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Le triomphe de la vérité

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révélation de Brice Sinsin, Recteur de l’UAC « Sous l’Arbre à Palabres » au siège de l’événement précis: « Très peu d’universités ont les performances de l’UAC »


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Brice SINSINLes personnalités de grande importance se relaient à la tribune de L’Evénement Précis. Volontiers, le professeur Augustin Brice Sinsin, le recteur de l’Université d’Abomey-Calavi, s’est prêté à l’exercice de votre atypique rubrique  « Sous l’Arbre à Palabres ». Numéro 87ème dans le registre des invités à accepter de saisir ce canal pour s’adresser aux Béninois, le recteur, à cœur ouvert, a dressé le bilan de ses cinq années de gestion de l’Université d’Abomey-Calavi, une gestion matérialisée par le redressement de l’institution académique et une pléiade de prix raflés à l’international. Une Université dont il ne tarit surtout pas d’arguments pour vanter les performances. Sans langue de bois, il a fait le point  de la situation qui prévaut actuellement à l’UAC au sujet des mouvements de quelques étudiants qui contestent les frais liés à la double inscription. Resté de marbre sur le sujet, Brice Sinsin a avoué que c’est pour mettre fin au désordre qui devient grandissant, à chaque rentrée académique, que l’équipe qu’il dirige a décidé d’appliquer le décret portant gratuité de la première inscription de l’étudiant dans les universités.  Des révélations sur sa vie, et sur les 3ème élections du recteur et des vice-recteurs de l’UAC, il en a également été question dans ce riche entretien que nous vous proposons pour mieux découvrir le professeur Brice Sinsin, candidat à sa propre succession avec la liste « Alafia », reconduite pour une nouvelle mandature à l’UAC.

Et si on en parlait

Quelles sont vos premières impressions en étant l’invité de « Sous l’arbre à Palabre » ?
Il faut avouer que cela m’agrée beaucoup car, je me rends compte que la presse de mon pays s’intéresse davantage aux questions de l’éducation. Parce que justement, l’éducation est le socle de tout développement. Et les pays qui ont pu émerger et prospérer véritablement en ont fait leur cheval de bataille.

