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Le triomphe de la vérité

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Théophile Yarou, ancien ministre d’Etat, invité de « Sous l’arbre à palabres »: « Nous sommes sûrs que le peuple va sanctionner le pouvoir actuel »


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Deux anciens ministres de Boni Yayi se succèdent « Sous l’arbre à palabres » de L’Evénement précis. Avec deux styles diamétralement opposés. Après le député Benoit Dègla, ancien ministre de l’Intérieur de Boni Yayi, c’est le tour de Théophile Yarou, numéro 2 des Fcbe et ex ministre d’Etat chargé de la Défense de Boni Yayi, de franchir, le jeudi 8 novembre, le seuil de la rédaction du journal. Invité n°112 de la rubrique « Sous l’arbre à palabres », l’homme, contrairement à Benoît Dègla qui a encensé et vanté les mérites du pouvoir en place, ne jette aucune fleur à la gouvernance Talon. Méthodiquement, le ténor des Fcbe démonte, à coup d’arguments, la gouvernance actuelle, alignant ce qu’il considère comme les échecs du régime Talon. Peu convaincu par la lutte contre la corruption, il soutient qu’il s’agit plutôt d’une lutte orientée contre les opposants du régime en place. Il estime que c’est ce qui explique qu’on enregistre autant d’« exilés politiques » dans le rang de l’opposition. Mais pour lui, cette situation n’a aucun impact sur la vision et l’engagement du parti Fcbe, puisqu’il est convaincu que l’opposition va « remporter les élections législatives de 2019 ». Même s’il émet des doutes quant à la reconnaissance de cette victoire : « Nous sommes sûrs de gagner les élections. Nous sommes sûrs que le peuple va sanctionner le pouvoir actuel. Mais nous ne sommes pas sûrs des résultats qui seront prononcés ». Sous l’arbre à palabres, le numéro 2 des Fcbe s’est montré à l’aise sur toutes les questions. De l’absence du premier responsable du parti, Valentin Djènontin-Agossou à la réforme du système partisan avec la formation de blocs en passant par la gouvernance du président Talon, la création de la Criet, la réconciliation entre Yayi et Azannaï, tous les sujets brulants de l’actualité ont été abordés. Voici l’intégralité des propos de l’ancien ministre d’Etat.

Et si on en parlait

Comment se porte le parti Fcbe depuis sa naissance à l’issue du congrès constitutif tenu à Parakou en février 2017 ?

Le parti Fcbe se porte très bien. Comme vous le savez, nous ne sommes plus aujourd’hui une alliance. Nous sommes un parti politique qui est très bien structuré, qui a un siège, qui fonctionne, qui est animé comme n’importe quelle administration publique. Au sein du parti, nous nous organisons pour affronter les prochaines échéances électorales avec beaucoup de lucidité, beaucoup de confiance mais aussi avec beaucoup d’appréhension par rapport au climat dans lequel ces élections vont se dérouler. L’environnement juridique est vicié par des lois qui limitent la compétition. Dans un tel environnement, même si le parti se porte très bien, il est possible que nous ayons des appréhensions.

Quelle comparaison feriez-vous entre l’ambiance politique aujourd’hui, au sein de votre parti, et ce qui se passait à l’époque où vous étiez au pouvoir ?
Quand nous étions au pouvoir, nous sommes allés à plusieurs élections que nous avons gagnées. Nous avons perdu aux dernières élections. Mais aujourd’hui, l’engouement est encore plus palpable. On peut dire que plus de gens adhèrent au parti que par le passé. Avant, ce n’était pas un parti politique mais plutôt une alliance. Les adhésions n’étaient pas perceptibles puisqu’elles se faisaient au sein des différents partis et on ne pouvait pas savoir le niveau d’adhésion. Aujourd’hui, nous avons la ruée vers le parti Fcbe qui est la principale force politique de l’opposition. Les citoyens béninois se positionnent alors par rapport à ce parti qui leur offre une meilleure alternative.

A quand le retour de Valentin Djènontin Agossou?
Le député Valentin Djènontin Agossou se trouve aujourd’hui en exil. Nous aussi, nous ne comprenons rien. C’est un citoyen béninois et la Constitution béninoise, principalement en son article 16, dit « qu’aucun Béninois ne peut être contraint à l’exil ». Pour le cas de Valentin Djènontin Agossou, c’est une contrainte à l’exil. Il est parti de Cotonou pour une tournée. Il devrait revenir le 12 novembre. Mais, c’est une fois là-bas qu’on lui apprend qu’il a reçu une convocation de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) sur un fait de publication de document. Quand on vous convoque devant une juridiction ordinaire, en tant qu’ancien ministre, alors que votre immunité est levée, cela veut dire qu’on peut vous mettre en garde à vue et vous emprisonner. Les interpellations qui se font aujourd’hui sont très musclées. C’est le cas du député Atao Hinnouho. Valentin Djènontin Agossou se trouvant en exil, par chance en France, ne peut alors pas rentrer, se faire bastonner et emprisonner.

