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Le triomphe de la vérité

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Réflexion de Dr Paulin HOUNSOUNON-TOLIN sur DE LA TRADITION À CE QUI EST COMMUN AUX CITOYENS D’UNE NATION: Dans le cas du Bénin, entre le professeur JPH et le Dr MC VT, se pose la question du devoir de vérité de l’universitaire avec l’un d’eux


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Introduction

Une presse française titrait, il n’y a pas si longtemps, « La jeunesse a eu raison de l’ancienneté », face à un débat entre Rémi Brague et l’un de ses compatriotes. Je m’attendais au même scénario avec l’intervention du Dr MC VT, suite aux propos tenus par le Garde des sceaux et le professeur JPH. Déçu, j’ai choisi de traiter à la kalachnikov de la « Tradition et de ce qui est commun aux citoyens d’une nation » dans le cas du Bénin. Je procéderai en plusieurs temps pour soutenir, en fin de compte, que nous devrions avoir honte de notre ignorance des élémentaires de notre vie communautaire. Une honte positive pour nous convaincre de la nécessité de commencer par nous inquiéter de nos universitaires qui plient la logique de leurs raisonnements scientifiques en fonction de « on ne sait quoi ?. Je montrerai donc l’ineptie de ces idées, devenues des ‘’prêts-à-porter’’, que l’on déploie à volonté et que l’on cherche à tout bout de champ à imposer, sous prétexte que ce sont là des outils sûrs de développement. Je montrerai comment, contrairement à ce que les gens pensent, voire des constitutionnalistes, ce qui est commun aux citoyens d’une nation relève de l’histoire et de l’hoirie philosophique même, c’est-à-dire de la philosophie d’éducation à la citoyenneté. Mon exposé pourrait s’intituler ‘’Halte à la destruction de notre nation par l’amusement avec les Textes et les Symboles sacrés de la République !’’ Il y aura plusieurs étapes dans la réflexion : Tradition et Nomos, ce qui est commun aux citoyens d’une nation et ce qui est commun aux citoyens béninois. Il sera d’abord question du devoir de vérité de l’universitaire, puis du contexte de mon propos. Les concitoyens auront ainsi des éléments de réflexion afin de se former leur propre angle de lecture, et ainsi, se rendre compte de la dangerosité de l’amusement avec les Textes et les Symboles sacrés de la République, quel qu’en soit le texte, surtout si l’on se réclame de la compagnie des formateurs de l’élite intellectuelle et politique de la République.

I/ De l’intellectuel et du devoir de
vérité de l’universitaire

« Qu’est-ce qu’un intellectuel ? » La question, selon Dany-Robert Dufour, vaut d’être posée en ces temps de grande confusion. L’intellectuel, d’après lui, est de ceux qui nourrissent le lien social, évitant que soient rejetés dans les marges ceux qui ressentent ou subissent sans pouvoir dire. L’intellectuel a donc une responsabilité sociale, la fonction de nomination, mettant en mots, notamment ce qui émerge de nouveau (Nommer pour penser, la tâche des intellectuels, La condition de notre humanité, pp. 166-181.). Vladimir Jankélévitch pense que cette responsabilité sociale est liée à notre vie sociale. C’est pourquoi : « Plus d’une fois, nous nous demandons où elle s’est enfuie, notre vie morale, en quoi elle consiste, et si même elle consiste en quelque chose ! Or, c’est précisément dans ces instants, où elle est sur le point de s’échapper, où nous désespérons de l’attraper, qu’elle est le plus authentique : il faut alors saisir au vol l’occasion dans sa vive flagrance ! » (Le paradoxe de la morale, La responsabilité, p. 4.). Qu’en est-il alors, de façon plus spécifique du devoir de l’universitaire par rapport à cette responsabilité sociale ? C’est une tâche ardue, voire ingrate. En effet, Rémi Brague nous fait savoir : « N’importe quel beau parleur médiatique peut faire en une minute mille fois plus pour perpétuer le faux que dix vies de rats de bibliothèque pour le démasquer… ». Il nous invite ainsi à distinguer le fonds de commerce de l’intellectuel du devoir de l’universitaire : « Et si le fonds de commerce de « l’intellectuel » est de redire l’opinion dominante en « causant bien », le devoir de l’universitaire est avant tout de rétablir ce qu’il croit être la vérité, qu’elle soit agréable ou non. Que l’on veuille l’écouter, cela ne dépend plus de lui ». Mais la sacralité de ce devoir de vérité de l’universitaire l’amène, enfin, à persévérer et à ne pas se décourager dans cette mission. Car, « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer » (Au moyen du Moyen Âge…, p. 9.). Ce que recommande aussi bien Dany-Robert que Vladimir rejoint la « Devise » de l’Université de Parakou : « Doctrina Lumen Humani Generis est » (La Science-, la Connaissance-, est la Lumière du Genre Humain) ». Il faut pouvoir nommer afin de pouvoir envisager les solutions adéquates. Et P. Veyne nous rappelle une des règles tacites dans la Rome antique : « C’est qu’un intellectuel, un sénateur, ne parle pas comme les autres hommes : il doit donner l’exemple civique » (Les Grecs, les Romains et nous. L’Antiquité est-elle moderne ?, p.75).

II/ Quelques inepties propres au monde
de l’auteur du propos querellé

Le propos, à l’origine de l’intervention de l’un et de l’autre, ainsi que des présentes notes, aurait été tenu par le Garde des sceaux. En réalité, l’intervention du professeur JPH aurait suffi comme réponse à l’histoire du début de l’histoire du propos querellé. Sénèque nous apprend que certains avocats, jurisconsultes et titi quanti, habitués à la défense des dossiers d’affaires obliques souffrent de logorrhée et racontent souvent des inepties. Ainsi : « Ils racontaient à Rome qu’on ne peut hériter d’un bien que par usucapion, comme si l’héritage était autre chose que les biens qui le constituent ». Il y a quelques années, chez nous également, un avocat et député du Parti de la Renaissance du Bénin, racontait sur l’émission « Ma part de vérité » que « La femme de César ne doit pas être soupçonnée ». Alors que politiquement, il convient que la femme de César soit soupçonnée afin que ce dernier puisse la renvoyer sans procès. De quoi s’agit-il ? César n’était pas encore parvenu au sommet du « Cursus honoris ». Il obtint le poste prestigieux de Grand Pontife. Et jamais un homme aussi jeune et aussi peu qualifié n’avait pu occuper ces hautes fonctions spirituelles. Mais ce poste était devenu subitement vacant, César le brigua non sans risques en faisant tout ce qu’il fallait. Chaque année les dames de la haute aristocratie romaine célébraient les mystères de la « Bona Dea », culte de la fécondité féminine sous la surveillance des Vestales. Fête sacrée : les hommes en étaient rigoureusement exclus. César étant Grand Pontife, la fête, l’année-là, eut lieu dans sa maison et lui-même avait quitté Rome. Un certain Clodius, chenapan de la pire espèce, mais qui a rendu d’énormes services à César et dont celui-ci avait encore grandement besoin pour son avenir politique, s’était déguisé en chanteuse, s’introduisit parmi les dames et participa aux réjouissances les plus sécrètes. César, rappelé en urgence à Rome par sa mère, découvrit Clodius dans la chambre d’une servante de Pompeia, la propre femme de César. Le scandale fit grand bruit à Rome. César, Pontifex Maximus, contre toute attente, ne traduisit pas Clodius devant les tribunaux. César, entre temps, renvoya sa femme qui ne lui était plus utile pour son projet d’avenir (Eberhard Horst, César, pp. 137-139 et J. Gunther, Jules César, pp. 60-65). Toutefois, les Sénateurs traduisirent Publius Clodius Pulcher en justice. Mais il nia tout et soutint même que César lui-même peut en témoigner. Convoqué par les Pères sénateurs, Jules César, pourtant Pontifex Maximus, déclara qu’il n’en sût rien. Il lui a été demandé pourquoi il a alors renvoyé sa femme. Il répondit que « La femme de César ne doit pas être soupçonnée ». La suite des événements fera dire à certains que le futur divin César prophétisait sur son futur destin hors pair. Comme on le voit, il faut que la femme de César soit soupçonnée afin que celui-ci ait le motif de la renvoyer sans procès. On peut prendre un autre exemple concernant un plus grand nombre de gens et pas des moindres. L’allégorie du fameux « verre vidé à moitié ». La question de la valeur des autres sciences, par rapport à la philosophie, était posée aux anciens Stoïciens. Ils ont répondu que le « verre est rempli à moitié ». Mais entendons-nous bien ! Le verre est à remplir à ras bord et non à moitié. La même question a été posée à Sénèque au moment où l’Empire des Césars était engagé dans la conquête de l’univers. Sénèque répondit que « le verre est vidé à moitié ». En d’autres termes, l’impératif moral de l’instant présent est de remplir « le verre à ras bord » et si l’on se contente de le remplir à moitié, l’on n’a pas accompli son devoir du moment. Au contraire, l’on mérite bien d’être accusé d’avoir vidé le verre à moitié, parce qu’il y aura eu de négligence avec un possible compossible, c’est – à – dire un possible se présentant avec les conditions nécessaires de sa réalisation dans une parfaite concaténation. C’est à tort que beaucoup associent l’image du verre rempli à moitié à l’optimisme et celle du verre vidé à moitié au pessimisme. Donc le propos du début de l’histoire ne devrait pas mériter que l’on y perde sa salive. Beaucoup emploient des mots et expressions sans se préoccuper de leur sens réel dans certains contextes de leur portée socio-politique nationale réelle dans certains contextes et circonstances. Mais, Dr MC VT, – en déplaçant délibérément le cœur du débat, à savoir : la Conférence des Forces Vives de la Nation a-t-elle tout dit sur la démocratie dans notre pays ?-, et aussi vers la « fétichisation » de ladite conférence, qu’il condamne avec véhémence, semble être une réponse au professeur JPH. En effet, celui-ci condamne sans réserve l’amusement avec les Textes et Symboles sacrés de la République, après avoir entendu les sons douloureux des propos du garde des sceaux nationaux. Voilà comment le début de l’histoire d’un propos banal devient un cas de conscience pour un universitaire préoccupé par son devoir de vérité d’universitaire. La question que se pose ce dernier est de savoir si le Dr MC, souvent hôte des journalistes et acteurs politiques, dispose des compétences véritablement requises pour nous aider à régenter la vie publique nationale. Quid de la Tradition, du « Nomos » et de ce qui est commun aux citoyens, source de l’éthique et de la sagesse qui doivent régir et régenter la gouvernance civique, économique et politique ? Ou brade-t-il volontairement ses compétences d’universitaire en la matière ? Ce qui doit préoccuper davantage, ce sont les conséquences que ce genre de comportement, qui consiste à s’amuser avec les Textes et Symboles sacrés de la République fera courir à l’avenir à la nation. Nos gouvernants, y compris nos députés, ont-ils conscience de l’importance de ces notions élémentaires, mais sacrées, dans notre vie communautaire ? Mesurent-ils la valeur des Textes et Symboles sacrés de la République comme étant des sources fondatrices, analeptiques, stimulantes de la cohésion sociale nationale ? Ces questions semblent relever aujourd’hui d’une actualité brûlante et méritent qu’on y réfléchisse sérieusement.