 Monsieur le Recteur, le campus d’Abomey-Calavi a encore connu des perturbations ces jours-ci, parce que des étudiants continuent de dénoncer le fait qu’il leur soit imposé le payement de la double inscription alors que la scolarité a été rendue gratuite par le Gouvernement. Qu’en est-il concrètement ?
Ils sont contre un Décret présidentiel et arrêté ministériel, et le premier concerné, c’est le recteur, puisque, moi, je l’applique directement à leur niveau. Quand on revendique ses droits, quand on proteste contre telle ou telle décision, je dirai de manière académique, dans les limites de ce que nous appelons franchises universitaires, ils ont plein droit de dire « telle chose me plaît, telle chose ne me plait pas ». Simplement, dès que l’on déborde des limites de la franchise universitaire comme ils aiment bien le dire, automatiquement, le recteur n’est plus qualifié, c’est la police républicaine qui est informée. Donc, il y avait eu, les deux premiers jours quelques débordements, des jets de pierres, des bris de vitres et quelques infrastructures sur lesquelles ils s’acharnaient à marquer leurs empreintes de mécontents. Automatiquement, la police est arrivée avec les outils classiques dont le gaz lacrymogène pour dissuader les uns et les autres.  C’est-à-dire que, ce sont les communistes qui le disent, ce sont les conditions d’existence qui déterminent la conscience des gens. Je refuse toujours de dire que je dois juger les étudiants, n’étant pas étudiant, mais je perçois la chose par rapport à ma position et en tant que membre de la communauté universitaire. Eux-mêmes disent « nous n’avons rien revendiqué et le Chef de l’Etat nous a donné quelque chose, la prise en charge des frais d’inscription ». La seconde chose, c’est qu’ils se disent aussi bâtisseurs de la Nation. Ça se ressent quand ils revendiquent. Ils pensent qu’ils sont en train de lutter pour le peuple, de lutter pour le développement du pays. En tant qu’éducateurs, nous devons enseigner les bonnes manières. Nous devons enseigner le civisme, le respect des lois, des textes qui régissent la République, et vu sur ce plan-là, je crois que, s’il n’y avait pas eu le décret, je serais un peu plus à l’aise, parce que tout est parti de mon initiative de prendre certaines mesures par rapport à ce qu’on appelle gratuité dans l’inscription. Ils contestaient tellement ma façon de voir les choses et, eux-mêmes, revendiquaient le décret. Malheureusement, ils revendiquaient quelque chose qu’ils n’ont pas lu et exigeaient, à l’époque, du recteur : « Nous voulons l’application intégrale, mais vraiment intégrale du décret, pas question qu’un recteur prenne un arrêté qui aille contre le décret ». Logique ! C’est à la lumière de cette revendication que l’équipe rectorale s’est interrogée. Quand le président avait pris effectivement la décision d’accorder la gratuité aux étudiants non boursiers, est-ce que cela n’a pas été porté par un document ? Nous avons commencé les recherches, et j’avoue que c’était périlleux, puisque, malheureusement, ledit décret n’a pas été distribué et vulgarisé tel que nous le constatons pour les autres textes. Nous avons fini quand même par mettre la main dessus à la présidence et dans Journal officiel. Une fois que nous l’avons eu, non seulement, je n’avais pas pris une mauvaise décision, mais le décret est venu corser ce que, moi, je leur offrais pour rester un peu dans l’équité. L’aspect moral de la chose est que, lorsqu’on t’accorde une faveur, après le baccalauréat, quand on est étudiant et qu’on se revendique bâtisseur de la Nation, on met la raison à côté du cadeau offert. Est-ce que ce cadeau me permet réellement d’étudier? Oui. Est-ce que j’abuse du cadeau par rapport aux dimensions que cela devrait couvrir ? C’est là où il y a le problème, de mon point de vue. Inscrivez-vous là où vous pensez avoir des compétences. Quand on te donne une bourse, tu as l’impression que tu étudies gratuitement, puisque ça ne sort pas de ta poche. C’est quelqu’un qui te donne cette bourse. C’est un peu comme cela que ça se présente. Le Gouvernement leur a donné une bourse qui ne dit pas son nom. Parce que le Gouvernement paie, tout au moins, a promis payer. Les Anglais disent « There is no free lunch ! ». Il n’y a pas de déjeuner gratuit. Donc, il faut quelqu’un qui paie de sa poche. Nous sommes aussi d’accord que, pour un bon parent, nous ne donnons de cadeau que lorsque l’enfant réussit. Parfois, vous voyez des parents très modestes, et qui s’efforcent d’offrir des cadeaux. « Je suis revenu du Certificat d’Etudes Primaires (CEP), je suis admis », on te donne un petit quelque chose, « je suis admis au brevet », on te donne un cadeau. Mais l’année où vous échouez aussi, vous faussez les choses. C’est évident. Ça veut dire qu’il n’y a pas de bourse pour un paresseux. Il n’y en n’a pas. C’est là où, réellement, nous les avons interpellés en disant « Allez-vous inscrire là où vous pensez être performants. Mais toutes vos libertés, qui sont légitimes, de dire « je suis capable de courir après deux lièvres, trois lièvres, quatre lièvres », vous payez par rapport à cela. Il y a toujours un coût pour vous former, ne croyez pas que tout est libre ainsi».
J’ai pu aussi goûter à la logique qu’il y avait derrière cela. C’est aussi une logique qui n’est pas tombée du ciel. Au fait, ce sont les mêmes étudiants qui sont venus me voir pour me dire « les chefs d’entités abusent de nous. Il y a trop de faux frais de photocopies, de réclamations et autres ». J’ai convoqué une réunion des chefs d’établissements avec les différentes associations d’étudiants. Nous avons éliminé énormément de frais mais, en même temps, aussi allégé les frais qui devraient être maintenus et qui étaient, à mon avis, relativement élevés. C’est quand nous avons procédé à tout cela que les chefs d’établissements ont dit « ok, monsieur le recteur, vous avez pris parti pour les étudiants. Mais voilà les problèmes qui se posent à nous. Ils viennent nombreux dire « je suis en double ou en triple inscription ». Chaque fois qu’il y a des examens, nous planifions par rapport au nombre théorique d’étudiants. On commande 12.000 copies de feuilles d’examen, mais il n’y a que 2000 ou 3000 qui viennent composer. C’est fantaisiste et voilà ce que cela nous coûte. Vous programmez les travaux pratiques pour 500 étudiants et vous n’avez que 200. Or, les consommables sont déjà achetés. Après, on s’est rendu compte que cette histoire de double inscription, c’est vraiment du leurre. C’est de là qu’on s’est dit que, si tel est le cas, mettons alors cette barrière par rapport à la large liberté qu’ils ont à interpréter ce qu’on appelle gratuité. Moi, je vais mettre la barrière et ainsi, ils ont leur prise en charge dans ce qu’ils supposent comme étant leurs domaines principaux. Tout débordement suppose que vous mettiez la main à la poche. S’ils avaient accepté, ça allait les arranger et personne ne serait en train d’en parler. Aujourd’hui, le décret dit : « si vous redoublez, c’est terminé ». Ce qui est juste. Personne n’est prêt à donner un cadeau à son enfant parce qu’il a échoué. Aucune institution de bourses ne vous paie quand vous échouez. Dès que vous redoublez, on vous rapatrie, c’est clair. Ce n’est pas quelque chose qu’on invente.

Est-ce à dire, qu’aujourd’hui, la gratuité est une mesure difficilement applicable dans un contexte béninois ?
Vu du côté des étudiants, ils disent que c’est gratuit mais en réalité, c’est l’impôt des contribuables que nous sommes, vous tous vous contribuez à cette prise en charge. Le thème de contribuable n’est pas tellement courant en Afrique. Chaque fois que l’Etat sort un franc pour donner à quelqu’un, sachez que c’est votre sueur à vous tous. C’est vos ressources qu’on prend pour aller donner quelque part. Je crois que l’Etat a dit : « Je vous prends en charge si vous n’avez rien pour venir étudier à l’université ». Ça veut dire alors que vous avez la volonté, la détermination et vous avez les capacités d’aller effectivement à l’université. C’est ce que cela signifie. Quand on vous prend en charge dans ces conditions, si vous échouez, reconnaissez que vous n’avez pas donné le meilleur de vous-même pour mériter ceci ou cela. Je crois que c’est possible. L’Etat dit : « Je veux offrir tel type de bourses ». Le concept qui est sorti est la gratuité. Ce n’est pas vrai. C’est une prise en charge par notre budget national de ceux-là qui n’ont pas la bourse.

