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Le triomphe de la vérité

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Sébastien Azondékon, Professeur Titulaire d’économie et de gestion au Canada: « Les élections de 2011 doivent marquer un tournant totalement différent de 2006»


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Ancien Conseiller spécial du président Mathieu Kérékou, Professeur titulaire d’économie et de gestion et Directeur des programmes de cycles supérieurs en gestion de projet de l’Université du Quebec en Outaouais au Canada, Sébastien Azondékon jette un regard sur les cinquante ans d’indépendance du Bénin. Il dresse à l’occasion un bilan économique mitigé pour le régime du Changement sous la houlette de Boni Yayi. Pour lui, après plus de quatre ans de gestion du Bénin, le Chef de l’Etat peut beaucoup mieux faire.

L’Evénement Précis : A l’instar de seize autres Etats africains, le Bénin vient de célébrer le cinquantenaire de son accession à la souveraineté internationale. Quel est le bilan de son parcours durant cette période ?
Professeur Sébastien Azondékon : Nous avons eu cinquante ans d’existence, c’est-à-dire 365 jours au moins fois cinquante. Ce n’est pas rien du tout. Pour le Bénin, on peut dire que le progrès fait n’a pas été à la hauteur d’un demi-siècle. Mais, c’est ne voir ce progrès qu’au plan développemental. Si nous allons voir ça au plan politique et au plan social, on doit considérer que le Bénin a eu de riches expériences. Il est passé donc par toutes les phases toujours à la recherche de sa stabilité. Et nous avons eu le premier président élu et son règne a été stoppé par un coup d’Etat et nous avons connu encore plusieurs expérimentations de régimes jusqu’à aboutir au régime révolutionnaire en passant par celui du conseil présidentiel. Et après, avoir expérimenté tous ces régimes là, nous avons décidé de passer au renouveau démocratique. Nous avons beaucoup servi de laboratoire de la politique en Afrique de par les changements qui ont eu lieu. Et aujourd’hui nous sommes dans le renouveau démocratique, ce n’est pas sans peine que nous réalisons ce renouveau mais ce n’est pas sans progrès non plus. Et quand bien même, au cours des cinq (05) dernières années, il y a eu un recul de cette démocratie, nous devons reconnaître le mérite des acteurs politiques, les présidents Nicéphore Soglo et Mathieu Kérékou qui ont eu à faire au total trois (03) mandats pour céder le flambeau à un président plus jeune. Evidemment, pour ce dernier, les choses ne sont pas roses. Lorsqu’on compare par rapport aux prouesses de ses prédécesseurs, on peut dire que sur le plan des libertés démocratiques, sur le plan de respect de la constitution, de respect des lois en vigueur en République du Bénin et de la priorité des choix à opérer, on peut dire qu’il peut mieux faire. Et je dirai même sans me tromper qu’il peut beaucoup mieux faire.