Qui conduit aujourd’hui le parti Fcbe ?
Je ne peux pas dire que le parti se porte bien, en l’absence de son premier responsable. L’absence de notre premier responsable est très remarquable au sein du parti. Toutefois, c’est une administration. Quand il n’est pas là, les adjoints peuvent le suppléer. Etant moi-même son premier adjoint, j’assume son intérim en attendant son retour.

Quelle appréciation faites-vous des décisions du parlement qui ont levé l’immunité parlementaire de plusieurs personnalités dont certains membres des Fcbe ?
C’est tout à fait regrettable. Vous avez vu que pour lever l’immunité d’un parlementaire, il a fallu une commission parlementaire qui a produit son rapport et qui a dit qu’aucun fait délictueux n’est reproché à ces députés ? Malgré cela, la levée d’immunité est retenue à l’ordre du jour de la deuxième session de l’Assemblée nationale, pour lever l’immunité aux députés à qui on ne reproche rien. C’est le rapport parlementaire présidé par l’honorable Robert Gbian qui l’a dit. Ce qui veut dire qu’ils sont poursuivis non pas pour des faits délictueux, mais pour des faits politiques. Et la suite l’a prouvé puisque c’est une poursuite politique.

Le député Simplice Codjo est aussi en exil ?
Je ne parlerai pas à sa place. Lorsque dans un pays, les conditions d’une justice équitable ne sont pas réunies, le justiciable est obligé de prendre la clé des champs. Lorsque dans un pays, nous savons que nous avons le droit à la défense, à la présomption d’innocence et que la justice va se prononcer selon sa propre conviction, on se rend à la justice.

Combien de militants avez-vous en exil ?
Une bonne dizaine. Ceux qui sont connus par l’opinion publique sont Simplice Codjo, Djènontin Valentin, Fatouma Amadou Djibril, Komi Koutché dont le cas est à relativiser.

Voulez-vous dire que la justice béninoise n’est pas indépendante ?
Ce n’est pas moi qui le dit mais la justice elle-même. Du point de vue institutionnel, rien n’a changé. Ce qu’on reprochait à la justice béninoise au temps du président Yayi Boni c’est que le président de la République soit en même temps le président du Conseil supérieur de la magistrature. D’après certains, on a vu le gouvernement défendre certaines affaires qui étaient devant la justice. Mais, aucun magistrat n’a été contraint à dire le droit, bien au contraire. C’est sous le gouvernement défunt qu’on a condamné l’Etat qui n’a gagné aucun procès. Mais si l’Etat était fort au point d’influencer la justice, pensez-vous qu’il perdrait les procès ? Aujourd’hui, l’Etat n’a encore perdu aucun procès sauf ceux qui l’opposent au chef de l’Etat.

Pourquoi dites-vous que les magistrats béninois sont embrigadés ?
J’estime qu’une partie des magistrats est embrigadée, puisqu’il y a une autre partie qui dénonce. Et nous espérons que la partie qui n’est pas embrigadée pourra l’emporter sur celle embrigadée, au grand bonheur du peuple béninois.

Le parti Fcbe se prépare dans ces conditions. N’avez-vous pas peur de tout perdre ?
Nous sommes sûrs d’une seule chose : nous allons gagner les élections. Nous sommes sûrs de ce que le peuple va sanctionner la gouvernance actuelle. Mais, nous ne sommes pas sûrs des résultats qui seront prononcés. On entend dans les coulisses dire : « Ils peuvent gagner mais on dira que c’est nous qui avons gagné. » Mais le peuple est là pour aviser.

Vous voulez dire que vous craignez des fraudes ?

