassions cela afin de disposer de ce qu’on appelle les plans locaux pour l’habitat (Plh) qui prescrivent ce qu’il y a à faire quand, où, comment et par qui. Les Plh sont les premiers outils que les communes doivent avoir à leur disposition. La disponibilité des textes peut déjà susciter des investisseurs.

N’est-ce pas un argument pour dédouaner ces structures notamment la délégation à l’aménagement du territoire ?

Ce n’est pas du tout cela. Moi j’ai toujours eu l’impression que la délégation à l’aménagement du territoire ne joue pas son rôle. Apparemment elle s’occupe presque exclusivement de l’espace rural. Le territoire, c’est aussi la zone urbaine, la zone à urbaniser, la zone rurale, la zone forestière.

Mais j’ai l’impression que c’est surtout la zone rurale qui est sa cible. Si elle savait qu’elle devrait normalement intervenir sur tout le territoire, elle réaliserait beaucoup de choses. Voyez aujourd’hui l’autorité que la direction nationale des marchés publics impose de fait et on ne peut rien entreprendre en matière d’engagement de l’argent de l’Etat sans son autorisation.

C’est comme cela que la délégation à l’aménagement du territoire doit fonctionner et s’imposer. Si on touche au territoire sans son avis, c’est comme si on blesse le territoire et l’auteur de cette infraction pourrait être poursuivi.

Si la délégation à l’aménagement du territoire était efficace, cela faciliterait la mise en œuvre d’une politique de logement et la réussite des programmes immobiliers ?

Je ne suis pas encore dans un objectif d’évaluation du fonctionnement de la délégation à l’aménagement du territoire. En tant que spécialiste et observateur de la chose, je dis que les grandes décisions appartiennent aux politiques, mais ça tarde à venir par manque de courage.

Ce n’est pas un secret que la mise en place d’une politique foncière est encore à la traîne au Bénin parce que cette volonté politique très forte manque. Or le jour où nous allons maîtriser le foncier, nous allons baisser le coût du foncier et le coût des constructions. Cela veut dire que sans la maîtrise du foncier pas de logement à bon prix pour tous.

Le programme de construction de logements sociaux dans diverses localités du Bénin depuis quelques années est à la traîne…

Parce que les programmes immobiliers n’offrent qu’une seule typologie de produit. Il faut une variabilité des produits dans ce domaine de logement.

C’est-à-dire ?

Une diversification des produits. Nous faisons du mono produit jusqu’à ce jour. Pour devenir propriétaire de sa maison, il y a en fait plusieurs possibilités. Il y a le logement socio-locatif de longue durée avec des loyers conventionnés. Il y a des logements en accession à la propriété à coût maitrisé parce que l’Etat doit toujours maintenir son influence et enfin les logements en promotion.

Soyez moins technique

L’implication de l’Etat pour commencer par imposer une mixité de produits est nécessaire. J’ouvre un programme immobilier, cela m’oblige à faire un peu de social. Les promoteurs immobiliers ont nettoyé le social au profit d’une visée économique pure. C’est aussi des causes d’échec.

L’Etat leur accorde des facilités. Il n’achète pas le terrain. Cela devrait les obliger à faire un peu du social. Les coûts des locations sont énormes à Cotonou et l’aspect social permet de réguler. Ce sont les logements socio-locatifs de longue durée qui participent à cela. Il y a aussi des logements avec accession à la propriété à coût maitrisé où le locataire devient propriétaire à la longue par le payement de ces loyers et une certaine somme.

C’est une transition de la location vers la propriété. Il y a enfin ce qui se passe aujourd’hui où la maison est construite et on l’achète directement par la promotion.

Une politique de logements sociaux devrait donc réguler les coûts de loyers. Ce qui n’est pas le cas

Oui. Mais il y a un lobbying des privés et des politiques qui n’arrange pas. Même l’Etat loue aussi des immeubles pour abriter des ministères. C’est de l’aberration. Sur ce plan moi j’ai un bon produit et s’il m’était donné de le proposer à l’Etat, je le ferais au moment venu.

Cela consiste en un partenariat de sorte qu’au lieu que l’Etat demeure locataire, on met à sa disposition des bâtiments construits, bien sûr sur son foncier, qu’il paye progressivement. Le loyer qu’il verse sert à l’achat. C’est un montage juridico-financier très complexe que seul le spécialiste maîtrise.

De quel type de programme immobilier le Bénin a besoin aujourd’hui ? Est-ce qu’on peut dire qu’il y a une politique d’habitat au Bénin avec des déclinaisons bien fixes ?

Il y a un petit discours que nous devons commencer par tenir. Nous ne pouvons plus continuer à avoir les mêmes habitudes. L’enjeu est qu’il faut pouvoir consommer moins, améliorer notre confort de vie et le rendre accessible à tous. Quand il y a problème, il faut avoir une approche participative.

 Il faut envisager une table ronde pour remettre les réflexions à niveau. Le logement fait partie des cinq besoins fondamentaux. Même avec une politique élaborée, si une seule donnée évoluait, du point de vue démographique, il faut penser à une évaluation pour parvenir à une adaptation.

