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Le triomphe de la vérité

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Edito: De l’insécurité juridique


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Par sa décision DCC 18- 004 du 23 janvier 2018, la Cour Constitutionnelle a explicitement accordé le droit de grève aux agents de la Police Républicaine. Depuis 1960, c’est la première fois que les forces de sécurité publique se voient octroyées explicitement un tel droit. Et pour prendre sa décision, la Cour s’est attaquée à sa propre jurisprudence, notamment celle exprimée à travers la loi n° 93-010 du 4 août 1993 portant statut spécial des personnels de la police nationale, mise en conformité le 11 août 1997 et promulguée le 20 août 1997. Elle  dispose en son article 8: « Les personnels de la police nationale sont tenus d’assurer leur mission en toute circonstance. Ils ne peuvent exercer le droit de grève. Toutefois, ils peuvent faire partie des groupements constitués pour soutenir des revendications d’ordre professionnel. » Inutile de rappeler que cette loi qui date d’au moins vingt ans, a été reconnue conforme à la constitution par la Cour.  Il y a aussi la loi n° 2011-25 portant règles générales applicables aux personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés en République du Bénin, votée par l’Assemblée Nationale le 26 septembre 2011. En son article 9, elle stipule : « Les personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés sont tenus d’assurer leur mission en toute circonstance et ne peuvent exercer le droit de grève. » Là aussi, la Cour a reconnu la loi conforme à la constitution à travers une décision, la  DCC 11-065  du 30 septembre 2011. Dans cette dernière décision, on peut lire clairement que « si la grève constitue un moyen légitime du travailleur pour défendre ses intérêts, le législateur et le gouvernement sont tout aussi légitimement habilités à y apporter des restrictions voire à l’interdire aux personnels d’autorité ou ceux ayant des responsabilités importantes dans des services et entreprises chargés de missions de service public ». Voilà une jurisprudence vieille de plus de vingt ans, confirmée il y a sept ans, que la Cour a délibérément choisi de ne pas respecter, et plus encore de contredire frontalement. Une décision prise par la première mandature de la Cour Constitutionnelle, confirmée plus tard…

Alors question : si vous étiez à la place des sages de la prochaine mandature, face à une telle insécurité juridique, allez-vous remettre en cause d’autres décisions de la Cour ? Sur le cas précis du droit de grève accordé à tout le monde, y compris par ricochet aux militaires, que feriez-vous ?  La question est d’autant plus cruciale que cette décision accorde aux militaires béninois le droit de grève, ce qui n’a jamais existé nulle part au monde,  à l’heure précisément où les menaces sécuritaires dans la sous-région sont plus prégnantes que jamais avec la multiplication des groupes terroristes et de leurs actions multinationales.

En installant une telle insécurité juridique, ce n’est pas seulement le discrédit qui est jeté sur la Cour elle-même qui préoccupe. C’est la possibilité qui est désormais offerte aux Béninois d’analyser désormais les décisions de la Haute Juridiction comme relevant des humeurs des sages ou de leurs accointances politiques. Oui, il est vrai que pour les forces de défense et de sécurité qui n’ont jamais eu au Bénin ni ailleurs le droit de grève, c’est une nouvelle ère qui s’ouvre. Mais ici, pour la Cour elle-même, il y a comme un rubicond qui a été franchi vers l’inconnu, un inconnu qui remet en cause l’essence même de la Haute Juridiction. Cette essence, c’est le rôle d’arbitre du jeu démocratique que la Conférence nationale lui a conféré. La sacralité des décisions de la Cour ne réside pas tant dans leur caractère incontestable que dans ce halo de respect (voire de fétichisation) dont nous l’entourons, et à juste titre. On ne le dira jamais assez : la Cour Constitutionnelle est au Bénin le dernier rempart qui nous protège de l’anarchie.

Mais voilà que la Cour Holo remet en cause le pilier essentiel sur lequel est assise cette respectabilité, à savoir l’autorité de la chose jugée, en prenant à contrepied des décisions d’au moins deux mandatures différentes sur plus de vingt ans. Et en menaçant au passage la paix sociale.

Le corollaire imparable de cette chienlit qui s’instaure, c’est simplement que la prochaine mandature de la Cour reflète non plus le besoin d’intégrité attendue des membres jusqu’ici, mais leur loyauté vis-à-vis d’un pouvoir. Quand l’on sait que la composition de la Cour est faite par le Président de la République (03 membres) et le bureau de l’Assemblée nationale (04 membres), nous voyons tous de quelle obédience sera la prochaine Cour, à partir de juin prochain. Et que rien ne l’empêchera de revenir sur des décisions incongrues.

Olivier ALLOCHEME

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