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Évidemment que je crains la fraude, surtout celle légalisée. Je ne l’ai pas dit mais les lois qui sont votées ne permettent pas de garantir la transparence des élections. Quand je prends la mise à jour du Cos-lépi, la loi dit que nous devons utiliser cette liste jusqu’en 2021. Si vous n’étiez pas inscrit sur cette liste, il vous faudra attendre 2021 pour vous faire enregistrer sauf si vous prouvez que votre non inscription ne relève pas de votre faute. Mais la Cour constitutionnelle, qui est la haute juridiction, instruit le Cos-lépi d’insérer des citoyens dans cette liste électorale. C’est cette manœuvre plutôt suspecte qui pourrait ouvrir la boîte de Pandore, car si on fait pour Jacques, il n’y a pas de raison qu’on ne fasse pas pour Paul. De quelques cas isolés, on pourrait se retrouver à l’inscription de plusieurs centaines, voire de milliers d’électeurs. Par ailleurs par le passé, au niveau des bureaux de vote, il y avait le représentant de l’opposition et celui de la mouvance qui sont désignés comme scrutateurs. Ce n’est plus le cas maintenant avec le nouveau code. Ces derniers sont nommés par le gouvernement, de sorte que les représentants des partis ne sont pas autorisés à signer les feuilles de dépouillement ni les procès-verbaux, ce qui suppose que les représentants des partis n’ont pas le droit de partir avec une copie des procès-verbaux. Je pense que cette loi porte en elle les germes d’un conflit post-électoral. IL faut retirer simplement cette loi et remettre en vigueur celle de 2015 qui nous a permis d’aller aux élections législatives et présidentielles. Cette loi reflète les aspirations du peuple béninois exprimées lors de la Conférence des forces vives de la nation. Le consensus a été retenu comme un principe à valeur constitutionnelle. Autrement dit, le peuple béninois doit toujours rechercher le consensus pour toutes les questions majeures qui touchent à la vie de nation. Les élections constituent une question majeure. On doit pouvoir avoir une liste consensuelle pour aller aux élections. La gestion du processus électoral est très sensible. C’est pourquoi l’opposition, et particulièrement les Fcbe, propose qu’il y ait un cadre de concertation gouvernement-opposition pour revoir certaines dispositions de ce code ou pour le retirer carrément et laisser courir le code de 2015. Au niveau de la Charte des partis, vous avez vu le ballet des mariages forcés organisés ces derniers temps ? Un parti politique, c’est d’abord une conviction profonde, c’est des gens animés de la même conviction profonde qui se mettent ensemble. Aujourd’hui, même les partis qui ont semblé avoir une idéologie se trouvent être mis ensemble avec d’autres partis d’idéologie diamétralement opposée.

Des exemples ?
Vous avez vu le Prd avec tous ces partis politiques qui se mettent ensemble ? De l’autre côté du bloc progressiste, vous avez vu des progressistes parmi tous ceux qui sont là ? Amoussou Bruno est socialiste, même si aujourd’hui les gens lui contestent sa conviction de socialiste. On constate que des regroupements contre-nature se mettent en place, mais ils n’ont pas la même idéologie, encore moins les mêmes programmes politiques. Je crains tout simplement que tout cela aboutisse à la constitution de grands clubs électoraux plus qu’à de véritables partis politiques.

Vous applaudissez donc la décision de l’Udbn de créer son propre bloc?
Je pense que c’est à saluer, si c’est fait en toute responsabilité. Aujourd’hui on n’est plus aux temps de nos grands-parents où on vous choisissait votre femme. Le mariage ne va pas durer.

Les Fcbe appelaient à un regroupement de partis ?
Nous avons appelé à un regroupement de partis sur la base de leur idéologie. On aurait pu demander à tous les partis politiques qui ont la même idéologie de se mettre ensemble. Vous allez vous rendre compte aujourd’hui que des partis se réclamant de la mouvance vont se mettre ensemble avec des partis qui sont de l’opposition. Et là, ça va être une guerre de convictions.

Que dites-vous de la position dite ambiguë du Prd ?
C’est justement parce qu’au sein de ce bloc, la seule charpente qu’on peut considérer comme une vraie charpente, c’est le Prd et le Prd ne peut pas être à l’aise dans un regroupement pareil. C’est ce qui explique les réactions au niveau du Prd.

Que pensez-vous des poursuites contre les anciens ministres de Yayi ?
L’objectif, c’est de fragiliser les Fcbe. Un ténor de la mouvance m’a dit en face : « Nous sommes venus pour tuer Fcbe ». Nous avons notre chance parce que nous estimons que notre pays est démocratique et dans un espace démocratique, nous devons pouvoir nous exprimer et nous allons nous battre jusqu’au bout pour faire entendre notre voix.

