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Le triomphe de la vérité

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Entretien exclusif avec une icône de la chanson béninoise: Sagbohan Danialou fait des révélations sur sa vie et lance un SOS à Boni Yayi


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Sagbohan Danialou EpNous l’avons décroché pour vous. Sagbohan Danialou a parlé. Rencontré à son domicile au  quartier Dowa à Porto-Novo, la capitale du Bénin,  il a accepté de s’ouvrir à nous. Entouré de ses instrumentistes dans une séance de répétition, avec son habituel style vestimentaire,  «Jean avec chemise manche longue» «L’homme-orchestre» ne cache plus son amertume de voir son projet de création d’un Centre d’anthropologie musicale bloqué. Et là, il accuse. Mais au-delà de ce sentiment d’amertume, il nous a aussi permis de voyager dans son jardin secret. Même avec peu de mots, tout est dit à ce niveau. Découvrez donc  !

L’Evénement Précis :Après le concert qui vous a remis sur la scène musicale après le malheureux événement qui a emporté votre fils Djibril, les Béninois ont envie d’en savoir davantage sur vous. Que leur répondez-vous ?

SagbohanDanialou : Je vous remercie d’abord de m’avoir rendu visite. Car, quand tu es un homme et que les gens ne te visitent pas dans ton coin, tu deviens le plus malheureux des hommes. Je suis donc très heureux que vous soyez là. Pour vous répondre, je dirai aux Béninois que je me porte très bien comme vous le constatez d’ailleurs.

En décembre 2014, accompagné de l’ex-ministre de la Culture, Jean Michel Abimbola, vous avez posé la première pierre de votre Centre dit «d’Anthropologie musicale». Mais plusieurs mois après, plus rien ne se dessine. Qu’est-ce qui se passe ?
(Il baisse la tête quelques secondes, la relève et scrute le ciel avec un léger sourire puis répond) : Ah !  Merci pour la question. J’ai effectivement  eu l’idée de créer un Centre d’anthropologie musicale, un centre de renforcement des capacités des jeunes talents. J’ai fait un effort pour avoir le domaine, j’ai même démarré la clôture. Si je dois vous faire un peu l’historique de ce projet, je dirai que c’est le président de la République, lui-même,qui m’y a encouragé. Il a donc donné des instructions il y a trois ans,  sur les chantiers de construction de la route Akassato-Bohicon en me disant exactement ceci : « Monsieur Sagbohan, est-ce que ça va ? » Et je lui ai répondu : « Monsieur le président, non ça ne va pas ». Et il a repris en disant : « Monsieur le DC, occupez-vous de lui ». C’est ainsi que le DC m’a demandé si j’avais un dossier à lui proposer. Car, on ne rencontre pas un président de la République sans un dossier. J’ai répondu donc par l’affirmative au DC. Ce Centre d’anthropologie musicale doit servir aux musiciens. Car, moi j’ai fait le constat qu’au Bénin, il n’y a plus de vrais instrumentistes. Et si on continue sur cette lancée, notre musique va perdre sa racine. Car, on n’aura plus de rythmes. Or, l’électronique ayant tout détruit, ceux qui vont pouvoir vivre de leur métier de musicien, c’est ceux-là qui pourront faire des spectacles live. Actuellement, vous devriez constater que les artistes ne font généralement que du play-back. Or, le play-back détruit l’instrumentiste. Ce centre a donc pour vocation de permettre aux Béninois d’oublier le playback et d’adopter la musique live. Vous savez, actuellement, l’industrie musicale est à l’eau à cause de la piraterie. Si un artiste compte sur la vente de ses albums pour vivre aujourd’hui, ce serait de l’illusion. La seule chose qui peut aider les artistes, ce sont les concerts.

Concrètement, qu’est-ce qui bloque ce projet ?
Ce projet a été affecté au Ministère de la Culture. Finalement, il m’a lâché et renvoyé le dossier à la Direction générale du budget (DGB). Ça fait aujourd’hui trois ans que le DGB me met en attente. Je l’ai rencontré plusieurs fois sans suite. J’ai même rencontré le DC du Ministère des finances, mais toujours rien.