  1. Tradition, domaine de non comparaison et « Nomos »
    3.1. La reine incontestable du monde
    À propos de la tradition, qui sera confondue ici à la coutume, Pindare, poète grec de l’Antiquité, soutient que le ‘’nomos’’, c’est-à-dire la coutume, est la « reine du monde » (Pindare, Fragments, 49 et Platon, Gorgias, 484b ). Il ajoute ensuite qu’elle relève même du domaine de non comparaison. On retiendra, à certains moments de la réflexion, pour la suite la confusion entre les termes « coutume » et ‘’nomos’’. Il va plus loin encore en jugeant la comparaison des coutumes aussi grave que la violation des sépultures, – en vue de comparer les différentes civilisations entre elles -, qu’il considère comme ne pouvant provenir que d’un fou, fou à habiller. Ce fut en effet, le résultat de sa folie trop poussée loin, au dire d’Hérodote, qui fit commettre à Cambyse des excès qui l’ont amené à ouvrir des sépultures à Memphis, en vue de comparaison des différentes civilisations à travers leurs objets d’art culturels funéraires. Hérodote trouve la comparaison des coutumes comme le signe du comble de la folie humaine. En effet, il faut être complètement fou, que de se permettre de railler les choses que la piété ou la coutume commandent de respecter. Car, c’est connu que si l’on propose à tous les hommes de choisir entre les coutumes qui existent celles qui sont les plus belles, et chacun désignera celles de son pays, tant chacun juge ses propres coutumes supérieures à toutes les autres. Il n’est donc pas normal, pour tout autre qu’un fou, du moins, de tourner en dérision les choses de ce genre. Que tous les hommes sont convaincus de l’excellence de leurs coutumes, en voici une preuve entre bien d’autres. Hérodote rapporte qu’au temps où Darius régnait, il fit un jour venir les Grecs qui se trouvaient dans son palais et leur demanda à quel prix ils consentiraient à manger, à sa mort, le corps de leur père : ils répondirent tous qu’ils ne le feraient jamais, à aucun prix. Darius fit ensuite venir les Indiens qu’on appelle Callaties (Enquêtes, III, 97) ou callanties ou peut-être encore Padéens, mangeurs de viande crue (Enquêtes III, 99), qui, eux, mangent leurs parents ; devant les Grecs (qui suivaient l’entretien grâce à un interprète), il leur demanda à quel prix ils se résoudraient à brûler sur un bûcher le corps de leur père : les Indiens poussèrent les hauts cris et le prièrent instamment de ne pas tenir de propos sacrilèges. Voilà bien la force de la coutume et de la tradition. 3.2. « Soi-même et capacité d’être contenant »
    Cependant, il ne convient nullement de chanter, non sans raison mais sans cesse, la coutume ou la tradition à soi et de s’y claquemurer. Rémi Brague, s’inspirant de S. Bernadete, Herodotean Inquiries, Nijhoff, La Haye, 1969. p. 80 sq, définit l’universalité comme une attitude. Analysant le passage en question, Enquête, III, 38, 3, il fait remarquer qu’entre la coutume des Indiens et celle des Grecs, il y a surtout deux attitudes distinctes à l’œuvre. Celle des Grecs et celle des Indiens. Ceux-là ont écouté en silence la question du roi et y ont répondu avec calme. Ils ont compris aussi, par l’intermédiaire d’un interprète, la question du roi aux Indiens. Mais les Indiens ont tout fait pour couvrir la question du roi de leurs clameurs indignées. Ils n’auraient visiblement pas cherché à connaître la question, en l’entendant au moins, avant de la rejeter. Or la mise en scène visait à voir qui des Indiens ou des Grecs reconnaîtraient non pas seulement l’infériorité de leurs coutumes, mais leur caractère ignominieux. L’effort des Indiens pour couvrir la voix du roi convient à l’objectif de la mise en scène et prouve également le caractère sacrilège de la comparaison des coutumes. En réalité, Rémi Brague se fonde sur cette attitude d’écoute et de compréhension, pour définir l’universalité comme une attitude de compréhension et d’ouverture qu’on trouve chez les Grecs du temps de Darius et qui manque aux Indiens. C’est ce qui fait que l’Europe est un continent contenant. Car, ouverture implique rencontre et mélange, et non renoncement à soi. Cette attitude a été celle des Romains par rapport à la Grèce. Elle a été également celle de la Grèce classique par rapport aux civilisations fluviales qui avaient plusieurs millénaires d’avance sur elle. Ce fut aussi l’attitude des Arabes qui, bien que vainqueurs, s’étaient mis à l’école de leurs vaincus pour apprendre les savoirs grecs qu’ils avaient découverts en Syrie et les savoirs des Indiens. Ce que nous appelons chiffres arabes sont des chiffres indiens. L’étymologie même des mots « chiffre » et « zéro » en porte un témoignage évident : zéro vient de la traduction arabe du sanskrit « shûnya » (vide) par sifr de même sens qui sera simplement transposé dans la langue latine. Au temps de Montaigne, quand les Arabes l’apportèrent en Europe, ce fut la condamnation : « … Ainsi certaines autorités ecclésiastiques firent-elles courir le bruit que pour être si facile, si ingénieux, le calcul à la manière arabe devait sûrement avoir quelque chose de magique, voire de démoniaque ; il ne pouvait provenir que du Diable lui-même ! De là à envoyer des algorites trop zélés au même bûcher que les sorcières et les hérétiques, il n’y eut qu’un pas que certains inquisiteurs ne manquèrent pas de franchir par endroits » (Georges Ifrah, Histoire des chiffres, 2e tome, pp. 367-368).
    Cette attitude d’attachement au culturellement à soi, qu’on trouve chez les Européens, les Romains, les Grecs et les Arabes, mais également d’ouverture pour être contenant est à l’origine de la raison à cause de laquelle on appelle le Japon d’aujourd’hui le pays le plus moderne du monde mais en même temps le pays le plus attaché à sa tradition. C’est la force de la coutume et de la tradition d’un peuple qui en impose aux autres. C’est ce qui explique l’échec cuisant de la première mission de saint Paul à Athènes. En effet, l’échec de la première mission de saint Paul à Athènes s’explique par le règne du ‘’nomos‘’et non pas fondamentalement par la bassesse criarde de sa rhétorique. H.-D. Saffrey fait remarquer que les Grecs, enfants ou grands, femmes ou hommes, qui avaient appris, par cœur les vers d’Eschyle, ne pouvaient pas accepter l’idée selon laquelle « L’histoire du monde est partagée en deux le temps de l’ignorance qui vient de finir, et celui de la conversion et du salut qui commence avec la résurrection (anastasis) de Jésus. » Voilà proclamé avec force le message chrétien par excellence. Voilà aussi ce qu’aucun des auditeurs de Paul ne pouvait admettre : « Ils savaient tous par cœur le vers d’Eschyle dans les Euménides : «Lorsque la poussière a bu le sang d’un être humain, une fois qu’il est mort, il n’y a pas de résurrection (anastasis) » (…). Le mot résurrection n’avait aucun sens pour eux. Ils éclatent de rire : «Nous t’entendrons là-dessus une autre fois » (Ac. 17, 32, SAFFREY, Histoire de l’apôtre Paul, pp. 81-82, voir aussi N. Hugedé, Saint Paul et Rome, pp. 36-39). 3.3. ‘’Nomos’’, coutume, tradition et loi
    On retient ici que le terme grec ‘’nomos ‘’ peut signifier, dans un premier sens : Usage, Loi. Sous cette acception, l’emploi de la force se dit « keiron nomos ». Dans un second sens, le terme signifie : Pâturage ; territoire ; province. On ne doit pas oublier non plus les expressions « Avoir pour habitude de », « Avoir coutume de faire », « Être dans l’usage de », « Faire usage », « User communément de », « Conforme à la loi », etc., qui dérivent également de ‘’ nomos’’. Il en est de même des expressions : « Les coutumes consacrées », « Les rites sacrés », « Les honneurs funèbres ». ‘’Nomos’’ a également donné un verbe dérivé en grec qui signifie « Pratiquer », PESSONNEAUX, Dictionnaire Grec-Français, pp.957-958, CARREZ et MOREL, p. 169. Le mot ‘’nomos’’, la coutume suffit en lui-même et en lui seul pour assurer à l’homme, à un groupe d’hommes, à un Etat, les normes de l’organisation sociale sur tous les plans. Il lui assure, par sa signification étymologique, territoire, division administration, pâturage et enfin loi pour le vivre ensemble et la bonne gouvernance. Il n’est donc pas surprenant que le nomos ait tant de respect, de puissance et constitue une référence si solide au fonctionnement de l’État en régime et milieu paysans et d’oralité où il ne souffre pas de la concurrence de textes écrits ; cependant, il en est, également de même, en milieu et société d’écriture. Des pays comme la Grande-Bretagne, l’une des plus grandes démocraties du monde, l’Israël, la seule démocratie au Moyen Orient, ne disposent pas de constitution écrite et ne se réfèrent qu’à leur tradition en la matière. Quand une décision de justice est rendue et se répète à travers l’histoire d’un pays, on parle de jurisprudence de ce pays et on ne peut s’en écarter qu’en cas de force majeure. Même en droit donc, la tradition n’est pas à négliger. S’agissant de ce qui est commun aux citoyens d’une nation, il appert que la tradition seule compte et devrait compter en réalité comme la source unique et suffisante de se sacrifier pour la patrie. Ce que nous verrons ci-après.
  2. De ce qui est commun aux citoyens d’une nation
    4.1. Etat, références aux traditions fondamentales
    et aux grands évènements
    Si on demande ce que les citoyens d’un pays pourraient avoir en commun, ça m’étonnerait que même les acteurs politiques et intellectuels les plus sollicités ne citent en bonne place : la coutume, la langue, la religion, la volonté unanime et spontanée de vivre ensemble. Ce n’est pas la coutume, parce que dans le cas du Bénin, par exemple, les habitudes des Barribas du nord du Bénin sont différentes de celles des Fons du centre et du sud. Ce n’est pas la langue, le français, la langue officielle du pays, langue de l’administration, de la diplomatie et de l’Éducation nationale, n’est pratiquée que par l’élite intellectuelle, tandis que, les différents groupes ethniques pratiquent près de 60 dialectes. La Suisse a quatre langues officielles et aux États-Unis, le multilinguisme est un fait indéniable. Ce n’est pas la religion pour la simple raison que notre nation, à l’instar des autres peuples, a des minorités religieuses. Ce n’est pas la volonté unanime et spontanée de vivre ensemble, puisque comme les autres citoyens des autres nations, dans la majorité des cas, c’est en effet par la naissance qu’on devient béninois. Cela veut dire que peu de gens deviennent béninois, presque tous découvrent qu’ils le sont. Cela signifie aussi que la citoyenneté, pour la plupart des citoyens, n’est pas une chose qu’on mérite. La définition de l’Etat est liée à tout cela. Ainsi pour Patrice Canivez : « Une autre manière de concevoir l’État est d’en faire l’incarnation d’une idée nationale. L’héritage de traditions fondamentales et la référence aux grands événements du passé donnent à la nation le sens de son identité et de sa valeur. Dans ces conditions, on n’est pas citoyen en qualité de travailleur, on l’est par l’adhésion à une certaine culture, entendue à la fois comme façon de vivre et façon de penser. L’État, quant à lui, doit défendre cette identité, c’est-à-dire l’indépendance et la continuité de la communauté. C’est un fait auquel on donne une signification, et cette signification peut varier d’individu à individu. Par conséquent, la communauté politique semble n’être qu’une communauté de fait, rassemblant des individus dont les origines et les habitudes sont différentes, et qui néanmoins se trouvent vivre ensemble. Il est vrai, cependant, que la communauté tient de l’histoire sa physionomie propre » (Éduquer le citoyen ?, pp. 11-13). En allant jusqu’au bout de la réflexion, on reconnaîtra que la « culture » nationale n’est pas une donnée naturelle ou originelle : l’esprit français n’est pas celui des Francs, ou des Gallo-Romains, ou des Celtes. Si l’on admet cette hypothèse, on est conduit à se disputer pour savoir à laquelle de ces trois « couches » attribuer ‘’l’originalité française’’ (Canivez, pp. 12-13). Venons-en au cas du Bénin, en gardant présente à l’esprit l’idée selon laquelle une nation est spécifiée par une identité et une valeur originales. 4.2. Cas du Bénin : quelques préliminaires
