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Le triomphe de la vérité

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Edito: Une apatridie de plus


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Lorsqu’en 1967, la France allumait la guerre civile du Biafra, son intention était double : casser la trop grande influence de Lagos en Afrique de l’Ouest et contrebalancer par la sienne propre à travers les pays francophones aujourd’hui réunis dans l’UEMOA. La Côte-d’Ivoire d’Houphouët-Boigny et le Gabon d’Omar Bongo furent utilisés pour soutenir les insurgés dirigés par le général Ojukwu. Après trois millions de morts, des millions de réfugiés, c’est Yacoubou Gowon qui finit par mettre en déroute les stratégies néocoloniales françaises en 1970. Aujourd’hui, la France gagne plus d’argent au Nigeria que dans n’importe quel autre pays africain. Les relations entre les deux pays se sont normalisées. Mais cinquante ans plus tard, beaucoup de Béninois considèrent que le Nigeria est si fort que le Bénin n’a rien d’autre à faire que de se plier à ses exigences. Notre devoir serait donc de nous faire petit, quand même l’arbitraire le plus brutal s’abat sur nos populations les plus démunies situées justement dans les zones frontalières.
Que se passe-t-il actuellement dans nos communautés situées aux frontières ?
Si donc comme moi, vous avez de la famille dans ces régions, appelez-les et vous aurez de la détresse, parce qu’on empêche nos paysans d’écouler leur manioc, leurs ignames, leurs sorghos. Au nom de pseudo-mesures sécuritaires, on a décidé d’affamer les vendeuses d’huile d’arachide, les vendeuses de gari ou de cossette d’igname. Parce qu’un Etat veut protéger son économie et l’ancrer dans un isolationnisme moyenâgeux, il détruit des décennies de relations commerciales, des siècles de relations interculturelles et met en insécurité économique tous nos parents qui vivent au long des 770 km de frontière que nous avons avec lui. Le paradoxe, c’est qu’en mettant un terme aux relations commerciales formelles, le Nigeria a ouvert largement ses frontières avec la Chine qui représente environ 22% de ses importations. C’est-à-dire que près du quart des importations formelles du Nigeria sont d’origine chinoise, bien loin du poids des importations provenant de Cotonou, même si elles peuvent paraitre illégales. Et ce que les gens feignent de ne pas voir, c’est que les industriels et les artisans nigérians se plaignent aussi de cette concurrence légale qui a lieu sur leurs propres terres.
Est-ce à dire qu’un jour ou l’autre Buhari fera comme Trump en fermant son pays à la Chine ?
Si la logique de l’isolationnisme se poursuit, c’est ce qui devrait arriver. Et vous conviendrez avec moi que ce serait bien absurde. Mais à y voir de près, le Nigeria cherche avant tout à faire peur au petit Bénin pour montrer sa suprématie africaine ou sa force de frappe. Montrer qu’il est capable de pressuriser un Etat et de le faire plier jusqu’à affamer ses populations et faire plier ses dirigeants. Je suis donc loin de comprendre ce qui peut amener des Béninois à prendre fait et cause pour cette stratégie nigériane de suprématie. Disons le mot : nous manquons bien singulièrement de patriotisme face à ce qui s’apparente à une machine de déstabilisation de notre pays.
Il est vrai que dans les circonstances actuelles, le gouvernement est resté dans un mutisme difficile à comprendre. Si vous avez pu discuter comme moi avec les vendeuses de gari, de tomate ou d’huile de palme, avec un seul parmi tous ceux et toutes celles dont la survie dépend du commerce avec le Nigeria, vous comprendrez que l’Etat béninois devrait tout au moins parler à toutes ces victimes innocentes d’une guerre qui est le fruit d’une erreur tragique. C’est exactement ce que fait Buhari qui communique presque au quotidien sur les retombées de cette crise, que ce soit lui-même, les services douaniers ou encore son gouvernement.
Parce que le Président nigérian sait que ses compatriotes vivant aux frontières dépendent fortement de leurs relations avec le Bénin. Les compte-rendus des travaux au sénat nigérian la semaine dernière laissent entendre les cris de douleur des élus. Et comme le montre L’Evénement Précis dans un reportage ce jour, les chefs traditionnels de l’Etat de Kwara situé à quelques pas du département du Borgou, expriment largement leur amertume et leur incompréhension face aux mesures de leur propre gouvernement.
Plus globalement, il y a deux semaines, les 115 députés du parlement de la CEDEAO, y compris ceux du Nigeria, ont voté à l’unanimité une motion condamnant les agissements d’Abuja. Et pendant que les Nigérians eux-mêmes trouvent inique et moyenâgeuse la politique frontalière de leur gouvernement, je suis incapable de comprendre que des Béninois nous demandent d’applaudir Buhari.

Par Olivier ALLOCHEME

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