Est-ce que quelque chose est reproché à la rédaction du projet sur le plan administratif ?
Non, rien n’est reproché au dossier. Parce que c’est un expert qui l’a rédigé. Et j’ai eu l’idée de créer le centre quand j’étais ambassadeur du Fonds des Nations Unies pour la population. Les gens m’ont demandé ce qu’ils peuvent me faire et je leur ai demandé de m’aider à réaliser ce projet. Et ils sont prêts à m’aider. En réalité, l’ex-ministre de la culture, Jean-Michel Abimbola m’a toujours promis décanter la situation en me parlant toujours d’une certaine prochaine tranche de financement. Mais j’ai toujours attendu sans rien voir. Vous savez très bien que je ne sais pas trop parler. Donc, je continue d’attendre.

Un cri de cœur à l’endroit du chef de l’Etat par rapport à votre situation ?
Je dirai au chef de l’Etat ceci : Monsieur le président, vous avez  donné des instructions à vos collaborateurs pour que j’ai satisfaction par rapport à mon dossier. Je suis au  regret de vous annoncer que jusqu’à ce jour, vos instructions ne sont pas encore respectées. Car, finalement, je me rends compte que je suis seul face à mon destin. Je lui suggère donc d’agir au niveau du Ministère des Finances pour que ce projet qui me tient vraiment à cœur puisse être concrétisé. Car, l’objectif, c’est de transmettre ce que je sais faire aux Béninois afin qu’ils puissent en vivre.

Mais outre l’Etat béninois, vous pouvez aussi mettre en jeu vos relations au plan international pour avoir d’autres sources de financement.
Je vous assure que j’ai des amis  au plan international qui sont prêts à m’accompagner. Je ne suis donc pas seul à gérer ce projet. Mon Manager est également intimement associé à ce projet.J’ai aussi de grands instrumentistes reconnus dans le monde qui sont prêts à m’aider. Mais le problème, ils veulent que l’Etat béninois s’implique d’abord pour la crédibilité de l’initiative. Et c’est ce que je veux de mon pays. Je n’ai donc pas demandé qu’on me finance l’intégralité du projet. Ce que je veux, c’est que l’Etat béninois s’y intéresse et que mes partenaires sachent que j’ai le soutien de mon pays. Au moins pour le démarrage du projet.

Si vous permettez, nous allons nous intéresser un peu à vous-même. Comment gérez-vous vos temps morts ?
(L’air étonné, il sourit légèrement et répond) : Est-ce que, moi, j’ai de temps morts ? Tous les jours que Dieu fait, je travaille. La preuve, quand vous êtes venus me voir, j’étais en train de faire la répétition avec mon orchestre. C’est quand  je mange et  que je dors que j’observe des temps morts.

Autrement dit, vous préparez un nouvel album pour les Béninois ?
J’ai toujours travaillé pour les Béninois. Souvent, je vais dans le Bénin profond comme on dit. Surtout quand il y a des animations pour lesquelles toute une communauté vous sollicite parce que vous maitrisez des  chansons dont elle a besoin pour leur cérémonie.Je réponds donc souvent  à leur appel. J’ai des requiem que je chante et qui aident vraiment les collectivités à bien faire leurs cérémonies. Car, je maîtrise bien la culture de mon pays.

Avez-vous de nouvelles chansons à proposer aux Béninois ?
Oui, tout à fait. Je prépare donc un album qui va sortir très prochainement.

Cet album est-il prévu pour 2015 ?
Permettez que  je ne donne pas une date précise.

Quels sont les messages forts de cet album que vous vous apprêtez à sortir ?
Oh ! Comme nous ne  sommes pas à nos débuts, nous pensons que nous savons ce dont notre public  a besoin. C’est ce que le public aime donc que nous allons lui proposer. Car, notre objectif, c’est de ne jamais décevoir.