Est-ce que ce qui est dépensé est remboursé en retour par l’Etat ?
C’est là qu’il y a le couac. Quand les problèmes ont commencé, nous avons commencé à chercher loin. Nous ne sommes pas entièrement remboursés. L’Etat essaie souvent de sortir une cagnotte par rapport à ce qu’ils appellent des contraintes budgétaires. A l’époque, c’était Abomey-Calavi et Parakou. Maintenant, il y a deux nouvelles universités. Ce sont donc désormais les Universités de Kétou, Parakou, Abomey et Abomey-Calavi. L’année dernière, on estimait que l’Etat nous devait quelques 800 millions de francs par rapport à ce qui n’est pas lié rigoureusement à la gratuité. Si on doit compter les multiples inscriptions, ça dépasse largement le milliard. Donc, l’Etat paie un forfait par rapport à la gratuité.

Quelles sont les actions phares que vous avez menées ?
Je suis un ingénieur de terrain. Quand je sortais, on avait un ministre du développement rural, Adolphe Biaou, paix à son âme, qui disait : « Je ne veux plus voir d’ingénieurs au bureau. Tous les ingénieurs sur le terrain ». J’ai beaucoup acclamé et ça a rencontré ce que j’aimais. Je me rappelle quand on m’avait envoyé au CARDER Borgou, on voulait tout de suite me nommer Directeur de Parc. Il y avait quelques résistances et le Directeur du CARDER Borgou me disait : « Mais il est là ». Et je lui disais : « Même si vous m’envoyez dans un village, j’irai monsieur le directeur ». C’est ainsi que, malgré lui, il estimait que ceux qui dirigeaient les aires protégées à l’époque n’avaient pas le niveau d’ingénieur et se demandait quoi faire si un ingénieur arrivait. Je ne suis pas l’homme des postes. J’ai dit : « Envoyez-moi là où vous voulez ». C’est ainsi qu’il m’a envoyé à Tchaourou où j’ai fait ce que je devrais faire. Les problèmes de plantations qu’il y avait au niveau de Tchatchou, la gestion des plantations d’anacardiers d’Agamarou, la surveillance, comment on doit rendre compte, comment on lance une campagne forestière. J’ai tout mis en ordre pour jouer mon rôle. C’est bien plus tard que je suis revenu à l’université. Donc, en tant qu’ingénieur, nous avons appris à résoudre les problèmes qui se posent à nous. Nous ne savons pas faire autre chose que cela. C’est pareil quand je soutenais ma thèse de doctorat en Belgique. Je disais à mon patron : « Je ne connaissais pas votre pays, je ne connaissais pas l’Europe mais j’ai vu que vous travaillez. Vous travaillez dans des conditions encore plus difficiles que chez nous en Afrique ». Quand il neige et que les travaux sont prévus, vous devez aller sur le terrain. On souffrait, mais j’aimais ça. Quand il pleut, on ne sait pas courir pour aller s’abriter. Je n’ai jamais vu ça en Europe. Vous devez intervenir en même temps que votre professeur. Le soleil n’est pas non plus un problème. Lorsque vous montez sur les Alpes en été, vous recevez les rayons UV directement. Mais, on travaille, on doit finir obligatoirement les deux semaines de stage. Je lui disais que « si je rentre au Bénin, mon laboratoire sera plus grand que ce que j’ai vu ici ». Effectivement, quand je suis rentré, j’ai construit le laboratoire à la dimension de ce que je voulais présenter. Je ne sais pas vivre avec un problème. Si c’est un problème humain, et que Sinsin est là, je dois trouver une solution. Je suis formé par rapport à ça. C’est un peu ce qu’on a fait à l’université. Je n’ai pas dirigé l’université. J’ai réinventé la façon de diriger nos institutions.

