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Le triomphe de la vérité

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Crise sociopolitique en Algérie: L’Ambassadeur Jean-Pierre Edon évoque les dysfonctionnements de gouvernance des dirigeants africains


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L’ambassadeur Jean-Pierre Edon

La situation de crise qui prévaut en Algérie depuis le mois dernier suscite des maintes réflexions au sein des élites africaines. C’est le cas de l’Ambassadeur, spécialiste des questions internationales, Jean-Pierre Adélui Edon, qui dans ses analyses, a relevé les dysfonctionnements de gouvernance des chefs d’Etats africains comme la cause principale de ces soulèvements populaires. Un êtat de chose qu’il déplore tout en invitant ces dirigeants à revoir leur mode de gouvernance tant que cela est encore possible.

 

LA TENSION POLITIQUE ACTUELLE EN ALGERIE ET SES  ENSEIGNEMENTS AUX  AFRICAINS

 

L’annonce en début Février de la candidature du Président algérien Abdelaziz Bouteflika pour un cinquième mandat a été mal accueillie par les Algériens.A l’aide des mouvements populaires, ils ont manifesté leur mécontentement et désapprobation de cet état de chose. Les manifestations de rue par toutes les couches sociales et professionnelles ont contraint le président à renoncer à son projet. Comment en est- on arrivé à cette situation extrême de la part de quelqu’un qui a marqué l’histoire de son pays et quels  sont les enseignements qui s’en dégagent pour les Responsables politiques africains ?

Agé de 82 ans et sixième président de l’Algérie indépendante, Monsieur Abdelaziz Bouteflika est arrivé au pouvoir le 27 Avril 1999. A l’époque, à la suite de plusieurs années de troubles sociaux provoqués par les islamistes extrémistes, Monsieur Bouteflika, homme du système, militant influent du parti du Front de Libération Nationale (FLN) et brillant Ministre des Affaires Etrangères, était à juste titre identifié comme l’homme capable de renforcer la pacification du pays et de relancer l’économie nationale pour un développement harmonieux et durable.

En effet, à 19 ans il rejoint l’armée de libération nationale avant d’être élu en 1964, membre du comité central et du bureau politique du FNL. A partir de  1963 et pendant 16 ans, il dirige avec brio le Ministère des Affaires Etrangères, ce qui lui a permis de se faire une réputation internationale, de nouer des relations à l’extérieur non seulement avec les milieux politiques, mais aussi ceux des affaires et d’investissement. De 1999, année de son accession à la magistrature suprême à nos jours, il a accompli d’importantes tâches pour son pays.

Sur le plan politique,Monsieur Bouteflika s’est révélé l’homme de la réconciliation, à la suite de la pacification du pays réalisée  par son prédécesseur Monsieur Liamine Zéroual. Il a pris deux mesures pour la réconciliation nationale  après une longue guerre civile (10 ans ) qui a fait 200.000 morts, et traumatisé le pays.

La première,a été la loi dite de « concorde civile » qui prévoit une amnistie partielle aux militants islamistes n’ayant pas les mains tâchées de sang et à condition qu’ils renoncent à la lutte armée. Cette mesure a entrainé le dépôt des armes de plus de 6.000 hommes et progressivement les maquis se sont vidés.

La deuxième mesure était l’adoption de la « charte pour la paix et la réconciliation nationale ». Elle prévoyait des indemnisations pour les familles des disparus ainsi que des aides pour celles des terroristes. Dès lors près de 1500 islamistes condamnés pour terrorisme sont libérés de prison. Massivement approuvée par référendum( 97% de vote favorable ), ladite charte garantit l’acquittement de toutes les forces de sécurité algériennes, peu importe les exactions commises.Ces deux actes politico-sociauxont contribué à renforcer la popularité du président algérien, mais ils n’ont pas permis de déterminer les responsabilités des nombreux massacres. C’était le prix de la paix et de la cohésion nationale.

