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Le triomphe de la vérité

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Entretien avec Wilfrid Lauriano do Rego, Coordonnateur du Conseil présidentiel pour l’Afrique: «Le vrai sujet qui intéresse les jeunes africains, c’est l’accès aux crédits pour leurs projets»


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Wilfrid Lauriano do Rego, Coordonnateur du Conseil présidentiel pour l’Afrique

Dans sa politique africaine, le Président de la République française Emmanuel Macron a créé une rupture dès 2017, en embarquant la société civile, en laissant au passé une relation qui était exclusivement d’Etat à Etat, et qui alimentait les fantasmes et les ressentiments. Ainsi, il a créé le Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA), ayant trois missions principales : interpeler le Président français sur tous les sujets liés à l’Afrique, créer un lien permanent avec la société civile sur le continent africain et en France pour comprendre leurs attentes, et formuler des propositions d’actions concrètes au Président de la République, dans plusieurs domaines à savoir l’entrepreneuriat et l’innovation, la culture, le développement durable, l’éducation, la santé, la gouvernance, les droits humains, etc. Wilfrid Lauriano do Rego, Coordonnateur du Conseil présidentiel pour l’Afrique, dans cette interview, saisit l’occasion de son séjour au Bénin pour présenter les engagements et les actions du Président Emmanuel Macron pour l’Afrique. Il y aborde également le rôle du CPA, le renouvellement de la relation entre la France et les pays africains, l’entrepreneuriat des jeunes, et le New Deal avec l’Afrique. C’est par l’intermédiaire de son ami d’enfance Edgard Kpatindé, homme de réseaux et leader d’opinion, que Wilfrid Lauriano de Rego a accepté de rompre sa discrétion pour s’entretenir avec les journalistes dans sa Galerie d’arts de la Haie vive. Ce grand moment avec le Coordonnateur du Conseil présidentiel pour l’Afrique, sur le New deal de Macron sur les relations France Afrique, a eu lieu, dans une atmosphère conviviale. Lire l’intégralité de l’entretien

L’Evénement Précis : Pourquoi l’entrepreneuriat des jeunes peine à être une réalité en Afrique de l’Ouest, notamment au Bénin ?

Wilfrid L. de Rego : Pour entreprendre et réussir, il faut d’abord un bon projet et un bon entrepreneur. Ça paraît simple de le dire ainsi, mais on ne naît pas entrepreneur, on le devient. Il ne faut pas sous-estimer la difficulté d’entreprendre. Ce prérequis, il est valable en Afrique et partout ailleurs. L’Afrique est naturellement une terre d’entrepreneuriat, mais ce qu’il faut, c’est l’accompagner par la formation. En effet, un entrepreneur, c’est un multitâche : il gère son projet, les personnes, le marketing, les finances… ça fait beaucoup. Et pour cela, il a besoin d’être formé. Les formations en entrepreneuriat doivent être développées et renforcées sur le continent et au Bénin, à la fois au sein du système éducatif national, à travers des formations pratiques et professionnelles, mais il faut également accompagner tous les acteurs privés et associatifs qui proposent des formations courtes, accessibles notamment à ceux qui sont déjà dans la vie active. Ensuite, il y a le besoin de financements, le nerf de la guerre. Lorsque les porteurs de projets arrivent à se constituer un premier apport pour se lancer, ils sont confrontés à un problème majeur en Afrique, qui est le taux très faible de financement de l’économie par les banques locales. Et ça, c’est un véritable sujet. Vous avez des taux de crédit bancaire de 10, 15 voire 18%, alors qu’en Europe, nous sommes autour de 2 à 5%. La raison d’une telle situation, c’est que les banques qui se financent auprès de la BCEAO à un taux de l’ordre de 2%, prêtent aux particuliers à des taux très élevés pour se garantir contre les mauvais payeurs. Il faut résolument que ce schéma soit assaini et renforcer le système judiciaire pour qu’il puisse jouer pleinement son rôle, et garantir l’action des banques en allant récupérer les fonds lorsqu’elles ont affaire à ces mauvais payeurs. Bien que je soutiens les débats essentiels autour du Franc CFA et de la souveraineté monétaire, j’ai d’ailleurs récemment participé au colloque international « Du FCFA à l’ECO : quelle monnaie pour quel développement en Afrique de l’Ouest ? », organisé par Kako Nubukpo à Lomé en mai 2021, le vrai sujet qui intéresse les jeunes, il est là : avoir accès aux crédits pour financer leurs projets. Ça, c’est très concret, et des solutions existent.

