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Le triomphe de la vérité

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Colloque international en hommage aux anciens enseignants: Le Professeur Amédée Joseph Odunlami raconte l’histoire du département de sociologie


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Parmi la kyrielle d’universitaires ayant dirigé le département de sociologie de l’UAC, figurent un enseignant qui s’est particularisé à travers sa manière de conduire les activités académiques et pédagogiques durant son mandat. Il s’agit de Amédée Alexis Joseph Odunlami, Docteur en sciences de l’éducation, maître de conférence/CAMES, aujourd’hui professeur à la retraite. Dans cette interview, il raconte son parcours scolaire et académique, l’histoire de ce département et ses relations avec les nombreux enseignants connus comme les pionniers de cette entité de formation.

L’Evénement Précis: Merci de vous présenter professeur

Odunlami Amédée: Je m’appelle Odunlami Amédée Joseph Alexis. Je suis professeur à la retraite.

Parlez-nous de votre parcours
Mon parcours est assez complexe parce que j’ai fait toutes les étapes de l’enseignement primaire, secondaire et puis j’ai fini à l’Université où j’ai fait une vingtaine d’années. J’ai commencé mon primaire à Niamey et puis en 1960 quand nous avons été rapatriés, j’ai fait quelques années au CEG de Porto-Novo. Nous sommes d’ailleurs les premiers qui l’avons créé. Après je suis passé au Lycée Béhanzin. Je voulais juste être instituteur mais avec les résultats des examensétaient favorables. J’ai été premier quelque part et je me suis dit pourquoi être instituteur ? On offrait les bourses. Donc je suis allé au Lycée Béhanzin et là aussi j’ai eu des problèmes. Nous avons fait des grèves avec Zinsou à l’époque, qui nous a tous mis à la porte. C’est ainsi que je suis passé dans l’enseignement primaire, étant déjà normalien et j’ai évolué jusqu’au Lycée Mathieu Bouké où j’ai été maître d’internant pendant un an pour avoir le Bac et passer dans les CEG où je suis resté à Covè, à Kétou et à Akpakpa. Là, j’ai fait mes études universitaires au niveau de la sociologie-psychologie-philosophie à l’époque qui est devenu département de sociologie-psychologie après. Et là, j’ai fait en 1980, la maîtrise et avec ça j’ai connu une affectation à la DEP étude de planification à Porto-Novo. De là, j’ai créé le groupe de recherches en éducation coopérative et en créativité sociale et j’ai eu des contacts à l’extérieur avec Paul Bachelar, Henry Deroche et autres. Ils nous ont supportés dans cette création d’ONG. Progressivement, j’ai pu faire la maîtrise qui m’a aidé à faire mon doctorat en France en alternance, puisque j’étais directeur d’un projet bénino-suisse pendant plus de 20 ans. Et après mon doctorat en France, j’ai été accepté à l’Université où j’ai travaillé à l’époque à la Flash d’alors. Mais au niveau du département, nous avions ensemble la philosophie, psychologie et sociologie. Progressivement, ces départements se sont ‘’personnalisés ‘’ et nous avons eu le département de sociologie, anthropologie, psychologie, philosophie actuellement. Donc, dans ce département de sociologie-anthropologie, je suis resté jusqu’à ma retraite.

Dites-nous un mot sur le père fondateur de ce département
Le Professeur Honorat Aguessy a été le premier béninois à revigorer ce département-là à l’époque. Parce qu’avant lui, il y avait eu des blancs qui avaient créé ça. Mais c’est lui que nous reconnaissons aujourd’hui comme le père de la sociologie au Bénin. C’est un homme qui est très brillant qui a des convictions panafricaines que nous avons beaucoup saluées. Je dirais qu’il est de la trempe de N’kruma et autres. D’ailleurs, dans l’idée qu’il a créé son Institut de développement d’étude endogène, je crois que les images des Sékou Touré, des Kwamé N’kruma qui montrent son engagement dans les études endogènes. Donc, dans l’endogénéité en sociologie, il est notre maître. Il a été le premier au Bénin à porter haut ce flambeau. Je crois que c’est en cela qu’il est notre papa et nous l’appelons tous affectueusement papa.

