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Conflit entre Modeste Toboula et Léhady Soglo à Cotonou: « Il y a des enjeux politiques majeurs », selon Franck Kinninvo, expert en décentralisation


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Le conflit auquel le préfet du Littoral, Modeste Toboula et le maire de la commune de Cotonou, Léhady Soglo se livrent, fait réagir l’expert en décentralisation et communicateur Franck Kinninvo, invité vendredi dernier de la causerie hebdomadaire du creuset de journalistes « Café Médias Plus ». Appelé à développer le thème « Conflit entre le préfet du Littoral et le maire de Cotonou : ce que disent les textes de la décentralisation », Franck Kinninvo s’est prononcé sur cette affaire qui a abondamment alimenté réseaux sociaux et médias, ces derniers jours.

L’Evénement Précis :Quelle perception avez-vous de la passe d’armes entre le préfet du Littoral et le maire de la commune de Cotonou ?

Franck Kinninvo : « Pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui entre le maire de Cotonou et le préfet du Littoral, il faut d’abord se donner une définition de ce qu’est la notion de tutelle. C’est vrai que la tutelle couvre l’assistance-conseil et le contrôle de légalité, mais d’abord et avant tout, la tutelle, c’est l’ensemble des moyens mis à la disposition du préfet pour permettre à ce dernier de veiller à ce que les communes respectent la loi, l’intérêt général. Et quand il y a inaction, la tutelle permet au préfet d’agir en lieu et place, dans certains cas, des autorités locales. Mais ceci étant, l’article 14 de la loi 97-028 du 15 janvier 1999 portant organisation de l’administration territoriale de la république du Benin, précise que la tutelle s’exerce de façon stricto sensu dans le cadre de la loi. (Article 14 : Dans les conditions fixées par la loi, le préfet exerce la tutelle des collectivités territoriales et le contrôle de la légalité de leurs actes. Il est conseillé dans l’exercice de son contrôle de tutelle des communes en matière budgétaire par le délégué du contrôleur financier placé auprès de lui. NDLR).  Il n’y a pas de tutelle en dehors de la loi, il n’y a pas de tutelle au-delà de la loi. Mais malgré tout cela, comment est-ce qu’on peut comprendre que le gouvernement et le préfet puissent intervenir dans les domaines de compétence des communes, puisque l’administration du territoire, la gestion du domaine public communal, tout comme  les lotissements d’ailleurs, relèvent de la compétence des communes ? Et là, nous parlons de compétences propres, puisque la commune a des compétences propres, des compétences déléguées, et des compétences partagées. Cela n’est possible que dans le domaine des compétences partagées. Dans le domaine des compétences déléguées, c’est facile à l’Etat d’interférer dans l’exécution de ces compétences par les communes. Mais pour les compétences propres, c’est plus difficile. C’est au niveau de la jurisprudence qu’on peut voir une fenêtre qui est ouverte à l’autorité de tutelle lorsque le maire n’agit pas, lorsque le conseil communal est dans l’inertie. Donc, le préfet peut préserver l’intérêt général en intervenant dans ces domaines dévolus par la loi à la mairie. Donc, le débat ne se pose plus même quant à la compétence ou non du préfet d’opérer les déguerpissements, puisque la plupart des maires ont pris acte de cette décision sans même saisir le juge administratif. Mais dans la mise en œuvre, il peut y avoir un certain nombre de problèmes qui sont plus politiques que techniques. Lorsqu’on parle de déguerpissement, il y a des enjeux politiques majeurs. Tout le monde sait que l’échec de M. Dandjinou aux élections locales de 2008 est essentiellement dû aux différents déguerpissements qu’il a pu opérer quand il était chef de la circonscription urbaine de Cotonou. Le maire tire ses ficelles et le préfet veut aller jusqu’au bout, profitant de l’adhésion plus ou moins visible des populations. Il faut recadrer le débat dans son contexte et inviter les deux autorités à travailler ensemble.

Leur sera-t-il possible de la faire sans anicroches ?