Quels sont les grands axes de cette réinvention ?
Les grands axes, c’est d’abord savoir ce qu’on appelle une ressource par rapport aux dirigeants, et un bien public. C’est le premier rapport qu’il faut avoir. Le bien public, c’est le bien de tout le monde que nous devons gérer pour que nos petits fils viennent aussi se sentir à l’aise. C’est inné en moi. Ce n’est pas quelque chose que j’apprends. Mais j’ai été éduqué dans le respect du bien. La seconde chose est la collégialité. Une équipe n’est pas un individu. Si on disait le recteur et rien autour du recteur, ok, c’est Sinsin. On a dit une équipe rectorale. Vous allez élire votre recteur, il y a deux vice-recteurs, un secrétaire général, un agent comptable. C’est ça qui constitue une équipe rectorale. A partir de cet instant, je n’ai pas besoin de savoir si nous sommes nés le même jour ou du même ventre. Le premier rôle du dirigeant, c’est l’harmonie. C’est d’expliquer aux autres que nous devrions être une équipe. Il n’y a rien à faire. Exactement, si on avait de vrais partis politiques, vous croyez qu’il y aurait tous ces débordements où quelqu’un est élu sur la liste d’un parti et, après, va dans un autre parti, parce qu’il n’y a jamais eu de discussions. Même si je connais des échecs, c’est vous qui devriez me couvrir. Pour moi, l’équipe dirigeante, c’est d’abord ça. Mais que constate-t-on ? Aujourd’hui, on vous lâche. En un second temps, le chef dans une démocratie, de mon point de vue, est un symbole parce que dans nos traditions, c’est ce que j’ai compris. C’est le trône qui importe. Les juristes disent qu’on respecte la robe du magistrat ignorant. Par rapport à ça, tout ce qui est dans ma tête, vous allez le trouver dans la tête des deux vice-recteurs, du secrétaire général et de l’agent comptable. Je peux voyager 10.000 fois, vous prenez n’importe qui, c’est la même chose. C’est d’autant plus important qu’une fois, je recevais une équipe du Programme d’assistance aux universités. C’est un Programme de la Banque africaine de développement. Nous étions partis négocier d’autres programmes de l’UAC à la BOAD à Lomé. Nous n’étions pas rentrés quand ils sont passés. Et ce sont les chefs services de la coopération qui ont dirigé, de façon exemplaire, la séance. Ils étaient plus ou moins vers la conclusion quand nous sommes arrivés. C’est toute l’équipe qui était allée rencontrer la Banque ouest africaine de développement (BOAD) à Lomé. Le monsieur a dit : « J’ai jamais vu ça, monsieur le recteur, vous n’êtes pas là, personne n’a dit d’attendre. Ils nous ont invités et ça a été entièrement couvert. Je me suis tu. C’est ce qu’on appelle une gestion démocratique et ce n’est pas le plus extraordinaire. Ils rentrent dans n’importe quel secteur, ils verront exactement la même chose. Rien n’est caché à l’UAC. Diriger, c’est servir. Si tu ne veux pas servir la communauté, restes dans ton petit coin.

Vous faites aussi les infrastructures ?
Oui. Les infrastructures ne sortent pas de n’importe où. Si vous ne savez pas avoir de respect au bien public, si vous ne savez pas créer cette ambiance, il faut oublier les infrastructures. A moins que quelqu’un me donne de l’argent pour me dire d’en implanter. Vous êtes obligé d’amener les uns et les autres à se voir à travers les réalisations matérielles et qu’ils se sentent aussi réellement engagés dans l’entretien bien au-delà de votre mandat. Je crois que c’est ce qui est le plus important. Sur le plan académique, il y a eu le redressement de notre année académique. On avait une année académique où personne ne savait quand ça commence et quand ça finit. On a dû redresser cela pour que l’académie ait des normes, des garde-fous. Je crois que ce sont les chantiers-phares.

D’aucuns estiment que c’est sous votre mandature que l’université est la plus médiatisée par rapport aux réformes
Certainement à l’international. L’un des marchés que nous perçons difficilement, c’est le marché du business. Les entreprises ne perçoivent pas les universités africaines comme étant le lieu où on peut appliquer ce que nous enseignons,… l’entreprenariat, la bonne gestion. Alors, nous avons réussi à l’UAC à entrer dans ce secteur essentiellement réservé aux entreprises privées. Ce qui nous a valu tous les prix qu’on a obtenus.

Citez quelques-uns
Nous sommes à une dizaine maintenant. La plupart sont soit liés à la bonne gouvernance, soit aux performances réalisées, soit à l’innovation, soit au fait qu’étant une université hors norme, c’est-à-dire, que la plupart des universités à gros effectifs, c’est trente mille, quarante mille étudiants, alors quand on vous dit que vous gérez une université de cent mille étudiants, avec une année académique claire, avec un certain nombre de performances, ça devient quelque chose d’exceptionnel. Et vous le faites sur plusieurs années. Ce n’est pas qu’on vous a vu et qu’on est revenu l’année qui a suivi et vous êtes au creux de la vague. C’est ça qui a fait que les grandes institutions qui priment les entreprises qui font des performances, quand elles entrent dans le secteur éducatif public, très peu d’universités ont nos performances. Nous sommes une des rares universités à maintenir ce cap-là.

Alors, monsieur le recteur, le bilan est élogieux. Mais, vous aviez toujours affirmé que vous n’alliez plus rempiler. Et si l’autorité vous disait de revoir vos ambitions ?
Le premier janvier dernier, à la fin de la présentation des vœux, j’avais dit à mes collègues que j’étais en fin de mandat. Ça a été la panique généralisée. Je ne dors plus depuis le 09 janvier passé. Les premiers journalistes à m’avoir abordé après les premières réformes, je leurs disais que j’avais des ambitions. Mais, il y a aussi la mission qu’on m’a confiée. Et je dis, à l’université, au rectorat, que je suis en mission. Ce n’est pas du tout une ambition pour moi. Pour moi, l’ambition, c’est votre rêve surévalué. Ce que vous vous dites. J’ai besoin de faire ceci, et vous vous engagez, c’est une ambition. Mais en tant que citoyen, vous vous dites, à tout moment, on peut me confier un devoir. Et quand j’accepte, moi, Brice Sinsin, vous avez l’impression que c’est mon ambition. Au poste de recteur, je ne suis pas épanoui. Je ne suis pas formé administratif. Moi-même, je reconnais mes fautes. Heureusement que j’ai un secrétaire général et un conseiller juridique qui me guident. Je suis formé avant tout pour la recherche et l’enseignement. Donc, je ne suis pas du tout épanoui. Mais j’assume une mission pour ma communauté. Et c’est ça la difficulté qu’il y a à me comprendre lorsque je leur dis que je n’ai pas l’ambition de rempiler. L’Etat ne m’a pas formé pour ça. Sinon ce serait du gaspillage. Regardez tout ce qu’on a investi en ma personne et moi je vais dire que je viens juste pour gérer une université. Je dois former d’autres, je dois mener des recherches qui sont exigées de tout universitaire. C’est là où réellement je me sens vraiment épanoui.