    Dans notre cas, notre passé commun, la constitution du territoire actuel et son brassage culturel, est l’œuvre des rois d’Abomey et des colonisateurs français d’après l’administrateur colonial français et historien R. Cornevin : « Les peuples, compris dans les frontières de l’actuelle République du Dahomey, représentent un échantillonnage presque complet des diverses ethnies ouest-africaines depuis la côte jusqu’au Niger. Le brassage ethnique y fut particulièrement intense du fait des activités guerrières chroniques du royaume d’Abomey et des migrations effectuées le long des itinéraires caravaniers du nord. » (Histoire du Dahomey, p. 33.). Ces deux peuples, de toute évidence, ne sont pas beaucoup aimés. Ainsi, le français n’est plus regardé comme un pan pertinent relevant de notre patrimoine culturel et historique. On le combat même. Or, il s’agit de la langue de recherche du pays : sans sa maîtrise, comment parvenir à des productions scientifiques et littéraires dignes de ce nom ? Ainsi, également, pour beaucoup de gens, la Révolution du 26 octobre 1972 n’a pas pu choisir une langue dans son fameux programme d’alphabétisation parce qu’elle n’aime pas les Fons. Car, s’il fallait choisir une première langue nationale, ce ne pouvait être que le Fon. 4.3. Ma compréhension du refus du prof JPH
    La nation béninoise ne peut être que l’œuvre de l’État béninois ; comme ce fut le cas en France, la nation a été construite par l’armée et des décrets successifs, entre autres choses, pour finalement imposer le parler de Lutèce au détriment de tous les autres parlers régionaux du pays (Babélisme d’hier à aujourd’hui, pp 57-81). La nation allemande a créé l’État allemand. Ainsi, la nation française a été l’œuvre de l’État français. Dans le cas du Bénin, l’État et la nation sont à créer. Il n’existait pas avant la colonisation de notre pays un État-nation de l’importance de ce que nous avons à construire à partir surtout de 1960. Avant 1960, nous n’étions pas un peuple ayant en main notre destinée à bâtir ensemble. Nous devrions donc logiquement dévouer un attachement sans faille aux événements vraiment fédérateurs allant dans le sens de la mise en œuvre de cette sacrée responsabilité de bâtir nous-mêmes une nation digne de ce nom à l’instar des autres peuples. L’État béninois ne saurait être l’œuvre de quelques aventuriers politiques et de quelques intellectuels attachés à l’adogorcatie. Dans ce sens, la date de naissance de l’État béninois revêt une importance cardinale pour l’édification de la nation béninoise. Dans ces conditions, il n’est nullement exagéré de penser que tous les évènements survenant dans notre pays ne sauraient être, sans contredit, crédités de la même valeur sacramentelle que l’on confère, par exemple, à l’indépendance nationale ou à la Conférence nationale. Sommes-nous toujours dans une république démocratique où chacun est libre de sa pensée et de l’expression qu’il lui en donne ? Le cas échéant, quel est le crime de celui qui se refuse, délibérément, d’élever le prétendu Dialogue national d’octobre 2019 et la révision de la Constitution à laquelle il a préparé la voie sur des Textes sacrés de la République au rang d’actes fondateurs de la République ? C’est la question qui semble préoccuper le professeur PJH.
  3. Actes fondateurs de notre « État-nation »
    5.1. 1er Août 1960 et Conférence des Forces
    Vives de la Nation
    L’acte de naissance de l’État-nation du Bénin, sous la responsabilité exclusive de ses propres fils, est bien l’indépendance du 1er août 1960. L’ensemble des peuples constituant notre territoire actuel, a véritablement commencé à apprendre à vivre ensemble, déjà sous l’action colonisatrice de la France. Mais cet effort de construire le vouloir vivre ensemble a pris une tournure toute nouvelle lorsque nous l’avons infléchi sous notre propre responsabilité à partir du 1er août 1960. Le premier acte fondateur de notre État-nation est bien l’accession à l’indépendance à cette date du 1er août 1960. Il est sacré, fort de tout le dynamique et noble potentiel que l’avenir tient, dans ses ‘’mains’’, pour les fils et les filles de ce pays. Ce n’est pas à tort qu’on qualifie celui qui a proclamé cette indépendance de « Père de la nation ». De cette date d’indépendance à aujourd’hui, un autre acte fédérateur de notre État-nation, ayant véritablement impliqué tous les fils de ce pays, opposants et membres du gouvernement, a été et demeure la Conférence des Forces Vives de la Nation dont les trente ans d’anniversaire ont été fêtés en février passé. Et ce fut au cours de cet anniversaire que le Garde des sceaux, dans son intervention officielle, s’attacha à banaliser, profaner, ‘’désacraliser’’, ces deux actes fondateurs de notre État-nation : en les comparant à la récente révision de la constitution béninoise, allant jusqu’à considérer le Dialogue d’octobre 2019 comme étant le troisième acte fondateur de la République. Or ladite révision est l’œuvre d’une assemblée de députés ne représentant même pas 20/100 de leurs concitoyens. Et quelle est la base sociale de la représentation des acteurs constitutifs du dialogue social ? Ces propos du Garde des sceaux ont fait plus que répugner sinon révolter le Professeur JPH. 5.2. « Ne pas appeler « Monsieur », « Monsieur », mécontente le « Monsieur » et tous ceux qui le connaissent comme tel
    Le 1er août 1960 étant l’acte de naissance de notre État, notre marche vers l’affirmation et la consolidation de notre personnalité en tant que nation avait connu des hauts et des bas et s’était dangereusement compromise sous la période militaro-marxiste. La Conférence des Forces Vives de la Nation, œuvre de grand consensus national, décida de l’avenir de la nation à travers le choix d’un régime présidentiel qui sera validé par la constitution de 1990. Cette conférence mérite donc bien le titre du deuxième acte fondateur de notre « État-nation ». Comment comprendre dans ces conditions que le Garde des sceaux trouve, de son propre chef, un troisième acte fondateur de notre État-nation, à travers la révision de cette constitution, – issue de la mémorable conférence nationale ayant porté la ferveur et l’adhésion de tous les segments et strata de la société nationale ? Mais comme présenté, plus haut, la réponse du professeur JPH aurait suffi comme réponse aux propos du Garde des sceaux, n’eût été la réaction d’un universitaire-acteur politique survenue entre temps. Il s’agit du Dr MC VT qui semblait vouloir répondre au professeur JPH. Citant Francis Akindès, – l’éminent Dr condamne la fétichisation de la tradition qui fait des ancêtres une référence survalorisée et empêchant sa rationalisation par une sorte d’interdiction. La tradition étant donnée une fois pour toutes, la production de la société cesse d’être une priorité, d’autant plus que les ancêtres sont censés avoir tout dit et inventé, ce qui aboutit à une fétichisation « des pratiques inquestionnées et inquestionnables servies au monde comme données réfractaires à la raison ». Il dénonce la fameuse tendance à une « fétichisation systématique des acquis – qu’ils soient culturels, sociaux, politiques ou autres -, observée chez une grande partie des élites africaines et qui leur interdit tout travail d’objectivation, toute remise en cause et pour tout dire, toute déconstruction des objets sociaux et politiques ». Comme on le voit, le Dr MC VT, ne semble pas glaner simplement sur le terrain de la philosophie. Il se présente en maître sur celui même de la phénoménologie, de l’Herméneutique, le lieu même de la technicité du vocabulaire philosophique, en usant des termes de l’hoirie philosophique d’importance doctrinale capitale comme « objectivation », « remise en cause », et surtout de « déconstruction », etc. Cela ressemble au culot de saint Paul voulant faire leçon aux Grecs sur une question aussi majeure que celle de la Philosophie de la religion. Il convient de rappeler que le professeur JPH est agrégé de philo en France avec un 3è cycle sur Husserl, et pas dans les « universités yèdjèdjè » comme celles de nos pays. La « déconstruction » fait penser à Husserl. « Ne appeler pas Monsieur, Monsieur, énerve le Monsieur et ceux qui le connaissent comme tel ». Et ce serait inconvenant intellectuellement de ma part de ne pas intervenir. Surtout qu’il y a eu mauvaise foi par déplacement très habille sur le fond du sujet avec le flagrant délit de ne pas « appeler un Monsieur, Monsieur». Il ajoute : « Au Bénin la Constitution du 11 décembre 1990, et avant elle, la Conférence nationale de février 1990 ont été si fortement fétichisées, qu’elles furent servies au monde comme des données réfractaires à la raison. « Toute critique et toute remise en cause, même partielle sont interdites ».Tout intellectuel ou universitaire ayant comme champ d’investigation « Philosophie de la cité, d’éducation à la citoyenneté et genèse de la première philosophie de la même parenté universelle des êtres humains, de l’égalité et des droits de l’Homme », travaillant en HDR sur la question de la Loi de la normativité universelle, du régime idéal avec celle de comment avec la pire constitution on peut faire le bonheur d’un peuple avec des citoyens et des dirigeants vertueux, devrait se sentir également interpellé. En évoquant la question du développement, on peut se demander également ce qu’il entend par « développement » et ce qu’il pense des modèles japonais et bhoutanais. Il sera question aussi de comment la modernité est devenue une maladie, portant en elle-même les germes de sa propre destruction : l’Occident en fait l’amère expérience de nos jours. 5.3. Refus du Professeur JPH de l’amusement avec
    les Symboles et Textes sacrés de la République
    Ce fut au Colloque international organisé, – par l’Association béninoise de droit constitutionnel (ABDC) -, sur les 30 ans de la Conférence nationale et la Constitution du 11 décembre 1990, que le Garde des sceaux, a déclaré que le « Dialogue social d’octobre 2019 constituait le troisième acte fondateur de l’histoire politique du Bénin ». Appelé à faire un témoignage sur ladite conférence, le professeur JPH déclara, en répondant à notre Garde des sceaux, qu’«il y a certains raisonnements de désastre contre lesquels les Béninois doivent se prévenir. J’entends des choses extraordinaires. Le dialogue politique d’octobre 2019 ne sera jamais considéré comme le 3e acte fondateur de notre République. Si l’on continuait ainsi, un jour on décidera que 2+3 = 20 et on attendra de nous que nous applaudissions. L’effort de revenir aux élémentaires est nécessaire au Bénin. Le dialogue politique d’octobre 2019 ne peut, sous aucun prétexte, être mis sur le même plan que l’accession à l’indépendance et la révolution collective à la Conférence nationale. Pardon ! Pardon ! Pardon ! » Quand le professeur JPH parle de « révolution collective à la Conférence nationale », il n’exagère pas du tout. Peut-on dire la même chose du Dialogue d’octobre 2019 ? La Constitution du 11 décembre 1990 a été votée par le peuple. Sa modification l’a été par des députés élus par moins de 20/100 de leurs concitoyens. Le Dr MC VT condamne la fétichisation de la tradition et prône la déconstruction des faits sociaux. Dieux immortels et éternels, pardonnez-nous ! Il a été rappelé plus haut que ce terme relève de l’hoirie philosophique, surtout de la phénoménologie et de l’Herméneutique. J’ajoute ici que si l’on mettait de côté « Comprendre les Grecs mieux qu’ils ne s’étaient compris eux-mêmes (Comprendre un auteur mieux que lui-même), le vrai pari herméneutique est de pouvoir intellectuellement se situer au juste milieu, entre l’absorption et la distanciation, pour éviter aussi bien la fétichisation de la tradition que son rejet absolu. Le rejet absolu de la tradition est aussi condamnable que sa fameuse fétichisation. Le Dr MC VT, cite M. AKINDES de l’Université de Bouaké, Sociologue d’économie et surtout de politique. Je suppose que le Dr MC VT sait qu’à toute pensée, on peut opposer son contraire. Je sais par ailleurs, qu’avec des « couper-coller », en dehors de leur contexte, on peut faire dire à Kant tout ce que l’on veut… A propos de la Tradition, je lui oppose d’abord