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Le triomphe de la vérité

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Edito: L’esclavage ne fut pas un choix


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Le rappeur américain de réputation mondiale, Kanye West a pu avoir, la semaine dernière, des mots qui ont révulsé l’opinion publique américaine. Pour lui, en effet, « lorsque vous apprenez que l’esclavage a duré 400 ans, cela ressemble bien à un choix ». Il semblait ainsi blâmer les Noirs de ne s’être pas libérés plus tôt du carcan esclavagiste, puisque le commerce a duré 4 siècles. Il nous redit, à nous les noirs africains restés sur le continent : « Eh ben, si ce commerce a duré quatre bons siècles, c’est bien parce que ça vous profitait suffisamment. »
La violence de ces propos délibérément provocateurs ne laisse personne indifférent. Ce fut même un tollé mondial qui a accueilli les rodomontades du rappeur, par ailleurs mari de la sulfureuse et non moins plantureuse Kim Kardashian. Mais les propos du musicien ressemblent étrangement à ceux de l’historien Ulrich Bonnell Phillips qui publia en 1918 un ouvrage intitulé: American Negro Slavery. Il présenta l’esclavage comme un candide contrat de travail bénévole entre des maîtres indulgents et des esclaves heureux. En trente années de carrière, l’universitaire américain a publié neuf livres et près de soixante articles qui lui ont permis de remporter des titres prestigieux au point d’être récompensé du prestigieux prix Justin Winsor et même d’enseigner de 1929 à sa mort en 1934 à la prestigieuse université de Yale. Son ouvrage et ses publications ultérieures furent enseignés dans les écoles, partout aux Etats-Unis, jusqu’aux années 1950. Bien entendu, il eut ses critiques dont l’écrivain W.E.B. Du Bois fut par exemple l’un des plus connus chez nous ici. Celui-ci a pu observer que son livre est « une défense de l’esclavage américain, la défense d’une institution qui, au mieux, fut une erreur, et au pire, un crime ». Un autre historien américain Frederic Bancroft, publie en 1931, un livre qui fit exploser les contrevérités de son homologue Ulrich Bonnell Phillips. Cet ouvrage fut intitulé Slave-Trading in the Old South.
C’est dire que tout Africain-Américain qu’il est, Kanye West tient ses propos enfantins d’un lointain passé. Et ce passé est basé sur la réécriture d’une histoire qui nous dit la triste vérité de la vente des humains par d’autres humains. Durant 400 ans.
Comment peut-on souffrir par choix pendant quatre siècles? En réalité, peu d’entre nous mesurons, aujourd’hui, l’impact du commerce triangulaire sur le destin actuel de l’Afrique et surtout son influence sur le boom économique de l’Amérique et l’Europe. Il a offert à l’Amérique les bras valides gratuits nécessaires à son ascension économique et à l’Europe une source presque illimitée d’enrichissement. Mais ce que l’esclavage et ses souffrances ont opéré en Afrique, va au-delà de ce que l’on peut imaginer.
Les guerres esclavagistes qui ont secoué durant des siècles les royaumes du Danxomè, de Kétou, d’Oyo ont contribué à les vider de leurs bras valides tout en semant partout un climat de peur et de méfiance. Si vous cherchez la raison pour laquelle les Béninois se montrent si réticents à travailler et prospérer ensemble, vous trouverez de solides résurgences des peurs inoculées, des siècles durant par nos parents qui fuyaient ces conflits incessants. Le commerce et la traite ont contribué, selon moi, à former dans les esprits africains, un esprit de méfiance qui représente l’autre comme la menace dont il faut absolument se méfier, qu’il faut réduire ou éliminer. Il s’en suit que nos cultures ont du mal à nous faire vivre ensemble pour construire et prospérer.
A contrario, nous remarquons que les cultures occidentales font une place importante et primordiale à la confiance et à la sécurité interpersonnelles. En utilisant un portable par exemple, très peu d’entre nous parvenons à imaginer qu’il est le fruit du travail de plus de cent entreprises (il faut près de 400 entreprises pour une Smartphone Samsung…). Et que chaque entreprise est mise en place grâce aux actions et aux obligations achetées par des centaines ou des milliers d’autres personnes qui mettent leur foi et leur confiance en commun pour bâtir quelque chose de grand, de beau et d’extraordinaire pour le progrès de l’homme.
En cela réside la plus grande destruction opérée en Afrique par l’esclavage : il a détruit la confiance interpersonnelle en semant la peur dans les relations, la méfiance, la ruse permanente, y compris jusque dans le langage quotidien. De sorte qu’il faudra une action concertée des historiens, des psychologues et autres anthropologues pour nous sortir d’impasse. Non, l’esclavage n’a jamais été un choix : il fut une longue agonie.

Par Olivier ALLOCHEME

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