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Le triomphe de la vérité

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Rejet de la décision de la CCJA par le Gouvernement béninois: Michel Adjaka dénonce une option de nature à ruiner l’image du Bénin


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Michel ADJAKA netMichel Adjaka, le président de l’Union nationale des magistrats du Bénin (UNAMAB), réagit par rapport au Conseil des ministres des 23 et 25 octobre 2015 à l’issue duquel le Gouvernement béninois rejette la décision de la Cour Commune de Justice d’Arbitrage (CCJA). Tout en s’interrogeant sur les raisons ayant poussé le Gouvernement à transformer « la sacro-sainte table du Conseil des ministres (…) en prétoire », le président de l’UNAMAB fustige une décision « d’une extrême gravité ». Pour Michel Adjaka, par ailleurs président du cercle OHADA Bénin, « le Gouvernement ferait mieux de respecter les principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance de la justice royalement bafoués depuis 2006 ». Et Michel Adjaka de citer un chapelet de scandales éclaboussant le régime en place avant de conclure que « c’est quand la justice aura été effectivement en possession de ces dossiers que nous pourrons apprécier l’engagement du Gouvernement à lutter contre la corruption et sa sœur siamoise l’impunité ». Lire l’intégralité de la réflexion du président de l’UNAMAB.

Soucieux de lutter contre la raréfaction des investissements et l’insécurité juridique et judiciaire, le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Centrafrique, la Côte d’Ivoire, le Congo, les Comores, le Gabon, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Guinée Equatoriale, le Mali, le Niger, la République démocratique du Congo, le Sénégal, le Tchad et le Togo ont institué ou adhéré à l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA). Créée le 17 octobre 1993, l’OHADA est une institution d’intégration juridique et judiciaire très convoitée dans le monde entier. L’un de ses piliers est la Cour Commune de Justice d’Arbitrage (CCJA).
Composée de neuf (09) juges élus au scrutin secret par le Conseil des Ministres, la CCJA a pour vocation de se substituer en droit des affaires aux cours suprêmes nationales. Autrement dit, la CCJA est la Cour suprême du Bénin en droit des affaires. En signant le Traité de Port-Louis en 1993 en Ile Maurice, le Bénin, à l’instar des autres pays de l’espace OHADA, a opéré un abandon de sa souveraineté en matière législative et judiciaire au profit de l’OHADA afin de favoriser l’intégration régionale, gage de sécurité juridique et judiciaire.
Gardienne de l’interprétation et de l’application uniformes du droit OHADA, la CCJA assure plus précisément une triple fonction consultative, juridictionnelle et arbitrale. Même si cette Cour a le pouvoir d’évocation, elle ne peut s’auto-saisir. Elle ne juge que les affaires à elle déférées par les parties au procès ou à une clause ou compromis d’arbitrage. En l’espèce, l’Etat béninois, pour décliner la compétence des juridictions nationales, a préféré l’instance arbitrale de la CCJA.
Concrètement, à décrypter le communiqué du Gouvernement, l’on se demande ce qui a pu réellement se passer pour que la sacro-sainte table du Conseil des Ministres soit transformée en prétoire pour non seulement se faire curieusement justice, mais pour confondre les juges de la CCJA aux juges nationaux traités de corrompus à chaque perte de procès.
Quelle leçon retiendront les justiciables de cette attitude du Gouvernement, surtout lorsqu’ils succomberont aux procès? En jugeant la décision de la CCJA «d’arbitraire et un non événement», le Gouvernement n’érode t-il pas à l’échelle de la planète l’image de notre pays ? Pour le Gouvernement béninois, les dommages et intérêts alloués ont été évalués sur la base d’un simulacre d’écoute de la partie béninoise par la Cour, elle-même, sans le concours d’un expert. En guise de solution, le «Gouvernement appelle le peuple béninois à la sérénité, le Trésor public n’étant aucunement engagé par la décision de la CCJA. Il déclare prendre les dispositions idoines pour que justice lui soit rendue au plan international par des juridictions à l’abri de pressions de l’argent et de la corruption.»
