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Le triomphe de la vérité

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Entretien avec l’ambassadeur du Bénin en Inde, son Excellence André Sanra: « L’Inde est un grand pays méconnu mais qui offre d’immenses opportunités au Bénin »


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Ambassadeur Sanra IndeAvec plus d’un milliard et deux cent millions d’habitants, l’Inde se positionne aujourd’hui comme l’un des pays émergents ayant atteint, ces dernières années, un niveau de développement assez appréciable. Dans plusieurs secteurs, elle présente des indicateurs enviables qui propulsent ce géant de l’Asie sur les sentiers du développement, au moment même où l’occident traverse une crise financière et économique généralisée. Que ce soit sous le prisme de l’expérience démocratique, de la technologie comme dans le domaine de la santé, du tourisme et de l’enseignement, le pays de Gandhi passe désormais comme une référence de par les opportunités qu’il offre aux pays du sud, en particulier le Bénin. Dans cet entretien exclusif, l’ambassadeur du Bénin en Inde, son Excellence André Sanra, analyse et explique les opportunités que le Bénin peut tirer de ce géant d’Asie sur lequel pèsent de mauvais préjugés. Des préjugés dus à la méconnaissance de l’Inde, aujourd’hui en plein essor,  et que le diplomate béninois fait découvrir aux Béninois dans toute sa splendeur.

L’Evénement Précis: L’ambassade du Bénin en Inde a été ouverte en 2010, et vous êtes le premier ambassadeur de cette chancellerie jusqu’à ce jour. En trois années et demie d’exercice, quel bilan faites-vous de la coopération bénino-indienne ?

S.E. M. André Sanra: Je vous suis reconnaissant de l’opportunité que vous m’offrez de m’adresser à vos nombreux lecteurs et surtout de l’occasion que vous me donnez de faire le point des relations bénino-indiennes depuis un peu plus de trois (03) ans et demi que l’Ambassade du Bénin a ouvert ses portes à New Delhi. Je dois vous dire que la visite d’Etat du président Boni Yayi en Inde en mars 2009 a marqué un tournant décisif dans les relations entre les deux pays. Ces relations avaient toujours été embryonnaires. C’est en effet, au cours de cette visite historique que le chef de l’Etat, le président Boni Yayi a annoncé aux responsables indiens la décision du Gouvernement d’ouvrir une ambassade à New Delhi. C’était notre ambassade à Beijing (Chine) qui avait juridiction sur l’Inde. L’ouverture de cette ambassade a effectivement eu lieu en août 2010 avec l’arrivée à New Delhi d’une petite équipe de cadres techniques et surtout avec ma nomination et la présentation de mes lettres de créance le 18 octobre 2010 à Madame Prathiba Patel, alors présidente de la république de l’Inde. Grâce à l’ambassade du Bénin à New Delhi, la coopération bénino-indienne a connu un bond qualitatif dans tous les domaines, notamment, en ce qui concerne les échanges commerciaux, la visite des hommes d’affaires indiens au Bénin et les projets de développement économiques réalisés ou en cours de réalisation au Bénin. En  effet,  la présence d’une ambassade en Inde a permis à nos deux pays d’accroître le volume de leurs échanges économiques et commerciaux, même si la balance commerciale reste largement déficitaire pour le Bénin. Ainsi, par exemple, l’Exportation indienne vers le Bénin qui était à 263,66 millions de dollars américains entre avril 2010 (au moment de la visite du chef de l’Etat) et mars 2011 est passée à 654,99 millions de dollars américains entre avril 2011 et mars 2012, soit une hausse de 148,42%. Dans le même temps, l’importation indienne à partir du Bénin est passée dans la même période de 153,43 millions de dollars américains à 285,51 millions de dollars américains, soit une hausse de 86,09%. Comme il est aisé  de le constater, il y a eu un regain d’intérêt pour notre pays. Ainsi, sur 404 visas délivrés par l’ambassade en 2011, 290 étaient délivrés aux hommes d’affaires indiens. En 2012, ces chiffres sont passés à 469 visas au total contre 376 délivrés aux hommes d’affaires. En 2013, 643 visas au total contre 556 aux hommes d’affaires indiens. Tout ceci montre l’intérêt des opérateurs économiques indiens pour le Bénin.