Une fois la réconciliation réalisée, il s’est occupé du parti FLN très puissant en le réorganisant et prenant sa direction. Le FLN s’allie alors au Rassemblement National Démocratique ( RND ) et aux islamistes du Mouvement de la Société pour la Paix ( MSP ) pour créer « l’Alliance présidentielle », une coalition qui remporte les élections législatives de 2007 et 2012.

Fortifié par la victoire militaire sur les islamistes algériens et  le soutien au Front Polisario dans le Sahara occidental contre le Maroc, il a raffermi la coopération avec l’Occident en matière de lutte contre le terrorisme. L’Algérie s’est alors affirmée au cours de la dernière décennie comme une puissance régionale incontournable.

En 2008, il modifia sans difficulté la constitution pour briguer un troisième mandat aux élections d’Avril 2009. Il en sort victorieux avec un fort score de 90,24% des voix.

Dans le domaine économique, l’Algérie est un pays pétrolier et 3eme producteur mondial du gaz. Les hydrocarbures représentent plus de 95% des revenus du pays et contribuent à 60% au budget national. La rente pétrolière très substantielle permet de subventionner le carburant, l’eau, et les produits de première nécessité, de même que les secteurs sociaux de l’éducation, la santé et les logements.

Grâce aux recettes pétrolières abondantes obtenues  entre 2004 et 2014, Bouteflika s’est lancé dans les grands travaux tels que le métro d’Alger, les autoroutes surtout celle reliant l’Ouest à l’Est ainsi que le barrage de Ben Haroun. Il a aussi réussi à réduire considérablement la dette extérieure qui est tombée à moins de 2% du PIB. Le plan quinquennal élaboré pour son second mandat, prévoit la relance de l’économie avec une enveloppe financière de 150 milliards de dollars dont une part importante revient aux actions sociales.

Fortement marquée par l’intervention étatique, l’économie a été affaiblie depuis 2014 par la chute du prix du baril du pétrole. Il est alors question de la diversifier. Cette diversification porte surtout sur l’agriculture qui est devenue l’une des priorités. Facteur important de l’économie algérienne, l’agriculture génère, en incluant les industries agroalimentaires, près de 10% du Produit Intérieur Brut(PIB) et emploie 11% de la population active. Ce pays a très tôt compris la nécessité de nourrir prioritairement ses populations et de façon autocentrée, en faisant de l’agriculture la base du développement économique et social.

Avant le boom pétrolier, il exportait des produits agricoles vers la France. Au cours des vingt dernières années, l’agriculture était considérée par les responsables politiques comme un secteur clé de la stratégie gouvernementale visant à doper la croissance hors hydrocarbures.  Avec le Plan National de Développement Agricole(PNDA) mis en place en 2000 et réactualisé en 2008, l’Algérie se rapproche un peu plus de son objectif d’autosuffisance alimentaire. Selon les prévisions officielles, le pays pourrait mettre fin à l’importation des produits agricoles d’ici trois ans. A cette allure, le secteur agricole deviendra dans un avenir proche, un grand pourvoyeur d’emplois pour les Jeunes.

Le président a déjà fait de la lutte contre le chômage, une priorité. En effet 30% des Algériens de moins de 25 ans sont au chômage y compris les hauts diplômés. Tout ceci explique l’ampleur du soulèvement populaire  auquelles étudiants ont massivement pris part. Le chômage galopant constitue ici comme ailleurs une potentielle « bombe sociale » qui ne manquera pas d’exploser si rien n’est fait pour la prévenir. En 2011 en vue d’éviter le printemps arabe, le président algérien a injecté dans le social une somme importante de  24 milliards de dollars pour mieux indemniser les fonctionnaires et aider la jeunesse à l’emploi. Il a ainsi réussi à préserver la paix sociale.