Lorsqu’on vous voit, vous êtes toujours physiquement bien en forme malgré le poids de l’âge. Quel est votre secret ?
Mon secret, c’est d’éviter l’abus en toute chose. J’essaie aussi de me maintenir en forme par quelques exercices physiques. Il y a donc de la mesure dans ce que je bois, ce que je mange. Bref, pas d’abus.

L’autre chose qui étonne les Béninois, c’est que vous débordez toujours d’énergie lorsque vous montez sur scène et on vous méconnait au regard de votre âge. Prenez-vous souvent des stupéfiants avant de monter sur scène ?
(Il sourit encore et marque son étonnement pour la curiosité, mais répond) : Vous savez ? Mon père fut un grand chanteur. Depuis que j’avais 5 ans, je le suivais. Et je ne l’ai jamais vu prendre quelquechose avant de monter sur scène. Donc, moi-même, je ne le fais pas. Si vous voulez, tout de suite, nous irons à la plage pour courir un peu dans le sable marin et vous allez  savoir si j’ai de l’énergie ou pas.

Beaucoup de vos collègues témoignent néanmoins que sans stupéfiant, on n’arrive pas à affronter le public et à tenir correctement la scène. Qu’en dites-vous ?
Moi, je suis un professionnel. Ça, c’est le langage de ceux qui n’ont pas la vocation de chanter. Moi, j’ai commencé par me former pour être meilleur sur scène depuis que j’étais au cours primaire. Parce que je sais que pour chanter, il faut avoir du souffle.

Quand on est père de famille  et en même temps un grand artiste, comment se gère la vie de famille ?
Ah oui ! Le secret à ce niveau, c’est qu’il faut toujours se mettre au même niveau que les enfants. Vous videz votre tête, vous vous amusez avec eux et vous discutez avec eux. Je vous assure que cela vous rajeunit.

Vos enfants vous reprochent-ils des choses ?
Ah oui. Je suis sévère. Car, quand ça ne va pas, je tape. J’ai encore des enfants qui vivent avec moi ici.

En parlant d’enfant, combien en avez-vous ?
(Il sourit un moment et répond en parabole en «goun» qui exprime littéralement ceci) : On ne compte pas le nombre de poissons dans un vaste océan.

Avez-vous des regrets pour ce qui concerne votre vie de famille  et votre carrière artistique?
(Il baisse automatique la tête, respire profondément puis répond, le visage attristé) : Oui, j’ai des regrets. Le plus grand, c’est que j’ai perdu mon enfant. Je veux parler de Djibril.  Même professionnellement, je le ressens. Mais ça, je vous prie de ne plus y revenir parce que ça me bouleverse. L’autre regret, c’est que je vis seul. Mais sur cet aspect, je vous prie d’oublier. Et le 3ème regret, c’est mon projet de centre d’anthropologie musicale que je n’ai pas encore concrétisé. Je regrette donc amèrement d’être un bon artiste béninois, d’être un bon patriote, bien respecté à l’extérieur, mais qui n’a pas le soutien duGouvernement. Je ne veux pas être le martyr vivant de la musique béninoise comme  GnonnasPédro l’avait dit. De toute façon, je suis fier d’être Béninois.

Un mot pour conclure cet entretien ?
Il y a environ deux semaines, j’ai suivi une émission  sur une chaine internationale  où j’ai appris la mort d’un grand artiste sénégalais, un doyen très bien respecté. Je veux parler de Doudou Ndiaye Rose. Je ne veux pas connaitre le même sort que ce monsieur. Car, il a, de son vivant, demandé l’aide de l’Etat sénégalais pour construire une école afin de pouvoir former d’autres percussionnistes de son espèce.  Mais jamais, il n’a eu le soutien de son pays. Et là, il vient de mourir en emportant avec lui l’immense talent de percussionniste recherché à travers le monde entier. Je ne veux pas avoir le même sort que lui.

Propos recueillis par Donatien GBAGUIDI

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