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Le triomphe de la vérité

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Dr Eric ADJA, Président de l’Agence Francophone de l’Intelligence Artificielle (AFRIA), SOUS L’ARBRE A PALABRE: «Le Bénin a les atouts pour devenir leader de l’intelligence artificielle en Afrique»


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Directeur de l’Agence francophone de l’intelligence artificielle (Afria) depuis 2019, Dr. Eric Adja est l’invité de la rubrique Sous l’arbre à palabre du quotidien L’Evénement Précis. A cette tribune très prisée, le Directeur de l’Afria a exposé aux journalistes les grands enjeux de l’intelligence artificielle, fait le point des actions menées par l’Afria pour accompagner les jeunes dans la recherche de solutions. Dr. Eric Adja a par ailleurs dévoilé ses propositions pour maintenir la dynamique engagée depuis 2016 pour le développement du numérique au Bénin, les défis à relever pour une meilleure politique du numérique au Bénin et les perspectives de l’Afria.

Et si on en parlait

En 2019, vous avez été nommé à la tête de l’Agence francophone de l’intelligence artificielle. Qu’est-ce que l’Afria ?
L’Agence francophone de l’intelligence artificielle est une Fondation internationale basée à Genève, en Suisse, avec des bureaux en France, au Bénin et prochainement à Montréal (Québec), Libreville (Gabon), Abidjan (Côte d’Ivoire) et Hanoi (Vietnam). Le but de l’Afria est de promouvoir l’Intelligence artificielle au service du développement durable. L’Intelligence artificielle c’est de l’informatique avancée. On pense souvent aux robots qui prennent la place des humains et qui deviennent menaçants, comme on le voit dans certains films. En réalité, quand on parle d’intelligence artificielle, on parle du traitement des données grâce à des algorithmes ; il s’agit tout simplement de programmes informatiques avancés, permettant aux ordinateurs d’aider les humaines à traiter de grandes masses de données et à prendre des décisions sur cette base. C’est un type d’informatique poussée à un niveau tel, que les ordinateurs sont considérés comme « intelligents ». Ils arrivent donc à décoder un certain nombre de réalités avec un minimum d’intervention de l’humain. C’est de l’informatique avancée pour le traitement de grandes données pour faciliter un certain nombre d’interventions dans tous les domaines. Vous pouvez, grâce à l’intelligence artificielle, programmer l’arrosage de votre jardin ou de votre ferme. Ainsi, les programmes sont conçus pour que la machine puisse vous remplacer pour accomplir des tâches que vous n’avez pas le temps de faire. L’Afria a pour mission de voir ce qui se passe dans le monde avec l’intelligence artificielle et d’essayer de le proposer aux pays francophones, notamment africains. L’Afria s’informe de ce qui se passe dans le domaine, forme les jeunes et informe les pouvoirs publics afin d’adopter une politique de l’intelligence artificielle, au service du développement économique et social des populations locales.