Et si l’autorité exerçait des pressions sur vous et vous demandait de venir poursuivre la mission, que diriez-vous ?
Non, je crois que deux semaines avant, je serai encore dans le doute. Le jour où le ministre a rendu public l’arrêté, j’ai réuni les deux vice-recteurs et j’ai dit qu’il y a déjà des pressions, pas seulement sur moi, mais aussi sur mon épouse et sur mes enfants, sur mes proches. On dit ‘’mais il faut que je revienne’’. Tant que je ne décide pas à l’interne, il n’y a rien à faire. Je ne sais pas vous donner une réponse avec beaucoup d’empressement. Et quand j’ai reçu l’arrêté, on a échangé, les uns et les autres ont donné leurs points de vue. Je reconduis la même liste avec la même volonté, la même détermination. Mais j’avoue que je me sentais soulagé quand j’arrivais en fin de mandat. Je me voyais revenir à ce que j’aime le plus, être en forêt avec les étudiants, être dans mes missions, rencontrer d’autres collègues. Mais bon, c’est vrai, les arguments étaient divers. Allons-y et nous allons voir si en bout de chaîne nous allons être acclamés. Donc, ça a fait que notre liste était baptisée ‘’Alafia’’. On a dit alors, reconduisons simplement la liste en mettant simplement ‘’Alafia 2’’. Certes, mais avec d’autres programmes. D’autres disent ‘’reviens pour consolider’’. Moi, je ne suis pas un homme qui fait du surplace. Il s’agira d’autres programmes plus ambitieux.

Monsieur le Recteur, dites-nous si vous êtes fier de participer à une élection dont les règles de jeu viennent d’être changées ?
C’est une façon de voir les choses. Le premier décret que le Gouvernement a pris en 2006 disait que la mandature est de cinq ans en une seule fois. Lorsque nous avons participé à la seconde élection des recteurs en 2011, le ministre a modifié les règles du jeu en ramenant le mandat à trois ans. Modifiant ce décret, je crois qu’il faut aussi le reconnaitre, c’est un ministre qui fixait les règles de jeu à l’approche de chaque échéance. C’est valable pour les recteurs, c’est valable pour les chefs d’établissements. Lorsque ces échéances arrivaient à terme, il a encore réuni maintenant tous les recteurs, toutes les équipes, les syndicats pour nous dire que nous allons repartir sur la base de l’ancien décret. Et comme il a l’habitude de le faire, il a repris un autre arrêté pour fixer ces élections-ci. Le premier, c’était pour corriger les cinq ans en trois ans.