Toutefois le bilan présidentiel souffre de scandales de corruption à grande échelle avec la dissimulation des malversations de la banque privée Khalifa, la révélation du reversement de milliards de dollars de pot de vin dans le cadre des contrats avec la société nationale d’hydrocarbures SONATRACH, la multiplication des affaires dans des secteurs clés impliquant l’entourage du Président, ainsi que la corruption au sommet de l’Etat.

Voilà sommairement présenté, le bilan de 20 ans de gouvernance du premier Algérien. Il a tout de même réalisé la réconciliation nationale, préservé la paix, assuré le rayonnement régional  et international de l’Algérie. Pendant plusieurs années l’économie a été florissante et la population en  a bénéficié par d’importantes mesures sociales. Malheureusement la chute des cours du pétrole et la corruption, ont rendu la tâche plus difficile. Pire, le Président est sorti handicapé  et affaibli  de la maladie de l’AVC dont il a été victime en 2013, et cette difficulté sanitaire a eu un impact sur la situation nationale. La preuve en est que depuis lors, il n’est plus apparu en public, et n’a pas pu s’adresser à ses compatriotes.

Aussi le peuple algérien ne comprend- il pas qu’il veuille briguer un cinquième mandat. En 1999, il était réellement l’homme de la situation et  l’a prouvé par son travail. Mais aujourd’hui, au lieu de sortir par la grande porte, les tentations du pouvoir et surtout l’idée agitée autour de lui par les courtisans et son entourage, selon laquelle il reste indispensable pour le pays malgré son état de santé, l’ont convaincu de la nécessité de tenir encore les rênes du pays. En réalité son entourage y trouve son compte et se sert de lui pour défendre ses propres intérêts. Depuis l’annonce de sa candidature, des manifestations populaires de rejet, ont spontanément commencé et  progressivement gagné tout le pays, notamment à partir du 22 Février. Chaque jour et surtout les vendredis, ce sont des millions de manifestants qui se mettent dans les rues pour dénoncer cette dérive.

Sensible aux revendications populaires, le président a dû renoncer le 11 Mars 2019 à son projet. Il nomme alors un nouveau Premier Ministre en la personne de Noureddine  Bedoui, ancien ministre de l’intérieur, un vice- Premier Ministre, Monsieur RamtaneLamamra, brillant diplomate ayant fait ses preuves aux Nations-Unies, à l’Union Africaine et en Algérie où il fut chef de la diplomatie  et le sera encore dans ce gouvernement de transition. Il  annonce pour la fin de l’année une conférence nationale qui devra décider de l’avenir politique du pays avec l’élaboration d’une nouvelle constitution. Lui- même restera au pouvoir jusqu’à l’élection de son successeur sur la base de la nouvelle loi fondamentale.

Cette décision qui calme un petit peu les Algériens, ne les satisfait pas dans la mesure où l’élection présidentielle est reportée à une date inconnue. Il s’ensuit que le quatrième mandat en cours, finissant le 28 Avril 2019, se trouve ainsi  prolongé. Non conforme à la constitution, cette prolongation qualifiée de ruse par les manifestants, n’est pas du goût des Algériens. A ce sujet, l’avocat MoustaphaBouchachi, militant des droits de l’homme et l’une des figures emblématiques de la mobilisation contre le cinquième mandat a déclaré que: « Nous ne demandons pas uniquement le report des élections, mais une période de transition gérée par un gouvernement de consensus national formé de personnalités crédibles, après une large consultation. Il n’est  pas question pour nous de tolérer la confiscation de la volonté du peuple d’aller vers des élections libres et une véritable démocratie. »

Ce militant des droits de l’homme exprime ainsi les sentiments de la population qui veut amener le pouvoir à aller plus loin, jusqu’à mettre fin au système en place depuis plusieurs années. La formation d’un gouvernement de transition composé de technocrates, des membres de l’opposition et de la société civile, des jeunes et femmes, annoncée  par le nouveau Premier ministre, le Jeudi 14 mars, au cours de sa première conférence de presse, ne convainc personne, de même que la durée de transition estimée à un an par le nouveau chef du Gouvernement.Les manifestations se poursuivront dans les jours à venir avec de nouvelles revendications dont le rejet de la prolongation du mandat présidentiel  en cours.