Quels sont aujourd’hui les grands enjeux liés à l’Intelligence artificielle ?
Il y a trois enjeux : la sécurité, la vie privée et le développement durable. Au niveau de la sécurité, nous remarquons qu’aujourd’hui, il y a déficit de sécurité en ligne. Nous observons de nombreux cas de fraudes au niveau des banques surtout dans les transactions en ligne. L’intelligence artificielle peut aider les pays à sécuriser les banques pour compliquer la tâche aux cyber-délinquants. Mais, cet enjeu entraine celui de la confidentialité. L’intelligence artificielle fonctionne avec de grosses masses de données qui détiennent des informations sur chaque individu. Dans ce cas, on se demande comment protéger la vie privée des personnes. Pour exemple, la Chine a développé un système où, avant de rentrer dans certains établissements publics ou privés, c’est l’ordinateur qui capte votre image et fait une reconnaissance faciale. Ce qui fait que l’accès à cet établissement peut vous être interdit, si nécessaire, notamment pour des raisons de sécurité. Ce qui est grave est que ces données peuvent être utilisées pour contrôler vos déplacements. On a déjà votre visage dans le répertoire et on peut suivre vos déplacements dans des pays comme la Chine où le respect de la vie privée est considéré avec d’autres systèmes de valeurs.
Le respect de la vie privée et de la confidentialité est l’un des enjeux de l’Afria. Il y a principalement trois modèles de pensée autour de l’IA. Les modèles chinois et américains d’une part et le modèle européen de l’autre. Pour les Américains et les Chinois, il n’y a pas de frontière étanche entre la vie privée et les enjeux de sécurité nationale ; nous l’avons remarqué au cours de cette période de la Covid. Les données des malades du Covid sont enregistrées, ce qui fait que dans un quartier, on sait si tel ou tel est atteint du Covid. Comme inconvénient, on peut rapidement vous cibler et vous exclure de la société. L’école américaine essaie de respecter la confidentialité ; la voie européenne, plutôt humaniste dit qu’il est important de respecter la vie privée des citoyens. Ce que défend aussi l’Afria. Le troisième enjeu concerne le développement durable. C’est de faire en sorte qu’il ne s’agisse pas que de technologie, mais comment mettre l’IA au profit de la population et c’est tout le rôle de l’IA. C’est de voir ce qui se fait et ce qui peut être utilisé pour les populations. C’est-à-dire, par exemple, comment rendre plus fertiles nos sols, assurer la bonne gestion des déchets, la reconnaissance vocale ou aussi la création d’applications utiles à l’agriculture. Dans le domaine de la santé par exemple, on peut utiliser l’IA pour la distribution des vaccins et pour beaucoup de choses encore. Le rôle de l’Afria, c’est de travailler sur les enjeux et de pouvoir les mettre au profit du développement des peuples.

Parlez-nous un peu des actions menées par l’Afria pour accompagner les jeunes dans la recherche de solutions
Depuis 2019, nous avons organisé trois types d’activités. Le premier type d’activité qui concerne notre axe prioritaire, c’est la formation. Le deuxième type d’activité, c’est l’accompagnement, nous allons en parler et le troisième type, c’est la communication et la diffusion d’activités que nous menons ici. En termes de formation, nous avons organisé une série de webinaires et de séminaires pour former les personnes, surtout les jeunes. C’était le cas par exemple en septembre 2020 avec la Fondation Adrien Houngbédji pour le numérique, avec laquelle nous avons formé plus de 500 jeunes dans cinq villes du Bénin (Abomey-Calavi, Porto-Novo, Abomey, Lokossa, Parakou) sur ce que c’est que l’IA et sur le principal langage de programmation (appelé Python). Il s’agissait d’une tournée de sensibilisation et de formation, pour pouvoir former les jeunes dans le domaine. En termes de renforcement des capacités, le Bénin a été choisi comme pays pilote et c’est pourquoi en lien avec GSMA (association internationale des opérateurs de télécoms), nous avons accompagnons le ministère de la santé sur les données mobiles massives (mobile big data), pour aider à l’établissement de tableaux de bord pour la lutte contre le Covid 19. C’est une action pratique qui en fait est classée dans l’accompagnement des gouvernants et nous avons commencé avec le gouvernement du Bénin, notamment en partenariat avec les ministères de la santé, de la communication et du numérique. L’enjeu est de conseiller efficacement les pouvoirs publics.
Le troisième aspect, c’est la sensibilisation. Beaucoup ne savent pas ce que c’est que l’intelligence artificielle, ses enjeux. Donc, nous organisons des webinaires, justement pour leur apprendre les notions de base. Le dernier en date a été consacré à comment promouvoir l’emploi dans les secteurs du numérique, notamment le lancement d’une plateforme de recrutement (afria.incognitorh.com), en partenariat avec une entreprise polonaise dénommée Incognito HR.

Au regard de ces activités, dites-nous si votre rôle consiste uniquement à faire la promotion de l’Intelligence Artificielle ?
Notre rôle est de faire la promotion de l’IA comme outil de développement. Comme je l’ai expliqué, nous essayons de voir comment l’IA peut être un facteur de développement, en mettant en valeur les potentialités de l’IA et les mesures pour en réduire les risques. Parce qu’il y a des risques, il faut être objectif ; mais on ne peut pas considérer uniquement les risques et laisser de côté les avantages pour nos pays. Donc il est question de sensibiliser, de former et d’accompagner les gouvernements à se doter de politiques nationales en matière d’IA. Donc, nous pensons que le Bénin peut beaucoup gagner en étant l’un des premiers pays de la sous-région et en Afrique à se doter d’une politique nationale en matière d’intelligence artificielle pour accompagner les efforts qui se font actuellement dans le domaine du numérique. Le Bénin dispose des atouts pour être un leader dans ce domaine, ainsi qu’en matière de cybersécurité, d’internet des objets, etc. Ces atouts peuvent permettre au Bénin d’aller plus loin et pourquoi pas se lancer dans la conquête de l’espace, à l’image d’autres pays comme le Ghana, l’Algérie ou récemment la Tunisie ?