Quels sont les projets concrets qu’on peut mettre à l’actif de cette jeune coopération pourtant très dynamique ?
Un regard rétrospectif sur les projets économiques réalisés ou en cours de réalisation au Bénin dans divers domaines permet de dire que la coopération à ce niveau se porte également bien. Ainsi, depuis l’ouverture de l’Ambassade du Bénin à New Delhi, plusieurs projets économiques ont été financés et réalisés au Bénin grâce aux fonds indiens d’Exim Bank Inde. Il s’agit de l’acquisition d’équipements par l’OCBN grâce à un crédit accordé par l’Inde au Bénin lors de la visite du chef de l’Etat, l’électrification de soixante-six (58 + 8) localités du Bénin grâce à des fonds indiens mis à la disposition de la Banque d’Investissement et de Développement de la CEDEAO (BIDC) par le gouvernement indien pour des prêts aux Etats membres de la CEDEAO ; l’électrification de soixante-sept (67) localités béninoises en cours de réalisation, toujours grâce aux mêmes fonds indiens de la BIDC ; la réalisation de six (06) usines de transformation de jus de fruit   grâce à un prêt d’Exim Bank Inde ; la construction d’une usine d’assemblage de tracteurs et d’équipements agricoles à Ouidah, grâce à un prêt de 15 millions de dollars US accordé par le gouvernement indien et dont j’ai signé  l’Accord de crédit le 23 août 2012 à New Delhi pour le compte du Bénin ; un projet de renforcement des systèmes d’approvisionnement en eau de soixante-neuf (69) localités du Bénin est en cours de réalisation, grâce à un prêt de 42,610 millions de dollars US du Gouvernement indien dont j’ai également signé l’accord de crédit le 06 septembre 2013 ; et un projet d’électrification de deux cents (200) localités dont le crédit de 60 millions de dollars US pourrait être accordé très prochainement  par le gouvernement indien afin que sa réalisation puisse démarrer avant la fin de l’année 2014. Comme vous pouvez le constater, la coopération bénino-indienne se porte bien, même si elle peut être encore renforcée et améliorée.

Monsieur l’ambassadeur, les Béninois ne connaissent pas assez l’Inde qui est la troisième économie de l’Asie après la Chine et le Japon. Quelles sont les opportunités dans tous les secteurs que l’Inde offre au Bénin ?
Je suis d’accord avec vous que la majorité de mes compatriotes ne connaissent  l’Inde  que par ses productions cinématographiques largement diffusées dans le monde entier ou par quelques reportages souvent assez biaisés où l’on  peint en noir des facettes de l’Inde, à savoir, la pauvreté, la mendicité dans la rue, le viol etc. Mais l’Inde d’aujourd’hui, c’est un Etat démocratique, économiquement fort, qui a su lier modernité et tradition et qui offre d’immenses opportunités d’affaires dans tous les secteurs. Les pays occidentaux, dont une certaine presse peint l’Inde en noir, l’ont pourtant si bien compris que leurs industries sont les premières à s’installer (grâce à la délocalisation) dans presque toutes les régions de cet Etat-continent qui compte un milliard deux cents millions (1 200 000 000) d’habitants. Les performances des Indiens dans le domaine des technologies de l’information et de la communication n’est plus à démontrer. Dans le domaine de l’enseignement et de la formation, par exemple, pour ne citer que ce seul domaine, une utilisation correcte et régulière de la dizaine de bourses d’études universitaires et post universitaires que l’Inde offre à notre pays pourrait nous permettre de profiter de cette expertise. Elle permettra aux autorités indiennes d’augmenter très sensiblement cette offre de bourse. En effet, plus un pays utilise les bourses offertes, plus ce pays  en reçoit d’année en année. Les enfants dont les parents ont un peu de moyens financiers, pourront bénéficier d’une formation de qualité à un coût très en deçà de ce qui est demandé dans certains pays européens. Beaucoup de gens vous parleront de barrière linguistique. Mais plusieurs pays francophones comme la République démocratique du Congo, la République de Côte d’Ivoire etc. ont des milliers d’étudiants en Inde. La Côte d’Ivoire, pays francophone qui est dans la même zone géographique (Afrique de l’Ouest) a, 1200 étudiants dans la seule ville de Bangalore considérée comme la Silicone Vallée indienne.

