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Le triomphe de la vérité

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Laurent Bossard, directeur du Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest:« Le principal gisement d’emploi aujourd’hui et demain, c’est l’économie alimentaire »


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Laurent Bossard, le directeur du Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO) est notre invité du lundi. A la faveur de la Semaine du Sahel et de l’Afrique de l’ouest (SSAO) organisée à Cotonou du 4 au 8 décembre par le CSAO, Laurent Bossard nous a accordé cet entretien dans lequel il revient, entre autres sujets, sur les grandes conclusions de ce sommet et l’expérience béninoises des cantines scolaires. Le directeur du Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest parle aussi de l’économie alimentaire qui reste selon lui, « le principal gisement d’emploi » pour la région du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest.

L’Evénement Précis : Laurent Bossard, qu’est-ce que le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest ?

Laurent Bossard : Le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest est un club qui réunit des organisations régionales ouest africaines, la CEDEAO, l’UEMOA et le Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS). Autour de ces trois institutions régionales il y a l’ensemble des partenaires techniques et financiers qui croient que pour affronter les défis d’aujourd’hui et de demain, il faut travailler au niveau régional, et pas seulement au niveau national. Ce club travaille en particulier sur les enjeux alimentaires.

 

Au cours de la Semaine du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest que vient de s’achever, s’est tenue la 33e réunion du Réseau de prévention des crises alimentaires (RPCA). De quoi était-il question et que retenir de ces assises ?

D’abord il y a les conclusions qui sont très précises, parce qu’une des fonctions de cette rencontre annuelle c’est de faire ensemble, précisément, le bilan et les perspectives de la situation alimentaire et nutritionnelle des 400 millions de personnes qui vivent dans cette région ; d’identifier où sont les personnes qui ont besoin d’assistance, et de discuter ensemble de la façon coordonnée dont on peut venir en aide à ces personnes. On a fait ce travail, collectivement. A côté de cela,  on a saisi l’occasion d’être tous ensemble, pour faire le point sur les grands défis et les grands enjeux. Un thème dont on a beaucoup parlé, c’est l’emploi. On en a beaucoup.  Le principal gisement d’emploi aujourd’hui et demain, c’est l’économie alimentaire. Il ne s’agit pas seulement d’agriculture, mais également, en amont, de la production de semences, la vente de semences, la vente de matériels agricoles, la réparation de tracteurs, et tout ce qui se passe en aval : la transformation, le commerce, l’ensachage, le fumage, les restaurants de rue, etc. Tout ça aujourd’hui c’est 70% de l’emploi dans cette région, et très probablement, 70%  de l’emploi au Bénin.

 

L’une des recommandations forte de cette réunion concerne des actions à mettre en œuvre en urgence. Pourquoi cette urgence ?

Il y a des actions urgentes parce que cette année, ce qui n’est pas le cas tous les ans, il y a des poches de crises et qu’il faut intervenir rapidement. La spécificité cette année, c’est qu’au Cap-Vert, il n’a pas plu du tout, il n’y a donc pas eu de récolte agricole. Il faut donc intervenir d’urgence au Cap-Vert, également un petit peu en Mauritanie, pour apporter de l’alimentation. Ça c’est un premier type de réaction rapide nécessaire. Il y a une deuxième crise qui se profile et qui pourrait être grave. C’est que des dizaines de millions de têtes de bétail dans les pays sahéliens n’auront, dans les prochains mois, plus assez de fourrage. Il y a une crise fourragère majeure qui peut avoir des impacts sur les bêtes, ensuite sur ceux qui sont propriétaires de ces bêtes, mais qui peut aussi causer une descente précoce, plus tôt que d’habitude, des grands troupeaux sahéliens le long des couloirs de transhumance vers les pays côtiers. Et ça peut être source de conflits et, malheureusement, de morts. Il faut faire face à cette crise fourragère. Nous sommes convenus d’organiser, dès le mois de janvier, une réunion d’urgence avec l’ensemble des parties prenantes, l’ensemble des partenaires qui sont susceptibles d’aider : les Nations Unies, les banques, les ONG, les grands bailleurs de fonds, mais aussi les gouvernements concernés, pour voir comment est-ce qu’on peut apporter une réponse en termes de fourrage et comment est-ce qu’on peut gérer de façon optimale cette descente un peu plus précoce du bétail le long des couloirs pour éviter les conflits.