Quelle était votre relation avec le Professeur Aguessy ?
C’est de père à fils. Il est très compréhensif et dans sa rigueur scientifique, il est affectif. C’est un éclaireur et nous l’avons suivi et l’avons beaucoup l’admiré dans ses engagements. Nous n’avons pas arrêté d’être avec lui jusqu’aujourd’hui.

Que seriez-vous si le département de sociologie n’avait pas existé ?
Je l’ai dit au départ que mon ambition, c’était d’être instituteur. Ce sont les succès aux examens qui m’ont porté. Donc, j’avais une vocation innée pour l’enseignement. Donc, c’est cela qui m’a porté jusque-là. Si ce département n’existait pas, je ne sais pas ce que j’aurais fait. Je n’avais pas d’autre choix, peut-être m’inscrire en philosophie mais pas autre chose.

Quel est l’apport de la sociologie dans le développement du Bénin ?
Cet apport est assez mitigé dans la mesure où nous n’arrivons pas à percer au plan national, à imposer le savoir sociologique qui n’est pas trop permis en particulier. Parce que les sociologues ont l’habitude de démonter les mécanismes sociaux, les combinaisons, les combines et autres. Ce que les hommes au pouvoir, les décideurs et ceux qui luttent pour le pouvoir n’aiment pas. Ils n’aiment pas que les dessous soient révélés. C’est en cela que j’ai dit que notre apport est mitigé, sauf que nous formons beaucoup d’autres sociologues, je ne pense pas qu’au plan national les sociologues aient tenu un rôle très remarquable jusqu’aujourd’hui. Il est vrai que les gens portent vers nous, beaucoup d’intérêts. Mais je pense qu’il reste encore beaucoup à faire.
Je ne dirai pas que c’est un échec puisque hors du Bénin, nous avons fait des travaux. Nous avons été reconnus au niveau de l’Unesco et un peu partout. Nous avons quand même eu des pieds internationaux que personne n’a eus au Bénin. Donc, nous ne sommes pas un échec en tant que tel. Mais c’est le contexte béninois qui ne valorise pas toujours la vérité des faits. On préfère camoufler, fermer les yeux sur ce qui devrait être et puis la lutte de classe où nous avons des intérêts contradictoires ne permet pas que les valeurs soient reconnues, soient élevées. Plein d’artistes ici ont échoué mais dès qu’ils sortent du Bénin, ils sont importants. Même beaucoup de sociologues ne sont pas connus au Bénin mais ils se révèlent ailleurs. C’est un mal de notre société où nous ne sommes pas prêts à accepter les valeurs qui sont intrinsèques à nous et à valoriser plutôt ce qui vient de l’extérieur.

Quelles sont les œuvres que vous avez réalisées ?
Je crois que j’ai beaucoup travaillé avec l’Institut universitaire d’étude de Genève, après le collège coopératif de Paris, après l’Université de Tour et nous avons produit des documents qui ont été imprimés en Europe et nous avons eu des prix pour ces ouvrages. En fait, notre philosophie de développement, c’est que notre éducation ne remplit pas sonrôle. Nous formons plein de bacheliers des maîtrisards, des docteurs pour rien et pendent 20 ans, j’ai travaillé sur ces choses-là dans un projet bénino-suisse pour qu’on allie les études générales à la formation professionnelle. Et nous avons monté dans les collèges de niveau 2, des formations pratiques, des camps de formation pratique et des camps de formationgénérale un peu comme ce qui se passe dans les pays anglophones. Mais nous n’avons pas su généraliser cela. Parce que le Béninois ne veut pas que son enfant apprenne un métier. Nous voulons tous porter le col blanc et être « Akowé ». Ce qui n’apporte rien au pays. La preuve, toujours des bagarres pour avoir une place politique, des cafouillages et puis des jeux de croque en jambe. Nous sommes bons en cela pour avoir juste un poste et pour cela les gens n’aiment pas trop dire la vérité. Ils voient la vérité, mais ils préfèrent contenter le chef pour ne pas être expulsés parce que dès que vous contredisez un chef, vous êtes expulsés le lendemain. Vous lui faites barrière, or pourtant c’est la voie qu’il faut suivre. C’est-à-dire, il faut toujours dire la vérité. C’est le climat dans lequel nous sommes aujourd’hui au Bénin et nous n’arrivons pas à créer l’enseignement qu’il faut. Le LMD se fait depuis la seconde en Europe et ailleurs où ils ont créé ça à cet âge là. Nous nous mettons cela au niveau de la licence donc au niveau du supérieur. Or en ce moment, les gens sont formatés pour les études, les réflexions, mais pas pour la pratique, de telle manière qu’on ne les suit pas. Nous ne suivons pas nos étudiants enformation et ils deviennent finalement des demi-penseurs puisqu’ils ne pensent rien de nouveau. Ils ne font que répéter ce que d’autres ont dit. Mais, le système LMD pour nous, ce n’est pas ce qu’il faut parce qu’on a deux mille étudiants pour un professeur alors qu’ailleurs, c’est 25 qu’il faut. Nous n’avons pas les matériels qu’il faut. Cela décourage parce qu’on ne voit pas l’avenir à travers ce cheminement là. Je pense qu’on devra encore réfléchir tout le système de formation que nous avons aujourd’hui. Parce que quand les grèves durent plusieurs années, nous perdons plusieurs années également avec nos étudiants. Ils font six mois dans une année et quatre mois dans une autre année, ainsi de suite et si vous accumulé tout ça en quatre ans, ils font à peine deux ans et ils ont la licence ou la maîtrise, c’est zéro parce qu’ils n’ont pas acquis l’essentiel.