Pourquoi la réconciliation Yayi-Azannaï ?
Des gens qui sont vraiment animés de bonne volonté, de bonnes intentions pour notre pays, face à ce qui se passe, se doivent de se mettre ensemble. Vous pensez que nous suivons le chemin que nos pères ont tracé en 90 ? Nous avons complètement déraillé aujourd’hui. Candide Azannaï est la personnalité politique que je respecte le plus aujourd’hui, parce que c’est un homme de conviction. En réalité, si on doit parler de l’opposition, en plus du parti Fcbe, on devrait parler de Candide Azannaï. C’est lui qui est l’opposition de conviction. Il a travaillé pour faire venir quelqu’un, ils se sont entendus sur les grandes réformes, sur ce qu’il faut faire pour faire avancer le pays, mais une fois le pouvoir conquis, le chef a fait autre chose et il s’est retiré. A partir de cet instant, je pense que c’est un homme de courage. Leur réconciliation est une réconciliation de principe. Le leader charismatique des Fcbe est de l’opposition, Azannaï lui-même est de l’opposition. Si les gens de la mouvance se mettent ensemble, pourquoi pas ceux de l’opposition ?

La réconciliation est-elle effective ?
Oui. Yayi est un homme de pardon et Candide Azannaï est un homme de foi. Ils sont allés l’un vers l’autre. Ils se sont croisés quelque part.

On ne voit pas de leader prendre le devant de la scène chez les Fcbe
C’est parce qu’on a beaucoup de leaders au sein des Fcbe qui peuvent servir de cheval de bataille. Tous les leaders des Fcbe ont leurs chances. Chez nous ce n’est pas un individu qui veut conquérir le pouvoir, c’est le parti. Au dernier moment, c’est celui sur qui le parti aura porté son choix qui sera le candidat des Fcbe. Pour l’instant on n’a pas de candidat officiel pour les Fcbe, nous avons des présidentiables. Et tous, nous travaillons pour que le parti gagne, et non un individu.

Etait-ce le cas dans le passé avec l’arrivée de Lionel Zinsou?
Ça ne sera plus pareil. Fcbe était une alliance, et aujourd’hui c’est un parti politique. Il y a des instances de décision. Aujourd’hui au sein des Fcbe, tous les leaders travaillent à conquérir le pouvoir. Nous avons un leader charismatique qui est une institution au sein du parti. Nous avons le bureau politique qui est une institution au sein du parti. Nous avons le bureau exécutif national qui est une institution au sein du parti. Nous avons même des commissions chargées d’apprécier les candidatures au sein du parti. Le moment venu, quand les candidatures vont s’exprimer, ces instances-là vont retenir un candidat et celui-ci sera le candidat du parti.

Yayi sera-t-il candidat aux législatives de 2019 ?
C’est un citoyen béninois, il a encore ses droits civiques et politiques, il peut être candidat à n’importe quelle élection, sauf à l’élection présidentielle. La Constitution est claire. C’est des supputations que de dire qu’il veut revenir au pouvoir. C’est dans la tête de ceux qui supputent, pas dans celle de Yayi. Yayi n’est pas dans la folie du pouvoir. Ce qui le préoccupe, c’est l’avenir de notre pays, sa contribution à faire avancer le pays, mais c’est mal interprété et on lui prête des intentions.

La récente lettre de Yayi « à la République » a suscité beaucoup de polémiques. Quelles en sont les raisons ?
Je constate malheureusement que l’actuel régime est réfractaire aux critiques, sinon qu’a dit le président Yayi dans ce message qui soit grave ? Dans son message, il dit : « Ecoutez la jeunesse béninoise, ne brimez pas la jeunesse béninoise, ne marginalisez pas la jeunesse béninoise. Prenez en compte les préoccupations de la jeunesse béninoise, ne sous-estimez pas la jeunesse béninoise ». Je ne sais pas si le président Boni Yayi qui a dirigé le pays pendant dix ans, va inciter des jeunes à la violence.

Mais Boni Yayi est accusé d’être à l’origine des différentes « initiatives » ?
Il ne les connaît même pas. Pour la première initiative, il n’était même pas présent au pays. Moi-même, je ne les connaissais pas. Personne ne m’a informé de ce qu’il y aurait l’initiative de Nikki.

Vous ne connaissiez donc pas Korogoné ?
J’ai vu Korogoné pour la toute première fois entre 2004 et 2005 alors que moi-même j’étais dans un parti très proche de Kérékou, le Fard-Alafia, et je l’ai perdu de vue. La deuxième fois que je l’ai vu, c’est le jour que l’ancien ministre d’Etat, Komi Koutché a créé un mouvement au Stade de l’Amitié. Depuis, je ne l’ai plus jamais revu. Il ne me connaît pas.

Voulez-vous insinuer qu’il n’a pas d’accointances avec Fcbe ?
Aujourd’hui Fcbe se bat pour rétablir les acquis de la Conférence des forces vives de la nation. Donc, Fcbe peut soutenir toute initiative allant dans le sens de la réclamation des libertés fondamentales, des droits légitimes, mais n’est pas l’instigateur de ces initiatives. Nous ne sommes pas des putschistes, nous avons gagné les élections démocratiquement et on peut encore les gagner démocratiquement.