Monsieur le recteur vous avez accepté conduire la même équipe. Quelles sont les priorités que vous allez défendre à nouveau ?
La première des choses, on vous dira qu’il continue l’œuvre. Il faut qu’il consolide. C’est mal me connaître. Moi, je ne sais pas tourner sur moi-même et dire que je fais du développement. Je vais créer davantage de choses. Comme je vous l’ai dit, je me suis déjà déplacé vers la BOAD. J’ai échangé avec le représentant de la Banque africaine de développement (BAD). Nos crédos sont déjà passés. J’avais déjà réuni aussi les institutions bancaires de la place. La BOA, Ecobank sont déjà toutes prêtes à m’accompagner. Je ne veux plus discuter de quelques millions où on ne fait pas grand-chose. Je veux aller vers le milliard. Je veux aller avec notre conseil d’administration et engager cette fois-ci l’université dans des prêts de 10 voire 15 milliards puisque l’ambition aujourd’hui est de restructurer certaines grandes facultés comme la Faculté des lettres arts et sciences humaines. Quand on dit Flash, ça veut dire quoi ? Pas grand-chose. Mais les départements font énormément de bonnes choses qui ne sont pas visibles à travers ce grand chapeau. Donc, on les a déjà instruits de commencer par réfléchir à la manière dont nous allons les sortir en tant qu’institut. Il y a l’institut de la psychologie et des sciences de l’éducation, c’est déjà prêt. On aura l’institut de linguistique. Le professeur Hounkpati a déjà élaboré quelque chose. Il y aura l’institut de géographie et d’aménagement de territoire qui est déjà quasi fait. Le bordereau est déjà signé pour être envoyé au ministre. On a déjà créé l’Institut national de l’eau, l’Institut de la sécurité alimentaire. L’apprenant, c’est la compétence qu’on attend de lui en bout de parcours. Pour les langues, je viens d’en discuter avec le chef du département d’anglais. On va sortir les langues. Quand vous apprenez l’anglais, ce n’est pas seulement pour aller enseigner. Il y a énormément d’autres choses qu’on peut en faire. Vous pouvez créer votre propre entreprise d’interprétation, ou créer de petits centres et prendre des nigérians, ils sont demandeurs. Une fois que la qualité y est, tout est possible. C’est ainsi que nous devons aller de l’avant dans l’art. Ils ont préféré s’associer aux historiens pour créer leur institut. J’ai déjà vu des conservatoires de danse et ainsi de suite. Et c’est sûr que si on leur donne plus de visibilité, il y aura plus d’engouement. Il faut aussi regarder ce que font des collègues d’à côté. Nous avons l’INJEPS qui a une belle initiative de placer ses stagiaires dans les collèges qui n’ont pas de professeurs de sport. Et ça leur rapporte énormément de l’argent. Quand les mathématiciens sont venus pleurer « on n’a rien », nous leur avons dit mais vous n’avez rien parce que vous n’avez pas su valoriser l’atout majeur que constituent les sciences mathématiques. Courrez pour aller copier vos collègues de l’INJEPS. Regardez combien de collèges et lycées manquent de professeurs de mathématique dans ce pays. Vous formez correctement en deux ans, vous les placez en stage et ils donnent de bon cours et vous les suivez, mais en retour, une fois que vous placez, c’est cent mille, c’est deux cent mille. Si vous restez entre vous à aller donner des cours dans les collèges privés pensant que c’est le développement des sciences mathématiques, mais vous vous trompez. Mais je crois qu’ils ont compris. On doit être toujours réactifs. Mais tout cela nécessite des investissements. Je ne veux plus me contenter des neuf cent millions que le Gouvernement donne pour faire ces genres de choses.

Est-ce que vous pensez que le système éducatif béninois est aussi fragile comme le disent certains ?
Comme je vous l’ai dit, la question de l’éducation doit être abordée de façon très sérieuse. Les résultats catastrophiques du Baccalauréat sont d’abord dus au fait que tous s’engouffrent dans la série D.

Est-ce que c’est la faute aux enseignants ?
Je suis enseignant et quand je donne un devoir et que moins de la moitié à la moyenne, je m’en prends d’abord à moi-même. Est-ce que j’ai eu le temps d’expliquer à tout le monde ce que je trouve d’évident parce que nous n’avons pas pris le même train et nous n’avons pas les mêmes envies des mêmes disciplines de la même manière. Et, tout étudiant qui rentre dans ma classe doit se dire, je veux acquérir les compétences qui sont là. Lui il est venu pour le faire. Mais, est-ce que j’ai su lui restituer cela ? Est-ce que je lui ai accordé l’écoute nécessaire ? Est-ce que je ne suis pas en train de donner en deux heures le chapitre que je dois dispenser en six heures ? Donc, l’enseignant est comptable, à plus d’un titre, de l’échec de son élève à un certain niveau. C’est obligatoire et c’est ma conception à ce niveau-là. Il faut reconnaître que nous n’avons pas donné le meilleur de nous-mêmes pour aider nos élèves. Il faut aussi rappeler que nous avons passé une année presque vide avec trois ou quatre mois de grève. Ça a certainement perturbé les candidats, comparativement au privé. Mais, globalement, c’est une ambiance et quand l’élève n’est pas suivi au quotidien, il y a énormément d’éléments perturbateurs. En notre temps, c’était uniquement le football ou rien. Si tu n’es pas en classe, c’est que tu es sur le terrain. Mais, aujourd’hui, rien qu’avec votre portable, vous pouvez vous servir tous les jeux. Donc, il y a énormément d’éléments qui perturbent et en plus de tout ça, on leur offre encore l’occasion de ne pas être au cours par ces débrayages. Je pense que ça aussi, forcément,  a contribué à ce résultat.

Quel est le bilan du téléthon que vous avez organisé en septembre 2013 à l’UAC ?
Disons qu’on visait à peu près 500 millions et nous avons eu en net un peu moins de quatre-vingt-quatre millions avec aussi une promesse en matériels de cinquante millions. Donc, ce n’est pas si mal que ça. On a déjà démarré. L’architecte nous a déjà proposé quelque chose parce que nous lui avons demandé de revoir les ambitions à la baisse. Nous-mêmes pouvons faire l’effort de construire un bâtiment de 250 millions. Donc, on a repris tout le plan pour l’adapter à nos moyens et, dans le budget 2015, nous allons compléter le reste. Mais la fondation et tout le reste devaient déjà commencer par rapport à ce que nous avons comme acquis.