L’Inde est réputée en Asie pour la qualité de ses hôpitaux et surtout des soins qui y sont prodigués. Beaucoup de pays de l’Afrique centrale et australe y évacuent leurs patients. Pensez-vous que les Béninois connaissent ces réalités ?
Oui, c’est vrai encore, l’Inde est réputée pour la qualité de ses hôpitaux privés. De tous les pays environnants, des milliers de malades affluent pour venir se faire soigner en Inde. Dans ce domaine, l’Inde offre d’énormes opportunités. Mais ce n’est pas seulement des pays d’Asie que les malades viennent en Inde. Ils viennent aussi d’Amérique, d’Europe, d’Afrique pour se faire soigner. Notre pays ou nos opérateurs privés qui ont des cliniques privées peuvent se procurer à des prix très raisonnables, des équipements ultra modernes. Nos malades qui ont des moyens peuvent arriver en Inde pour des soins de qualité, comme le font, depuis des années, des centaines de malades des pays africains comme le Nigéria, le Ghana, le Kenya, la Tanzanie, la république démocratique du Congo, le Sénégal etc. Notre pays pourrait également explorer la possibilité d’évacuer des malades en Inde. L’ambassade a visité, sous ma houlette, plusieurs hôpitaux privés qui se sont montrés tous disposés à accueillir non seulement des malades béninois qui arriveraient à leurs frais ou aux frais de l’Etat, mais également des médecins de certaines cliniques privées de la place pour des stages de formation de 2, 3 ou 4 semaines pour certaines spécialités. Ces hôpitaux ont accédé, à la demande de l’ambassade du Bénin en Inde, de prendre en charge les frais de formation de ces médecins béninois, leur séjour et restauration. Si des accords de partenariat sont signés avec ces cliniques privées, certains hôpitaux sont prêts à étudier la prise en charge des billets d’avion de ces médecins béninois. Toutes ces différentes informations ont été portées depuis 2013 à la connaissance des autorités béninoises compétentes et individuellement à la connaissance des responsables des cliniques privées telles qu’Atinkanmè, Mahouna, Boni etc. Malheureusement, aucune réaction desdits responsables n’est venue nous encourager. Mais, nous demeurons optimistes, car il y va de la santé et du bien-être des populations béninoises. Cette démarche de l’ambassade n’est que la première étape de la coopération que je souhaite voir s’installer entre le Bénin et l’Inde. La deuxième étape devra être l’implantation de cliniques ou d’hôpitaux de référence au Bénin soit grâce à des prêts du Gouvernement indien au Gouvernement béninois soit, grâce à des investissements directs privés des responsables des grands hôpitaux privés  indiens au Bénin. C’est le lieu de remercier “Primus Group” un hôpital de référence en Inde qui a accepté de s’implanter au Bénin, en répondant positivement à l’appel du président Boni Yayi. D’autres groupes se préparent à aller au Bénin dans le même domaine. Par ailleurs, l’Inde est réputée dans le monde entier pour la production des médicaments, les médicaments génériques. L’ambassade mène des actions également dans ce domaine afin que les industries pharmaceutiques indiennes puissent exporter directement au Bénin, sans passer par des pays européens. Ce qui ramènerait le coût des médicaments au ¼ ou au 1/5 de leur coût actuel. Mais la meilleure opportunité pour les pays africains comme le Bénin, serait de voir les hommes d’affaires ou pharmaciens béninois s’associer aux industriels indiens de ce secteur pour la production des médicaments au Bénin. L’ambassade est également en train d’explorer cette faisabilité. Tous nos compatriotes intéressés par cette opportunité pourraient contacter l’ambassade à ce sujet. Certains grands groupes indiens du secteur pharmaceutique sont prêts à recevoir les autorités ou des partenaires béninois du secteur privé pour leur faire visiter leurs usines.

A pratiquement quatre ans et demi de commandement, quelle action aviez-vous menée au plan de la coopération bilatérale et qui vous a le plus marqué ?
Comme vous pouvez le constater, en quatre ans environ, beaucoup d’actions ont été menées et plusieurs d’entre elles ont porté des fruits. Elles m’ont marqué toutes. Mais je préfère penser à ce qui reste encore à faire, car il reste énormément de choses à faire avec l’Inde pour améliorer les conditions de vie des populations béninoises. Toutefois, si vous tenez à ce que je parle d’actions menées qui m’ont marquées, alors je vous dirai que ce sont les actions que l’ambassade mène avec enthousiasme et qui, à la fin, n’aboutissent pas. Ce sont plutôt des regrets dont je vous parlerai à ce niveau. C’est le cas des actions menées pour une deuxième visite du chef de l’Etat en Inde ; c’est le cas des actions menées pour la tenue de la deuxième session de la Commission mixte de coopération bénino-indienne. C’est également le cas, par exemple, des invitations adressées par la partie indienne à nos autorités pour des séminaires, foires et expositions, avec une prise en charge totale des participants souvent négociée et obtenue par l’ambassade, mais au finish, le Bénin brille par son absence. Toutefois, je me dis que l’ambassade ne doit pas baisser les bras. Tant que j’aurai le souffle, je vais continuer à me battre pour obtenir un jour des résultats positifs et je suis convaincu qu’avec l’aide de mes collaborateurs, ces résultats positifs toucheront également ces différents domaines.

