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Le triomphe de la vérité

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Michel Ahohounkpanzon, économiste, enseignant chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi:« Il faut qu’on cesse de dépendre du Nigeria»


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Comment résister aux chocs extérieurs, notamment ceux provenant des difficultés du Bénin avec le grand Nigeria ? C’est la question centrale de l’entretien que nous avons eu avec Michel Ahohounkpanzon, enseignant chercheur à la Faculté des sciences économiques et de gestion de l’Université d’Abomey-Calavi. Pour lui, la seule voie de recours qui s’offre au Bénin est celle de la production aussi bien agricole qu’industrielle dans un contexte où le Nigeria dicte trop souvent ses désidératas au Bénin.

L’Evénement Précis : Le Bénin a-t-il mis en place des dispositifs depuis 1990 pour résister aux chocs extérieurs ?

Michel AHOHOUNKPANZON : Il y a eu des réformes qui ont permis de rétablir les grands équilibres macro-économiques, c’est-à-dire amoindrir les difficultés, amoindrir par exemple les déficits entre les importations et les exportations entre 1990 et 1996. Le secteur du coton a été restructuré et a permis au pays de mobiliser beaucoup de ressources pour financer le développement. Donc on peut dire qu’il y a eu des réformes. Maintenant, on a eu à assister aussi à la restructuration du secteur bancaire. L’une des causes de la crise économique à la fin des années 1980, c’était aussi l’effondrement du système bancaire qui avait entrainé les difficultés que l’Etat a connues. Donc, il a été restructuré et désormais crédible. Je pense même que des efforts ont été faits pour que les caisses d’épargne et de crédits mutuels soient réhabilitées. Disons qu’il y a eu une réorganisation du secteur financier. Le pays a aussi retrouvé sa crédibilité à travers sa réforme fondée sur les droits humains et le respect des libertés qui a aussi fait libérer l’initiative au niveau des citoyens parce qu’au niveau économique, rien ne vaut la liberté. Cette restructuration a permis le développement du tissu agricole et l’appui à la production du coton. Donc de quelques industries d’égrenage de coton, on en est arrivé à plusieurs. Je pense même que les huileries qui transforment le coton se sont installées. Mais le problème de fond est que le pays est resté dépendant du coton. Donc malgré les efforts des différents gouvernements qui se sont succédé, l’option en faveur de la diversification du coton à travers la diversification de l’agriculture par la mise en place d’autres filières agricoles n’a pas porté. Je pense qu’il y avait des financements qui avaient été introduits pour la réhabilitation du manioc mais qui n’ont pas marché. On avait des atouts et on en a toujours à travers l’ananas qui n’a pas encore été suffisamment développé et la réhabilitation du palmier à huile n’a pas donné les résultats escomptés. Je voudrais dire surtout que depuis 20 ou 25 ans, la structure de base de l’économie béninoise n’a pas changé, même si le budget de l’Etat a augmenté de même que la population. Même si le tissu économique a changé la structure de base de l’économie qui se mesure par la constitution du PIB n’a pas changé. Tous les ans, des années 1980 à nos jours, les rapports disent que le secteur industriel contribue au Pib pour 15 %, le secteur primaire pour 35% et le secteur tertiaire pour 50%. Donc cette structure de base qui est propre à une économie sous-développée n’a pas bougé. On peut dire qu’elle est rigide et ne permet pas d’amorcer une dynamique de développement autonome et auto entretenu. La dépendance vis-à-vis du Nigeria s’est amplifiée avec le libéralisme. Les agents économiques n’ont donc pas pu trouver d’autres circuits de développement d’échanges, par exemple vers les pays de l’Hinterland, le Mali, le Niger, le Burkina ou vers l’Afrique centrale. Ils n’ont pas pu développer cela. La vulnérabilité à un certain nombre de chocs n’a pas changé, c’est-à-dire que le pays est toujours sensible aux prix des hydrocarbures et des matières premières sur le marché mondial.