Tocqueville : « Le passé n’éclairant plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres » (De la démocratie en Amérique). Comme le Dr MC VT est un spécialiste en Sciences politiques, je lui recommande, entre autres écrits sur la tradition, Claude Moatti, Tradition et raison chez Cicéron : L’émergence de la rationalité politique à la fin de la République romaine in Mélanges de l’Ecole Française de Rome. Antiquité, tome 100, pp. 385-430. Le principe herméneutique de déconstruction doit donc logiquement amener le sociologue, digne de ce nom, à déconstruire afin de permettre aux jeunes générations de pouvoir nouer efficacement, en tenant compte des réalités du monde actuel et de celles de leurs histoires, de leur passé, de leur culture, la nouvelle corde à l’ancienne. Car un peuple sans histoire est un arbre sans racines. Et nous lisons chez Pliya, L’histoire de mon pays, 2014, p. 7 : « Lorsqu’un peuple perd le contact avec son histoire, ses racines s’étiolent et son ardeur à progresser faiblit. Voilà pourquoi, dans les palais des anciens rois d’Agbomè et de Kétou, tous les matins, les historiens chroniqueurs, Kpanlingan et Baba Elegoun déclamaient la généalogie des dynasties royales et leurs actions marquantes ». Et la question de gestion d’une nation, ne peut être que celle d’héritage reçu et à transmettre nécessairement avec la marque de nos aïeux : « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants. » Ce proverbe africain cité dans Terre des hommes d’Antoine de Saint-Exupery nous invite à respecter notre planète pour la restituer la plus vivante possible à nos prêteurs qui suivent. A ceux-là, notre progéniture, nous léguons également notre histoire, le plus formidable outil de connaissance de soi que l’homme ait jamais inventé. D’une société à l’autre, d’une génération à la suivante, seule l’histoire subsiste, porteuse de leçons et de réponses aux questions qui se posent à nous » (Pliya, pp. 11-12). Le Japon est le pays le plus moderne du monde, mais en même temps le pays le plus attaché à ses traditions. Peut-être qu’il faut chercher de ce côté l’un des motifs du développement des pays asiatiques. Ils se développent tous à l’occidentale, mais sont tous attachés à leurs coutumes et traditions. La « déconstruction », vraiment objective de nos traditions peut-elle viser autre objectif que celui-là ? La « tradition », traditio, d’après son sens étymologique signifie « le fait de remettre, de transmettre à quelqu’un d’autre à travers le temps, les générations ». Idem pour traditus qui signifie « transmission ». On voit par-là le rapport de la tradition avec la fameuse modernité sur laquelle un mot sera dit plus loin. Même en pratique judiciaire d’un pays, on parle de jurisprudence quand des décisions de justices se font écho à travers le temps. Et cela signifie la tradition de ce pays en matière de pratique judicaire. Même les lois morales puisent dans les traditions, parfois contradictoires, avant leur rationalisation. Quant à la modernité, Remi Brague nous apprend, dans Modérément moderne. Les temps Modernes ou l’invention d’une supercherie, que les idées modernes sont des idées pré-modernes et que nous ne pouvons être que « modérément modernes et non absolument ». La « déconstruction » objective devrait condamner tout aussi bien trop d’absorption, – de la tradition conduisant à sa fétichisation-, que trop de distanciation conduisant au mépris des traditions d’une nation. La tradition apostolique a force de loi et de dogme chez les chrétiens de version catholique. La façon dont les apôtres comprenaient les évangiles et les interprétaient a force de loi et de dogme avec ce principe intouchable et invariable de faire des disciples et de les rassembler pour le Christ quels que soient les contextes et les circonstances. Cette fameuse révision de la Constitution du 11 décembre 1990, par des députés ne représentants même pas 20/100 de leurs concitoyens, vise-t-elle l’objectif des pères de notre indépendance et de cette conférence nationale ? Le professeur JHP comprend bien ce qui se passe dans notre pays et a raison, de mon point de vue, de se préoccuper de « l’effort de revenir aux élémentaires nécessaires au Bénin ». Quand des intellectuels, ‘’ ayant la cote’’ auprès des acteurs socio-politiques, semblent ignorer ces élémentaires dans la vie d’une nation, il y a lieu de s’inquiéter sérieusement pour l’avenir de la nation. Notre acte de naissance, l’indépendance du 1er août 1960, et la Conférence des Forces Vives de la Nation sont et demeurent les deux actes fondateurs de notre République, de notre État-nation en construction. 5.4. Amusement avec les Textes sacrés de la République,
    développement et bonheur d’un peuple « Notre qualité de vie ne se mesure pas à notre richesse, mais à notre liberté »
    (Kofi Annan, 4e de couverture, Amartya Sen, Un nouveau
    modèle économique. Développement, justice, liberté.
    Titre original : Development as freedom)
    La vérité est que l’amusement avec les Textes sacrés de la République n’a pas commencé aujourd’hui. Pendant les 18 ans de la période révolutionnaire de notre pays, on n’a jamais entendu parler de « Ministre d’État », c’est-à-dire de ministre de rang et d’indemnités supérieurs à ceux des autres ministres. Ça a commencé avec le Renouveau démocratique. Avec le retour de M. Kérékou en 1996, on a eu non seulement des ministres d’État, mais également un Premier ministre alors que la Conférence nationale, le Haut Conseil de la République et la Constitution du 11 décembre 1990, avaient rejeté l’option du Premier ministre. Après les deux mandats du marxiste-léniniste converti en démocrate, les postes de ministres d’État étaient devenus des gâteaux qu’on distribuait non seulement ; mais on a eu droit à un Premier ministre qui était même flanqué d’un Vice-premier ministre. Et l’on aura bientôt chez nous un Vice-président de la République ! Et tout cela, nous dit-on, c’est la voie du développement. De même, il y a eu la LEPI, on a chanté que c’est un outil de développement : après c’est le RAVIP, ensuite le RAVEC et récemment le PRAN (Jugement à ceux qui n’ont pas de souche d’acte de naissance), et j’en passe. Tout ça, coûtant des milliards est considéré comme des outils de développement. Remi Brague, dans l’ouvrage « Modérément moderne », nous enseigne que le présent est déterminé par le passé et l’avenir par le présent. C’est l’ouvrage que j’ai étudié avec les étudiants de la 3e Année de Philo pour 2019-2020. Selon le même auteur, on ne peut pas modifier l’histoire. Ce qui change, c’est la façon de la lire et de l’interpréter. On ne changera jamais que le 1er août, la Conférence nationale ainsi que la Constitution du 11 novembre 1990, qui en était issue, ont été et demeurent les trois moments sacramentels de l’existence de toutes les sensibilités socio-politiques, professionnelles et religieuses de notre pays. On ne changera jamais que la révision de cette constitution fut l’œuvre des députés ne représentant même pas 20/100 de leurs concitoyens. On ne peut changer non plus que le peuple béninois a toujours montré un attachement profond à l’avènement de la Démocratie et à sa constitution. Beaucoup de Béninois ont oublié qu’à la veille des élections présidentielles de 1996, fut née l’expression « Prélat, père de jumeaux » (Yêhwénon-Gan-Hohoto). C’était l’expression de la colère de certains concitoyens accusant le prélat de faire échouer la démocratie par le retour d’un « sanguinaire ». La vérité est également que beaucoup d’acteurs politiques qui soutiennent ou condamnent aujourd’hui le régime actuel n’avaient pas toujours respecté le jeu démocratique. Les uns avaient été utilisés pour détruire des partis politiques, les autres pour voter des lois scélérates. Les donneurs de leçons aujourd’hui, n’avaient pas toujours eu assez de respect pour leurs concitoyens. Le peuple était habitué, pour l’élection du président de la République, à la tradition d’un second tour. Mais en 2011, ce fut un KO inédit ! Une partie du peuple avait cherché à comprendre ce qui s’était passé. Ni les membres du gouvernement d’alors, encore moins le président de la Cour constitutionnelle, n’avait daigné expliquer au peuple le bien fondé des résultats proclamés. Le président de la Cour constitutionnelle déclara, lors de la proclamation des résultats, avoir sifflé la fin de la récréation. Le président de la République envoya des chars et des forces de l’ordre contre certains de ses concitoyens. Avant la proclamation par le président de la Cour constitutionnelle, il y a eu celle du président de la Commission électorale nationale. Celui-ci a-t-il attendu le décompte des voix à un niveau suffisamment avancé avant de faire sa proclamation ? Le Dr MC VT parle également de fraudes institutionnelles au niveau de toutes les élections dites démocratiques de ce pays. Mais il devrait ajouter que ces fraudes sont l’œuvre des acteurs politiques dont il fait bien partie et nous éclairer un peu davantage sur ce qu’il sait sur l’acteur politique de ce pays qu’une actrice politique avait qualifié de « Djagouda ». Le Dr MC VT soutient que le développement n’est lié ni à un régime démocratique, ni à un régime dictatorial. Mais la vérité est que le « développement », entendu au sens du bonheur d’un peuple, n’est pas lié non plus à une réforme constitutionnelle. Le civisme des Bhoutanais, – par leur bonheur national brut (BNB) -, fait d’eux un modèle que l’ONU propose au monde aujourd’hui. Zénon de Cittium, fondateur du Stoïcisme, soutient qu’une constitution varie selon les époques et les peuples et qu’avec la pire des constitutions, on fera le bonheur d’un peuple avec des citoyens (dirigés et dirigeants) vertueux. Mais le problème de la loi, la loi écrite, est qu’elle est d’une fragilité telle qu’elle peut être retournée très facilement en tous sens par la rhétorique alors que le caractère, lorsqu’il existe chez un être humain demeure inébranlable ; d’où l’opposition de la faiblesse de la loi (écrite) à la nature. Un fragment de Pirithoüs, à ce sujet, nous éclaire : « Un noble caractère est plus solide que la loi ; Lui, en effet, nul orateur ne pourrait jamais le retourner, Tandis qu’elle, il peut la malmener souvent, La bouleversant de fond en comble par des discours.» (Fragment B. 22). Peut-on s’empêcher de voir une réalisation de ce que dit ici Pirithoüs avec la modification en question de la Constitution du 11 décembre 1990 ? On peut citer ici l’exemple de Valéry Giscard d’Estaing, donnant l’exemple d’un premier citoyen vertueux. Quand il instaura les élections des maires, il ne pensait pas que son adversaire politique, Jacques Chirac, allait devenir Maitre de la capitale. Mais bien que l’ayant très tôt aperçu, il n’eût pas cherché à transformer les candidats de son camp en pions à déplacer comme bon lui semble. Il laissa le jeu démocratique aller librement à son terme. Cependant, incapable de puiser dans ses traditions passées, la France ne dispose plus aujourd’hui des partis politiques à résonnance idéologique, philosophique et culturelle à la hauteur de ses idéologues et philosophes du passé. Quand le dernier gouvernement du mandat passé du Bénin, eut pour un Premier ministre, un homme plus français que béninois, beaucoup s’étaient demandé si c’était en France, un tel poste refusé par la Constitution serait créé pour qu’il l’occupât. L’occasion fut aussi le moment de rappel de La Baule. La France ne devrait plus apporter son aide aux pays africains s’ils ne s’engageaient véritablement dans les pratiques démocratiques. Curieusement, les dirigeants français ne s’étaient jamais servis de l’Organisation de la Francophonie pour apprendre aux dirigeants africains le jeu démocratique à travers l’élection du président de la Francophonie.
    Bref, si l’on savait que le Dahomey d’avant la colonisation ne procéda à aucune réforme constitutionnelle avant d’être plus prospère que la Côte d’Ivoire !: « Lors de sa création, le Dahomey était beaucoup plus riche que la Côte d’Ivoire. Il s’intégra avec réticence au début du siècle dans la Fédération d’A.O.F. » ( R. Cornevin, Le Dahomey, p. 5). VI/ Signification et implications de l’Homme « animal politique »
    6.1. Philosophie de la cité