Quels conseils donnez-vous au secteur privé béninois pour une meilleure coopération économique entre le Bénin et l’Inde ?
Je dirai tout simplement aux hommes d’affaires béninois de commencer à changer leur mentalité vis-à-vis de l’Inde et à nouer des partenariats gagnants-gagnants avec leurs homologues indiens. Il faut reconnaître que certains l’ont compris. L’Inde est aujourd’hui une puissance industrielle et technologique. Nos opérateurs économiques n’ont peut-être pas les moyens de venir s’installer en Inde mais ils peuvent monter au Bénin des unités de production (joint-venture), en partenariat avec de grandes et importantes entreprises indiennes dans presque tous les domaines. Rien  n’empêche, par exemple,  un propriétaire de clinique privée à Cotonou d’entrer en partenariat avec un hôpital privé ou une entreprise privée de production d’équipements médicaux pour faire de sa clinique, une clinique de référence. Rien n’empêche une pharmacie béninoise (et Dieu seul sait combien de pharmaciens de renom nous avons au Bénin) d’entrer en partenariat avec une entreprise de production de produits pharmaceutiques pour monter au Bénin une petite unité de production de produits pharmaceutiques, etc. Tout ceci se fait ailleurs au Nigéria, au Kenya, en Tanzanie, en Egypte, au Ghana etc. Vous me direz que ce sont des pays anglophones, mais pourquoi les pays francophones ne peuvent pas le faire. C’est une question de choix. Certains iront jusqu’à dire que c’est la France qui ne nous laisse pas la main. Mais je rappelle à ceux-là qu’il y a déjà 54 ans que nous sommes indépendants. Il faut qu’on laisse la France tranquille. Les Français, eux-mêmes, nouent de tels partenariats avec les Indiens. Tout simplement nos hommes d’affaires n’ont pas encore compris le poids réel de l’Inde dans l’économie mondiale. Ce fut le cas avec le Japon dans les années 60. Ce fut le cas avec la Chine tout récemment, c’est le cas actuellement avec le Brésil et l’Inde. Mais, je suis convaincu qu’ils comprendront un jour, pourvu que cela ne soit pas trop tard.

Il n’y a pas d’œuvre humaine sans difficultés. Dites-nous quelques-unes des difficultés que vous rencontrez dans cette noble mission de représentation diplomatique du Bénin en Inde ?
L’ambassade du Bénin comme ses sœurs béninoises dans le monde rencontre des difficultés dans le cadre de ses actions quotidiennes. Le cas de l’ambassade du Bénin à New Delhi  est peut-être un peu spécifique. En effet, l’ambassade existe seulement depuis  environ quatre ans et on peut comprendre que son installation ne soit pas encore terminée. En dehors des difficultés communes à toutes les ambassades béninoises, la représentation diplomatique du Bénin souffre surtout de manque de documentation pour “vendre” la destination Bénin aux hommes d’affaires et touristes indiens. L’ambassade dispose, par exemple, de plaquettes éditées par le Ministère de l’Economie et des Finances pour “Investir au Bénin”,  pour attirer les investisseurs étrangers au Bénin. Mais ces plaquettes sont aujourd’hui dépassées. Les chiffres avancés sont complètement dépassés. Nous aurions souhaité recevoir des plaquettes réactualisées en versions française et anglaise. Il en est de même du Code des Investissements que nous souhaiterions recevoir actualisé en français et en anglais. L’ambassade aurait également souhaité recevoir régulièrement, ne serait-ce que deux (02) fois par an, la liste actualisée des grands projets du Gouvernement, en français et en anglais, avec des études de faisabilité en anglais pour les projets qui en ont. Nous avons aussi besoin de disposer du  répertoire des sociétés béninoises, secteur par secteur. L’ambassade n’a jamais reçu de posters pour la promotion de la destination Bénin. A chaque foire et exposition, nous nous contentons de visiter les stands des autres pays africains. Cela fait mal car je sais que tous ces documents existent au Bénin ou tout au moins, les différents départements ministériels concernés sont capables de les confectionner. Je suis sûr que ce n’est qu’une question de coordination entre le Ministère des Affaires étrangères et ces Ministères. Le dernier souhait de l’Ambassade, et pas des moindres, sera de voir notre pays acquérir des bâtiments en Inde pour sa Chancellerie et pour sa résidence. Mais, c’est quelque chose qui ne sera pas facile, car les terrains et bâtiments coûtent très chers en Inde. Des acquisitions de bâtiments pourraient éviter à la Chancellerie et à la résidence de changer d’adresse tous les deux ans et cela permettrait à l’Etat béninois de faire des économies substantielles à long terme, car les loyers reviennent très chers. Enfin, je voudrais saisir l’occasion que vous m’offrez pour vous remercier très sincèrement d’être venus réaliser cette interview dans les locaux de l’ambassade. Je vous souhaite un très bon retour au pays.

Entretien réalisé  à New Delhi par Bernadin MONGADJI  et Hugues  PATINVOH

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