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Le triomphe de la vérité

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Dossier/Rejet des porteuses de fistules obstétricales: Dans la souffrance infinie des « maudites » de l’Atacora-Donga


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« Sales » pour les uns, « maudites » ou « envoûtées » pour les autres, les victimes de fistules obstétricales sont confrontées à l’abandon et au rejet social. Condamnées à l’ostracisme, elles peinent, même une fois guéries de « la maladie de l’urine qui coule », à retrouver leur place au sein de la société. Au Bénin, dans les départements de l’Atacora/Donga, nombre d’entre elles vivent au quotidien ce drame, dans la misère et l’abandon.

Centre de santé de Sèmèrè, commune de Ouaké, département de la Donga à environ 500 kilomètres de Cotonou, la capitale économique du Bénin. C’est lundi. Il n’est pas dix heures. C’est jour de vaccination. Le centre ne désemplit pas. Leur enfant dans les bras, les mères attendent patiemment leur tour sous la paillotte réservée aux séances de vaccination. Dans la cour du centre, à l’écart sous un arbre, un petit de groupe de femmes attend. Elles sont huit. Agées d’une vingtaine à une cinquantaine d’années, ce sont des fistuleuses. Certaines sont guéries, d’autres pas. Réunies dans une salle de la maternité du centre de santé par les soins d’Amsatou Socohou, aide-soignante et par ailleurs animatrice de l’ONG Essor, une organisation qui lutte contre les fistules obstétricales, les huit femmes sont plus enclines à parler. Réckya Katoora se jette à l’eau. Teint noir, le regard triste, elle raconte d’une voix tout aussi triste son drame. « Ma maladie a commencé depuis bien longtemps. J’ai eu deux grossesses qui se sont soldées par deux enfants, tous mort-nés. En voulant accoucher du troisième, j’étais dans une ferme et il y a eu des problèmes. On m’a emmenée à Sokodé (Togo) en hamac. Là-bas, finalement, j’ai subi une césarienne. Après la césarienne, les agents de santé on constaté une incontinence urinaire. Ils m’ont envoyée à Lomé. Je suis restée à Lomé pendant 2 mois. Et comme ça n’allait toujours pas, je suis revenue chez mes parents. Aucun des membres de la famille de mon mari n’est arrivé auprès de moi quand j’ai eu ce problème. J’ai été rejetée par tout le monde. J’étais seule dans ma chambre, isolée et c’est là que mes parents m’apportaient à manger. Même aujourd’hui, je suis isolée. C’est à cause de ce mal. Je n’ai pas d’enfant, je n’ai personne. Je suis seule. J’ai été opérée deux fois. Je continue de perdre les urines. Aujourd’hui, je ne veux rien, si ce n’est guérir totalement. » Réckya achève son témoignage d’une voix étranglée. Encouragées par la prise de parole de Réckya, ses compagnes d’infortune vont à leur tour partager leur histoire : le pénible récit d’un long et douloureux travail d’accouchement de 48 à 72 heures, à la maison, avant que la décision de les conduire vers une maternité ne soit prise. Elles racontent la césarienne trop tard, le bébé mort, la fistule qui s’installe, le rejet qui s’en suit et leur vie brisée. Elles ne sont pas seules. Comme elles, nombreuses sont encore les Béninoises qui souffrent de fistules obstétricales, cette lésion mettant en communication le vagin et la vessie (ou le rectum), causée par la pression du bébé lors d’accouchements longs et compliqués et pour lesquels une césarienne n’est pas pratiquée ou trop tardivement. Devenues incontinentes, ces femmes perdent leurs urines et/ou selles en permanence. Elles dégagent une mauvaise odeur et vivent dans la honte, rejetées de tous : mari, famille, communauté. « Ces femmes-là sont seules dans leur enclos. Parfois on constate la présence d’un petit enfant à leurs côtés, mais jamais on ne verra une autre personne s’asseoir près d’elles pour parler, jamais. Elles-mêmes ont honte parce qu’elles se voient sales. Elles ne veulent pas s’approcher des gens parce qu’elles sentent mauvais. Leur souci, c’est qu’elles ne sont plus comme les femmes qu’elles étaient avant la maladie », avance Amsatou Socohou qui en a rencontré en cinq ans d’activité aux côtés de l’ONG Essor.