Selon Aristote, la générosité de la nature envers aucun être humain n’a été telle que l’indépendance de cet être humain ne puisse souffrir de manques ni de besoins. L’homme, dès sa naissance, apparait comme un néotène. Même s’il parvient facilement à porter à son plein achèvement sa nature biologique et physiologique, il reste néotène, un être inachevé toute sa vie en ce qui concerne sa réalisation spirituelle, morale, civique, y compris la réalisation de ses devoirs patriotiques, qui ferait de lui un bon citoyen. La gestion convenable de la « cité locale » à travers les devoirs civiques, citoyens et patriotiques en vue de la concorde sociale, est le but de la cité, de l’existence humaine d’après les philosophes de l’Antiquité. Quand Aristote dit que l’« homme est un animal politique », il veut dire qu’il est doué de la faculté d’agir ensemble, – comme l’abeille, la guêpe, la fourmi, la termite, etc., qui sont aussi des animaux à caractère politique -, avec ses congénères en vue d’un objectif commun. Aussi Aristote, pût-il conclure en bon philosophe de la cité : « Celui qui ne peut vivre en société ou dont l’indépendance n’a pas de besoins, celui-là ne saurait jamais être membre de la cité : c’est une bête ou un dieu » (Pol., I, 1, 1253 a 3-4). Mais il dit surtout de l’homme qu’il est un « animal domestique » (oikoinos, d’où dérive, maison, économie, etc.). La première communauté humaine est la maison : d’où la cité, l’État, doit être à l’image de la famille : « La maison est une cité comprimée et petite, et l’administration de la maison une constitution rétrécie (sûnêgmenê politeia). De même, la cité est une grande maison, et sa constitution est une administration commune (koinê… oikonomia). A cause de cela, on montre que l’administrateur lui-même est aussi un politique, même si le nombre et la grandeur des dispositions changent » (Philon, De Josepho, SVF, III, 323, fin.). Et l’homme n’a d’autre lieu d’existence et de réalisation de son être et de sa personne que le groupe social, une communauté humaine. Aristote écrit encore : « Celui qui, par nature et sans qu’il puisse en accuser la fortune, n’appartient à aucune cité, est soit un être dégradé, soit un être supérieur à l’homme. » (Idem, I, 1, 1253 a 27-29). Epictète dénie, lui aussi, à l’homme quelque pouvoir de se réaliser sans contribuer à l’intérêt commun : « Seul l’animal raisonnable a une nature telle qu’il ne peut atteindre aucun de ses biens qui lui sont propres, sans contribuer à l’intérêt commun. » (Entretien, I, c. 19 § II). Comme on le voit, revendiquer sa contribution à la gestion de la cité à laquelle l’on appartient est non seulement un devoir civique primordial, mais relève même de l’essence de l’être humain en tant que naturellement un « animal domestique ». Par conséquent, l’exemple de l’abeille devrait-il lui servir logiquement de leçon. Pour Marc Aurèle, « Ce qui n’est point utile à la ruche n’est point véritablement utile à l’abeille. » (IV, 54). Tout acte d’un gouvernement, quel qu’il soit, qui ne favorise pas donc l’esprit de fraternité nationale, de justice sociale et de concorde dans la République, doit être combattu.