Alors s’il l’opportunité vous est offerte de donner des conseils aux promoteurs immobiliers que leur diriez-vous ?

Le métier de promoteur immobilier n’est pas un métier banal comme nous le pensons. C’est un métier à risque. On ne gagne que si on réussit à vendre le dernier logement. Quand le projet n’est pas bien pensé alors il y a des risques de dépression du marché ou bien il construit et ne retrouve plus de locataire ou d’acheteur.

 Il y a aussi le risque de mettre de mauvais produits sur le marché ou bien de mal choisir les emplacements. C’est pourquoi il faut être spécialiste. Quiconque veut investir dans ce domaine doit solliciter les services d’un consultant en montage de produits immobiliers qui, avant le lancement, se posent un certain nombre de questions en tant que concepteur et en se mettant dans la peau du futur propriétaire.

Ce qui permet d’aider le futur propriétaire à concrétiser les rêves qu’il nourrissait. Pour cela, il faut déjà dans la conception respecter certains critères pour le bien de l’acquéreur qui veut avoir un patrimoine pérenne. Il veut aussi imprimer son identité à une localité donnée. Il pense au futur en y intégrant ses enfants. Il faut qu’il ait la joie et l’émotion d’être propriétaire dans cette maison. Avoir aussi une infrastructure sans risque, mais avec du confort est aussi sa préoccupation. Le défaut d’acquisition des logements est dû au fait que nos constructions sont trop monotones. Nous n’intégrons pas le concept du développement durable dans ce que nous faisons.

C’est aussi bon de gérer l’espace pour les générations futures en évitant l’abus au profit de la hauteur. Il ne faut pas non plus que les promoteurs immobiliers attendent de construire avant de vendre. Ils peuvent vendre avant de construire. Il est même possible pour une société immobilière de mener son opération sans avoir recours à une banque. Cela dépend du type de montage financier. Avec un bon marketing et un projet intéressant, les acquéreurs payeraient à travers leurs banques.

Mais là l’acquéreur ne doit pas être obligé d’aller acheter du pain loin de chez lui. Il faut prévoir sur le site des commerces et des infrastructures socio-commautaires. Si une association de consommateurs de produits immobiliers existait, cela contribuerait à valider les plans et défendre les intérêts des acquéreurs.

Vous êtes très critique et parfois même très acerbe. N’est-ce pas une manière d’éviter d’aller au charbon pour bouger les choses?

Je ne peux pas aller bouger les choses si on ne me donne pas les moyens. Il faut être d’abord dans une position donnée. Moi je n’ai pas attendu l’Etat pour diversifier ma compétence. C’est par révolte par rapport aux irrégularités ambiantes que j’ai décidé d’aller approfondir mes études alors que j’avais déjà mon entreprise et je gagnais bien ma vie.

 Je n’ai pas peur d’aller au charbon. Je souhaite même me retrouver à certains niveaux pour partager mes points de vue, contribuer à changer les mentalités, aider à prendre les bonnes décisions et participer à mener une politique dans le bon sens au profit des populations et du développement du Bénin. Dans l’intérêt du pays, la disponibilité doit être permanente pour penser à des réformes. C’est ma devise.

Un ministre par exemple

Il ne faut pas aller pas si vite. Mes ambitions ne se réduisent pas à un poste ministériel. En plus, je ne pense pas qu’un ministre soit réformiste. C’est beaucoup plus un poste politique. Il faut un bureau de législation foncière et immobilière pour bouger les choses en tenant compte des nouveautés et des réalités socio-culturelles. Cela permet d’écrire les lois, vulgariser ces lois, vulgariser les bonnes habitudes dans ce domaine, etc. C’est ce qui est important.

Finalement, vous défiez les anciens. C’est comme s’ils n’ont rien fait et qu’il faille aller aujourd’hui à la vitesse d’un TGV.

Ils ont œuvré. Peut-être qu’ils n’ont pas été accompagnés par les décideurs. Nous sommes aujourd’hui à l’heure de la prise de conscience. Même l’Etat doit obtenir un permis de construire avant de travailler sur un territoire. Parce que les lois sont absentes ou pas contraignantes, l’Etat même abuse.

L’Etat construit même sur des terrains litigieux. C’est dangereux. A qui la faute ? Nous sommes sur un territoire déréglé. La question est maintenant de savoir avec qui régler et comment. Je crois que l’allure que le chef de l’Etat donne à la gouvernance depuis son investiture en avril dernier redonne espoir. On sent qu’il veut vraiment aller vite et bien et émerveiller les Béninois. Il faut l’accompagner dans ce sens.

Pour vous joindre ?

On peut me contacter par email à l’adresse togbe_agonkpanhoun@yahoo.fr ou par téléphone au 95 06 41 44. Je m’apprête à sortir un livre qui sera au service des collectivités locales et des spécialistes du développement local afin de les aider à mieux comprendre, gérer et maîtriser le territoire afin d’en tirer profit et intérêts.

Propos recueillis

A. P. Virgil HOUESSOU

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