Mort sociale programmée

Alors qu’elles étaient des cultivatrices, des commerçantes, des jardinières ou des transformatrices, avant la survenue de la maladie, elles perdent leur activité et dépendent des autres pour se nourrir. Blandine E. est dans ce cas. Revendeuse de vivres, elle est contrainte, depuis la survenue de sa maladie, de cesser toute activité. « Extrêmement fatiguée », selon ses dires, par les pertes incontrôlées d’urine, elle ne peut plus rien faire. Refoulée dans sa famille, elle en est réduite à tendre la main aux femmes de son père qui consentent encore à la nourrir. Tout comme Blandine, Babira W. aussi s’est retrouvée sans travail. Mariée à un cultivateur, elle possédait un jardin potager qui lui procurait des revenus lui permettant de faire vivre sa famille décemment. Victime d’une fistule en janvier 2014 à la naissance de son quatrième enfant, une petite fille qui a survécu, elle passe le clair de son temps sous des arbres, sa fille dans les bras, derrière les dernières cases du village d’Adjédè, commune de Ouaké. Handicapées par la maladie, exclues de toute vie sociale et économique, les victimes subissent en plus l’exclusion dans sa pire forme. Insultes, quolibets, rien ne leur est épargné. « Ma nourriture était rejetée. Les gens me demandaient si elle ne contenait pas d’urine », se souvient en riant Tatissi, une ancienne fistuleuse de la commune de Sèmèrè. Yacouba D. elle, a dû se résoudre à quitter son mari « qui se montrait compréhensif », ses deux co-épouses menaçant de déserter le foyer si ce dernier ne la répudiait pas. Drame de toute une vie, les fistules se réparent avec des taux appréciables de réussite. Grâce au programme de prévention et de réparation de la fistule obstétricale lancé en 1996 par le médecin urologue, le Dr Charles-Henry Rochat, à l’hôpital Saint-Jean de Dieu de Tanguiéta, plus de 800 femmes sont traitées et guéries de la fistule obstétricale. Synonyme d’honneurs retrouvés, la guérison n’est parfois pas un motif de réintégration dans la société. En effet, si certaines ont la chance de retrouver, une fois continentes mari, famille, vie sexuelle et même maternité, il n’en n’est pas de même pour beaucoup d’autres, condamnées à vivre un rejet sans fin, malgré l’intervention des services sociaux auprès de la famille. « Nous essayons de parler avec la famille et leur expliquer qu’elle est guérie et qu’elle pourrait en refaire partie. Ils acceptent quand tout le monde est là pour leur parler mais quand nous partons, c’est relâché chez certains. C’est vrai, ces femmes ne sentent plus mais dans leur tête, c’est déjà dit qu’elle est comme ça. Ils peinent à revenir sur le bon comportement », déplore Nicole Opposy, technicienne supérieure de l’action sociale en service à l’Hôpital Saint-Jean de Dieu de Tanguiéta. Guérie au bout d’une bonne quinzaine d’années de maladie, Angèle M’Po est de celles-là. Rejetée par sa communauté, elle a quitté son village pour s’installer en ville et est obligée, pour survivre, d’arpenter la montagne pour y cueillir du bois mort qu’elle revend. Les siens, ils l’ont rejetée et son mari, non plus, ne veut en entendre parler. « Ils ne connaissent rien». Ainsi va la vie de ces femmes.

