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Le triomphe de la vérité

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« Affaire ICC services et consorts »: Quels repères fondamentaux et quelles principales leçons pour l’économie béninoise ?


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Noukpo HOMEGNON, Macroéconomiste, enseignant à la FASEG de l’Université d’Abomey Calavi, de Parakou, à l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM) jette un regard de spécialiste sur la crise de placement d’argent. Il s’est largement inspiré de Finances & Développement (Mars 2010 • Volume 47 • Numéro 1 • pages 37 à 39) qui est une publication trimestrielle du Fonds Monétaire International (FMI). Il s’agit donc d’un dossier technique qui a devoir d’information économique.

 S’il y a un sujet qui défraie la chronique au Bénin de nos jours, c’est bien évidemment « l’affaire ICC services et consort ». Du coup, les interprétations et  explications de cette activité financière varient d’un Béninois à un autre. Quelle est donc la lecture de l’économiste? Le présent article aborde le sujet d’un point de vue purement technique et objectif.

« L’affaire ICC services et consorts » est la version béninoise de ce que les économistes appellent les « chaines de PONZI ». En effet, il y a de cela cinquante ans, Charles Dickens décrivait comment des Londoniens succombèrent aux placements frauduleux de la banque de M. Merdle et comment des victimes crédules se laissaient tenter par des escroqueries censées les enrichir très rapidement.

Les «chaînes de Ponzi», attirent les épargnants en les rémunérant grassement avec l’argent des autres et prospèrent même dans les pays développés. Les Etats-Unis, malgré leur dispositif réglementaire très sophistiqué n’ont pas pu empêcher l’essor rapide et l’effondrement du « montage de Bernard Madoff » à la fin de 2008, une escroquérie qui portait sur 65 milliards de dollars. Mais  les chaînes de PONZI ont des conséquences encore plus graves, voire dramatiques, dans les pays en voie de développement. Tel en illustre le cas en Albanie, où, en 1996, des émeutes ont causé la chute du gouvernement, et même des pertes en vies humaines. C’est également le cas des montages jamaïcains, qui ont fait perdre plus de 12,5 % du PIB. La Colombie n’en était pas épargnée. En effet, le montage de la mobilisation des fonds frauduleux de près de 1 milliard de dollars s’est effondré et a été suivi de manifestations violentes dans treize villes, forçant le gouvernement à imposer l’état d’urgence. Que dire de Lesotho où quelques 100.000 épargnants, pour la plupart pauvres et très vulnérables, ont été ruinés. C’est également le cas au Tchad, en Côte d’Ivoire,… Des expériences malheureuses sont donc nombreuses de par le monde. C’est maintenant le tour des béninois qui n’ont pas pu résister aux appâts mirobolants de la chaine de Ponzi.

 Qu’est-ce donc qu’une chaîne de Ponzi?

La dénomination de « chaine de Ponzi » est tributaire du nom de l’escroc de Boston Charles Ponzi qui est l’inventeur d’un montage financier qui s’est effondré en 1920. C’est une forme de fraude financière dans laquelle les épargnants sont rémunérés avec l’argent placé par les souscripteurs ultérieurs, et non par de vrais bénéfices qu’auraient générées les activités commerciales de la Structure. Les clients sont généralement attirés par des rendements supérieurs à ce que toute autre activité légitime pourrait leur offrir. Ainsi, le taux de croissance des nouveaux clients déposants doit être exponentiel pour pouvoir honorer le remboursement des taux d’intérêt proposés. Comme on peut le constater, un tel système financier, dès qu’il est mis en branle, il lui est difficile de rembourser tout le monde à la fois car  se tenant désormais sur « un simple fil du rasoir » . Il peut donc craquer à tout moment. En effet, dès le deuxième ou le troisième trimestre de remboursement, la crise est déjà potentielle car la viabilité et la pérennisation du système sont déjà en difficulté. Mais alors, dans quelles activités économiques cet argent a-t-il été investi pour générer de pareils revenus devant permettre de rembourser non seulement les intérêts astronomiques mais également les capitaux des clients épargnants et de couvrir les charges de la structure?

 Les formes d’apparition de la chaine de Ponzi

 Les formes d’apparition de la chaine varient d’un pays à un autre. En Jamaïque, OLINT prétendait opérer sur les devises; au Lesotho, l’association MKM Burial, qui commercialisait des obsèques prépayées, a commencé à offrir des produits de placement; en Colombie, le groupe DMG vendait des cartes de débit prépayées. Au Bénin, « ICC services » s’est d’abord déguisé en ONG et a eu le temps de gagner la crédibilité des populations béninoises avant de leur proposer des services de placements. Ainsi, la stratégie demeure la même  partout. Les escrocs visent souvent des catégories de personnes ayant un point commun, comme l’origine ethnique, la religion ou la profession, dans l’espoir d’exploiter leurs liens de confiance. Ils attirent des investisseurs de tout niveau de revenu et de patrimoine. Ils réussissent souvent à développer leurs activités par des actions charitables, des dons aux organisations politiques et des démonstrations de leur richesse ou de celle de leur système. On peut donc en déduire que les actions de « ICC services » n’ont rien d’innovant. En Jamaïque par exemple, un système Ponzi (Cash Plus) parraina en 2007 le championnat de football; Allen Stanford parrainait un tournoi de cricket international; en Colombie, le fondateur du groupe DMG possédait un avion privé et un parc automobile. Avant la chute, les escrocs sont parfois considérés comme des notables: en Jamaïque, le fondateur d’OLINT a été désigné personnalité économique de l’année par un journal d’affaires.