En fait, la formule actuelle permet à l’équipe au pouvoir de gagner du temps pour réfléchir sur la stratégie à mettre en œuvre en vue de  maintenir le système et trouver en son sein un remplaçant consensuel  de Bouteflika. A ce titre il est permis de dire que la victoire algérienne n’est pas encore entière, mais le résultat obtenu le 11 Mars 2019 est déjà un bon départ, ce qui est rare en Afrique où les dirigeants ne savent pas faire au moment opportun, des concessions nécessaires pour sauver l’essentiel.

Mais la récente  proposition de sortie de crise, faite par le chef d’Etat-major  général de l’armée, est une piste favorable à la paix et à la fin des manifestations populaires. Il s’agit donc d’user de l’article 102 de la constitution pour déclarer malade le Président et inapte de ce fait, à exercer les fonctions présidentielles.L’armée étant ici l’un des piliers solides du régime,l’intervention de son chef dans la crise politique actuelle ne peut qu’avoir un écho favorable. La preuve en est que l’un des trois partis de la coalition présidentielle, le Rassemblement National Démocratique (RND), accorde déjà son soutien à la proposition du chef de l’armée. Il reste à savoir la réaction  très attendue du Conseil Constitutionnel. L’intérêt de l’idée du Général, est d’éviter un coup de force et de résoudre le problème par  voie légale,  conformément à la constitution.

La contestation en cours dans ce pays du Maghreb, un pays pas des moindres, qui a marqué l’histoire contemporaine avec les grands hommes d’Etat comme Ben Bella, Houari Boumediene, Chadli Bendjedidet Abdelaziz Bouteflika, doit être appréciée avec parcimonie et sans exagération. Il s’agit ici d’un militant de première heure et d’un pays engagé, progressiste, avec une histoire de lutte riche exemplaire et instructive.

Devenue officiellement indépendante le 5 Juillet 1962, l’Algérie a mené une guerre de 8 ans contre la présence coloniale française ayant duré 132 ans. La puissance coloniale voulait en faire une colonie de peuplement et tout était mis en œuvre pour y parvenir. Mais la combativité du peuple algérien et sa ferme détermination à se libérer du joug colonial, ont été une grande surprise. Le Front de Libération Nationale (FLN) quoique dominé militairement, sort vainqueur politique de la guerre contre les partisans de l’Algérie française, et accède  au pouvoir. Avec un projet de société socialiste et bénéficiant de l’aide militaire de l’Union des Républiques Soviétiques Socialistes (URSS), le FLN gouverne le pays en tant que parti unique jusqu’en 1989. Mais en 1976, sous le président Boumediene, l’allusion à la révolution socialiste est abandonnée et l’Algérie se rapproche du Mouvement des Pays Non- Alignés.

Le président algérien a alors organisé avec succès à Alger en 1973 le sommet des pays non- alignés qui offre alors son soutien aux différents mouvements de libération nationale tels que le MPLA d’Agostino Neto en Angola, le PAIGC d’Amilcar Cabral en Guinée Bissau et Cap- Vert, la ZANU-PF de Mugabe au Zimbabwe et l’ANC de Oliver Tambo en Afrique du Sud, Nelson Mandela étant en prison. L’assistance de l’Algérie à tous ces mouvements et à d’autres pays africains, était considérable. Le Benin par exemple, pendant la période révolutionnaire, recevait de ce pays les produits pétroliers à un coût nettement inférieur au prix appliqué sur le marché international. Nombreux sont les cadres civils et militaires  africains formés en Algérie aux frais de ce pays.