Aujourd’hui, l’Université Houdégbé a un amphi sur le campus d’Abomey-Calavi qui porte son nom. Selon vous, est-ce normal qu’une université privée implante un amphi comme ça dans une université publique ?
Vous savez, j’ai été à Dassa. Dassa était sous la juridiction de l’UAC. On m’a obligé à visiter une dame qui s’appelle Tanti Rita ou Tanti quelque chose comme ça. On m’a dit que je dois voir cette dame parce qu’elle aide beaucoup notre campus. J’ai été la voir et elle m’a dit « voilà ce que j’ai fait ». Elle a donné des domaines à notre campus et elle a construit un genre de salle de conférence. Mais, pour moi, pauvre enseignant, je voyais ça comme un amphithéâtre qui peut prendre près de 500 personnes. Je disais, mais, malheureusement que c’est à Dassa. On aurait pu conseiller cette dame de construire cet amphi à l’UAC et nous, on allait louer cela et retourner les frais à Dassa parce que là-bas, je ne sais pas combien de conférences on peut faire dans cette salle pendant combien de temps pour amortir ce qu’elle a investi-là. Je lui souhaite bon vent. Que des gens aillent là-bas animer beaucoup de choses. Mais, j’aurais pu inviter cette dame a fortiori à construire cet amphi à l’UAC tout comme un autre béninois qui se dit satisfait de la bonne gouvernance que nous avons instaurée et qui nous offre un amphithéâtre. C’est ce qu’il faut médiatiser, encourager, accepter par la marque de la fraternité que nous avons placée en notre devise, à savoir que nous devrions nous entraider partout. Quelqu’un est en train de soulever une pierre pour l’édifice commun. Comment allons-nous faire pour l’aider à en accumuler davantage, à tous les niveaux. Je crois que c’est ce que Houdégbé a fait et je suis pour qu’on sorte de l’anonymat ceux qui font avancer notre communauté. Ce que nous, Béninois, nous n’aimons pas. Quand vous venez à l’UAC aujourd’hui, les rues maintenant ont des noms, les bâtiments ont des noms. Offrez un stylo et le stylo portera votre nom, non pas parce que nous voulons vous faire connaître mais il faut que nous apprenions de cela une leçon qui est que nous pouvons donner une partie de notre bien à notre communauté et la meilleure manière de le faire comprendre aux jeunes, c’est de dire, tel a fait. Voilà son nom pour ne jamais être oublié au fil des années. Voilà le symbole dans lequel est inscrite cette action.

Qu’est-ce qui bloque la mise en application de la convention des agents contractuels de l’UAC ?
Je peux vous dire que ce n’est pas la mise en application. Sinon, elle l’est de manière générale. En fait, ce qui manque, ce sont les primes. Ils ont forcément regardé du côté les primes que perçoivent les agents permanents de l’Etat. Ils ont des primes de logement, des primes de rendement, des primes d’heures supplémentaires et bien d’autres choses. Il faut dire qu’on était sorti de cette situation sous l’ancienne mandature. Le recteur Norbert Awanou avait fait l’énorme effort de les aligner un peu mieux que les Agents permanents de l’Etat. Ce qui a entraîné des rappels énormes et beaucoup d’établissements  ont dû souffrir pour les aligner par rapport à cela. Du coup, ce sont les APE qui ont commencé par jalouser leurs collègues puisque, à grade égal, salaire égal, certains contractuels ont commencé par gagner plus que les APE. Dans une mandature, on ne peut pas, du jour au lendemain, tout faire. Il y a des services qui ont déjà pris les dispositions. Au niveau du Rectorat, par exemple, nous ne distinguons pas APE et conventionnés. Quand il y a une prime, on le partage à tout le monde de la même manière. C’est vrai, on peut toujours demander un peu plus mais, voilà les efforts qui ont été faits. L’université n’est pas là où on doit gagner de gros salaires forcément. On n’est pas une banque. On n’est pas une société d’assurance, et si c’est quelque chose, on en fait profiter autant que faire se peut à tous les membres de la communauté universitaire.

Comment rationaliser les recherches des enseignants et étudiants de l’UAC dans la vie réelle ?
C’est vrai, mais c’est une question qu’on ne se posera jamais en Europe. Jamais. L’Européen a déjà quitté cette étape. Dès le début, qu’on voit les professeurs faire de la recherche. On voit tout de suite le produit et c’est normal. Lorsque je prends ce verre, quelqu’un a d’abord réfléchi sur comment concevoir cela. ‘’ Voilà, on ne va pas toujours garder les mêmes verres et les laver chaque fois après utilisation. Faisons des verres jetables qui ne seront utilisés qu’une seule fois’’ et on a conçu ceci. Pour un habitant de ces pays émergents ou développés, on sait automatiquement qu’il a fallu de la recherche pour en arriver là. En Afrique, nous ne percevons pas les produits de la recherche. Nous sommes tous conscients que lorsqu’un vieux dit qu’il va te faire un médicament pour traiter ton mal, automatiquement, nous savons qu’il a été dans la brousse. Il a cherché des plantes. Il connait les plantes. C’est ça. Il a fait de la recherche pour l’avoir. Si ça concerne nos valeurs, nos cultures, automatiquement, nous savons d’où ça vient. Mais si ça concerne la recherche dans le système moderne, nous ne percevons pas cela pour boucler la chaine.