Quelles sont ces solutions ?
On peut constituer des fonds de garantie, qui permettent de garantir une partie du risque pris par les banques, afin d’atteindre le niveau de risque acceptable par celles-ci, et prendre en charge les coûts en cas de défaut des clients. Mais si tous les 10 dossiers traités, vous avez un dossier défectueux, le fonds va fondre comme neige au soleil. Là encore, il faut que le système judiciaire soit renforcé. C’est un travail d’écosystème. Ce qui fait évoluer l’écosystème, c’est également l’effort qui est mis sur le secteur formel. On doit accompagner progressivement les entrepreneurs vers la formalité, parce que dans le secteur formel, ils sont visibles des investisseurs et peuvent avoir accès aux crédits. L’Etat doit être aux côtés de ces porteurs de projets pour les pousser à se formaliser. Mais le secteur informel représente encore la majorité des entrepreneurs du continent, plus de 80% de l’activité économique dans certains pays. Des mécanismes existent pour les financer, comme le microcrédit, ou sa version digitale, dont le développement s’est accéléré pendant la pandémie. Le cœur de l’écosystème est sans doute l’incubateur : un lieu où les entrepreneurs en herbe viennent se former et peuvent avoir accès à tous les services dont ils ont besoin : réseaux, financeurs, opportunités de networking…. L’incubateur est l’acteur central, l’interlocuteur premier des pouvoirs publics, des grandes entreprises, et des investisseurs. Il est une passerelle naturelle entre l’entrepreneur et les opportunités. Je pense par exemple à Sèmè city ici au Bénin, un haut lieu d’innovation qui accompagne les entrepreneurs, stimule la recherche scientifique, développe des infrastructures d’avant-garde et attire les multinationales, institutions et tous les professionnels qui souhaitent bâtir des partenariats avec les jeunes pousses. Je crois enfin beaucoup au mentorat. Honnêtement, ceux qui réussissent ont une responsabilité et doivent parrainer ceux qui débutent. Il faut pouvoir travailler à l’éclosion de champions nationaux, et favoriser en même temps l’inclusion de tous ces jeunes par le mentorat. Ces mentors sont là pour les coacher, les inspirer, leur montrer que c’est possible. Ils leur donnent des conseils, leur ouvrent des portes, les guident sur les bonnes attitudes à avoir, les pièges à éviter…

Que pensez-vous de la politique du Gouvernement du Bénin de professionnaliser la formation à partir du secondaire ?
La formation professionnelle est un enjeu majeur en Afrique, et au Bénin. En effet, toutes les études montrent qu’une partie du chômage des jeunes qui gangrène le continent vient de l’inadéquation entre les formations générales de l’université, et le marché du travail en pleine mutation, dans des économies bouillonnantes. L’action du Gouvernement béninois, qui permet d’accompagner nos plus jeunes dès le secondaire, est à la fois nécessaire et très innovante. A cet âge, l’objectif est d’abord de transmettre les codes sociaux, et la culture de base du monde professionnel. Il est question également de créer des vocations et de lutter contre l’autocensure. Je suis convaincu que ces mesures aboutiront à un environnement éducatif appelant au développement des attitudes tant qu’à l’acquisition de compétences, et sur le long terme, il permettra de favoriser l’insertion professionnelle de toute une génération.