Mandaté par les pays non- alignés, Boumediene prononce à l’Assemblée Générale des Nations –Unies en 1974 un discours historique qui fait date, sur l’instauration du Nouvel Ordre Economique International (NOEI ). L’année suivante, il accueille le premier sommet de l’OPEP dont le résultat tangibleest l’élaboration d’une politique commune ayant eu comme effet, la consolidation, le respect et la considération internationale de  cette organisation. Il a enfin su aménager la paix avec son voisin, le Maroc à la suite de la guerre des sables au sujet de son soutien au Front Polisario dans le Sahara Occidental.

La démocratisation du régime dans les années 1980, sous le président Chadli Bendjedid et à la suite d’importants mouvements de protestation, s’achève brutalement avec le début de la guerre civile en 1991. Le pays  connait alors une décennie noire. En 1999, l’élection  d’Abdelaziz Bouteflika a permis de ramener l’ordre et espoir. Depuis la guerre de libération contre la puissance coloniale, et dans tous les évènements nationaux à ce jour, Bouteflika, ancien collaborateur  de Boumediene en qualité de Ministre des affaires étrangères, a toujours joué un rôle. Il est un bon militant, un patriote reconnu, un panafricain et un homme de paix. Il a toujours soutenu sans réservela lutte de son pays contre le colonialisme, l’exploitation de l’homme par l’homme, la détérioration des termes de l’échange, l’impérialisme international et ses valets locaux.

Défenseur sur la scène internationale du concept du nouvel ordre économique international, Bouteflika a milité pendant plusieurs années, de concert avec ses pairs des pays non-alignés, pour le transfert de technologies en faveur des pays en voie de développement. Aussi la crise algérienne actuelle, bien que compréhensible, ne saurait-elle faire oublier les valeurs intrinsèques de cet homme d’état qui a pu, dans des conditions difficiles, reconstruire son pays et lui conférer une réputation régionale, africaine et internationale. Il a fait de l’Algérie, l’un des rares pays où le système de formation est adapté aux besoins et aux conditions de la Nation.

L’histoire de ces dernières soixante années, a montré que l’Etat algérien défend l’Afrique mieux que les Etats africains, mêmes noirs, à l’exception du Nigéria. Il ressort donc de cette appréciation que tout malheur qui survient à l’Algérie, affaiblit du coup l’Afrique. Aussi les conséquences de la crise de croissance actuelle sont-elles à étudier avec sérieux, objectivité, espérance et détermination. N’oublions surtout pas que l’Algérie est l’un des rares pays africains qui fonctionne  vraiment comme un Etat indépendant dans le concert des nations, donc une entité étatique avec qui compter. Ces atouts et mérites sont à reconnaitre et à préserver, malgré la passagèrecontestation actuelle.

A voir de près cette crise par rapport à la situation politique prévalant dans beaucoup de pays africains, on peut dire sans risque de se tromper que le cas algérien  qui rappelle et ressemble à celui du Burkina Faso en 2014, est un signal fort à nos pays, beaucoup moins organisés que cet Etat  maghrébin.

La tendance à s’éterniser au pouvoir en tordant le cou aux lois fondamentales, doit cesser. Etre chef d’Etat ne signifie pas que l’on détient un pouvoir absolu sans limites. On semble ignorer à dessein que le vrai pouvoir appartient au peuple et que la démocratie n’est rien d’autre qu’une forme de gouvernement dans lequel la souveraineté émane du peuple. Dans ce système d’exercice du pouvoir, personne n’est indispensable, mais le concours de chacun et de  tout le monde est nécessaire pour la reconstruction nationale, d’où le non-sens de l’exclusion. En cherchant à rester le plus longtemps possible  au pouvoir, on donne l’impression d’être indispensable pour le pays, ce qui n’est pas vrai. Si tel était le cas, la Chine aurait du mal à fonctionner à la mort de Mao Tsé Toung, de même que la France, après la démission du général de Gaule, et l’Algérie au lendemain de la mort  de Houari Boumediene.