Au lieu d’une lettre, pourquoi Yayi n’est-il pas allé rencontrer Talon ?
Quand Yayi est arrivé au pouvoir, il a mis en place un cadre qui permettait le dialogue entre les partis, et même les personnalités et le gouvernement. Il est allé jusqu’à mettre en place un haut conseil de la médiation. C’est des outils de dialogue. Quel outil de dialogue l’actuel régime a-t-il mis en place ? Il a arrêté tout sauf le Médiateur de la République. Si vous n’avez pas de cadre pour vous exprimer, c’est ce qui arrive. Personne n’a la possibilité aujourd’hui de dire qu’il y a un cadre qui permet au gouvernement de recueillir l’avis de l’opposition ou même l’avis des anciens chefs d’Etat qui, de mon point de vue, constituent des institutions. Avez-vous déjà vu une fois l’actuel régime inviter les anciens présidents à un dialogue ? La lettre est donc la seule manière pour Yayi de se faire entendre.

Finalement, que voyez-vous de positif dans la gouvernance Talon ?
Au début, j’avais beaucoup d’espoirs. Actuellement, franchement je suis complètement déçu. Au début j’ai nourri un peu d’espoir quand le président est venu et a décidé, d’autorité, de créer les chefs-lieux des départements et de nommer les préfets. Je me suis dit que c’est une très bonne chose, que ce monsieur soit venu et ne veuille faire que 5 ans et que s’il continue de prendre de la hauteur avec des décisions du genre, il pourrait faire beaucoup de choses. Mais, très tôt, j’ai déchanté. Aujourd’hui, la seule conviction que j’ai pour ce gouvernement, c’est que, lorsqu’il dit « je vais détruire », il détruit. Lorsqu’il dit « je vais faire », on est toujours ‘’en étude’’, ‘’ça vient’’. Tout est conjugué au futur lorsqu’il s’agit de réalisations qui vont impacter la vie des citoyens. Lorsqu’il s’agit de détruire, le lendemain, c’est réalisé.

Que pensez-vous de la lutte contre la corruption?
Il n’y a jamais eu de corruption sans corrupteur et corrompu. Aujourd’hui ceux qui sont interpelés sont ceux qu’on pense être des corrompus. Et où sont les corrupteurs ? C’était les opérateurs économiques qui corrompaient les dirigeants. Avez-vous déjà vu un agent public aller corrompre un autre agent public ? Il va en faire quoi ? C’est là le réel problème. L’agent public est en relation avec un opérateur économique et c’est l’opérateur économique qui le corrompt. Pourquoi aujourd’hui, parlez-vous encore de lutte contre la corruption? C’est l’approche qui est simplement biaisée. Au sein des corrompus, on a fait une classe des corrompus soumis et une classe des corrompus à abattre. Ceux qui sont soumis au pouvoir sont libres de tout mouvement. C’est donc une lutte sélective. Tout le monde le dit et je ne suis pas le premier à le dire.