En tant que Professeur titulaire d’économie et de gestion au Canada, quel est votre vision sur le bilan économique du Dr Boni Yayi depuis son arrivée au pouvoir en 2006 ?
Pour ce régime qui sera encore à la tête de notre pays pour quelques mois, le bilan est très mitigé surtout au plan économique. Le désir de plaire à la rue, le désir de justifier le mérite donc des 75% qu’on a obtenus a emmené le Chef de l’Etat et son équipe à placer la charrue avant les bœufs, ce qui explique que les choses ne vont pas bien. Et c’est pour ça aujourd’hui que notre pays, malheureusement, au bout de plus de quatre (04) ans de pouvoir du Changement, se trouve devant une triple crise à savoir la crise au plan politique, la crise au plan économique et la crise au plan social si bien que partout on sent une désillusion, une perte de confiance, la morosité. Je crois qu’il faut bien analyser des choses comme ça pour les apprécier pour rectifier le tir. La rectification du tir s’impose et au président actuel et à celui qui sera élu en 2011. Parce que ce peuple, on lui a trop menti. Il ne faut plus que ça continue comme ça. C’est pour cela que les élections de 2011 doivent marquer un tournant totalement différent de ce que nous avons vécu en 2006. Il ne faut pas qu’il y ait encore des chèques en blanc à des candidats et venir se plaindre qu’on a fait d’erreur. Un peuple ne fait pas d’erreur en choisissant un candidat mais il peut se tromper. Et s’il se trompe, il doit tirer leçon de ce qui s’est passé et s’ajuster pour les années à venir. C’est pour cela que je dis à vous les journalistes que si 2011 ne doit pas être identique à 2006 où on a dit aux candidats de venir seul sur un plateau prêcher dans le désert votre programme, vous devez faire toute la pression nécessaire pour que 2011 soit en réalité un carnaval et que vraiment nous ayons, plutôt que des croisements de région, nous ayons à faire à des croisements d’équipes, à des croisements de projets de société. Il ne faut pas voter pour un homme, nous votons pour une équipe, nous votons pour un projet. Et pour pouvoir le faire, vous devez faire toute la pression nécessaire pour que les candidats croisent le fer à travers un, deux ou trois débats contradictoires au moins. Nous sommes à l’époque d’internet. On ne peut plus élire quelqu’un sans savoir au juste ce qu’il veut faire de nous. Et ce n’est pas la meilleure manière de vivre la démocratie. Par rapport à tous les échecs que nous avons connus, je dis que l’euphorie a pris le dessus sur la réflexion féconde, sur la quête de la vérité. Et nous avons crû beaucoup plus en un messie qu’en un acteur politique, faillible qui a des qualités et des défauts et nous nous retrouvons stupéfaits pour s’interroger sur les raisons pour lesquelles on en est arrivé là. Il ne faut plus qu’on dorme. Lorsque nous élisons nos dirigeants, nous devons les suivre.

Pensez-vous que les candidats qui se positionnent pour les prochaines joutes électorales présentent un profil indiqué pour sortir le Bénin de l’ornière?

La particularité de 2011, c’est le dépassement des petits partis au profit de grands regroupements. Et nous devons saluer ça. Parce que ça montre que désormais, plutôt que de s’émietter et aller grignoter des voix sans trop savoir ce qu’on veut faire avec, parce qu’on veut aller lutter pour avoir des postes, il faut militer, il faut avoir une tradition de militant dans de grandes entités. De ce point de vue, il y a Fcbe qui est l’un des groupes et nous devons saluer les deux autres pôles qui sont nés aussi. A savoir la Coalition Abt et l’Union fait la Nation. Les gens ont voulu diaboliser cette union à sa naissance, je dis non. C’est un évènement que nous devons saluer. Et plutôt que de diaboliser, laissons le bébé germer et voir ce qu’il va donner. De la même manière, nous devons saluer aussi la coalition Abt. En dehors de ces trois (03) pôles là, toute personne aujourd’hui qui cherche à se porter candidat veut perdre son temps, parce que le carré d’as est déjà déterminé aujourd’hui. Maintenant, à partir de ces trois pôles, qu’est ce qu’il nous revient de faire ? Ces trois pôles ont déjà leurs leaders qui ne sont pas encore candidats mais nous les connaissons qui ont de très grandes qualités. Alors, si nous devons en réalité choisir les hommes sans savoir quelle est l’équipe qu’il y a derrière eux, quel projet de société ils incarnent, nous allons choisir parce que celui-ci me plaît, parce que celui là me déplaît. Le seul critère pour les départager à mon avis c’est de savoir l’équipe que tel candidat nous présente et quelle est la crédibilité de cette équipe. Et quel est son projet ? Cette opportunité devrait être offerte à tous les béninois pour qu’il puisse faire le bon choix. Et je crois que vu comme ça, aucun des trois pôles n’a intérêt à faire basculer ce pays dans la violence. C’est pour cela que je reste optimiste pour dire que ce sera un beau carnaval parce que les candidats sont de taille. Est-ce que c’est le pouvoir qui voudra faire basculer les élections dans la violence ? Mais, il serait foutu. Parce que le président Boni Yayi doit s’inscrire positivement dans l’histoire, montrer qu’à l’instar de ses prédécesseurs, il est capable d’organiser des élections transparentes, agréables et honnêtes où force est donnée à la démocratie. Les autres, on dit qu’ils font partie de l’opposition. Mais, si l’opposition fait basculer le pays dans la violence, quelle serait ses chances de réaliser l’alternance ?
Pour réaliser une alternance, que ce soit l’UN ou le Bloc Abt, leur candidat doit montrer qu’il forme une alternance crédible qui peut être crédibilisé à travers les urnes. C’est le jeu démocratique qui doit primer. Et si l’un ou l’autre des deux camps tentent de victimiser un des candidats, c’est le meilleur critère pour le béninois de choisir. Celui qu’on victimise, le peuple béninois en fait toujours un héros. C’est l’exemple de Yayi Boni lui-même. Alors, s’il a la mémoire, il ne va pas se lancer dans quelque chose comme ça. Et l’opposition, ayant envie de réaliser l’alternance, va se dire que cette alternance là, c’est à travers les urnes. Alors, je vais être serein pour dire qu’il n’y a pas encore péril en la demeure et le jeu démocratique doit être poursuivi.