6.2. Le civisme et la révision non inclusive
de la constitution du 11 décembre 1990

Pour les Romains, l’oubli est la perte de la tradition civique. Et pour Cicéron, l’urgence doit se préoccuper d’« organiser la cité de manière qu’elle ne périsse pas. » (De resp. III, 40, frag.2) ; et d’ajouter : « Rien au monde ne demande plus d’intelligence que la constitution d’un Etat capable de durer » (De resp., III, 7). Comment une génération peut-elle prendre au sérieux cette tâche si sacrée sans chercher à puiser dans ses traditions ? Ne dit-on pas qu’« un peuple qui ne connaît pas son passé, ses origines et sa culture, ressemble à un arbre sans racines » ? Et quand on sait qu’un homme sans citoyenneté est de moindre dignité, ne devrait-on pas s’indigner contre la révision de la constitution du 11décembre 1990 par des députés ne représentant même pas 20/100 de leurs concitoyens ? Ne devrait-on pas s’opposer logiquement, et s’indigner comme le professeur JPH, qu’un acte d’exclusion de la majorité des Béninois soit interprété comme acte fondateur au même titre que notre acte de naissance qu’est le 1er août 1960 et le nouveau départ qu’a été la Conférence nationale avec la constitution du 11 décembre 1990 ? La leçon de l’abeille nous apprend que nous devons nous considérer comme des soldats devant être nécessairement fidèles au commandement que la nature nous a imposé. Nous devons nous tenir toujours prêts à tendre une main secourable. Car : « Ce monde que tu vois, qui embrasse le domaine des hommes et des dieux, est un : nous sommes les membres d’un grand corps. La nature nous a créés parents, nous tirant des mêmes principes, pour les mêmes fins. Elle a mis en nous un amour mutuel et nous a faits sociables. Elle a fondé l’équité et la justice ; en vertu de ses lois constitutives, c’est une plus grande misère de faire le mal que de le subir… Que soit dans nos cœurs et sur nos lèvres ce qu’écrit le poète : « Etant homme, j’estime que rien de ce qui touche à l’homme ne m’est étranger ». Montrons-nous solidaires les uns des autres, étant faits pour la communauté. La société humaine est pareille à une voûte dont la chute serait inévitable sans un mutuel appui des matériaux, moyennant quoi l’édifice tient. » (Ad. Luc., 95, 52-53). Pour ne pas connaître le sort des réfugiés, sujets de la bonne foi et de la charité d’un autre État, et se trouver en situation d’Homme de moindre dignité que les citoyens de l’État hôte, la révision non inclusive de la constitution du 11 décembre 1990, œuvre de tout le peuple, ne peut être considérée comme un quelconque acte fondateur de notre République. Il urge de commencer dès à présent à comprendre que tout ce qui n’est point utile à notre État, ne repose pas sur l’implication de toutes les sensibilités, ne peut point l’être véritablement pour nous. C’est à cette condition que les abeilles arrivent à assumer l’utilité de la ruche et la leur en même temps. Ce conditionnement de l’intérêt des abeilles à celui de la ruche, fait maintenir la ruche qui assure aux abeilles leur bien-être duquel sort le miel qu’apprécient bien nos papilles gustatives. Et tout ceci dans une tradition, avec notre Devise nous garantissant « Fraternité, Justice et Travail » en nous référant à la bravoure de nos ancêtres, modèles incontestés de notre patriotisme comme le chante justement notre hymne national. Et même si « Salus publica suprema lex esto », – et que je préférai voir ma patrie plutôt coupable que malheureuse qu’inexistante » -, l’on ne devrait pas au paravent exclure aucun citoyen, aucune sensibilité quand il est question d’une décision ou d’un acte engageant notre avenir commun, notre République. Ceux qui n’avaient pas exprimé leur indignation au moment de l’amusement avec les Textes sacrés de la République, distribuant des fautes mineures aux uns et des fautes graves aux autres lors des élections législatives exclusives d’avril 2019, comprennent quoi à quoi ?