Il est indiqué que le principe de l’alternance au pouvoir, propre à la démocratie soit strictement observé.  Il est même conforme à la nature humaine qui a souvent envie du changement et de la nouveauté après avoir expérimenté pendant un moment un système ou une équipe d’hommes. De là découle certainement  la réflexion  d’un jeune manifestant algérien qui, s’adressant à la presse, souligne que depuis sa naissance, il n’a connu que Bouteflika comme Président d’Algérie et qu’il aimerait avoir maintenant  un autre chef. Mieux l’alternance au pouvoir est nécessaire et utile en ce sens qu’elle intervient comme du sang neuf  insufflé dans les veines. Pour y parvenir, les dirigeants africains doivent  gouverner avec  humilité et sagesse, privilégier et défendre l’intérêt  du peuple, être à son écoute, éviter toute politique d’exclusion ou de sectarisme.

Perdurer au pouvoir, peut se comprendre dans un seul cas, celui d’un pays en guerre ou récemment sorti d’un conflit armé. Alors, l’œuvre de pacification du pays et de reconstruction nationale, entreprise par le chef de l’Etat, peut nécessiter une période  plus longue  qu’un mandat présidentiel ordinaire. En fait, c’est bien le cas de l’Algérie où il revenait à Bouteflika, la lourde tâche de reconstruire le pays ravagé par une décennie de guerre. Mais après 20 ans de travail  assez bien fait, et tenant compte de son état de santé, le peuple algérien aurait aimé qu’il se retire pour se reposer, permettant ainsi à une nouvelle équipe dirigeante de se pencher sur les problèmes de l’heure, notamment le chômage des Jeunes.

Aujourd’hui, l’emploi pour la jeunesse, devient une grande préoccupation et tout dirigeant doit en être conscient et agir en conséquence pour le bien commun, sans esprit vindicatif, ni règlement de compte. Aucun effort ne sera  épargné pour créer des emplois et éviter, en vertu des réformes inadéquates, la perte subite d’emplois par des jeunes déjà  en activité, ainsi que  des pères et mères de familles ayant accumulé plusieurs années d’ancienneté, et dont l’âge plus ou moins avancé, ne permet pas de trouver facilement d’autres emplois devenus, du reste, rares.

Tout le monde dans un pays donné,doit bénéficier de la part des gouvernants, des mêmes services et  traitements en dépit de leur opinion politique, leur appartenance ethnique ou religieuse. Faire autrement c’est instituer deux catégories de citoyens, les uns, recevant tout, et les autres, presque rien. Il est établi que dans les pays africains en voie de développement, l’Etat devra mettre l’accent sur les actions sociales, à cause de la pauvreté, lot de la majorité des populations. La politique sociale est en outre, une forme de justice et de partage équitable des richesses nationales. Tout Etat qui y renonce alimente un terreau  favorable à la révolte et au soulèvement populaire.

A l’étape actuelle de  leur développement, les Etats africains doivent être conscients du constat que,  le niveau encore faible du secteur privé, fait de l’Etat, pour un moment encore, le plus gros employeur, d’où la nécessité d’accorder un soin particulier à la fonction publique. A la différence du secteur privé dont le développement dépend, entre autres , de la conjoncture économique nationale et internationale ainsi que des conditions favorables que lui offre le pouvoir, la fonction publique a toujours été et doit demeurer le secteur qui garantit la sécurité de l’emploi. Toute mesure qui  rend le travail précaire dans le public est injuste et inacceptable dans nos pays.