Quelles sont selon vous, les perspectives de l’Afria ?
Trois perspectives principales. La première, est de renforcer ce qui a déjà commencé, c’est-à-dire le renforcement des capacités, la formation, la sensibilisation, la mobilisation des décideurs. Deuxième perspective, nous l’avons déjà commencée, c’est d’accompagner les gouvernements africains en particulier et francophones en général à se doter de politiques nationales en matière d’intelligence artificielle. Notre troisième perspective est de penser à comment l’IA peut participer à la création d’entreprises et d’emplois.
Ainsi, nous envisageons d’installer prochainement au Bénin un incubateur d’entreprises dans le domaine de l’IA en particulier et dans le domaine du numérique en général. Comment accompagner les jeunes qui créent les entreprises ? Dans ce domaine comment trouver des prestataires au niveau international parce que vous pouvez rester au Bénin et avec votre intelligence, et vos capacités, rendre service à des entreprises américaines, françaises, canadiennes et créer de la richesse depuis votre pays sans forcément émigrer. Notre philosophie, c’est d’équiper les jeunes dans ce domaine, qui créent des services et qui deviendront des prestataires à des entreprises à l’international. Voilà en fait quelque chose qui va aider à créer de l’emploi, des entreprises pour des jeunes béninois. Il faut cependant reconnaitre que les jeunes béninois ont d’excellentes capacités en informatique, pour capter rapidement les opportunités et se développer. On doit donc exploiter cette matière grise propice à l’informatique pour que le Bénin ait davantage d’ingénieurs. C’est un peu ce que l’Inde a fait.
Voyez un pays comme l’Inde; ils se sont donné une période de 5 à 10 ans pour former beaucoup de jeunes ingénieurs, afin de les envoyer dans le monde. Ils ont lancé le pari et ils ont formé beaucoup de jeunes Indiens dans tous les domaines de l’informatique. Pendant que la jeunesse africaine essaie de trouver des solutions pour émigrer vaille que vaille, au prix parfois de leur vie, certaines entreprises des pays développés négocient avec le gouvernement indien pour que chaque année, il y ait un contingent de jeunes qui puissent venir dans leur pays. C’est dire que là, ils sont demandeurs. C’est une politique d’immigration intéressante où ce n’est pas l’Inde qui expose ses jeunes aux aléas d’une immigration irrégulière et dangereuse ; mais au contraire, ce sont les acteurs économiques des pays occidentaux qui demandent à recevoir les jeunes dans tel ou tel domaine ; il ne s’agit pas ici de fuite de cerveaux, mais d’une politique d’immigration concertée et innovante, qui consisterait à former les jeunes dans les domaines où les autres sont demandeurs. Ainsi, les pays d’accueil feraient ce qu’il faut pour mettre nos jeunes dans de meilleures conditions et ces jeunes pourraient aller et revenir comme ils le souhaitent, selon une formule de migration dite circulaire.