L’ancien ministre de la défense sous Boni Yayi, Théophile Yarou

Et s’il vous était demandé de comparer les approches de Yayi et de Talon en termes de lutte contre la corruption, que diriez-vous ?
Si on associait les deux approches, on ferait mieux. On aurait véritablement engagé une lutte contre la corruption. Vous savez pourquoi ? Comme je le disais plus haut, il faut d’abord cerner la corruption et à quel niveau elle se situe. Il faut distinguer la grande corruption à conséquences néfastes sur l’économie et sur la pauvreté d’avec la petite corruption dont les impacts négatifs sont limités. Il faut certes, combattre sans désemparer toutes les formes de corruption, mais cette lutte serait encore plus efficace si elle s’attaquait à la grande mafia économique. Ensuite, lorsque vous appréhendez cela, il faut mettre en place un dispositif de répression de la corruption. Une fois ce dispositif mis en place, vous mettez un autre dispositif qui récompense les meilleurs agents. Quand je prends mon cas, agent du privé, mon premier salaire que j’ai commencé par gagner, il y a 22 ans, le cadre qui a travaillé pendant 22 ans dans l’administration publique ne peut pas le gagner. Et dans le système où j’ai évolué, je veux parler des programmes financés par les organisations internationales, il n’y a aucune possibilité pour corrompre ou pour se laisser corrompre. Et vous n’y penserez même pas, car le salaire qu’on vous paie vous suffit pour nourrir et éduquer vos enfants. Dans un système où vous payez un cadre A1-12 avec le salaire d’un chauffeur d’institution internationale, que voulez-vous ? Le fonctionnaire public béninois est très vulnérable et vit dans la précarité. C’est ça la réalité de notre pays. Les agents vont donc créer d’autres activités pour joindre les deux bouts. Ce qui fait qu’il y a une dispersion des ressources publiques. Finalement, les ressources publiques qui doivent être utilisées pour impacter la vie quotidienne des populations sont distraites. Il faut revoir toute la politique de l’administration publique, en particulier le système de rémunération des agents de l’État, le plan de carrière pour enfin mettre en place un système de contrôle a priori très efficace. Si vous ne faites pas ça, alors que vous savez que ce sont les agents publics qui passent les marchés publics, ils le feront comme ils le voudront. Quand moi j’étais dans les programmes de développement financés par les PTF, on n’était même pas en contact avec les fournisseurs. Et même si vous étiez en contact, et qu’ils vous offraient une bière, vous n’alliez pas la prendre. Je vais vous faire un témoignage. Quand j’ai été nommé directeur des ressources financières et du matériel, je venais directement du privé. J’ai commencé par faire la procédure de passation de marché comme on le faisait suivant les procédures de la Banque mondiale. Et c’est un collaborateur de mon secrétariat, un agent de catégorie D qui est venu me demander, d’où je suis venu. Il m’a dit que si je fais comme cela, je n’aurais rien avant de partir du poste. Il m’a demandé si je savais qu’on pourrait m’enlever du poste à tout moment et que je ne pourrai rien réaliser. Dans le temps, j’étais tombé des nues. J’ai appelé un collègue qui était au Millenium challenge account, puisque nous avions été formés ensemble par la Banque mondiale pour faire la passation des marchés publics. Je l’ai informé de la situation, mais mon collègue en question ne comprenait rien. Par la suite, il est aussi devenu ministre et il a compris ce qu’on subit dans le public. Mais en tant que spécialiste, on se demande comment faire pour changer les choses. Tel que ça se passe dans notre pays, cela ne conduit pas au développement. Aujourd’hui, c’est encore plus grave. Il n’y a même plus la moindre concurrence où le petit fournisseur devrait gagner quelque chose. Les passations des marchés ne se passent pas bien dans l’administration publique. Il n’y a plus de concurrence dans les passations de marchés. Et sans concurrence, il n’y a pas création de richesse. Toute action publique n’est pas une réforme, mais on entend parler de réforme sur tous les toits. Quand on donne de l’eau aux populations de Dassa, on dit que c’est une réforme. Voyager de Cotonou à Parakou est une réforme.

Comment appréciez-vous la fusion police-gendarmerie ?
Ça par exemple, c’est une réforme. Ma position d’ancien ministre de la défense ne me permet pas de répondre à certaines questions pour raison d’obligation de réserve. Mais ce que je voudrais vous dire, c’est qu’il s’agit d’une réforme qui a commencé en notre temps, voulue par les jeunes gendarmes eux-mêmes. Quand ils sont venus me rencontrer, dans leur tête, c’était pour mettre à leur disposition le même dispositif que celui des sapeurs-pompiers qui sont des militaires. C’était de mettre à la disposition du ministère de l’Intérieur pour emploi, toute la gendarmerie. Je leur ai dit que s’ils en veulent vraiment, il faut une commission pour faire des propositions. C’est comme ça que la commission a été mise en place et a présenté son rapport. A la présentation du rapport, j’ai donné mon avis en disant que du point de vue stratégique il serait difficile d’avoir au sein du même ministère, deux différentes structures pour la même mission. Je sais qu’en son temps, je n’avais pas été bien compris.

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Un mot sur la situation sécuritaire du pays ?
Il n’y a jamais eu de dispositif sécuritaire tangible sans faille. Je n’ai pas les statistiques en termes de taux de criminalité ou de délits commis dans notre pays. Je ne peux donc pas dire si le nombre de braquages a diminué ou pas. Mais ce que je peux dire tout simplement, c’est que des efforts ont été faits. Je vois les équipements qui sont mis en place et ce n’est pas mal.

S’il vous était demandé de donner des conseils à Talon pour une meilleure gouvernance, que lui diriez-vous ?
Le premier conseil, est d’abord de lui demander de cesser de dire qu’il est un compétiteur né et penser qu’il est au-dessus de tous. Ce n’est pas possible. Il est un être humain, des choses peuvent lui échapper. Le second conseil est de lui dire de ne pas entendre que le son de cloche de ceux qui l’entourent. Parfois, on est mal entouré, mais on ne s’en rend pas compte. Le troisième conseil, c’est de lui demander de créer un cadre de concertation autour de toutes les composantes sociales de notre pays afin qu’il se fasse une bonne idée de ce qu’attendent les populations. Il doit aussi chercher à réaliser le consensus sur les grandes questions. La ruse ne peut pas toujours marcher. Même si ça lui marche aujourd’hui, ça va le rattraper demain. Mais si c’est sur la base d’un consensus, il sera tranquille après.