C’est une erreur de chercher coûte que coûte sa rentabilité économique et procéder à cette fin à des reformes qui ressemblent à sa privatisation.Sa mission traditionnelle encore valable de nos jours, est de rendre service à la population et être à sa disposition. C’est comme si les forces armées et de sécurité qui ne produisent pas de richesses tangibles sont inutiles parce qu’elles ne sont pas économiquement  rentables. Or les services qu’elles rendent à la population et surtout à la classe des pauvres  majoritaires,sont inestimables et dépassent de loin les gains financiers. Même dans les pays avancés, la population tient encore jalousement et avec raison, aux services publics.

En effet l’une des revendications des gilets jaunes  en France, est le maintien des services publics que le gouvernement en place envisage de supprimer à la faveur des réformes. Toutes réformes qui ne contribuent pas à l’amélioration des conditions de vie des citoyens et  ne servent que les intérêts d’un petit groupe de privilégiés, sont inutiles, impopulaires et injustes.De la même manière, toutes les lois ne sont pas justes. Il y en a qui sont iniques, d’autres conçues pour défendre des intérêts personnels, d’autres encore,  appauvrissent les citoyens ou mettent en difficultés des entreprises privées pourtant créateurs  de richesses  et d’emplois. Cette catégorie de lois iniques et antisociales est à combattre.

En Afrique, certains dirigeants se  servent de textes légaux élaborés à des fins précises  pour protéger leurs intérêts économiques ou politiques, en contradiction avec ceux du peuple. On assiste alors  à des arrestations arbitraires des citoyens, faisant d’eux des prisonniers politiques. Dans certains cas, il s’agit des actes de torture, des éliminations physiques d’opposants par toutes sortes de méthodes, l’écartement subtil  des marchés publics,des hommes d’affaires ne partageant pas la vision politique du pouvoir, la  violation de la liberté d’expression et de réunion, l’institution autoritaire des écoutes téléphoniques et des communications etc… En somme, on commence par poser progressivement  les bases d’une dictature qui ne dit pas son nom.

Il est d’une grande importance que les chefs africains tiennent compte des réalités de leurs milieux dans la formulation de la politique socio- économique. Ils gagneront à prendre  en considération le fait que, le niveau faible de développement de nos pays où beaucoup de gens vivent encore  dans la pauvreté, voire la misère, recommande que l’Etat continue de jouer un rôle prépondérant dans le social et l’économie, en particulier,les secteurs stratégiques touchant à la sensibilité des populations.De ce point de vue, il revient aux parlementaires d’être méticuleux et attentifs aux lois à voter, en évaluant d’abord  leurs impacts sur la vie des administrés, leur conformité aux principes de la démocratie et à la jouissance des libertés individuelles et collectives. Pour plus d’équité, les députés feraient mieux de chercher le consensus autour de chaque décision législative, car la majorité n’est pas forcément détentrice de la vérité.  Mieux, le parlement, pour être efficace et crédible,  doit  affirmer à tout moment, son autonomie à l’égard des autres pouvoirs,surtout l’exécutif dont il contrôle l’action.

L’un des maux dont souffrent nos Etats, est le non-respect par l’Autorité, du principe de la séparation des pouvoirs.Au lieu de se plier à l’autonomie organisationnelle et de fonctionnement des institutions de l’Etat, surtout celles à qui la constitution attribue le rôle de contre-pouvoir, ou celles  qui sont chargées de l’organisation des élections,les chefs d’Etat africains cherchent et réussissent toujours  à dominer ces structures en les mettant sous ordre, ce qui est un comportement  anti-démocratique. En conséquence, ces organes institutionnels  en viennent à prendre des décisions partiales dénuées de  justice, ce qui génère des frustrations et alimente les sentiments de révolte.

Une autre source de  désappointement, reste l’importance accordée à l’argent dans la vie politique, aboutissant souventà la mise à l’écartd’une frange importante de la population et à l’achat des consciences. A ceci s’ajoutent l’embrigadement de la presse et de la communication perdant ainsi sa liberté, la mise en place d’un arsenal juridique pour  empêcher ou restreindre l’exercice du droit de grève et de manifestations. On finit par avoir un régime policier et oppressif qui étouffe les citoyens et renforce ainsi la déception populaire.