Quelle appréciation faites-vous de tout ce qui se met en place pour le développement du numérique au Bénin et quelles sont les actions que vous pouvez apporter pour maintenir la dynamique ?
Depuis 2016, effectivement, nous constatons que le gouvernement fait beaucoup d’efforts dans le domaine du numérique. Des efforts innovants dans un contexte de réformes mises en place. Je voudrais rappeler qu’il y a déjà quelques années que nous accompagnons les efforts du Bénin dans sa transformation numérique. Ainsi, j’étais Directeur du numérique au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), lorsqu’en 2016, nous avons accompagné l’Assemblée nationale du Bénin dans la rédaction et le vote du code du numérique, notamment à travers un séminaire que nous avions organisé pour sensibiliser et informer les députés sur les enjeux juridiques et législatifs de l’économie numérique. C’est ainsi une fierté que le Bénin soit devenu ainsi l’un des premiers pays au niveau de la sous-région à se doter d’un code du numérique. Il faut le souligner, c’est le résultat des réformes.
Par ailleurs, beaucoup d’efforts ont été faits en matière d’infrastructure haut débit, de fibre optique, d’administration électronique, de numérisation de l’administration. La délivrance d’actes en ligne et autres sont autant de réussites. Mais comme on le dit, tant qu’il y a à faire, c’est que rien n’est fait et il y aura toujours à faire. L’un des domaines où nous souhaitons encourager le gouvernement c’est de faire en sorte que le numérique soit créateur d’emplois, parce qu’une chose est de mettre en place les réformes pour faciliter l’émission d’actes d’Etat civil et d’éléments électroniques, mais il faut faire en sorte que le numérique favorise l’égalité des chances d’emploi et de réussite au sein de la population. Nous plaidons donc pour le volet social, pour que les jeunes et les étudiants aient un peu plus d’opportunités à travers le numérique. Et l’AFRIA, à travers nos discussions avec le gouvernement, contribuera à ce volet de transformation numérique, mais aussi de transformation. Par ailleurs, le volet social concerne la transformation numérique, mais aussi la plupart des secteurs qui doivent être pris en compte dans la gouvernance actuelle du Bénin.

Est-ce qu’on peut ainsi dire que notre pays dispose de moyens nécessaires pour une démocratisation de l’Intelligence artificielle ?
Sur la base des fondements que nous venons d’évoquer précédemment, nous pensons que le Bénin peut construire le numérique comme une maison et en élever progressivement les murs. Le Bénin dispose des atouts nécessaires pour développer une stratégie efficace d’intelligence artificielle. La preuve, nous avons appris que le ministère du numérique est en train de s’organiser pour commencer les études en vue de l’adoption d’une politique nationale en la matière. L’AFRIA est disposée à accompagner le ministère et le gouvernement béninois dans l’adoption de cette politique nationale de l’Intelligence Artificielle.

Le Bénin envisage de créer une école numérique et même de la fibre optique. Vous pensez que l’AFRIA peut fortement aider le gouvernement dans ce cadre?
Nous félicitons d’abord le gouvernement pour cette initiative parce que la formation demeure la base. Et l’AFRIA a effectivement travaillé avec des partenaires qui ont des projets dans ce domaine. Nous avons actuellement un projet dans ce domaine dont nous avons discuté avec l’Agence de Développement du Numérique (ADN). C’est un projet de formation en entrepreneuriat numérique pour créer une école afin de former 300 jeunes par an. Surtout une école qui ne demande pas grand-chose à ses apprenants et qui vous permet d’être formé à partir du niveau où vous êtes. Nous vous mettons à niveau pour que vous puissiez effectivement rejoindre cette école de l’entrepreneuriat numérique, qui pourrait être un excellent complément de ce que fait le gouvernement dans ses projets afin que le Benin soit un pays pilote de l’AFRIA. Nous travaillons avec le ministère, nous travaillons également avec la Fondation Adrien Houngbédji pour le numérique et ce qui reste à faire c’est de signer des conventions de partenariat, pour que cette collaboration dynamique se matérialise de façon substantielle et juridique.