Vous parlez de consensus alors qu’il a été élu sur la base d’un projet de société ?
La grande erreur que nous faisons est d’abord la confusion entre un projet de société et un programme politique. Aucun candidat ne peut élaborer un projet de société autre que ce que la constitution a prévu, et ce que le document Bénin Alafia 2025 a déjà donné comme ligne. Alors lorsque vous venez dans un pays vieux comme le Bénin, on ne peut pas se croire capable de tout reprendre. Et c’est ce qui se passe. On ne conteste pas son programme. Et au-delà de son programme, il y a le Bénin. Au sujet du programme du président Talon, descendez dans le pays et demandez. Personne ne pourra vous répondre. Par rapport à la corruption, la question est sérieuse pour nous qui avons travaillé avec les institutions internationales. Nous ne devons pas nous amuser avec la lutte contre la corruption. Mais tel qu’elle se fait n’est pas une bonne chose. Quand on décide de l’utiliser pour régler des comptes ou pour faire taire les opposants, je ne pense pas que ce soit une bonne chose. Et quand on décide de créer un environnement où le justiciable ne peut pas faire confiance à la justice, c’est grave. C’est tout. Donc ce n’est pas le programme. Descendez dans le pays et demandez quel est le programme du président Talon. Personne ne pourra vous le dire.

Mais, il y a des réformes….
Non. Ce sont des actions publiques mineures et on les appelle réformes. Prendre un arrêté au ministère des Finances pour fixer les taxes n’est pas une réforme. Ou bien c’est cela que vous appelez réforme ?

La Criet par exemple, n’est-elle pas une réforme ?
Une cour pour s’occuper des opposants, c’est une réforme? Ne vous trompez pas.

Sébastien Ajavon a été récemment condamné à 20 ans de prison dans l’affaire cocaïne. Qu’est-ce que vous en dites ?
Je ne voudrais pas me prononcer sur cette décision qui est une décision de justice. Je ne fais pas souvent de commentaire sur une décision de justice.

Mais votre parti Fcbe a publié un communiqué sur ce verdict qu’il a durement dénoncé
Oui, le parti Fcbe en tant que personne morale peut condamner cette condamnation. Mais à titre personnel, je ne le ferai pas, puisque Fcbe est un parti qui a une idéologie qu’il défend. Pour une condamnation telle que c’est arrivé en 48h avec tout ce qu’on a entendu des avocats de la défense, c’est normal qu’un parti politique condamne. Mais si vous m’aviez demandé comment j’apprécie la manière dont la condamnation est prononcée, je vous aurais donné mon point de vue.

Comment l’appréciez- vous donc ?
Ce que j’ai regretté dans cette procédure, c’est le fait d’avoir refusé l’accès au dossier pour les avocats de la défense. C’est le B.a.-ba. Je pense qu’il faut permettre à quelqu’un qui est soupçonné d’avoir commis un crime, de se défendre. Sinon, on n’a pas besoin de mettre en place une justice. On le prend et on lui coupe la tête. On a mis la justice là pour qu’elle dise si effectivement, l’intéressé est coupable ou non. Si l’intéressé ne peut pas se défendre, autant balayer la cour et demander à la police de s’occuper de lui et l’envoyer directement en prison. C’est ce que je pense.

Serez-vous candidat à la députation en 2019 ?
Oui, si mon parti le veut bien. J’étais candidat et pour la petite histoire, j’ai été élu député en 2015. Donc il n’y a pas de raison. Mon suppléant, était l’honorable Garba Yaya qui est au parlement actuellement. Vous savez comment ça se passe et donc, si le parti le décide, je serai candidat.

Comment organisez-vous vos regroupements ?
Nous au niveau de l’opposition, nous sommes en un bloc. Est-ce qu’un bloc voudrait dire une liste unique ? C’est une autre question. Mais, nous sommes en un seul bloc. Avec une ou deux listes, je n’en sais rien, mais nous sommes un bloc.