La crise en cours en Algérie, offre une occasion propice  pour souligner  ces difficultés de gouvernance  dans le continent.  Elles constituent, dans la plupart des cas, les causes du mécontentement généralisé, des troubles sociaux, voire des conflits armés sous formes de guerres civiles. Le pire se produit souvent par un simple  acte politique injuste, ou une décision impopulaire du pouvoir qui devient la goutte d’eau ayant fait déborder le vase. Nous avons encore présente à l’esprit, la guerre civile ivoirienne dont la cause immédiate était l’exclusion royalement  inscrite dans la constitution élaborée à la tête du client.

Ceci permet de mettre l’accent sur  la vérité  qu’il ne suffit pas de voter beaucoup de  lois, de créer de nouveaux organes judiciaires, fût-il pour la lutte contre le régionalisme, l’impunité, la corruption, le trafic des stupéfiants etc…, et croire que tout se passe bien dans un régime qui se veut démocratique. Aucune loi n’étant jamais neutre, les citoyens finissent toujours  par savoir les motifs réels sous-tendant chaque texte législatif  et naturellement, ils réagissent en conséquence.

Il ya des lois pour opprimer le peuple, des lois pour forcer le silence des citoyens ou provoquer leur exil, des lois visant à couvrir des actes d’injustice et de pillage économique etc… Cette idée rappelle l’écrivain, le philosophe et penseur français du 18e siècle, Montesquieu  qui, attirant l’attention sur les dictatures se cachant sous des lois,et se mettant  à l’abri d’une pseudo-justice, déclarait : « Il n’y a pas pire tyrannie que celle qui s’exerce à l’ombre de la loi et avec les couleurs de la justice. » Cet  observateur attentif de la vie politique,a tout dit et sa pensée très ancienne  demeure encore valable de nos jours.

Il était nécessaire et opportun d’évoquer  ci-dessusquelques-uns des dysfonctionnements de gouvernance de nos dirigeants,  donnant lieu à des malaises grandissants, aux frustrations qui finissent par exploser comme une bombe. C’est bien ce qui vient de se produire en Algérie où la population a bravé toutes les mesures sécuritaires et de surveillance pour étaler en public son désaccord tout en reconnaissant les mérites de son chef. C’est aussi le cas du Burkina Faso où en 2014, avec les mains nues, le peuple a réglé son problème et fait fuir du pays, un homme d’Etat reconnu  fort, puissant, craint,impitoyable, qui pendant 27 ans, a régné sans partage avec bras de fer, appuyé de la psychose de la peur.

L’enseignement qui s’en dégage est la confirmation de l’idée  que nul n’est au-dessus du peuple souverain, et rien ne peut lui résister lorsqu’il décide d’agir. C’est le moment de citer ici l’ancien président du Benin, feu Mathieu Kérékou, qui parlant de son peuple, disait : « Le Béninois est un peureux, il est patient et endurant, mais il faut éviter de lui marcher sur le pied »

Le soulèvement populaire en Algérie, marque une évolution dont il faut saisir, à sa juste valeur, la quintessence, sinon on risque d’être surpris par ce genre de crise. Le monde change, les besoins et les envies  se multiplient, des complications imprévues apparaissent, les populations deviennent très vigilantes et sensibles, plus exigeantes dans tous les domaines, surtout en matière de justice sociale, d’intérêt général et du bien commun, de partage de richesses, de la jouissance des libertés démocratiques ainsi que du respect des droits de l’homme. Un régime qui ne prend pas en compte ces aspirations légitimes du peuple, est voué à l’échec et finira par disparaitre sous la pression populaire, malgré les nombreuses lois, les diverses  réformes et les mesures répressives   en vigueur.

EDON Adelui Jean-Pierre

Ambassadeur, spécialiste des questions internationales

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