Et selon vous, quels sont les défis à relever pour une meilleure politique du numérique au Bénin?
Nous avons trois défis. Le premier défi est de faire en sorte que la politique numérique du Bénin ait comme base la jeunesse pour qu’il y ait de l’emploi et des opportunités, quelque chose auquel tous ont accès, sans distinction d’origines sociales et de genre. Il faut que le numérique contribue à l’égalité des chances pour que l’enfant dont les parents n’ont pas assez de ressources puisse accéder au numérique, aux opportunités et créer ses propres emplois et s’enrichir. Cela permet l’ascenseur social. Il faut que le Bénin gravisse les échelons économiques, technologiques et sociaux grâce au numérique et c’est ce que nous voulons contribuer à faire du Bénin.
Donc l’un des défis est de démocratiser le numérique en le rendant accessible aux personnes qui n’ont pas assez de ressources. Le deuxième défi est juridique. Dans ce sens, nous souhaitons que le numérique puisse permettre aux populations d’accéder à leurs droits. C’est-à-dire que le numérique permet aux femmes de se révéler et aux jeunes réussir. Grâce au numérique, il faut que chaque Béninois connaisse les lois de son pays, notamment à travers le code du numérique parce que beaucoup n’ont pas accès aux lois (droits et devoirs). Le troisième défi est celui de l’alphabétisation. Dans les villages, des femmes et des hommes sont encore analphabètes. Nous souhaitons que le numérique règle complètement ce problème d’alphabétisation. Nous pouvons utiliser le numérique pour éradiquer l’analphabétisme en moins de 5 ans dans ce pays, car cela se fait ailleurs et c’est cela la puissance du numérique. On ne peut pas être au XXIème siècle et parler d’Intelligence Artificielle alors que nous avons encore des villageois analphabètes, et que le numérique peut aider à résoudre ce problème.
Est-ce que l’Intelligence Artificielle peut se mettre au service de nos institutions chargées d’organiser l’élection au Bénin?
Il y a des exemples aux États-Unis où l’Intelligence Artificielle permet de faciliter certaines situations comme celui du vote à distance ou à domicile. Avec des logiciels, vous pouvez rester chez vous et exprimer votre suffrage de façon sécurisée sans forcément vous déplacer sur le lieu du vote. Ce sont des programmes en expérimentation, mais en le faisant il faut en même temps avoir les lois qui l’accompagnent pour que cela soit validé. Vous pouvez voter chez vous avec une application. Donc avec l’Intelligence Artificielle, les potentiels sont infinis.

A l’occasion des dernières élections professionnelles au niveau des syndicats, comme les élections consulaires, les élus consulaires ont fait un vote électronique où même les syndicats ont mené une forte résistance, mais finalement ce sont ceux qui s’opposaient à ce vote qui sont sortis vainqueurs. Pensez-vous que cette expérimentation peut être implémentée dans le domaine politique avec les élections communales ou présidentielles au Bénin ?
C’est possible. Nous devons d’abord féliciter la Chambre de Commerce et d’Industrie du Bénin (CCIB) qui a testé avec succès cette expérience de la digitalisation. C’est une étape vers la numérisation des élections au Bénin. Donc l’élection par les voies électroniques paraît inévitable et se généralisera progressivement dans le monde politique. Il suffit d’adapter la loi pour dire que le citoyen depuis chez lui avec son smartphone peut exprimer son suffrage et cela arrive dans les serveurs pour être comptabilisé comme un vote normal. Cela doit réduire les déplacements des populations surtout en période de crise sanitaire, la célérité dans le traitement des résultats et même la fraude.

Est-ce qu’un politicien au lieu d’être sur le terrain, peut, à travers les réseaux sociaux accroitre sa popularité en période électorale ?
En fait, il ne faut pas confondre le virtuel et le réel. Comme l’a dit l’autre, «la politique ne se fait pas en haut ». De la même façon, le développement, ne se fait pas uniquement sur WhatsApp. Le politicien doit être sur le terrain, poser des actes, impacter sa base ou ses populations pour plus de visibilité. Il y a le fait qu’on puisse exprimer ses opinions sur les réseaux sociaux, passer des informations, mais le vrai travail se fait sur le terrain avec l’électorat. A travers les groupes WhatsApp, certains se montrent très actifs ; mais il faut également convaincre le citoyen avec un projet de société. Il faut travailler sur le terrain pour que les populations soient convaincues. Il faut aussi remarquer que sur les réseaux sociaux, il y a des incitations à la violence. Le code du numérique est clair là-dessus et il faut éviter les propos injurieux, invitant à la violence, les propos racistes, le régionalisme, les propos séditieux etc. Juste pour dire que le numérique est un support, mais l’humain reste humain. Maintenant, il faut que l’humain utilise le support à bon escient pour que l’outil qu’est le numérique contribue au bien public plutôt qu’à la destruction.

