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Le triomphe de la vérité

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30 ans de pratique démocratique au Bénin: « Le régime de la rupture a montré les limites de notre démocratie » selon Me Ernest Akuesson


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Me Ernest Akuesson

Après une série de coups d’Etat ayant fait parler de lui au plan international comme enfant malade de l’Afrique, le Bénin a opté en 1990 pour un système de gouvernance basé sur le respect des droits humains et la bonne gouvernance : la démocratie. Mais trente années de mise en œuvre ont montré les forces et les faiblesses du régime présidentiel adopté en décembre 1990 dans la mythique salle de conférence de l’Hotel PLM d’Alédjo. Me Ernest Akuesson nous en parle dans cette analyse…

L’Hyper-présidentialisme….

Le Bénin n’a nullement besoin d’un homme fort. Nos populations aspirent au bien-être. Nous ne voulons dominer personne. Nous ne voulons écraser personne, surtout pas nos concitoyens : un Président fort ça écrase.
Pour l’avocat, il faut supprimer le Poste de président de la République tel que consacré par la constitution de 1990 et renforcé par les dernières réformes constitutionnelles, il est trop fort, il étouffe. Il est la source de tous nos maux.
Le poste de Président de la République, chef de l’Etat, chef du gouvernement, tel que consacré par l’article 41 de la constitution du 11 décembre 1990 exerce un pouvoir absolu. Il est trop puissant, il écrase tout sur son passage : une assemblée nationale monocolore, une disparition des luttes syndicales, une indépendance de la justice compromise, un record de personnalités politiques en exil. Rare sont les conseils communaux qui avaient résisté aux assauts du pouvoir. La mouvance a la quasi-totalité des conseils communaux qui viennent d’être élus.
Le constituant de 1990 a pu penser, non sans raison, que les institutions de contre-pouvoir telles que l’Assemblée Nationale, la Cour constitutionnelle, la HAAC pourront contenir les élans d’un hyper Président de la République. Il n’en est rien.
Après 30 années d’exercice démocratique, il est peut-être temps de se poser et de faire le bilan. A l’épreuve de l’exercice du pouvoir, on peut relever aisément que toutes les institutions de contre-pouvoirs se sont inféodées au Chef de l’Etat ou encore pour utiliser les propres expressions de l’occupant actuel du Palais de la Marina, « celui-ci a réussi, non sans peine, à les soumettre ».
On a pu penser que le Président Yayi était le pire qu’on a connu depuis 1990. Il a sans doute eu un malentendu. On a cru un moment, que le Président Yayi était le problème, que sa personnalité pouvait être en cause. On note aujourd’hui qu’il y a encore pire. Ne nous leurrons pas, après Talon, il y aura bien pire.
L’« habit » de Président de la République au Bénin est ainsi conçu. Le problème c’est l’habit pas celui qui le porte. La responsabilité n’incombe pas à l’occupant du palais de la Marina, mais au constituant de 1990, c’est-à-dire celui qui a cousu l’habit.
Toute la responsabilité incombe au constituant de 1990 d’avoir consacré pour le Bénin, un régime hyper présidentiel. Ce régime est totalement incohérent et inadapté pour nos réalités socio-politiques. Il faut oser le dire, le candidat Talon avait fait aussi le même diagnostic. Mais les solutions proposées à travers la réforme du système partisan sont totalement incohérentes et inadaptées. Elle est, on le voit, source d’exclusion. Nous faisons un retour dangereux et à pas forcer vers le parti unique que nous avions pourtant rejeté à la conférence nationale. La réforme du système partisan a donné naissance à un minotaure juridico-politique qui s’affranchir de tout contre-pouvoir. La réforme du système partisan est une fausse solution à un vrai problème.
Le régime politique qui eut été le mieux adapté pour le Bénin est le régime parlementaire. Le pouvoir doit être réparti entre un premier ministre, chef du gouvernement, issu de la majorité parlementaire et un Président de la République, chef de l’Etat élu au suffrage universel. C’est le moyen, le plus efficace que nous avons de réduire substantiellement l’influence nocive du chef de l’Etat ainsi que sa trop puissance étouffante. Plusieurs facteurs liés à notre propre histoire suggèrent la consécration d’un tel régime.
En premier lieu, on observera que depuis la constitution de 1990, aucun chef de l’Etat n’est issu d’un parti politique. C’est un constat. Nous avons pourtant eu au Bénin plusieurs formations politiques structurées dont les influences se sont réduites au fil des années, faute d’avoir pu exercer directement le pouvoir d’Etat. Les leaders de ces formations politiques ont recherché pendant longtemps, à exercer le pouvoir d’Etat au plus haut niveau sans y parvenir, qu’il s’agisse du PRD, du PSD, de la RB, du FARD ALAFIA, du CAR DUNYA pour ne citer que ces exemples.
Ces partis politiques ont pourtant eu pendant longtemps des représentants à l’Assemblée Nationale.
La meilleure façon de permettre à ces formations politiques d’exercer le pouvoir est de consacrer un régime parlementaire. Le gouvernement sera ainsi formé par le responsable politique qui aura réussi à constituer une coalition autour de sa personne.
En deuxième lieu, le peuple béninois a toujours recherché une personne au-dessus de la mêlée. En élisant, à chaque fois, une personne qui n’appartient à aucun sérail politique, c’est une façon pour la population de rechercher, une personne qui n’appartient à aucune chapelle politique.