Si je prends la ville de Paris par exemple, sur le territoire de Paris, il n’y a pas moins de trois préfets qui interviennent dans cette même ville : le préfet de la région d’Ile de France, le préfet du département de Paris, le préfet de police de Paris, et en plus, il y a la mairesse de Paris, Anne Hidalgo. Et ils travaillent sans ambages. Il faut que le maire anticipe sur les compétences que la loi lui reconnaît, et il faut que le préfet puisse exercer aussi son devoir d’assistance-conseil. L’assistance-conseil parfois, amène le préfet à déborder lorsqu’il n’y a pas action au niveau de la commune. Ce n’est pas la forme qui fait l’objet de mon analyse aujourd’hui, puisque dans la forme, le préfet est allé loin. Mais il faut reconnaître qu’il y a un travail délicat et difficile que le préfet est en train de conduire aujourd’hui dans l’intérêt de nous tous. Il faut pouvoir le soutenir et lui permettre d’achever ce travail qui est délaissé depuis des années, et qui justifie que le gouvernement ait décidé d’interférer dans cette compétence reconnue pour les communes par la loi. Tel qu’il y a l’harmonie à Bohicon, Parakou, et partout où les opérations se déroulent, qu’il en soit de même à Cotonou, et  que les calculs par rapport à 2020 (Elections locales, NDLR), on puisse les laisser un peu de côté. Et  fondamentalement, qu’on n’oublie pas les gens déguerpis des espaces publics, ceux qui y exerçaient des activités génératrices de revenus. Dans la république, il y a la solidarité. La mairie a commencé par les réinstaller. Il faut voir comment l’Etat, au besoin, peut appuyer cela même si, essentiellement, ça relève de la commune.

N’y a-t-il pas aussi un problème d’égo entre le préfet et le maire?

Non. Je crois qu’ils sont des adversaires politiques. Il ne faut pas oublier cet aspect des choses. Ça peut entrer en ligne de compte dans l’analyse, mais je crois que ce que le préfet déplore, c’est qu’il y ait eu des opérations de casse en dehors de celles menées par la préfecture. Etant donné que ça se déroule au même moment avec des mises en demeure, je ne sais pas si c’est vrai ou pas, puisque le maire a refusé de se prononcer sur le fond de la question, ça pourrait raviver la tension, parce que les opérations de déguerpissement ont toujours des conséquences  politiques, surtout en direction des autorités élues. Tout le monde veut être gentil avec les sinistrés mais, il  y a un travail de salubrité et d’assainissement qui doit être fait. Quand je circule de Calavi à Cotonou, je me rends compte qu’il y a encore d’espace pour agrandir nos voies. Avant, on se disait que Cotonou et Calavi sont étouffées. Mais avec les déguerpissements qui frappent tout le monde, chacun de nous,  on se rend compte que l’aménagement de Cotonou  est encore possible. Il faut soutenir le préfet dans cette mission, simplement parce qu’il prend beaucoup de risques à mon avis. Ce n’est pas une opération facile à mener et donc, s’il y a quelqu’un pour le faire, profitions de l’occasion pour régler ce problème une  fois pour de bon.

Un commentaire, pour finir sur l’opération de déguerpissement proprement dite, entrée dans sa phase exécutive depuis trois semaines déjà ?

A mon avis, ça a été un peu radical. Du fait que les gens aient pris des habitudes pendant longtemps, on ne peut pas, en 6 ou 7 mois les déloger avec cette force. Nous devons rentrer l’action publique dans son contexte. On a élu des gens pour nous représenter. Ils travaillent donc  avec une partie de notre souveraineté qu’on leur a concédée. Mais le minimum qu’on attend d’eux, c’est qu’ils tiennent compte de nos attentes, de nos aspirations. Ça, c’est la première chose. Deuxième chose : quelle est la finalité de l’action publique ? C’est de faire du  bien au citoyen. L’opération-là, à terme va faire du bien à tout le monde. Mais, à court terme ? J’ai rencontré une dame derrière le village d’enfants SOS de Calavi. Elle m’a dit que la pension de son mari fait à peine une semaine, et  que c’est le commerce qu’elle fait qui permet d’arrondir les angles dans  la maison. Mais voilà, on l’a déguerpie et qu’elle ne sait même pas où aller. Il y  a d’autres personnes qui ont contracté des crédits. Je dis toujours que les maires ont failli. Toboula n’est qu’un exécutant.  C’est en mai 2016 que le conseil des ministres, sur une communication du ministre du cadre de vie a pris la décision de déguerpir les gens. Je me suis dit que ça, c’est une compétence des communes et je me suis demandé pourquoi l’Etat intervient. J’attendais la réaction des maires et autres, mais tour à tour, tous les maires, même Léhady, ont dit prendre acte de la décision. Ce n’était pas la bonne formule.

Réalisé par Flore S. NOBIME

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