Cette décision est d’une extrême gravité pour laisser indifférent le président du cercle OHADA Bénin que je suis depuis 2005. De mémoire d’habitant et de militant du droit OHADA, je note que c’est la première fois et à un si haut niveau que la CCJA a essuyé avec tant de violence des boulets aussi rouges que chauds d’un Etat-membre. Personnellement, je n’ai pas été surpris par la posture gouvernementale. En effet, au plan national, le Gouvernement, en cas de perte de procès, a coutume de malmener et de livrer à la risée et à la vindicte populaire les juges béninois. Seulement, la nouveauté en l’espèce est la gravité des mots utilisés et la solennité requise pour imprudemment discréditer et dénigrer une juridiction aussi prestigieuse que la CCJA. L’option du Gouvernement est de nature à ruiner l’image du Bénin sur l’échiquier international et éloigner par voie de conséquence les potentiels investisseurs de nos frontières. Alors que l’article 59 de la constitution du 11 décembre 1990 impose au président de la République de garantir l’exécution des décisions de justice, il devrait, à mon humble avis, par respect à cette disposition, à son serment et surtout pour préserver l’image de notre pays sur l’échiquier international, éviter que le Conseil des Ministres s’érige en une instance de remise en cause des décisions de la CCJA et surtout de diatribes contre celle-ci et ses juges.
Pire, aussi curieux et étonnant que cela puisse paraître, mon pays envisage de saisir les instances juridictionnelles internationales «à l’abri de pressions de l’argent et de la corruption» pour mieux examiner sa cause. Pour permettre à l’opinion publique de se fixer, la bonne gouvernance exige du Gouvernement de révéler au peuple le nom de cette instance internationale compétente pour juger un contentieux examiné par la CCJA et/ou les juridictions nationales ou relevant de celles-ci; sinon le risque est grand que mon pays soit davantage, et ce, sur plusieurs générations, essoré par l’engagement de procédures abusives, dilatoires et vexatoires initiées par des conseils en quête de gain facile.
S’agissant des dossiers pendants devant les juridictions nationales, pour ne pas davantage abuser de l’analphabétisme juridique du peuple béninois et surtout de la crédulité de nombre d’entre nous, il importe, pour former la religion de l’opinion publique sur le prétendu blocage de ces dossiers, que le Gouvernement, dans l’intérêt supérieur de la nation et pour la manifestation de la vérité, présente à l’aide d’un tableau, la date d’enrôlement de ces dossiers, l’objet de la demande, les diligences non encore accomplies, source de l’acharnement et de la cabale actuels.
Par ailleurs, nous sommes dans un État de droit. Par conséquent, le Gouvernement ferait mieux de respecter les principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance de la justice royalement bafoués depuis 2006. Contrairement aux injonctions du Conseil des Ministres, il convient de rappeler que la justice n’est pas une officine encline à opérer la «liquidation des dossiers» au profit de l’Etat, mais une véritable institution neutre qui, dans la mesure des maigres moyens à elle affectés, s’efforce de dire le droit à l’effet de préserver le peuple béninois d’un lendemain difficile et douloureux. Son engagement contre la corruption et l’impunité n’est plus à démontrer. C’est pourquoi, elle ne cessera jamais de réclamer les grands dossiers de la République tels que:
1. la passation à la SOBEMAP de marchés d’acquisition d’engins dénoncée par le chef de l’État,
2. le rapport de l’Inspection Générale d’État sur la gestion des fonds FADEC,
3. l’affaire d’acquisition de machines agricoles,
4. l’affaire de passation de marchés de construction de routes, notamment, les routes Parakou-Djougou (lot 1), Comé-Lokossa-Dogbo+ Bretelle Zounhouè-Athieme, Savalou-Tchetti-frontière du Togo+ Logozohe-Glazoué et Bodjecali-Madecali-Illoua-Frontière du Nigeria (lot 2) et Akassato-Bohicon,
5. l’affaire Maria-Gléta gate,
6. la poursuite des personnes impliquées dans les concours frauduleux annulés de 2012 et l’éclairage par la justice des dessous du concours de 2015,
7. la saisine de la justice du volet ministériel de l’affaire PPEA II,
8. l’affaire mauvaise gestion à la mairie de Zangnando,
9. le scandale à la Chambre de Commerce et d’Industrie du Bénin (CCIB),
10. les nombreux autres scandales non encore découverts par la presse.
C’est quand la justice aura été effectivement en possession de ces dossiers que nous pourrons apprécier l’engagement du Gouvernement à lutter contre la corruption et sa sœur siamoise l’impunité.

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