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Le triomphe de la vérité

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Edito: La guerre du riz


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Ce n’est pas encore officiel, mais la menace du gouvernement nigérian est presque déjà connue à Cotonou. S’exprimant ce lundi 18 juin 2018 à l’occasion d’échanges avec des jeunes d’une association dénommée les Gardiens de la Nation (GOTNI), le ministre nigérian de l’agriculture et du développement rural, Audu Ogbeh a affirmé: « Notre autre problème est la contrebande. Actuellement, il y a un de nos voisins qui importe du riz plus que la Chine. Pourtant, on ne consomme pas du riz étuvé dans ce pays, mais du riz blanc. Ils utilisent donc leur port pour nuire à notre économie. Il y a donc une urgence et je le dis maintenant, parce que dans quelques jours vous entendrez que la frontière est fermée. Nous allons la fermer pour vous protéger, nous protéger et protéger notre économie, malgré tout ce que vous entendrez sur Internet.  »

C’est un avertissement dirigé contre le Bénin, estime le journal La Tribune Afrique.  Depuis quelques années, le Nigeria s’est lancé le défi d’assurer son autosuffisance en riz. En deux ans, le pays a réduit ses importations en riz de 95% et accru le nombre de riziculteurs de 5 à 30 millions de producteurs, dans des Etats comme Anambra, Ebonyi, Kebbi, Kano et  Jigawa.   Et clairement, comme ce fut le cas pour les véhicules d’occasion,  le Nigeria s’est fixé des objectifs irréversibles dont les impacts sont directs sur l’économie béninoise.

Malgré l’interdiction d’importation de riz dans le pays, des contrebandiers réussissent à faire passer le riz par le port de Cotonou et à le réexporter vers les villes nigérianes.  La réaction du ministre fédéral de l’agriculture montre que des mesures énergiques sont en perspective pour obliger le Bénin à contrôler ses réexportations.

Mardi prochain, le Président Muhammadu Buhari lancera une usine ultramoderne et pleinement automatisée de production de semences de riz dans la ville de Calabar, dans l’Etat de Cross River.  Elle produira des semences améliorées qui n’ont pas besoin d’engrais pour être cultivées. Tout observateur averti verra que cette initiative fait parti d’un plan global  destiné à assurer la sécurité alimentaire du pays, tout en créant des emplois dans le pays. Le Nigeria est classé 84ème sur 119 pays dans le rapport 2017 sur la faim dans le monde, la faim y touchant 3,7 millions de personnes à travers 16 des 36 Etats de la fédération.  Or, à l’horizon  2050, le Nigeria sera le troisième pays le plus peuplé du monde, après la Chine et l’Inde.Et pour le moment, 68% des Nigérians (soit près des deux tiers de la population) vivent sous le seuil de pauvreté.

Quelles leçons tirer de tout cela ?

Premièrement, malgré tout le mal qu’on peut en dire, la mesure du Nigeria comporte du bon sens. Elle vise à donner des emplois et des revenus aux agriculteurs afin de les maintenir dans les villages et d’arrêter les flux migratoires vers les villes ou même vers l’extérieur. Au plan macroéconomique, le frein mis aux importations de riz permet de consacrer les réserves de changes du pays à d’autres fins plus utiles.

Deuxièmement, qu’on le veuille ou non, le Nigeria a eu le courage de prendre une mesure potentiellement dangereuse au plan strict des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).  Mais il s’agit du courage d’affronter la réaction des lobbies du riz qui gagnent leurs milliards dans les importations. Ce sont des groupes bien organisés qui ont les moyens de faire plier les gouvernements qui tentent de ramer à contre-courant de leurs intérêts. Cette mesure, si elle avait été prise au Bénin, au Mali ou au Sénégal, aurait créé de la richesse dans les villages  et permis potentiellement d’asseoir une filière rizicole prospère.

Troisièmement, au-delà des réexportateurs béninois de riz  vers le Nigeria, c’est le Bénin même qui devrait tirer leçon de cette expérience nigériane. Ce jeudi 21 juin 2018, les députés béninois ont même pris la mesure de la situation en demandant clairement au gouvernement de protéger les riziculteurs locaux, face aux pays asiatiques qui n’hésitent pas à subventionner leurs producteurs dans le but d’exporter leurs productions à vil prix.  Le sursaut  national consiste donc à nous dire la vérité suivante : le Bénin aussi peut atteindre son autosuffisance en riz. Ce n’est pas d’une politique brutale et aveugle qu’il s’agit mais de planification.  

Par Olivier ALLOCHEME

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