6.3. Infans, tradition, parole et sagesse en milieu
Fon chez l’abbé Barthélémy des Guévi

Socrate, le philosophe athénien et révolutionnaire en matière de l’ordre social traditionnel, ne parlait qu’aux Athéniens, et le roi des Hébreux, David, rappelait à Yahvé toute la dévotion qu’il a mise à son service. Il se frappait souvent la poitrine, comme le grand prêtre d’Homère, en se plaignant de ne pouvoir chasser le dieu de sa poitrine. Et pourtant, la voie de l’un est devenue la voie de la sagesse universelle, et celle de l’autre, la voie de la prière universelle. Voilà la vraie déconstruction des réalia avec le pari herméneutique, de l’absorption et de la distanciation convenables,- sans fétichisation aucune -, ayant conduit à de l’amélioration, à la consolidation des traditions particulières et ipso facto à leur passage à la sphère de l’universel. C’est cela savoir bien nouer la nouvelle corde à l’ancienne. Et chez les Fons, l’enfant qui se détache de ses ancêtres, ignore le passé de sa famille, de sa société, reste enfant et n’a pas droit à la parole. L’abbé, Barthélémy des Guévi, nous apprend, à la p. 135 du t2 de son essai, Jalons pour une théologie africaine, que la sagesse procède de l’écoute des anciens et des ancêtres et de la référence à eux, surtout en matière de gestion des affaires de la famille et de la société. C’est pourquoi l’adulte est « Mèxo », celui qui a écouté et entendu parole. C’est celui-là qui peut prendre la parole : dans le cas contraire, il est et demeure infans. L’infans a pour sens étymologique « celui qui n’a pas encore l’usage de la parole ». Dany-Robert Dufour nous apprend d’ailleurs, dans Les mystères de la trinité, que le principe de l’acte même de la parole se fonde toujours sur cette trilogie : « Je dis à Tu, des histoires que Je tiens, de Il ». Tu n’as rien entendu et tu veux dire quoi ? Tu n’as rien entendu et tu n’as rien demandé non plus, tu vas dire quoi, surtout en matière de gestion de la cité ? La tradition des ancêtres en matière de gestion de la cité a toujours servi de modèle en matière de patriotisme à chaque génération de citoyens d’une nation. Aussi, Cicéron, et bien avant lui, Ennius (Théogn. I.- 6.), affirmait : « La force de Rome repose sur ses vieilles mœurs autant que sur la force de ses fils » (Resp., V, i.). En ce qui concerne la force des fils d’une nation, Comlan Gérard Agbota, dans sa thèse de doctorat en sciences de l’éducation, soutenue à Paris IV, sur La pédagogie de « Mèxodjo mèxo » fait comprendre comment la pédagogie d’éducation des Fons se fonde justement sur la nécessité pour le jeune de se référer à ses aînés. Et il ne sera « mèxo », en cessant d’être infans que s’il se laisse incarner par un ancêtre et agit comme lui, sinon qui agirait en lui. Il deviendra alors « Mèdjomè ». Ce qui signifie à la fois « Incarnation de quelqu’un d’importance capitale » et d’« Homme de bien ». En d’autres termes, l’être ou l’individu de valeur, ainsi que d’ailleurs, une chose de valeur, doit être la révélation d’un individu ou d’une chose, dont on connait déjà la valeur comme modèle en la matière pour la famille et la société, d’où « nou djo nou » pour une chose et « mèdjo mè » pour une personne. Un homme « d’incarnation de quelqu’un de bien » saura s’ouvrir à l’universel sans se renier soi-même culturellement. Il s’agit en fait de contribuer à l’histoire universelle tout en portant les marques de ses aïeux. On peut donner ici un exemple. On sait avec des précisions comment des philosophes, de l’entourage du prince Alexandre III de Macédoine, avaient dû modifier complètement leur dogmatisme philosophique et l’avaient remplacé par le doute, la suspension et enfin le relativisme, sans remise en cause de leurs valeurs traditionnelles grecques. La cité athénienne ne pouvait plus être considérée comme la cité idéale de référence. Pyrrhon d’Elis, l’un des témoins oculaires des bouleversements historiques dus à la volonté du prince Alexandre, sut plus que quiconque la mesure de l’ordre nouveau sur les plans politiques et juridiques. C’est de là que le stoïcien Zénon de Cittium développera par la suite l’idée de la Loi de la normativité universelle, qui par ailleurs, tiendra toujours compte des prénotions et des notions communes de chaque peuple, – insulter son père n’est approuvé par aucune nation et aucun peuple ne nie l’existence des dieux, sont des exemples de notions communes des Stoïciens qui sont à l’origine des fameuses Maximes de Kant -. Le prince Alexandre, qui réalisa un tel exploit en peu de temps, fut considéré tantôt comme un être emporté par le désir d’aller toujours au-delà, tantôt comme un homme qui réalise le projet rationnel d’un État universel. L’idéal recherché par les philosophes et penseurs de l’Antiquité était l’avènement d’une cité où régnera la concorde et où s’abolissent les différences entre Grecs et non Grecs. Mais le même prince est quoi au juste ? Il inspire le doute sur sa personne réelle. En plus de cela, Pyrrhon, par les conquêtes du même prince, découvre d’autres mœurs et d’autres sagesses en Orient. Il fit même à Taxila la connaissance en 326, centre brillant de la culture brahmanique en Inde, des « gymnosophistes ». Ceux-ci, étaient à l’époque des moines pénitents qu’on ne doit pas confondre avec les bouddhistes qui n’existaient pas à l’époque. L’un de ces moines rejoignit même l’armée d’Alexandre. Il s’appelle Calanos. Il mourut volontairement sur le bucher en donnant l’exemple de la dignité et de l’impassibilité devant la souffrance. Pyrrhon prit conscience de toute entreprise humaine, y compris celle d’Alexandre le Grand. La découverte d’autres traditions, grâce aux conquêtes du prince, le conduisit à la relativité de toutes les valeurs, ainsi qu’au rôle de l’apparence dans la connaissance. Mais si Pyrrhon put suivre le prince Alexandre le Grand, ce fut grâce à son maître Anaxarque d’Abdère qu’il suivit partout et par qui il put entrer en contact avec les gymnosophistes. Anaxarque d’Abdère fut particulièrement plus proche encore du prince (Long et Sedley, Les philosophes helléniques I., p. 37, Diogène Laërce, pp. 189-190). Le Pyrrhonisme, tout comme le relativisme, avaient donc été possibles grâce à l’attachement de ces philosophes à leurs traditions et à leurs capacités intellectuelles d’ouverture. La meilleure « déconstruction » des traditions d’une nation doit donc consister à reconnaître d’abord que certaines d’entre elles reflètent véritablement l’esprit de Fraternité, de Justice et de consolidation de notre État-nation. C’est pourquoi d’ailleurs, certaines questions méritent d’être posées à propos dudit Dialogue social d’octobre 2019.