Le Bénin investit dans le numérique et souhaite que cet outil accompagne son développement à une période où son économie est essentiellement basée sur l’agriculture encore à l’étape traditionnelle. Comment opérer ce changement ?
C’est une excellente question et pour vous répondre, je vous dirai que le Bénin n’a pas le choix. Avec le numérique, le monde est devenu un village planétaire. Le numérique intervient dans tous les domaines aujourd’hui même dans l’agriculture. Donc nous ne pouvons pas rester indéfiniment dans l’agriculture traditionnelle et ignorer ce qui se fait au niveau du monde, au risque de laisser nos enfants et petits-enfants démunis. C’est comme le développement industriel. Nous avons raté la révolution industrielle et aujourd’hui, nos populations sont considérées comme sous-développées parce qu’on n’a pas su créer la richesse au moment de la révolution industrielle. L’électricité est un fruit de la révolution industrielle, ainsi que l’eau potable, les appareils électroménagers, les voitures, etc. Donc, nous sommes des consommateurs parce qu’au XIXème siècle, nous n’avions pas pu prendre le pas. Ce sera pareil si nous ne prenons pas le pas maintenant avec la révolution numérique du XXIème siècle. Nous courrons le risque de rester d’éternels consommateurs, alors que nous ne sommes pas moins intelligents, mais moins bien organisés, moins entreprenants, moins méthodiques, etc.
Donc, c’est maintenant que nous devons prendre le pas et ce qui est intéressant, c’est qu’avec le numérique, pas beaucoup d’investissements nécessaires. Vous pouvez en ligne, suivre la même formation dans une université qu’une autre personne en France, aux Etats-Unis, au Canada, etc. Par exemple, il suffit d’aller sur internet, de cliquer sur Google et beaucoup d’informations et de formations apparaissent, en fonction de votre recherche et de vos centres d’intérêt. On peut avoir aujourd’hui des méthodes de formation pour lesquelles avant, il faudrait d’abord prendre un avion, aller s’inscrire dans une université à Harvard, faire neuf mois, un an, plusieurs années, alors que maintenant, depuis chez vous, avec une bonne connexion internet, vous pouvez sur internet chercher et trouver ce que vous voulez. Donc, nous n’avons pas le choix si nous voulons évoluer avec le monde.

Quels sont les moyens de l’AFRIA pour accompagner les jeunes aujourd’hui dans la formation sur le numérique ?
Les moyens existent. C’est d’informer, de sensibiliser les élèves et les étudiants de ce que l’information est à leur portée. Que tout est en ligne et que l’intelligence artificielle n’est plus un secret. Comme je le disais tantôt, la formation n’est plus seulement dans les quatre murs d’une salle ou d’un amphithéâtre. Aujourd’hui, c’est ce qu’on appelle la formation tout au long de la vie. En Anglais, on parle de « long life learning ». Vous pouvez être à Agbangnizoun, à Savè, Parakou etc., une fois que vous avez une connexion internet, vous pouvez vous former au même niveau que l’étudiant de l’université de Harvard parce que les universités maintenant mettent leurs cours en ligne et c’est à la portée de tous. On doit alors s’estimer heureux de vivre pendant cette période alors qu’avant, il fallait beaucoup de formalités, beaucoup d’argent alors qu’actuellement, pour la même formation, on peut l’avoir gratuitement. Vous allez constater que beaucoup de jeunes sont devenus des spécialistes dans certains domaines sans suivre une longue scolarité. Ils ont appris des choses complexes par internet.

Faut-il faire les mathématiques pour être intelligent en intelligence artificielle ?
C’est une excellente question. On n’a pas besoin de faire les mathématiques. C’est vrai qu’aujourd’hui il y a de moins en moins d’étudiants en mathématique. Mais, il y a un langage de programmation qu’on appelle Python. Ce langage n’a pas besoin d’un grand niveau en mathématique. Par contre, celui qui veut enseigner la programmation doit bien entendu avoir de bonnes notions en mathématiques. Celui qui veut juste utiliser n’a pas besoin de toutes ces formations parce que ça a été déjà préprogrammé. C’est comme la création de sites internet, qui demandait autrefois la maîtrise des langages et du codage HTML. Aujourd’hui, vous n’avez pas besoin d’être spécialiste avant de créer une page ou un site web. On parle de la société de l’information et de la connaissance. La connaissance n’est plus un problème de nos jours. Mais, nous devons nous organiser pour puiser ces connaissances. Grâce à internet, on peut mettre en place des centres technologiques pour créer des applications, des jeux… Même pour créer des usines, il y a des plans et stratégies en ligne. Il suffit d’avoir la volonté et un peu de ressource. Un étudiant en fin de formation en agronomie peut créer sa propre usine de transformation de tomate ou de noix de cajou tout en ayant les informations et plans sur internet. C’est comme ça que certains pays qui ont vite compris sont devenus meilleurs en technologie. Il faut avoir de la vision.