Un sentiment anti-français se développe chez les jeunes africains dans de nombreux pays. Qu’en dites-vous ?
Je pense que c’est un vrai sujet. Il y a eu des manifestations récentes au Sénégal où des entreprises françaises ont été brûlées et saccagées. C’est un vrai sujet, que j’analyserais par trois éléments. D’abord, si on reste du côté du continent, les dirigeants des pays africains n’apportent pas suffisamment de réponses aux besoins de leurs populations, en particulier des jeunes. Cette situation crispe la société civile et crée des tensions au sein de la jeunesse. Ensuite, il est vrai que pendant des décennies, la France a entretenu avec l’Afrique une relation très institutionnelle, en passant exclusivement par les États et par les entreprises bien installées. C’est à mon sens une erreur, car le ressentiment s’est nourri de cette façon de procéder. Le Président Macron a tout de suite manifesté la priorité qu’il voulait donner aux sociétés civiles, non pas pour évincer les relations avec les autorités nationales, mais en totale complémentarité, pour bâtir un nouveau narratif. Enfin, je crois que la compréhension historique des phénomènes de colonisation et de décolonisation est essentielle pour refonder une relation forte entre la France et l’Afrique, et lutter contre la montée du sentiment anti-français dans la jeunesse de nombreux pays, qui se construit notamment sur cet imaginaire colonial, et l’idée qu’on se fait du passé. Vous connaissez l’adage « Pour savoir où l’on va, on doit connaître d’où l’on vient », et il est important pour l’avenir du continent que la jeunesse ait accès à cette part d’histoire. Il y a donc un travail de mémoire à mener, essentiel pour les jeunes d’Afrique et de la diaspora. C’est ce qu’a initié le Président de la République, notamment à travers la restitution des œuvres d’art africaines au Bénin et au Sénégal ; il a marqué une rupture avec ses prédécesseurs, en expliquant que « le patrimoine africain ne pouvait pas être uniquement dans des collections privées et des musées européens ». Sur d’autres pages de notre histoire en commun, le rapport Duclert à propos du Rwanda rendu en mars 2021, ou le rapport sur la réconciliation mémorielle autour de la colonisation et de la guerre d’Algérie de Benjamin Stora, sont des actes forts pour apaiser nos rapports… Emmanuel Macron a en effet à cœur de regarder ce passé en face, dans sa pluralité et ses parts d’ombre, car c’est faire preuve de sincérité et de responsabilité vis-à-vis des pays africains, et c’est le meilleur moyen de couper court à tous les fantasmes, malheureusement très répandus autour de ces sujets. C’est mettre au-devant de cette relation avec l’Afrique, une vérité historiographique, qui engage chaque partie à un avenir construit sur des bases saines. Cette histoire est là, nous en sommes les héritiers, mais pas les acteurs.

Quelle est la prochaine destination du Président Macron qui s’attaque aux sujets tabous ?
C’est vrai qu’il va vite. Il a totalement changé la méthode. Il a d’abord eu le courage de s’attaquer à des tabous de la relation entre l’Afrique et la France, autour de la mémoire en Algérie et au Rwanda, la restitution des œuvres d’art, ou encore la réforme du franc CFA qui était un marqueur symbolique qui alimentait beaucoup de fantasmes et de critiques. Et pour construire une relation apaisée avec les nouvelles générations, il faut n’avoir aucun tabou. La prochaine étape, elle est déjà en route. Sur le sujet des restitutions d’œuvre d’art par exemple, le travail se poursuit avec d’autres pays et je sais que des initiatives sont à l’œuvre pour travailler sur d’autres modalités de coopération culturelle, muséale et patrimoniale, à travers la circulation des œuvres, les prêts et dépôts à long terme, … Dans cette dynamique, je suis convaincu qu’on peut aller encore plus loin, jusqu’à aboutir à une circulation des œuvres entre l’Europe et les pays africains dans les deux sens : de l’Europe vers l’Afrique, mais aussi de l’Afrique vers l’Europe, permettant aux Européens et aux diasporas de connaître l’Afrique, et de faire des œuvres d’art africain, des œuvres pleinement universelles. Cette prochaine étape se jouera aussi à l’échelle européenne, avec la présidence française du Conseil de l’Union européenne en 2022, qui sera une tribune à la mesure du leadership français que le Président Macron a su impulser depuis son élection, en faveur du continent africain.