Le budget est toujours aussi basé sur la fiscalité
Quel est le pays dont le budget n’est pas basé sur la fiscalité ? On peut dire que la pression fiscale n’est pas à son optimum. C’était à 17% du PIB et aujourd’hui c’est autour de 19%. Disons que l’un des problèmes de l’économie est l’évasion et la fraude fiscales parce que le secteur informel prédomine malgré le libéralisme et les réformes.

Quels sont les contrecoups de cette structuration de notre économie qui est compte 95% d’entreprises informelles ?
Les contrecoups sont que les secteurs des services prédominent. Mais ça fait de l’économie une économie dont la base productive est très fragile. Donc elle ne peut pas résister aux chocs extérieurs. Supposons que les coûts du coton chutent et qu’on avait d’autres produits d’exportations. Il n’est pas évident que leurs coûts chutent en même temps. On peut amortir les chocs issus de la baisse des cours du coton par la stabilisation des cours des autres produits qu’on exporte. En réalité, les chocs extérieurs empêchent le gouvernement de mettre en place son programme économique pour changer la vie du pays et créer des emplois pour les jeunes tout en développant l’industrie et l’agriculture.

Ne pensez-vous pas que l’industrialisation pourrait être aussi une voie de recours ?
C’est ce que j’étais en train d’expliquer. Par exemple, si le secteur industriel était à hauteur de 20 voir 30% du Pib et qu’on enregistrait une diminution de la part du secteur tertiaire, l’économie va mieux se porter. Et le développement du secteur industriel suppose aussi donc un développement de l’investissement privé. Or, les études ont montré que les effets des investissements privés sur la croissance privée sont plus significatifs que ceux des investissements publics par exemple. Donc, un tissu industriel plus diversifié dans le Pib ne pourrait que renforcer notre économie. On a l’habitude de nous plaindre de la détérioration de termes de l’échange ne fait que ne fait que s’accentuer alors que les prix des produits élaborés qu’on nous vend ne font que s’augmenter. Et je pense que si on développe le tissu industriel on va offrir au marché mondial non seulement des produits primaires mais aussi et surtout des produits élaborés dont les prix ne seront plus sujets à des bouleversements brusques comme les produits non élaborés que nous exportons.

Y a-t-il eu des efforts qui ont été faits pour permettre au pays de résister aux chocs extérieurs et pouvoir faire face à ses dépenses sans compter tout le temps sur l’aide extérieure ?
Le régime du changement est venu à un moment où les attentes sociales étaient énormes. C’est-à-dire qu’il y avait assez de problèmes politiques, économiques. Donc c’est ce qui explique la fronde sociale que le régime du changement a connue. Mais le régime a apporté beaucoup d’espoir aux différentes couches de la population. Cependant les problèmes à résoudre étaient nombreux et complexes. Maintenant, le régime a fait une bonne politique de redistribution de la richesse nationale au moins au cours de la première année, ce qui a fait que le taux de pauvreté qui avait augmenté de 10 points entre 2002 et 2006 a encore chuté presque de cinq points en une année seulement. Donc je peux dire par exemple qu’un programme comme les microcrédits aux plus pauvres est une avancée positive, même s’il y a des controverses politiques et politiciennes autour. Le gouvernement a recruté beaucoup d’enseignants pour les écoles et a réorganisé le système si bien que les salaires des enseignants ont été revalorisés aussi. Je crois que ce sont des points positifs à encourager. Maintenant ce qui a empêché le régime d’aller au bout de sa logique de créer l’émergence est par exemple la chute du secteur coton. Mais le chef de l’Etat à ses débuts, a fait des efforts pour redonner vie à ce secteur. Les acteurs ne l’ont pas suivi dans son ambition. Il faut avouer aussi que la conjoncture internationale sur ce plan ne l’a pas aidé. Les infrastructures qui sont en train d’être mises en place, créent des bases qui vont permettre à l’investissement privé d’être rentable.