Carte d’identité

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Théophile Yarou a un parcours tout à fait atypique. Inscrit en Physique-chimie à l’Université après son Bac série C, il était déjà en deuxième année lorsqu’une bonne volonté lui conseille de s’inscrire à l’Ecole nationale d’administration (Ena) pour faire trois ans et aller vite travailler. Il passe donc le test de recrutement et sort major de la promotion Administration générale des finances et du Trésor en 1997. Après un peu moins d’un an de chômage, il est recruté comme animateur de projet par le Programme des Nations Unies pour le développement (Pnud), alors même que l’on recherchait un profil de sociologue. Animateur pour le compte du Pnud à Nikki sur le Projet d’appui au développement local, il commence sa carrière professionnelle en 1998, une carrière qui l’amènera ensuite à servir dans un projet financé par la Banque mondiale. Celle-ci avait en effet lancé un concours pour son Projet pilote d’appui au monde rural. Ses cours de comptabilité lui ont permis d’être retenu comme comptable du projet, où il a fait quatre bonnes années. Durant cette période, la Banque mondiale, dans le souci d’avoir des spécialistes en la matière sur le terrain, avait formé des cadres béninois en matière de passation de marchés. Devenu comptable spécialiste en passation de marchés, il gagnait un salaire équivalent à deux fois ce que pourrait gagner un député béninois de l’époque. Mais le 31 décembre 2002, son contrat étant terminé, il devait envisager d’autres horizons. L’Union européenne cherchait un spécialiste en finances locales. Il fut recruté et mit son expertise au service des communes du Bénin. « Dans ce projet, dit-il, j’ai formé tous les maires, tous les préfets, tous les chefs des services Administration et finances des préfectures de l’époque, sur la comptabilité communale, la gestion budgétaire communale, la fiscalité communale etc. ». Durant la période, le Pnud le rappelle pour servir au Programme d’appui au développement des communes de l’Alibori, en tant qu’expert en finances. De ce poste hautement technique, il est nommé en mai 2009, comme directeur des ressources financières et du matériel au ministère de la Décentralisation. Après trois ans au poste, il passe ensuite au poste de directeur général du Centre de formation pour l’administration locale. Ce fut le premier directeur de cette école d’où il a été nommé ministre d’Etat en charge de la Défense le 22 août 2014.

Mais qui donc est cet homme ?
Théophile Yarou naît officiellement en 1969 d’un père et d’une mère originaires de la commune de Bembèrèkè. Mais c’est à l’âge de 10 ans qu’il commence l’école primaire, à Béroubouay. Il obtient son Cep à Kandi, en 1984, le Bepc à Bembèrèkè quatre ans plus tard et le Bac, série ST (ou C) au Lycée Mathieu Bouké de Parakou et entre à l’Université nationale du Bénin, à Abomey-Calavi où une autre aventure l’attend.
Politiquement, ce cadre du Fard Alafia était de toutes les luttes de ce parti à la création duquel il a pris part en 1994. Même s’il dut observer plus tard une trêve pour respecter les clauses des institutions internationales pour lesquelles il travaillait, Théophile Yarou est resté fidèle à son parti par lequel il fait son retour à la politique en 2006 pour faire élire Boni Yayi. Les remous internes ont conduit à la cassure du parti, mais son engagement politique est resté intact. Elu en 2015 aux élections législatives, c’est un homme qui vient de loin. Ancien militant clandestin du Parti communiste du Bénin, il fit aussi partie des effectifs du parti Notre cause commune (Ncc) d’Albert Tévoédjrè. « Le communisme n’était pas ma conviction parce que je n’y comprenais pas grand-chose. Ma conviction c’était plutôt la liberté, puisque j’étais réfractaire à tout ce qui est répression », soutient-il. « Je suis en fait un libéral démocrate de profondeur » avoue-t-il. Même si son parti, les Fcbe, n’adopte pas entièrement cette idéologie, il ne s’en formalise pas outre mesure : « Je me sens à l’aise par rapport à cela et je me dis qu’au-delà de tout, ma conviction, c’est l’importance de l’homme. C’est-à-dire qu’il faut mettre l’homme au centre de tout et laisser l’homme s’exprimer », explique l’ancien ministre de Boni Yayi. Il a en fait décidé de faire la politique autrement, en son âme et conscience. « C’est pour cela que dans tout ce que je fais, je refuse de mentir et si on me demande de mentir, je refuse. Si je sais et que c’est établi, quelle que soit la personne, je refuse. Je pense qu’on peut faire la politique en disant la vérité », selon lui.

Intimité: Attaché à l’honnêteté

Théophile Yarou est marié et père de cinq enfants dont l’ainé aura bientôt 20 ans. « Je reste très attaché à des hommes qui sont sincères. Je n’aime pas du tout le mensonge et je n’aime pas la trahison » confie-t-il. En bon Bariba, il adore l’igname pilée à la sauce sésame et à l’aubergine. Son sport favori reste la marche, et sa boisson de toujours l’eau.

Réalisation : La REDACTION

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