Est-ce que la Françafrique est une réalité selon vous ?
Je pense qu’aujourd’hui, cela fait partie aussi d’un imaginaire. Soyons factuels. J’évoquais l’Europe précédemment : l’échelle européenne est une dimension importante de la relation de la France avec l’Afrique qui permet de sortir d’un certain face-à-face avec la France qui alimente beaucoup de fantasmes, notamment en ce qui concerne les pays africains faisant partie de ses anciennes colonies. On constate d’ailleurs que l’Afrique francophone s’inscrit dans la pluralité en s’associant à côté de la France, à d’autres pays comme le Japon, la Chine, l’Allemagne, les Etats-Unis, ou l’Inde… Et il faut rappeler que les premiers partenaires commerciaux de la France en Afrique sont le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Angola. Pour citer un autre exemple concret, j’ai été personnellement impliqué dans la réforme du Franc CFA. Trois des quatre piliers ont été réformés : le changement de nom, le retrait des représentants de la France des instances de gouvernance de la zone UEMOA, et la fin de l’obligation, pour les États de la zone CFA en Afrique de l’Ouest, de centraliser leurs réserves de change au Trésor français. Sur ce dernier point justement, l’opinion publique y a toujours été fortement hostile, considérant que cette pratique était paternaliste, ce que je peux comprendre. Mais, ce dépôt permettait une rémunération fixe à des taux plus élevés que ça l’est aujourd’hui, qui était directement versée dans les finances publiques des pays africains. On a gagné en souveraineté, mais perdu en jetons. Dans cette réforme, seule la parité fixe avec l’euro et la garantie de convertibilité illimitée sont conservées, permettant une certaine stabilité, mais restant tout à fait ouverts à des réformes futures. Ces deux exemples montrent que la pédagogie est essentielle sur les sujets complexes où se joue un passé tourmenté de la France et de l’Afrique. Il faut sortir de la société de l’émotion qui a tendance à tout simplifier et accepter la complexité du réel et de l’histoire.

Par rapport aux tensions terroristes dans les pays du Sahel par exemple, les gens condamnent la France. Est-ce que c’est elle qui joue un double jeu ou c’est les leaders des Etats africains ?
La France est engagée au Sahel, comme d’autres partenaires internationaux, afin d’éviter que cette zone ne devienne un foyer durable d’instabilité avec la présence des groupes terroristes et différents trafics de drogues, d’armes, de traite des êtres humains et de migrants, susceptibles de menacer aussi sa sécurité. Cette action, elle se met en œuvre en partenariat, et à la demande des pays africains. Là encore, nous avons un devoir de pédagogie et sans doute de communication envers les populations, à la fois du côté de la France et de la part des dirigeants africains. Car la présence française, qui s’est d’ailleurs transformée depuis la fin de l’opération Barkhane le 10 juin dernier, pour se recentrer autour de la task force européenne Takuba, est demandée par les pays africains, pour les aider à contenir et éradiquer cette menace pour les populations.

Le Président Macron a appelé à un new deal avec l’Afrique. Comment va-t-il concrétiser cela ?
Les besoins de financement des économies africaines aggravés par la pandémie, sont estimés à 350 milliards de dollars pour les trois prochaines années. Et le New Deal avec l’Afrique, lancé à l’issue du Sommet sur le financement des économies africaines le 18 mai dernier par le Président Macron, propose des pistes concrètes pour affronter les conséquences de la crise sanitaire et économique. L’appel du Président de la République aux pays riches pour atteindre 100 milliards de dollars de DTS en direction de l’Afrique, les initiatives en faveur de la dette, le soutien au secteur privé, les efforts engagés pour la vaccination et l’ambition de l’initiative Covax de 20% à 40% d’Africains vaccinés d’ici fin 2021, ont marqué, pour moi, une étape importante d’un renouveau, dans la lignée du discours de Ouagadougou. De même, l’engagement de la communauté internationale pour le financement des infrastructures durables et de qualité, est essentiel pour augmenter le potentiel de croissance du continent dans le respect de l’Accord de Paris.
Mais pour concrétiser ces ambitions, je suis convaincu qu’il faut avant tout changer le regard qu’ont les acteurs du Nord par rapport au Sud. En effet, les mesures annoncées par le New deal ne pourront porter leurs fruits que si nous travaillons à sensibiliser les acteurs financiers sur la perception du risque en Afrique. Aujourd’hui, on les voit méfiants, car ils ont une vision erronée des marchés, et il est primordial d’inventer des solutions innovantes de gestion et de partage des risques, mais aussi d’accompagner les banques à prendre en compte le risque réel en Afrique, plutôt qu’un risque perçu, totalement décalé des réalités. Le manque à gagner est un véritable enjeu de diplomatie économique; C’est ce pourquoi nous plaidons au sein du think tank A New Road dédié aux dettes publiques et au financement des économies africaines, que j’ai participé à fonder en mai dernier, aux côtés d’un collectif de décideurs et hommes politiques français et africains.

Entretien réalisé par Gérard AGOGNON et Laurent D. KOSSOUHO

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