Vous êtes rentré au pays tout récemment. Qu’avez-vous remarqué à votre descente à l’aéroport et dans le pays ?
Le pays se développe. J’ai remarqué qu’il y a un vrai changement en matière d’infrastructure. Il serait honnête et équitable de féliciter le gouvernement pour l’effort qui est fait. Surtout dans les rues secondaires des quartiers réputés pour être des lieux d’inondation. Je veux citer par exemple, Agla, Akogbato etc. Il faut être objectif, il y a de façon visible du progrès, des résultats et aussi des défis à relever.

Vous êtes un Béninois de la diaspora. Mais ce n’est pas ce qu’on entend dire à Paris….
Nous les invitons à prendre l’avion pour venir constater et se faire leur propre opinion.

C’est de la politique que vous faites ou bien c’est la réalité ?
Le changement est visible. C’est vrai que, de mauvaise foi, certains vous diront que les routes et les pavés ne se mangent pas, mais il ne faut pas oublier qu’on a besoin de routes et de pavés pour rentrer chez soi en sécurité et en bonne santé.

Vous avez suivi de loin la gouvernance du Président Talon. Quelle appréciation faites-vous de ce quinquennat qui s’achève ?
Dans l’ensemble, comme je viens de le dire, les progrès sont appréciables. Il y a des réformes qui portent leurs fruits et d’autres pas encore. De façon objective, nous pouvons suggérer que ces réformes puissent contribuer à davantage de création de richesses et de répartition en faveur du panier de la ménagère. Je sais que c’est aussi une préoccupation du Président de la République et de son gouvernement. En effet, ce dernier a voulu d’abord assainir les recettes publiques et instaurer une gestion plus rigoureuse des finances publiques. Maintenant, le souhait des populations est que le résultat de ces réformes puisse être de plus en plus largement partagé par les Béninois, notamment les plus pauvres. Nous souhaitons que les prochains mois puissent donner l’occasion de la mise en œuvre d’une politique économique plus généreuse, pour que les Béninois sentent que les sacrifices consentis commencent à porter des fruits dans leur vécu quotidien et dans la satisfaction des besoins fondamentaux des familles.

Ça vibre fortement dans les réseaux que nous sommes dans un pays de dictature. Vous êtes venus faire le constat ?

Nous sommes en démocratie et c’est normal que les gens expriment leur point de vue. Ils expriment leur état d’âme. Aujourd’hui, il est clair qu’il y a une nouvelle façon de gouverner le pays, plus rigoureuse et plus cartésienne. Il y a une nouvelle façon de conduire les affaires de l’Etat à laquelle les gens n’étaient pas habitués. Et cette nouvelle gouvernance peut être diversement appréciée. Nous pensons que pour qu’un pays se développe, des réformes, des sacrifices et des efforts sont nécessaires, de la part des populations et des dirigeants. Les pays développés ont dû faire ces efforts pour se retrouver là où ils sont. Cependant, une fois que ces efforts ont été consentis, il serait juste et équitable qu’ils bénéficient au plus grand nombre.

