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Le triomphe de la vérité

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Edito: Musique Guidjoooo


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Je me souviens de ce débat qu’il y a eu à la salle des profs il y a quelques années. Certains professeurs, surtout les plus jeunes, soutenaient mordicus qu’il fallait inviter Vano Baby aux journées culturelles. C’était l’artiste du moment, criaient-ils, et la plupart des élèves l’admiraient. D’autres y étaient farouchement opposés, soutenant que même si tel était le cas, un artiste qui fait la promotion de la dépravation des mœurs n’avait pas sa place à l’école. Je ne connaissais pas Vano, je suivais la chaude empoignade, le choc des arguments passionnés. Plus tard, après avoir pris le temps d’écouter une musique faite de gros popotins et de sang à boire, je compris les anti-Vano. Et une question demeurait au travers de ma gorge : la musique doit-elle exalter la délinquance ou au contraire promouvoir les valeurs qui construisent une société au lieu de la détruire?
C’est aujourd’hui le 21 juin, journée internationale de la musique. Et la question reste toujours posée au regard de la montée en puissance dans la musique urbaine béninoise, de ces musiciens qui promeuvent les valeurs du ghetto. Car en dehors de Vano Baby, l’autre phénomène apparu depuis quelques années s’appelle Togbè Yéton. L’artiste masqué a réussi le tour de force de faire de son onomatopée bruyante, le slogan populaire du chef de l’Etat : Guidjoooo. L’équipe de campagne du candidat Patrice Talon a saisi au bond la popularité de cet argot en en utilisant la force incantatoire qui fait mouche. Nous étions en campagne et tout ce qui faisait peuple, tout ce qui était capable de mobiliser le dernier des électeurs était bon à utiliser. De fait, nous sommes passés de « tchéké », un autre argot des quartiers mal famés de Cotonou, utilisé pour la campagne 2011, à « guidjoooo » dix ans plus tard. Le même recours au langage du ghetto. Aller puiser dans le lexique du bas-peuple, pour construire une stratégie électorale ne date donc pas d’aujourd’hui.
On fait fi de la drogue, de l’alcool et de tous les autres vices qui sont consubstantiels à ce milieu. Mais en réalité, ce sont ces déviances qui sont célébrées indirectement. Du moins, elles apparaissent comme parfaitement sexy. On parvient ainsi à une intellectualisation du vulgaire montré en exemple. Un jour, les vols et les braquages serviront aux slogans publicitaires.
La musique urbaine ne semble ainsi grandir que lorsqu’elle exalte les bas instincts : le sexe, la drogue, l’alcool et tout ce qui va avec. C’est la version locale du Gansta Rap, cette forme de Rap violent dont Tupac Shakur fut l’instigateur aux Etats-Unis dans les années 1990. Ce Rap dont la rhétorique est faite de viols, de braquages, d’alcool et de drogue a construit l’imaginaire d’une jeunesse assoiffée de sensations fortes. On lui offre toute la panoplie de la vulgarité et de la délinquance, elle le rend en déviances et dérives de toutes sortes. Cette musique de ghetto se construit sur une société américaine très violente marquée par le règne des gangs. Tupac Shakur lui-même fut assassiné en 1996, à 25 ans, alors qu’il était au sommet de sa gloire. Bien entendu, la question est celle-ci : cette sale rhétorique nous montre-t-elle la véritable image de notre société ou secrète-t-elle au contraire une société violente ? Autrement dit, Vano Baby et les autres qui utilisent le même registre de la laideur, ne font-ils que rendre compte des pourritures de notre société ? Sont-ils responsables des dérives potentiels que leur musique engendre notamment au sein des plus jeunes et des esprits les plus vulnérables ?
Quelle que puisse être la réponse que chacun donnera à ces interrogations, je reste convaincu que c’est Karl Marx qui a raison. Le théoricien allemand disait en effet que le rôle de l’art n’est pas seulement de refléter le réel mais surtout de chercher à l’améliorer. L’esthétique marxiste est donc résolument progressiste en ce qu’elle donne à l’artiste un rôle social prépondérant.
En ce jour où nous célébrons la musique, il faut répéter à nos artistes que s’ils contribuent à la dégradation des mœurs dans leur pays, ils n’échapperont pas, ni eux-mêmes ni leurs enfants, aux conséquences inévitables qui en découleront. Encore un mot sur Tupac. Son tatouage (THUG THE LIFE) peut être décodé de la manière suivante : « la haine que vous donnez à l’enfant détruit tout le monde. » Est-ce que c’est clair ?

Par Olivier ALLOCHEME

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