 Les dangers économiques de la chaine de Ponzi

A l’heure actuelle de nos investigations, la facture économique est souvent très élevée pour les pays dans lesquels se produisent les manifestations de la crise de la chaine de Ponzi. En effet, la chaine de Ponzi détourne l’épargne de l’investissement productif qui chute. Elle fait également baisser le volume de la consommation globale. Ainsi, les deux composantes majeures de la demande globale enregistrent des tendances baissières. Il serait alors naturel que la croissance économique baisse également au Bénin et ce, « toutes choses étant égales par ailleurs ». Par ailleurs, si on ne s’y oppose pas, la crise peut croître démesurément et causer un grand préjudice de perte de crédibilité dans les institutions financières. Cette perte de crédibilité peut même entraîner l’instabilité économique et sociale comme en illustre le cas en Albanie. En effet, en 1996, plusieurs montages se sont effondrés dans ce pays, déclenchant un soulèvement : le gouvernement est tombé, le pays a sombré dans l’anarchie où on a pu dénombrer près de 2.000 personnes tuées.

 En dehors du cas spectaculaire et extrême en Albanie, les manifestations de la crise du système de Ponzi sont moindres dans les autres pays mais d’importance inégale. Le tableau suivant est extrait des investigations de Hunter Monroe, Ana Carvajal et Catherine Pattillo (Mars 2010). Il résume l’ampleur de la crise de « montages frauduleux »  dans quelques pays.

 Principales leçons

A la lumière de nos investigations, des enseignements majeurs s’imposent :

” Le scandale de ” ICC services et consorts ” n’est pas une spécificité béninoise ;

” ce scandale prend généralement les populations et les autorités publiques au dépourvu car insuffisamment informées des intentions des acteurs qui saisissent leurs victimes ” par derrière ” à la faveur de l’asymétrie d’information ;

” les Béninois sont aujourd’hui victimes d’asymétrie informationnelle comme beaucoup de populations l’ont été et le seront. Mais cette asymétrie est-elle prévisible ? Non pour l’économiste. Mais peut-on l’arrêter ou limiter ses dégâts. Oui, affirme le corpus théorique économique ;

” une fois qu’une chaine de Ponzi prend de l’ampleur, la prise de décision n’est toujours pas aisée pour les autorités publiques. Elles peuvent hésiter à y mettre un terme, car, si elles le font plus vite, les souscripteurs risquent de s’en prendre à elles plutôt qu’aux vices inhérents au système qui doit s’effondrer tôt ou tard. Inversement, quand le système s’écroule de lui-même, les mêmes autorités peuvent être critiquées pour n’avoir pas agi plus vite ;

” la réalisation d’une étude d’impact s’impose afin de mesurer et de corriger les incidences sur les activités économiques et de facto, sur la croissance de l’économie béninoise déjà menacée par les crises énergétique, alimentaire, financière…

Cependant, je demeure convaincu que ce dossier technique abordant à peine l’aspect économique n’a nullement la prétention d’être une référence. Il aurait à peine le mérite de mesurer l’ampleur de la complexité de ” l’affaire ICC services et consorts ” et de l’imbroglio dans lequel se retrouvent malheureusement les autorités publiques où la prise de décision n’est pas aussi facile. Cependant, des solutions à la béninoise doivent être trouvées à la crise.

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3 thoughts on “« Affaire ICC services et consorts »: Quels repères fondamentaux et quelles principales leçons pour l’économie béninoise ?

  1. HOMEGNON NOUKPO

    Merci à l’évenement précis pour son dynamisme. Je ne peux alors que vous féliciter. Seulement, pour le présent article dont je suis l’auteur, un tableau a été annoncé juste avant “les principales leçons” mais il n’est pas présenté.
    Je vous remercie infiniment

  2. Ahiamadjé

    j’ai lu avec intérèt mais vous n,’avez pas situé les responsabiltés. Vous avez fait l’historique et les conséquences de l’affaire, j’aimerais que vous me donniez les causes profondes du point de vue d’un économiste

  3. Candide TAMADAHO

    j’ai lu avec grand intérêt votre article. Je me réjouis de ce privilège. Néanmoins ce m pique un tout petit peu c’est qu’au Bénin nous avons plein d’intellectuels pourtant il faut que les choses nous arrivent d’abord pour que chacun se prononce. Pas de mesure préventives.
    Une de vos élèves de l’ENAM qui vous admire beaucoup pour votre personne (respect et considération du prochain) et votre culture (intellectuelle)

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