Que savez-vous du Professeur Albert Nouhouayi ?
D’abord, c’est un homme de science. Je l’ai connu pendant mes études. Il a d’abord été mon professeur et puis je l’ai retrouvé au moment où il faisait son doctorat à Tour avec Paul Bachelar qui a était aussi mon Directeur de thèse. Donc, c’est un homme que j’admire beaucoup pour sa franchise, pour ses recherches en sciences philosophiques, en sciences humaines. C’est un homme bien. Il est franc et il a les qualités humaines que j’ai beaucoup admirées et puis il est humaniste. Ces caractères font de lui un homme exceptionnel, toujours égal à lui-même. Je ne l’ai jamais vu en colère. Peut-être qu’il se fâche régulièrement mais il reste égal à lui-même. Je l’aime beaucoup parce que c’est un aîné que j’admire beaucoup.

Quelles sont les diverses situations auxquelles vous avez été confronté lors de votre passage au département de sociologie ?
Personnellement, je n’ai jamais été en colère contre quelqu’un. Mais j’ai assisté à des scènes de colère que je ne peux pas relater. Ce n’est pas bon de raconter ce qui s’est passé entre deux baobabs. On a longtemps assisté à ça et ça nous a divisés dans le département. Même après avoir terminé nos études, nous sentons encore jusqu’aujourd’hui que ça a laissé des séquelles. Je ne veux pas citer des noms. Les circonstances de colère, ça arrive entre enseignants et c’est souvent fréquent, les coups d’humeur, ça ne manque pas. Mais, je crois que la plupart du temps, ça a été maîtrisé. C’est vrai que même si ce n’est pas trop maîtrisé, les gens n’en tiennent plus trop compte. C’est-à-dire, que c’est classé comme tel et chacun prend ça comme.Les circonstances de joie, je crois qu’il faut parler de la convivialité qu’il est parmi nous. Quoi qu’il en soit, il y a une certaine convivialité, un respect des classes, le droit d’aînesse et autres. Ça c’est plaignant et c’est toujours actuel. Envers nos aînés, nous avons du respect, nos jeunes également ont beaucoup de respect pour nous et nous avons toujours travaillé dans la convivialité malgré les écueils que nous rencontrons qui sont souvent liés aux espérances déçue. Ces espérances déçues font que certains sont pris en animosité. Cela n’est pas de notre faute. Nous ne pouvons pas faire du faux pour rendre les gens heureux parce que là, ce sera une grave erreur de vouloir donner satisfaction pour plaire aux gens. Certains d’entre nous ont fait le faux pour des intérêts que nous connaissons. Personnellement, je ne peux pas dire que nous avons eu trop de cas puisque ces cas de colère et d’animosité se calment finalement. Les rapports de force jouent également dans les relations que les uns ont envers les autres et envers nos autorités supérieures. C’est humain qu’il y ait des colères et des joies.