6.4. Des questions au sujet du Dialogue
social d’octobre 2019

Concitoyens béninois, que nous sommes, nous n’avons pas en commun une religion, une langue, une coutume, etc. Par des liens de parenté, par rapport à notre histoire, nous sommes des citoyens du pays appelé aujourd’hui Bénin, et hier Dahomey. Notre responsabilité de bâtir un État-nation n’a véritablement commencée qu’avec l’indépendance du 1er août 1960. Au cours de notre histoire, d’existence en tant que jeune État-nation en construction et reconstruction, l’avènement du Marxisme-léninisme a été un moment très critique. Le peuple, comme un seul homme, militaires au pouvoir comme dans les casernes et toutes les sensibilités s’étaient retrouvés à cette Conférence ayant conduit à la constitution du 11 décembre 1990. Le 1er août 1960 et cette conférence nationale, avec cette constitution, sont les seuls traditions et Textes sacrés impliquant tous les citoyens de ce pays et méritent d’être considérés, véritablement, actes fondateurs de la nation en construction. L’apprentissage du vivre ensemble a commencé avec les conquêtes des rois d’Abomey et la colonisation française. Cette opinion de Robert Cornevin a été confirmée par le journaliste français, Henri de Kerillis : « Tous ces pays, autrefois en guerre perpétuelle, partiellement conquis d’ailleurs par les derniers rois d’Abomey, sont maintenant réunis sous l’autorité de notre administration. Et le chemin de fer y exerce peu à peu son action transformatrice ». Cependant nous refusons de conférer aux Fons et aux Français l’apanage d’avoir été à l’origine de notre État-nation. Nous ne saurions donc accepter que les deux seuls actes, reconnus unanimement comme fondateurs parce que intégrateurs de toutes les ethnies et de toutes les sensibilités de notre République soient banalisés, bafoués, à travers des comparaisons dubitatives et forgées pour servir des intérêts politiques partisans. Aucun point de tangence entre la Conférence des Forces Vives de la Nation et le Dialogue social d’octobre 2019. Le contraste apparaît encore plus abyssal entre la constitution du 11 décembre 1990, – le projet ayant fait objet d’une intense et large vulgarisation à travers tout le pays –, adoptée par le peuple à travers un référendum et la révision de ladite constitution réalisée nuitamment, – par un conclave d’individus très peu représentatifs de l’échiquier politique national. Et tout ceci avec l’approbation de certains universitaires. Rappelons-nous à l’évidence, comme nous y appelait Maga le 07 juin 1960, dans son compte rendu de mission : « C’est dans l’union de tous ses enfants que le Dahomey pourra franchir les ultimes étapes dans la voie du progrès ». Tous les Béninois et Béninoises se reconnaissent à travers notre indépendance, la Conférence nationale et la constitution du 11 décembre 1990. Nous sommes reconnus et respectés dehors grâce ces mêmes évènements sacrés ou à cause d’eux.

Conclusion

  • Oubli de la Devise de l’Université de Parakou par
    certains universitaires comme un crime La famille est la première communauté humaine. Elle doit même servir de modèle au fonctionnement de l’État, d’après Aristote et les Stoïciens en particulier. Or une famille sans traditions ancestrales n’en serait vraiment pas une. Les fils d’une famille doivent trouver dans les traditions des modèles de vertus familiales et sociales à admirer et imiter. De même, les citoyens de chaque génération d’une nation, doivent trouver leurs modèles de patriotisme et de civisme dans leurs traditions ancestrales. Ce n’est pas pour rien qu’on parle des Pères de la nation, de l’indépendance, de la constitution. Le sentiment d’appartenir à une nation fidèle aux idéaux de société des Pères fondateurs, mais ouverte aux réalités nouvelles du monde sans se détacher totalement de ses traditions, compte pour beaucoup dans la vie d’une nation. Quand le Dr MC VT parle de développement, il devrait nous préciser ce qu’il entend par ce terme. On peut recommander, à ceux qui ramènent tout ce qu’un gouvernement qu’ils soutiennent fait à ce terme, l’ouvrage collectif Afrique de l’Ouest : Questions sur le Développement à l’échelle locale » (Santiago de Compostela, 2018). Les deux premiers chapitres sont d’un collègue du Département de Philo et du Département des Sciences de l’Education de l’UAC. Il a été question plus haut du Japon comme le pays le plus moderne du monde mais en même temps le pays le plus attaché à ses traditions. On sait aussi que les Chinois sont également très attachés à leurs traditions bien que s’habillant en occidental et s’engageant dans la voie du développement à l’occidentale. L’exemple du Bonheur National Brut du Bhoutan, modèle de développement que l’ONU propose aujourd’hui aux pays du Tiers Monde, devrait chatouiller notre esprit de réflexion. Ce pays par les critères habituels de développement, fait partie des pays les plus pauvres de la planète, et pourtant le pourcentage de ses citoyens s’estimant heureux d’appartenir à un pays respectant l’environnement, les droits de l’homme dans le respect des traditions ancestrales montre bien que le bonheur des citoyens n’est pas essentiellement une question de développement matériel, mais plutôt une question de développement de l’esprit de Fraternité, de Travail et de Justice sociale. Et c’est à ce niveau que des questions méritent d’être posées au sujet du fameux Dialogue social d’octobre 2019. Ledit dialogue social, a-t-il été aussi inclusif que les ferveurs populaires ayant entouré notre indépendance du 1er août 1960 ? Est-ce que la ferveur de la Conférence Nationale et celle du vote consacrant la constitution du 11 décembre 1990 ont quelque chose à voir avec le peu de Béninois associés à ce Dialogue social d’octobre 2019 et à la révision constitutionnelle qui s’en est suivie par des députés élus avec moins de 20/100 de leurs concitoyens ? Était-il destiné à cultiver l’esprit de Fraternité nationale et de Justice sociale ? Pourquoi avoir amnistié seulement des militaires ayant tiré sur leurs compatriotes lors des évènements entourant les élections d’avril 2019 ? Amnistie-t-on ce qui doit aller au pénal ? Etc. Les militaires ayant tiré à balles réelles sur leurs concitoyens ont été amnistiés sans que rien ne soit apparemment fait à l’endroit des parents de leurs victimes. Un gouvernement, un premier citoyen, qui utilise la police, la gendarmerie et l’armée contre ses concitoyens doit savoir que même un « Xwédanou qui ne connaît plus son han-yito » n’agirait pas ainsi. Un tel pouvoir d’un premier citoyen relève du mésusage d’un outil qui appartient au peuple béninois. La mission essentielle du soldat, assurément, est de comprendre que le sang versé dont parle notre hymne national, et auquel ils sont tenus de se référer, c’est plutôt de leur propre sang versé au cours des combats éclatants livrés pour la défense de la patrie. Un modèle de soldat patriotique est offert par le colonel Amadou Alphonse Alley par sa défense héroïque de l’île de Lété. Nous avons besoin de soldats sur lesquels notre État-nation peut et pourra valablement compter comme en 1963. Les militaires dahoméens, en cette année-là, étaient tellement au point que le président Maga envoya notre compatriote, feu Emile Derlin Zinsou, auprès de son homologue ghanéen pour lui faire part de la volonté du Dahomey d’envoyer ses soldats au Togo en vue de rétablir la légalité et la légitimité démocratiques.
    « Je pense qu’il n’y a personne qui ait rendu plus mauvais
    Service au genre humain que ceux qui ont appris
    la sagesse comme un métier mercenaire
    (Sénèque, Ad ; Luc., 108, 36)
    En matière de gestion de la cité, notre ouverture à nous intellectuels, ainsi que notre éventuelle déconstruction de nos traditions, doivent viser la meilleure façon pour notre génération de pouvoir mieux nouer la nouvelle corde à l’ancienne. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrions nous développer sans nous renier nous-mêmes. Universitaires, nous ne devons jamais perdre de vue que notre mission est justement la devise de l’Université de Parakou. À savoir « Doctrina Lumen Humani Generis est ». Cette devise s’adresse particulièrement aux chercheurs en Sciences humaines, sociales et politiques. Les Ingénieurs aident à construire des Ponts et chaussées, les Économistes aident l’État à faire entrer les impôts dans ses caisses et à faire des investissements adéquats, les Géographes s’occupent de l’aménagement du territoire et en observant le ciel prévoient les pluies et les sécheresses, les médecins nous apprennent à prévenir et à guérir les maladies, les agronomes, par les études des sols de notre territoire national, nous apprennent à adapter nos cultures selon les sols et à avoir des meilleurs rendements lors des récoltes, etc. Nous autres, que pouvons-nous faire d’autre que d’aider à comprendre et à mieux saisir les enjeux élémentaires de notre vie communautaire ? L’impératif catégorique nous appelle à cesser désormais de conditionner les logiques de nos raisonnements en fonction de nos intérêts déjà satisfaits ou encore à satisfaire : sinon, nous serions en train d’en appeler à la fermeture de nos facultés. Car, visiblement nous ne servirons plus à rien dans ces conditions d’argumentation scientifique en fonction d’intérêts passés ou attendus. Comment comprendre en effet, qu’un universitaire trouve des fautes graves pour les uns et des fautes mineures pour les autres en application des mêmes textes de la République ? Enfin, l’État-nation que le devoir civique et patriotique nous appelle à construire doit l’être dans une dialectique de « construction-reconstruction », parce qu’il doit avoir une identité originale remontant à nos ancêtres et à notre histoire. Le reflet de cette identité originale et originaire, même légendaire ou mythique, doit toujours préoccuper chaque génération des fils de la nation. Chaque nation, chaque État, du monde, se distingue toujours par une identité, une tradition, remontant à ses origines ancestrales. L’une des missions d’une université, surtout en milieu colonisé, est celle de conservation de notre identité culturelle. On se demande aujourd’hui ce qu’aurait été la civilisation occidentale sans l’Université de Byzance.

Paulin HOUNSOUNON-TOLIN,
Dr en Sciences de l’éducation de Montpellier III,
Paul Valéry

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