La personne ainsi élue incarne mieux le rôle du chef de l’Etat, mais pas celui de chef du gouvernement.
Il peut arriver qu’un président élu, décide de ne pas composer avec la classe politique existante, c’est du déjà-vu. Cela s’est produit en 2006 avec Yayi qui a créé sa propre formation politique, les FCBE ; et récemment encore avec Talon qui a créé ou fait créer le « Bloc Républicain » et « l’Union Progressiste » autour de sa personne. Ces nouvelles formations ainsi créées ont la particularité de ne pas survivre au départ du chef de l’Etat qui les a créées ou autour duquel elles ont été créées. Elles finissent par disparaître. C’est une réalité qu’on ne peut pas nier. Or, il est important de composer avec les partis existants et pas les partis et formations politiques opportunistes. Le pouvoir doit revenir aux formations politiques traditionnelles dont la vocation première est de conquérir et d’exercer le pouvoir.
En troisième lieu, l’opinion publique a toujours recherché une personnalité morale au-dessus de la mêlée pour seconder le chef de l’Etat, une personnalité morale au-dessus de la mêlée, à laquelle, l’on peut recourir en cas de difficulté. Différentes personnalités, dont l’autorité morale était incontestable, ont, à différents moments de notre histoire, pu incarner ce rôle. On peut citer dans l’ordre, Monseigneur Isidore De Souza, le Cardinal Bernadin Gantin, Monseigneur Antoine Ganyé.
Ces personnalités étaient consultées tant par les membres de l’opposition, ceux de la mouvance ou les acteurs de la société civile et ont pu jouer le rôle de conciliateur. C’est notre réalité. On ne peut l’ignorer.
Il faut aussi relever que sous l’actuel régime, aucune personnalité n’a pu incarner ce rôle. Ceci peut expliquer dans une certaine mesure le nombre de personnalités politiques contraintes à l’exil. Il n’y a plus de gardien du temple.
Si on peut admettre que le chef de l’Etat peut ne pas être issu d’une formation politique, le chef du gouvernement quant à lui doit provenir nécessairement d’une formation politique, en ce sens qu’il doit être le chef de la majorité. Les récentes réformes du système partisan ne vont pourtant pas dans ce sens.
La réforme du système partisan ne doit nullement consister à contraindre des personnes à se fondre ensemble dans une formation politique. Il faut plutôt mettre en place une réforme du système partisan qui épouse nos réalités socio-politiques. Une réforme qui renforce l’Etat de droit en même temps qu’elle crée un climat propice à l’éclosion des talents nécessaires notre développement économique.
Notre vie politique se résume aujourd’hui à deux formations d’un même camp à l’Assemblée Nationale et à trois formations dans les assemblées locales. Ceci ne reflète pas nos réalités. Il s’agit d’un déni de démocratie. Ce qui fonde l’Etat de droit, c’est une volonté nationale exprimée par un vote populaire, incarné par des élus dont la légitimité ne souffre d’aucun ajustement artificiellement institué.
Nous n’avons aucun parti politique à envergure nationale. Et il ne sert à rien d’obliger les personnes à se mettre ensemble. Les jeux d’alliance se sont toujours faits à la veille des élections.
Je ne terminerai pas mon propos sans rappeler que le régime parlementaire constitue dans les plus vieilles démocraties du monde, le principe et le régime présidentiel l’exception. La plupart des grandes puissances en Europe, à l’exception de la France qui a épousé quelques traits du présidentialisme, ont adopté un régime parlementaire. On peut citer dans ce sens, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Italie, l’Espagne, la Norvège, le Portugal, le Danemark, les Pays Bas, la Grande Bretagne. Ailleurs dans le monde, on peut citer, le Japon, le Canada, l’Ethiopie, l’Ile Maurice. Les pays cités ont la particularité d’être bien gouvernés.
Dans tous les pays cités, il existe un chef d’Etat incarné tantôt par la monarchie, tantôt par un Président élu, dont le rôle se limite à une fonction honorifique et de représentation.
Le régime parlementaire épouse nos réalités socio-politiques et permettra aux formations politiques d’exercer le pouvoir d’Etat. Dans le même temps, il nous évitera un Président trop fort qui écrase ses concitoyens. « Les Présidents forts », sont la marque de fabrique de grandes puissances militaires : on les retrouve aux Etats Unis, en France, En Russie, en Chine, ces dirigeants conduisent des expéditions militaires et économiques pour maintenir leur influence dans le monde. Ils jouent en même temps le rôle de gendarme du monde. Ces pays ont la particularité d’être des membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU.
Sauf à verser dans de la démagogie, le Bénin n’a pas besoin d’un Président fort. Nous ne voulons faire la guerre à personne. Nous devons nous occuper pour l’instant des besoins existentiels de nos populations. Point besoin d’un Président fort, d’un monarque qui écrase, qui terrorise, c’est l’erreur majeure du constituant de 1990.
Nous avons besoin d’une gouvernance comme dirait l’autre « apaisée » qui mette en son cœur la collégialité. Nous n’avons nullement besoin d’un homme fort. Nous avons besoin d’un acte qui coordonne et fédère les compétences au service de la Nation. Une personnalité qui œuvre à l’émergence du pays. Nous n’avons point besoin d’un président qui écrase, un président qui terrorise.

Wandji A.

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