A l’épreuve de la tradition

Trou entre la vessie (parfois le rectum) et le vagin, causé par la pression du bébé lors d’accouchements longs et non assistés, la fistule obstétricale continue d’être une réalité dans les pays pauvres. Deux millions de femmes en souffrent dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Disparu du monde occidental, le mal fait chaque année, 50.000 à 100.000 nouvelles victimes. Le Bénin n’est pas épargné. « Sur 1000 accouchements intervenus en Afrique, on enregistre 1 à 3 nouveaux cas de fistules obstétricales. Au Bénin, il y a environ 400.000 naissances par an. On peut donc en déduire que probablement, 400 nouveaux cas de fistules sont enregistrés chaque année », estime Rafiatou Bassongui Imorou, la Directrice exécutive de l’ONG Essor, spécialisée dans la lutte contre les fistules obstétricales. Il n’existe pas de statistiques exhaustives sur les victimes, et les chiffres disponibles, épars, ne donnent pas l’ampleur réelle du phénomène. Et pourtant les fistules sont l’objet de préoccupation au plan international, avec le lancement en 2003 par le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), de la campagne mondiale d’éradication. Le Bénin a adhéré à cette campagne et s’est doté, en 2005, d’une stratégie nationale de lutte prévoyant trois axes programmatiques : la prévention, le traitement et la réhabilitation sociale. Egalement, quatre structures sanitaires de référence s’occupent de la prise en charge des femmes porteuses de fistules obstétricales au Bénin: le Centre national hospitalier universitaire Hubert Koutoucou Maga (CNHU-HKM) de Cotonou, le Centre hospitalier départemental de Parakou, les hôpitaux de Bembéréké et de Tanguiéta. Chaque année, l’hôpital Saint Jean de Dieu de Tanguiéta organise avec l’appui de ses partenaires, des missions de lutte contre les fistules obstétricales à Tanguiéta. A ce jour, plus de 800 femmes en ont bénéficié. Cheville ouvrière du combat contre la fistule obstétricale, l’UNFPA s’implique au Bénin sur divers fronts. Grâce au 7ème programme de coopération signé entre le Bénin et l’UNFPA pour la période 2009-2013, 585 femmes ont été opérées. Egalement, l’UNFPA procède régulièrement à des remises de matériels d’équipements aux acteurs. Malgré ces efforts sensibles, force est de constater que le mal demeure.
En cause, outre la mauvaise qualité des soins dans les maternités (personnel insuffisant ou peu formé), certaines pratiques socioculturelles telles que les mariages et les grossesses précoces, les accouchements à domicile, les mutilations génitales féminines, etc. Dans son rapport d’activités 2013, l’ONG Essor met l’accent sur ces pratiques et fait état de 18,11% de femmes ayant accouché à domicile, s’exposant de fait à la fistule obstétricale. Tout puissante, la tradition règne sur la santé et la vie des femmes dont elle fait peu de cas du statut.
 
Plus forte que la loi, la tradition

Bien que combattues et même punies par la loi, certaines pratiques préjudiciables à l’épanouissement de la femme demeurent et font le lit des fistules obstétricales malgré l’effort de l’Etat, selon le Dr Zaongo de l’Hôpital Saint Jean de Dieu de Tanguiéta, de rapprocher les centres de santé des populations. La décision d’aller en consultation prénatale, dans un centre de santé ou de se rendre à la maternité n’émane pas de la femme. « La tradition continue de jouer partout. La femme seule peut aller à la maternité, mais il faut que l’homme lui donne l’autorisation. On en rencontre ici qui malgré leur argent doivent attendre l’autorisation du mari », déplore Amsatou Socohou, aide-soignante à la maternité du centre de santé de Sèmèrè. Pour elle, ni plus, ni moins, « c’est la tradition qui continue toujours d’embêter les femmes». Le Bénin s’est pourtant doté en 2003 de la Loi N° 2003-04 du 03 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction. Celle-ci, en son article 1er, « implique qu’hommes et femmes ont le droit d’accéder à des services de santé qui permettent aux femmes de mener à bien grossesse et accouchement et donnant aux couples toutes les chances d’avoir des enfants en bonne santé ». Mieux, en 2012, le Gouvernement béninois a promulgué la Loi N°2011-26 du 09 janvier 2012 portant prévention et répression des violences faites aux femmes et aux filles. Accueillie avec espoir, cette loi en son article 37 stipule que « toutes les pratiques traditionnelles préjudiciables aux femmes sont constitutives d’infractions de droit commun et punies comme telles ». Respectivement onze et deux ans après leur promulgation, l’application effective de ces deux lois est en souffrance. De même, le Bénin a ratifié un grand nombre de textes en faveur des femmes, tels que le Protocole à la Charte africaine des Droits de l’Homme et des peuples, relatifs aux droits de la femme en Afrique qui, dans son article 14, reconnaît à la femme le droit à la santé et au contrôle des fonctions de la reproduction. Qu’en est-il de la vulgarisation et de l’application de ces différentes lois dans un pays majoritairement analphabète ? Même si « on continue d’en faire la vulgarisation » comme le soutient Léonard Lalèyè, directeur adjoint de la femme et du genre au Ministère de la famille, il serait de bon ton de passer à plus d’actions, car « force doit rester à la loi ». La vie de milliers de Béninoises en dépend.