Quels conseils avez-vous à prodiguer aux jeunes que vous avez formés ?
C’est d’être humble. On peut être très fort et humble au lieu de monter sur ses chevaux et vouloir dire « c’est moi, c’est moi ». C’est dans l’humilité que les gens vous donnent de l’importance et voir vos qualités. Ce n’est pas en s’exhibant, ce que beaucoup font et en essayant d’écraser les plus jeunes ou le moins protégés pour briller. L’on brille par ses activités, par ses manières de faire et de penser, et non par la brimade ou par les magouilles. Car cela est propre aux Béninois et à l’humain de vouloir transcender l’existant actuel et s’élever. Je crois que par notre travail, ils peuvent s’élever même si ce n’est pas reconnu aujourd’hui, c’est toujours reconnu. On reconnait ce qui font bien, ceux qui magouillent et ceux qui piochent ailleurs ce qui n’est pas à eux. Ça ne grandit pas. Ils n’ont qu’à plutôt aller creuser au fond d’eux-mêmes pour sortir ce qu’ils font. Il faut rechercher en nous ce que nous avons de profond et puissant pour que les gens nous suivent et nous prennent en exemple ou du moins, que l’on soit fier de ce que l’on a et qu’on donne ce qu’on a de meilleur en soi.

Qui sont les premiers enseignants qui ont dirigé le département de sociologie ?
Les premiers, c’est Honorat Aguessy et à côté il y avait Paulin Hountondji et Albert Nouhouagni. Mais après la scission du département en plusieurs autres (philosophie, sociologie et psychologie), les premiers qui ont pris les rênes, nous retrouvons Amoussou Yéyé. Honorat Aguessy n’est pas resté trop longtemps, parce qu’il est allé gérer le CDRAST. Il a créé l’idée mais ceux qui sont restés étaient Hountondji, mais quand on a créé la philosophie, il est parti. Mais Nouhouagni est resté un certain temps puisqu’il a eu même à gérer les doctorants avant que le Professeur Albert Tingbé ne prenne la relève. Donc, dans l’ordre, je crois que c’est Nouhouagni, Tingbé, Amoussou Yéyé et après eux, nous avons eu d’autres enseignants qui sont allés en agronomie. Mais après ceux-là, il y avait eu Tingbé et d’Oliveira. C’est eux qui ont géré le département pendant longtemps en alternance et moi je suis venu prendre le département vers 2010 pour seulement deux ans parce que j’étais proche de la retraite. En ce moment, j’ai vraiment voulu mettre de l’ordre parce que nous étions décriés. Dans la rigueur, nous ne sommes tous au même niveau. Il y a la rigueur juste et la rigueur orientée. Quand je suis arrivé, j’ai vraiment veillé aux examens pour qu’il n’y ait aucune magouille. On travaillait chez moi et je faisais corriger les choses et on donnait les résultats. Mais le dernier résultat créait d’ennuis. On dirait que le bouc est intervenu. J’avais mes documents en main. Quand il arrive de donner les résultats, je me suis évanoui. C’était l’hôpital. Moi-même, je n’ai pas donné les résultats. Ce qui devrait arriver est arrivé malgré toute la rigueur qu’on a essayé d’amener, toute l’honnêteté parce qu’on a démantelé tous les réseaux qui existaient à l’époque. Le jour où moi je suis tombé là, les résultats sont passés dans d’autres mains. C’était le surmenage puisqu’on travaillait jusqu’au matin pour avoir les notes et chacun a sa place. On a essayé aussi de nous donner du bonbon et on a refusé. On n’a pas besoin de ça pour vivre. Jusqu’aujourd’hui, il est probable qu’on n’a pas pu enrayer ce système.

Avez-vous des conseils à donner pour que ce mal cesse ?
Ce n’est pas vraiment au sein des étudiants réguliers que ça se passe. C’est ceux qui, de l’extérieur, ont besoin de grade et de diplôme. C’est surtout eux qui sont de grands acteurs. Mais dans le corps même du département, je ne pense pas que ça se passe comme ça. Il y a quand même un peu plus d’honnêteté, parce que quoi qu’on fasse, les étudiants bons passent. C’est les faibles qui essaient de passer par tous les moyens de surnager mais ils finissent par rejoindre leur place. Il semble qu’il y a naturellement une place pour chacun et quoi qu’on fasse, chacun de nous rejoint sa place. Si les gens font bien attention, ils verront que les professeurs qui donnent des points 4, 5 et autres ne bloquent jamais l’étudiant là qui est visible. Il y a un destin pour chacun auquel nous ne pouvons pas faire obstacle.

Réalisé par Gérard AGOGNON

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