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Le triomphe de la vérité

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Entretien avec Moussa Sène Absa: «La tragédie de l’émigration continue et nous n’avons pas le droit de croiser les bras»


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5ème édition du Festival international du film de Ouidah. Les réalisateurs se croisent et s’entrecroisent, soucieux d’assister à la sentence du public qui est dans les salles noires. À la cafétéria du Festival, un homme détendu, pipe à la bouche, est entouré d’une dizaine de jeunes étudiants. Le réalisateur sénégalais Moussa Sène, dont le film Teranga Blues est en compétition, suscite l’attention des jeunes qu’il semble accrocher par la thématique de son film. Pour lui, l’avis du public sur ses Å“uvres est prioritaire. Mais jusque-là il ignore que son film aura le lendemain le Prix du public. C’est dans cette atmosphère festivalière que l’homme s’est prêté à nos questions. Il aborde ici la philosophie qui sous-entend Teranga Blues et le parcours qu’à déjà fait ce film. Il regrette l’état actuel du cinéma sénégalais et apprécie la multiplicité des festivals de cinéma sur le continent.
L’Evénement Précis: Quelle philosophie sous-entend la réalisation de votre film Teranga Blues ?
Moussa Sène Absa
: Teranga Blues, c’est l’histoire de la jeunesse africaine aujourd’hui. Une jeunesse désemparée, désespérée qui s’embarque dans les bateaux de fortune pour mourir en mer. Moi je voulais en montrer le contrepoids. Cela voudra dire m’interroger sur le retour de la manivelle. Et si l’on partait et qu’on y revenait sans la fortune espérée ? C’est le postulat du film Teranga Blues. Cela m’est arrivé à l’esprit à la suite d’un voyage sur Paris où au cours de mon vol, je vis un jeune africain qu’on essayait de rapatrier de force, qui était tellement traumatisé, malheureux et qui pleurait et priait de toutes ses forces. Dans l’avion je me suis alors mis à réfléchir sur ce cas. Je me suis rendu compte qu’il a mille raisons de pleurer et de se débattre. Il va rentrer chez lui sans rien dans une famille où sa mère, ses frères, son fiancé et même ses amis l’attendent parce que ça fait longtemps qu’il vit à en France et tout le monde dans sa famille espère quelque chose. C’est le postulat du film.

Alors au regard de ce postulat, quelle a été dans ce film la créativité du réalisateur au développement de la thématique ?
Mais avec ce postulat, je me suis dit comme ce jeune est en quête de richesse, d’abondance, autant lui en donner. Mais à quel prix ? Voilà toute l’interrogation.

S’il faut apprécier le degré de fiction de votre film au regard de la réalité, est-ce que la société sénégalaise dont vous êtes issu est effectivement confrontée à des cas de retour au bercail de compatriotes dans le dénuement matériel absolu ?
La problématique de Teranga Blues n’est pas seulement relative à la société sénégalaise.. Tout le continent africain est concerné : et si on arrivait pas à devenir riche, que faut-il faire ? Mourir en Europe ? La question fondamentale, c’est quel est le sens de la vie ? S’arrête t-elle à amasser beaucoup d’argents ? Il y a aujourd’hui en Europe, beaucoup d’africains qui se refusent de rentrer dans leur pays, quinze, vingt, trente ans après juste parce qu’ils estiment n’être suffisamment pas riches pour satisfaire toutes les attentes de leur famille et alliés.

Quel est déjà le parcours de Teranga Blues ?
Je n’aime pas compter les festivals. L’accueil du public est beaucoup plus important pour moi. Sinon je puis déjà dire que j’étais en Allemagne avec ce film, à San Paolo au Brésil, à New York, à Chicago, je suis actuellement à Ouidah au Bénin etc. Il faut retenir que le film à une vie qui est bien différente de la mienne.

Quel accueil Teranga Blues a alors reçu dans le public africain ?
J’ai jusque-là, j’ai fait seulement trois projections en Afrique. Mais les jeunes qui l’ont vu l’ont beaucoup aimé.

À évaluer le drame de l’émigration en Afrique, n’avez-vous pas le sentiment, au regard du message que le film véhicule, que Teranga Blues est arrivé trop tard dans un monde trop vieux ?
– Les jeunes qui ont vu mon film en Afrique m’ont posé la même question : «Il fallait faire ce film-là avant que tous ces jeunes n’aillent se jeter en mer». Non je crois qu’une jeunesse a besoin de référence, de rêve et si à un moment donné, il ne trouve pas cela, il va le chercher ailleurs. C’est une erreur de penser que le drame est au passé. Chaque jour qui se lève, des jeunes africains continuent de tenter cette aventure fatale. Des jeunes continuent de courir le risque à travers le désert, d’autres en pirogues€¦ La tragédie de l’émigration continue et nous n’avons pas le droit de croiser les bras.

Après Teranga Blues, quelles perspectives pour le réalisateur ?
Ouh€¦ ! J’écris. J’écris mille choses à la fois. Moi j’ai l’habitude d’écrire deux trois choses à la fois. Un texte peut être avancé plus que l’autre mais je m’occupe toujours puis je partage par la suite ma connaissance. Je me sens ainsi utile.

Comment se porte aujourd’hui le cinéma sénégalais après la mort du doyen Sembène ?
Il se porte très mal, même avant la mort du Doyen Ousmane Sembene.

Et pourtant beaucoup de pays africains désireraient être à la place du Sénégal en cinématographie ?
Le cinéma sénégalais se porte très mal juste parce que nous aurions pu aller très loin. Aujourd’hui nous sommes à Ouidah au Bénin. Si le Sénégal a su saisir sa chance on serait peut-être en Alaska ! Le Sénégal a eu la chance d’avoir fait les bases du cinéma africain avec le premier réalisateur du continent ; la cinématographie réelle africaine s’est construite autour du cinéma sénégalais. On aurait pu aller beaucoup plus loin. Mais comme ceux qui nous dirigent ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, on est là où on en est mais on se bat.

De votre position, comment appréciez-vous aujourd’hui la multiplication des festivals de cinéma sur le continent ? Un atout ou une faiblesse ?
Mais aujourd’hui sur le continent au Mali, en Guinée au Sénégal, au Bénin €¦ toutes les salles de cinéma sont en train de fermer leurs portes. Les festivals apparaissent dès lors comme la seule alternative pour le public africain d’avoir l’opportunité de suivre le cinéma africain sur écran géant.

Une impression sur le Festival Quintessence auquel vous prenez part ?
 Ce qui m’a impressionné dans ce festival c’est la jeunesse. Il y a beaucoup de jeunes pleins de bonne volonté, curieux qui veulent apprendre, il y a quand même une graine qui est en train de germer et de croître. c’est très promettant pour le cinéma africain.

Entretien réalisé par Médard GANDONOU
L’entretien est disponible sur le site du cinéma africain www.africine.org

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