 

Que pensez-vous de l’expérience des cantines scolaires mise en  œuvre par le Bénin et qui a fait l’objet d’un événement spécial au cours de la Semaine du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest ?

C’est exactement ce qu’il faut faire. Ce n’est pas tout ce qu’il faut faire, mais c’est exactement ce qu’il faut faire. Les gens envoient leurs enfants à l’école parce qu’ils sont sûrs que leurs enfants vont être correctement nourris. Et c’est vraiment le centre d’une idée à la fois géniale et simple. C’est exceptionnel, l’effort qui est consenti maintenant au Bénin sur ce segment de la jeunesse scolarisée. C’est comme ça qu’on va très significativement augmenter la fréquentation des enfants à l’école et en même temps stimuler la production. Il y a un programme équivalent considérable qui avait et est toujours développé au Brésil et qui a des effets absolument fantastiques. Un point fondamental, c’est que ça va amener les petites filles à l’école. Les petites filles à l’école, c’est un élément central de la construction du Bénin de demain et de l’Afrique de l’Ouest de demain. Parce qu’une petite fille qui est scolarisée, c’est la fabrication d’une future femme libre, c’est important la liberté, et c’est aussi la fabrication d’un être qui va avoir beaucoup plus la capacité à choisir, et notamment à choisir le nombre d’enfants qu’elle aura, à choisir l’âge auquel elle va se marier, etc. Ce sont autant d’éléments de libération des petites filles, de leur énergie, mais également des éléments qui auront à terme des impacts de transition démographique.

La sécurité alimentaire suppose la mise sur pied de plans nationaux de réponse que tous les Etats n’ont pas encore. Comment amener ces derniers à en avoir ?

La réponse, c’est en ayant une organisation régionale technique efficace et forte. Elle existe, cette organisation, et le Bénin en est désormais membre. C’est le CILSS. Cette organisation a vocation à apporter une assistance technique aux gouvernements et à les aider à monter à la fois les plans de réponse et surtout, ce qui est fondamental, à les aider en termes de collecte de données et de traitement. C’est important parce que si le Bénin utilise des indicateurs différents de ceux du Togo, ou du Mali ou des autres pays de la région, comment est-on sûr que les populations qu’on cible au Bénin comme étant les plus fragiles sont les bonnes ? Peut-être que la méthode utilisée au Mali est meilleure. Il y a une idée fondamentale, c’est qu’il faut se mettre d’accord, de façon consensuelle, pour construire le monitoring de la situation, être sûr que c’est la meilleure façon et utiliser tous ensemble la meilleure méthode. Et c’est ce que fait le CILSS avec l’appui du CSAO à travers le Réseau de prévention des crises alimentaires.

Qu’est-ce qui différencie un plan national d’une stratégie?

Le plan national, c’est la force de réaction rapide face à la crise. Vous ne pouvez pas mettre dans une stratégie à long terme que vous allez développer un programme de filet social touchant 350.000 personnes au Bénin en 2018, parce que vous ne le savez pas. Donc il faut deux choses : il faut avoir stratégie à long terme, une vision, et il faut avoir une capacité de réaction rapide pour faire face aux crises, parce que les crises, on ne sait pas où elles vont se passer, ni combien de personnes elles vont toucher.

Un mot sur les politiques nécessaires à mettre en place pour l’accompagnement des chaînes de valeur qui sont nombreuses dans le secteur agro-alimentaire ?