Au niveau des entreprises, quelle lecture faites-vous des efforts faits pour encourager l’entreprenariat privé ?
Il faut avouer que le gouvernement a affiché comme ambition de relancer le secteur privé. Au moins, il faut lui reconnaitre cela. Il y a des appuis qui ont été mis en place pour aider le secteur privé à se restructuré et à devenir crédible. Il faut dire aussi qu’il a fini par privatiser l’outil industriel de la Sonapra et à se retirer d’un certain nombre d’activités. il faut reconnaitre qu’en matière de passation de mains au secteur privé, nous venons de très loin. On a eu même avant 1972 beaucoup de secteurs de l’économie qui étaient dans les mains de l’Etat dans des pays réputés libéraux avant nous comme la Côte-d‘Ivoire et autres. Beaucoup de secteurs vitaux étaient dans le portefeuille de l’Etat. Le gouvernement béninois était un acteur économique important. Maintenant dans un pays qui a connu un régime socialiste, un régime de propriété publique des grands moyens de production de 1972 à 1990, on ne peut pas exiger qu’on privatise tout sans préparation et sans transition. En matière de privatisation des entreprises, nous venons de loin, parce que l’Etat a joué un rôle primordial dans la gestion de l’économie jusqu’en 1989. Maintenant les Béninois pensent qu’il y a des branches de l’économie qui peuvent être considérées comme des branches stratégiques dont le pays pourrait souffrir de la privatisation. C’est le cas par exemple du Port autonome de Cotonou, Bénin Télécom, la SBEE et la Soneb. On peut faire du partenariat Public-Privé ou de l’économie mixte en privatisant le reste.

En décrétant la relance du secteur privé qui crée la richesse, est-ce que les acteurs nationaux du secteur y ont été préparés?
Je pense que la privatisation ou le désengagement de l’Etat aurait pu ménager des passerelles pour un passage en douceur du tout public au tout privé, faire en sorte que le monopole public ne soit pas remplacé par le monopole privé, parce qu’on nous a dit que la concurrence doit jouer. L’autre question est de savoir si les hommes qu’il faut pour jouer ce rôle existent en réalité. Ce sont des questions qu’il faut se poser. Quand j’étais encore en Côte-d’Ivoire, le parlement ivoirien avait fait un débat sur la privatisation. Est-ce qu’elle consiste à vendre les entreprises qui marchent à des entreprises d’Etats étrangers ? Est-ce que c’est ça la privatisation ? Ou bien est-ce qu’elle ne consiste pas à créer un secteur privé national , à avoir des hommes d’affaires nationaux ?

N’est-il pas temps aujourd’hui de mettre en place une bourgeoisie nationale comme le demandait Samir Amin afin de doper le développement du secteur privé?
Je ne parlerai pas de bourgeoisie nationale bien que selon Samir Amin, l’Economiste égyptien bien connu comme spécialiste de la théorie de l’Economie qu’on appelle la Théorie de la dépendance, ait pu dire que l’une des conditions du développement socio économique en Afrique c’est évidement le développement d’une bourgeoisie nationale, donc d’une classe d’hommes d’affaires susceptibles de prendre en mains la gestion de l’économie nationale, comme c’est le cas des pays dits émergents comme Singapour, la Corée du sud et autres. Mais on a constaté que les schémas qui sont proposés aux pays africains ne favorisent pas cela. J’ai l’impression que les programmes de libéralisation favorisent la mainmise du capital étranger ou bien des hommes d’affaires étrangers sur notre économie. Ce n’est pas toujours le cas mais on peut dire que le gouvernement a compris que la création ou l’émergence d’une classe moyenne est de nature à entrainer le développement du secteur privé et à partir de là le développement de l’économie nationale. Le gouvernement a cette ambition. Maintenant comment y parvenir ? C’est là la question.