Témoignages de victimes de fistules

Angèle M., demeurant à Natitingou: « Je ramassais la farine par terre pour me nourrir »

« Je suis de Boukoumbé. Ma maladie a duré, je ne saurai dire combien d’années. C’est arrivé au moment de l’accouchement. Mon mari et ma belle-famille m’ont abandonnée. Ma propre famille aussi. Grâce à mon neveu qui travaillait dans un moulin, je ramassais la farine par terre pour me nourrir. Souvent, mon neveu m’insultait à cause de cette aide qu’il me portait. Ma vie était difficile avec les couches que je devais porter tous les jours. Quand je mettais les chiffons, c’était comme si mes cuisses allaient se déchirer à cause des plaies et de l’urine qui coulait dessus. Et quand je marchais longtemps, c’était comme si on m’avait versé du piment dessus. C’est Dieu seulement qui m’a sauvée. J’ai rencontré l’ONG Essor et c’est grâce à elle que je suis guérie. On m’a opérée trois fois, en 2010 et  2011, à l’Hôpital St Jean de Dieu de Tanguiéta. C’est la troisième fois que l’opération a réussi. Aujourd’hui, j’ai mes six petits-enfants à ma charge. Leurs différentes mères les ont abandonnés chez moi. Je dois aller sur la montagne pour chercher du bois que je vends avant qu’on ne mange. Ce sont des Blancs qui m’ont aidée. Ils m’avaient donné de l’argent et avec, j’ai habillé les enfants et préparé leur rentrée. Je n’ai bénéficié d’aucune aide des autorités de mon pays. Mon vœu, c’est avoir ma propre chambre pour pouvoir mieux m’occuper des enfants ».

Itotcha Kpagré, demeurant à Natitingou:« Tous les jours, je portais des couches »

« J’étais en état de grossesse et le jour de l’accouchement, je suis allée à Kouandé. Ils n’ont pas pu nous référer au CHD Natitingou. Ils croyaient que le bébé était gros, et ils ont fait une épisiotomie. Ils m’ont recousu et ont fait la césarienne. C’étaient des jumeaux. Un était déjà mort et en décomposition quand on l’a sorti de mon ventre. En même temps la fistule a commencé. Tous mes pagnes étaient souillés. Si c’est maintenant qu’une telle situation arrivait, mon mari allait être arrêté, parce qu’il ne m’a pas vite emmenée à l’hôpital, au 4e jour. Quand il a constaté mon incontinence il m’a abandonnée. J’étais obligée de rester avec mes parents et c’est là que j’ai rencontré quelqu’un qui m’a aimée malgré les urines. Il m’a fait deux enfants. J’ai refusé de vivre sous son toit et malgré ça on a vécu ensemble, avec les moqueries des gens. Il a fini par se décourager, malgré les deux enfants. Je ne lui en veux pas, malgré qu’il se soit remarié. C’est une maladie très mauvaise. Si tu vas chez quelqu’un et que tu t’assois, tu dois te lever de temps en temps pour voir si tu as mouillé son tabouret. Tous les jours, je portais des couches. Le matin de bonne heure, que tu le veuilles ou pas, tu es déjà debout et t’es lavée plusieurs fois. Malgré ça, il n’y a pas ce que tu vas faire et puis l’homme ne va pas sentir l’odeur des urines sur toi. Il n’existe pas ce produit. Tous les jours, la matrice a des plaies, parce que, tout le temps, tu portes des couches. Maintenant il faut venger les filles et arrêter les maris qui abandonnent leurs femmes à cause de cette maladie. »

Thérèse M., victime de fistule et mariage forcé, vit à Tanguiéta:« C’est à cause de mon père que j’ai cette maladie »

« Mon père m’a mariée de force. Quand je suis tombée enceinte, je ne suis pas partie une seule fois en consultation. Au moment où je devais  accoucher, on ne m’a pas vite emmenée à l’hôpital. C’est quand l’enfant a refusé de sortir qu’ils m’ont finalement transportée de la maison à l’hôpital. Mon mari ne m’a pas accompagnée malgré que je ne pouvais pas rester debout. Quand on a sorti l’enfant, on m’a allongée sur un lit et c’est là que ma maladie a commencé. Mon mari est arrivé pour me ramener chez lui. Mais je me suis enfuie. Mon père veut me faire repartir là-bas de force, mais je ne veux pas. J’ai été opérée mais ça n’a pas réussi. Je perds toujours les urines. Tant que je reste allongée ça peut aller, mais quand je me lève pour faire quelque chose ou que je marche, les urines coulent sans arrêt. C’est à cause de mon père que j’ai cette maladie. C’est sa faute. Plus tard, je veux devenir couturière».

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