Carte d’identité: Un militant et un professionnel

Décembre 1973. Eric Adja naît dans une petite localité de l’ouest de la Côte-d’Ivoire, de parents béninois émigrés là-bas. Il passe ainsi l’essentiel de son cursus scolaire en terre ivoirienne. CEP en 1985, BEPC en 1989, Bac C en 1992. De 1992 à 1996, il poursuit ses études au Département des sciences du langage et de la communication (DSLC) de l’Université d’Abomey-Calavi et soutient en 1997 son mémoire de maîtrise à cheval entre la Belgique et le Bénin, grâce à une bourse de l’Agence universitaire de la Francophonie. Mais avant, en avril 1996, pendant son année de licence, il est élu président de la Fédération nationale des étudiants du Bénin (Fneb), le principal syndicat universitaire d’alors. Après la maîtrise, et toujours grâce à la Francophonie, il est retenu en 1998 pour un Diplôme d’études approfondies (DEA) en Information scientifique et technique (IST) en co-diplomation entre Genève en Suisse et à Marne-la-Vallée en France. Recruté en 2001 comme directeur d’une Organisation internationale non gouvernementale dénommée Innovations et Réseaux pour le Développement à Genève, il y travaille tout en préparant sa thèse de Doctorat décrochée en novembre 2005 à l’université de Paris 7 Denis-Diderot en France. Elle portait sur une étude ethnolinguistique de la transmission des savoirs par la médiation des proverbes chez les Fon du Bénin. L’année suivante, en 2006, Docteur Eric Adja est appelé à travailler à la Fédération internationale de la Croix rouge à Genève et au Bureau de Cotonou. Quelques mois plus tard, en juillet 2007, l’ancien Chef de l’Etat lui fait appel au Palais de la Marina comme Assistant du Président de la République avec rang de Conseiller technique, président du Comité de suivi des recommandations du Forum national sur l’emploi des jeunes et point focal Diaspora à la Présidence de la République. Ces responsabilités l’ont amené à préparer à distance un Master en Gouvernance et développement international (GODI) obtenu en 2010 à l’Université Pierre Mendès-France de Grenoble. C’est en décembre 2011 qu’il a été nommé Directeur général par intérim de l’Observatoire international des transferts de fonds des migrants (OITFM), un organisme rattaché au Bureau mondial de coordination des pays les moins avancés (PMA) auprès des Nations unies à New-York. A partir de 2007, il donne des cours en tant qu’enseignant-chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi et intervient également au CNRS (Paris). Nommé au poste de Directeur de la Francophonie numérique en novembre 2014 par Abdou DIOUF, il a travaillé pendant plusieurs années à mettre en œuvre la stratégie de la francophonie numérique adoptée par les Chefs d’Etat au sommet de Kinshasa, en 2012. Intitulée « Horizon 2020 : Agir pour la diversité dans la société de l’information », cette stratégie visait à rénover la vision francophone dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, notamment à travers l’innovation de l’économie numérique, de la jeunesse et de l’entrepreneuriat. En mars 2017, il est nommé par l’ex-Secrétaire Générale de l’OIF, Michaëlle Jean, Directeur du Bureau Régional pour l’Afrique de l’Ouest à Lomé (BRAO). Le BRAO couvre 12 pays (Bénin, Burkina Faso, Cap Vert, Côte d’Ivoire, Ghana, Guinée, Guinée Bissau, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Togo.). En 2019, il prend la tête de l’Agence Francophone de l’Intelligence Artificielle (AFRIA). Mais ce riche parcours professionnel a été entrecoupé d’un engagement politique. Elu Conseiller communal de Toffo et Chef de l’Arrondissement de Sèhouè en 2008 sous la bannière des FCBE, il conserve un ancrage dans sa commune, malgré ses responsabilités internationales. « J’ai eu la grâce de rencontrer sur mon chemin des hommes et des femmes qui ont eu confiance en moi et qui m’ont aidé », déclare Eric Adja, reconnaissant, avant d’ajouter : « J’ai connu également de grandes difficultés et des échecs. Mais par la foi, la prière et le travail, je les ai surmontées. » Quand on lui demande les raisons de son engagement politique, il rappelle ses longues années de militantisme au sein d’associations de jeunes, dans le scoutisme, à la Croix Rouge et au sein de la FNEB. Et d’avancer : «Pour moi, s’engager en politique, c’est apprendre à aider davantage son prochain, parce que j’aime servir les autres.»

Intimité: Père attentionné au goût culinaire sobre

Marié et père de trois enfants, Docteur Eric Adja apprécie surtout chez son épouse sa forte conviction. « C‛est vrai qu‛il n’y a pas que cet aspect qui m‛a séduit, mais cela a compté pour moi », affirme-t-il tout sourire. Athlétique, il dit tenir sa forme de feu son père qui fut chef d’une exploitation forestière en Côte-d‛Ivoire. Ses goûts de table sont simples : igname pilée avec sauce d’arachide, accompagnée d’un bon jus d‛ananas frais et d’eau gazeuse. « Pour ce qui est de la bière, du vin ou du champagne, je me contente du service minimum », dit-il.

LA REDACTION

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