Que peut faire l’exécutif dans nos relations avec le Nigeria ?
Il faut qu’on cesse de dépendre du Nigeria, il faut qu’on cesse de dépendre à 50% du secteur tertiaire, il faut que l’agriculture soit diversifiée et que l’industrie soit diversifiée elle-même et puisse donner à l’économie du Bénin une base plus sûre à même de lui permettre de résister de mieux en mieux aux chocs extérieurs. Je voudrais dire que l’une des fragilités de l’économie béninoise reste l’insuffisance de l’énergie électrique. Au début des années 20, Lénine a lancé une phrase célèbre : « Le socialisme, ce sont les Soviets plus l’électrification ». Donc un pays qui n’a pas une base énergétique sûre, fiable ne peut pas se développer. Le secteur privé souffre beaucoup de l’insuffisance de la production et de la fourniture de l’énergie électrique. Les observateurs ont remarqué que le déficit énergétique n’est pas propre au Bénin mais s’étend à toute l’Afrique au Sud du Sahara. On peut alors se demander pourquoi on a ignoré cinquante années durant que l’instrument de base du développement économique est l’énergie électrique. Au Bénin, l’option qui a été faite en matière d’approvisionnement en énergie électrique, est une option de dépendance. Il faut qu’on rompe avec cette option. Il faut qu’on en arrive à être autosuffisant à hauteur de 70 voire 80%.

Que conclure ?
Les Béninois et leurs dirigeants ont les clés de leur avenir en main. Il suffit de faire en sorte qu’il y ait l’unité, qu’il y ait moins de fronde sociale, moins de querelles politiques et politiciennes et qu’on se consacre aux vrais problèmes du pays. Je serai vraiment heureux si la structure rigide de notre économie change et que par exemple la base industrielle soit plus élargie tout en respectant l’environnement. Je serai heureux si on fait en sorte que nous soyons moins dépendants du Nigeria et que d’autres créneaux porteurs d’échanges soient développés avec d’autres pays. Je voudrais aussi dire que l’on ne peut se développer sans maîtrise de la technologie. La maîtrise de la technologie exige une bonne éducation et une bonne formation des personnes humaines. Il existe ce qu’on peut appeler une pédagogie du développement. On ne peut pas décréter le développement. Il faut former et sensibiliser les gens pour cela. Il faut donc une pédagogie de l’émergence, je dirais même une andragogie de l’émergence. C’est-à-dire que l’émergence ne doit pas être seulement un slogan, mais quelque chose autour duquel on mobilise les gens, sur lequel on forme les gens. Cela suppose que nous aimions notre pays et que l’on taise les querelles qui n’ont pas raison d’être.

Entretien réalisé par Olivier ALLOCHEME

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2 thoughts on “Michel Ahohounkpanzon, économiste, enseignant chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi:« Il faut qu’on cesse de dépendre du Nigeria»

  1. Boris HOUESSOU

    Au fait chers compatriotes, la terre ne ment jamais.Au lieu d’injecté des milliards dans la filière coton, il vaut mieux promouvoir les cultures vivrières et appuyer les unités de transformations.Il est tant que nous prenons notre destin en main. Aussi faudrait que le taux d’imposition diminue considérablement afin que nous puissions assisté à une floraison d’entreprises.Si la chine ou le japon dépendait chroniquement d’autres pays, ils ne seraient pas à ce niveau d’emergence aujourd’hui. Ensemble, consvtruisons notre nation: elle est unique

  2. Boris HOUESSOU

    Au fait chers compatriotes, la terre ne ment jamais.Au lieu d’injecté des milliards dans la filière coton, il vaut mieux promouvoir les cultures vivrières et appuyer les unités de transformations.Il est tant que nous prenons notre destin en main. Aussi faudrait que le taux d’imposition diminue considérablement afin que nous puissions assisté à une floraison d’entreprises.Si la chine ou le japon dépendait chroniquement d’autres pays, ils ne seraient pas à ce niveau d’emergence aujourd’hui. Ensemble, consvtruisons notre nation: elle est unique.

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