C’est une question extrêmement importante. Ma réponse spontanée c’est dire qu’il faut regarder ce que font les gens et l’accompagner. Il faut s’aligner, non seulement sur les politiques nationales, mais il faut aussi s’aligner sur les gens. En Afrique de l’Ouest, et au Bénin,  il y a des chaînes de valeur de plus en plus complexes parce qu’il y a 40 ans, une grande majorité des gens cultivaient leurs champs et mangeaient ce qu’ils cultivaient dans leurs champs. Aujourd’hui, plus des 2/3 de tout ce qu’on consomme en Afrique passe par le marché. Et dans ce marché, à côté du producteur, il y a des grossistes, des transporteurs, des décortiqueurs, des fumeurs, etc., et en bout de chaîne tous ces restaurants de rue. Je pense que le principal investissement qu’il faut, c’est faciliter la fluidité de ces chaînes de valeurs. Quand vous êtes dans un village et qu’il n’y a pas de pistes rurales pour atteindre la route qui mène au marché, vous pouvez produire tant que vous voulez, ça ne servira à rien, parce que les commerçants ne viendront pas chercher votre production et même s’ils viennent, ils vous la prendront à un prix ridicule parce qu’il n’y aura pas de concurrence, etc. Donc, il faut fluidifier, connecter les gens. Le principe d’une chaîne est que chaque élément de cette chaîne est connecté à l’autre. Tout  touche à la connection, c’est-à-dire le transport, des routes, des pistes, etc., doit être une priorité. La deuxième priorité c’est l’électricité. C’est fondamental.

 

Alors que le terrorisme et les migrations cristallisent l’attention de la communauté internationale, le CSAO fait des problématiques alimentaires sa priorité. Pourquoi ?

Les problématiques alimentaires dégringolent un tout petit peu dans les chaînes des priorités internationales. Nous en tant que CSAO, on essaie de se faire l’avocat de ce secteur agro-alimentaire. De quoi parlent ceux qui disent qu’il faut absolument limiter les migrations vers l’Europe ? De quoi parlent ceux qui disent qu’il faut stabiliser durablement les espaces aujourd’hui occupés par les groupes terroristes ? Ils parlent d’emploi. Or, je viens de vous dire que nous et d’autres, avons démontré que le gisement d’emplois numéro 1, sans aucune concurrence possible, c’est l’agro-alimentaire. Nous essayons, par notre travail de lobbying, de dire ‘’inversez la flèche, faites remonter l’agenda alimentaire dans l’agenda y compris migratoire, y compris sécuritaire parce que là réside une partie de la solution que vous recherchez’’.

 

On ne saurait parler de sécurité alimentaire en Afrique sans évoquer la problématique de la modernisation de l’agriculture. Que fait le CSAO dans ce sens ?

On essaie de comprendre précisément comment fonctionne l’ensemble de ces chaînes alimentaires, y compris les préoccupations que vous exprimez, et on essaie d’affiner la définition des politiques. Notre travail sur les politiques alimentaires au fond, est un travail de conseil. On travaille avec des experts de la région, des experts internationaux qui connaissent très bien ces problématiques dans les pays et qui essaient, par une compréhension la plus fine possible du fonctionnement de ces chaînes alimentaires,  d’apporter des conseils aux gouvernements pour affiner, préciser la politique à tous les niveaux des chaînes alimentaires.

Vos attentes de l’édition 2017 de la Semaine du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest qui vient de s’achever sont-elles comblées ?

Un club, c’est ses membres. Je pense que les membres sont contents. Réunir pendant une semaine 300-350 personnes qui travaillent toutes sur les enjeux alimentaires, est d’une richesse incroyable. C’est une sorte de salon de professionnels. Vous avez une capacité d’échanges de bonnes pratiques, d’informations, de réseautage, de montée de deals, etc., qui est fantastique. Nous ce qu’on offre d’abord, c’est  cette capacité à tous ces gens d’être ensemble, de monter des projets, de discuter  de financements, et c’est extrêmement important. De ce point de vue là je suis content. Je suis content parce que le Réseau de prévention des crises alimentaires s’est réuni et a fait son métier.

Réalisé par Flore S. NOBIME

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