Peut-on dire, Professeur, avec les nombreuses difficultés rencontrées par le Chef de l’Etat pour sortir le Bénin de la pauvreté que les économistes ont échoué à apporter le développement?
Vous semblez avoir raison à première vue. Et le peuple qui pense comme ça a raison. Parce que nous avons eu un général à la tête de ce pays. Nous avons vu comment il a pu maintenir l’unité nationale, la cohésion sociale et faire respecter à la lettre le jeu démocratique. Alors, nous avons eu des intellectuels qui ont fait de grandes écoles, qui sont arrivés au pouvoir, les gens se disaient que ça irait différemment. Mais, au vu de la crise à trois facettes que j’ai évoqué, au bout de quatre ans, c’est que demain un économiste comme moi veuille briguer la magistrature suprême et que les gens disent « descends, nous préférons les non économistes à vous autres les économistes parce que vous n’avez rien fait de bon». Ça veut qu’aujourd’hui, dans cette époque de l’économie du savoir où nous sommes, que notre peuple tourne dos à la science. Or, en tournant dos à la science, on ne peut pas se développer. Malheureusement, c’est nos pratiques malsaines d’intellectuels, d’économistes qui ont conduit le peuple à cette conclusion amère. Et ça là, le président actuel à une responsabilité. L’erreur, c’est lorsque vous arrivez au pouvoir et que vous êtes d’une école, l’école Bceao et puis vous n’allignez que des gens de la Bceao autour de vous. La gestion d’un pays est à facettes multiples. Maintenant, vous voulez des gens qui voient tous dans la même direction. Ils ne comprennent qu’une seule réalité, celle qu’on leur a apprise à la Bceao. La preuve, c’est que lorsqu’ils viennent sur des plateaux de télévisions, ce qu’ils vont dire à « Monsieur tout le monde », c’est « nous allons respecter les équilibres macroéconomiques, voir les agrégats… ». Qu’est ce que « Monsieur tout le monde » comprend de ça? Mais, si vraiment vous maîtrisez vos connaissances, ces affaires donc qui relèvent plus de l’académique et qui ont une consonnance ésotérique pour le peuple, vous devez les démystifier, les simplifier pour que le paysan qui est dans mon village puisse comprendre ce qui est en train d’être dit. Mais, quand vous venez débiter des théories économiques, plus ou moins dépassées qui sont vraiment opaques pour tout le monde, alors vous êtes venus montrer que vous êtes des érudits et pensez que plus vous faites la démonstration de votre érudition, vous allez faire développer le pays. Mais, est-ce que le pays s’est porté mieux aujourd’hui ? Regardez notre dette intérieure, elle est colossale au point où pour pouvoir l’éponger, satisfaire les prestataires de services, le gouvernement a été obligé en cinq ans de lancer deux emprunts obligataires. Mais, est-ce que ça a réglé nos problèmes de trésorerie malgré ça ? Pas du tout.

Entretien réalisé par Jean-Claude DOSSA

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