Franchement, que faites-vous pour faire connaître au Gouvernement les nombreuses recherches qui se font, chaque année, sur le campus par les enseignants et les étudiants à travers les soutenances de mémoires ou autres ?
Il a bien donné le mot. Qu’est-ce que je fais pour faire connaître ou même imposer aux autorités les recherches. C’est-à-dire que quelqu’un a faim et dit qu’il attend que le Gouvernement lui donne son salaire avant qu’il ne mange. La recherche est une chose culturelle. C’est ça le problème. Le président de la République sait que, pour développer tel ou tel produit et avoir une place dans le marché, il faut que je produise quelque chose. Même si je ne produis pas, à partir du néant, j’améliore quelque chose et même si je ne veux pas améliorer, il faut que j’améliore un procédé. Ça va de soi. J’étais aux Etats Unis la fois dernière à l’université du Missouri. Un professeur émérite qui me recevait et qui se chargeait de l’accueil et moi étions partis dîner. J’étais là quand le gouverneur de l’Etat de St Louis est arrivé. Là-bas, le gouverneur, c’est comme le président de la République. Mais il est venu s’asseoir et je dis ‘’mais comment un gouverneur peut venir et s’asseoir comme ça parmi tout le monde qui mange par-ci par-là ?’’. Mais là n’est pas l’histoire. Le professeur qui me recevait est allé saluer le gouverneur et ce dernier à son tour, en plein repas se lève et dit : « Professeur, en cette année, je double votre budget sur la recherche. C’est déjà décidé au niveau du conseil». Vous imaginez, doubler le budget de la recherche dans un pays comme les Etas Unis, ce n’est pas une mince affaire. Il est venu le dire parce qu’il sait ce que ça signifie. C’est pour dire qu’on n’a pas besoin de courir derrière l’Etat pour dire j’ai besoin de ci, j’ai besoin de ça. Non, c’est culturel. C’est logique qu’en disant Université et Lycée, les lycées répètent ce que les universitaires ont créé, les universitaires doivent obligatoirement faire de la recherche. Mais il y a deux choses. La première, c’est amorcer la recherche. Et l’amorce conduit à ce qu’on appelle la pratique technologique. C’est-à-dire, vous défendez une thèse. On a beaucoup de produits dans ces thèses qui font objet de publications, de fiches techniques. Mais ça reste dans les journaux, dans les publications, ou comme on le dit classiquement, ça reste dans les tiroirs. Le chercheur a accompli sa part d’étude. C’est le développement qui est ce maillon manquant de la chaine. Qui va financer ce que nous nous avons en miniature au laboratoire et l’envoyer à l’étape industrielle ? C’est ce qui nous manque en Afrique de manière générale. J’ai donné toujours un exemple que je répète partout. Le « acclui » (bouillie) maintenant peut être consommé comme du gari et conservé pendant des mois. Mais le collègue qui a mis cela au point, l’avait présenté comme une thèse. Il a stabilisé et bloqué la fermentation du maïs. Il a défendu sa thèse et fait les publications. Ce sont les instituts du Pays Bas qui ont dit ‘’mais non, vous dites que c’est un produit de grande consommation, un produit demandé. Pourquoi allons-nous nous arrêter à ce niveau ? Passons à l’autre étape !’’. Et ils ont construit la première unité industrielle de fabrication de « acclui ». C’est ça qui fait que maintenant on peut boire « acclui » à Paris, à Frankfort, ainsi de suite. Qui doit financer l’étape d’industrialisation qui dépasse largement les budgets de programmes de recherches classiques ? Dans notre rapport annuel, nous disions que l’effort est perçu à travers les publications, à travers les brevets qu’on peut obtenir. C’est cela qui montre la force de l’invention de chaque publication. C’est le premier indicateur. Le second, est-ce que nous pouvons passer à une grande échelle de production? Je vous donne l’exemple de mon laboratoire (Laboratoire d’écologie appliquée) où nous avons beaucoup travaillé sur le baobab. On s’est dit, tout le monde vient d’Europe, d’un peu partout pour voir ce que nous découvrons au niveau du baobab. Voilà que c’est un fruit qui a de la valeur. C’est même coté sur le marché européen. Qu’allons-nous faire ? Il faut passer de la cueillette cette fois-ci aux plantations du baobab. Et il faut préparer tout cela. Quand vous allez à Sékou, vous allez voir deux hectares et demi de plantations de baobab, à Dassari dans la zone nord, nous avons fait à peu près trois hectares là-bas sur la ferme d’un ami qui fait de l’élevage d’autruches. C’est pareil pour le tamarinier. Ce sont de grands sites. Or, normalement, quand nous parlons de parcelles expérimentales, c’est quelques ares. Cette fois-ci, nous parlons d’hectares pour l’université et à l’intérieur de l’université pour un laboratoire. C’est déjà largement suffisant pour que les opérateurs économiques qui peuvent en faire des jus ou carrément se lancer dans cette filière de commerce avec l’Europe, saisissent cette opportunité pour dire ‘’voilà nous allons pouvoir commencer à faire ceci et cela pour préparer les récoltes du futur’’. Voilà comment on peut passer de la publication de notre étude en laboratoire à l’échelle déjà beaucoup plus représentative de ce que quelqu’un peut venir voir et faire. Il y en a dans plusieurs domaines. Vous ne pouvez pas vous imaginer sur quelle mine d’or on repose à l’université avec tout ce qui a été inventé. Prenons même l’exemple du produit « assrokouin ». Vous savez, le Nigéria est un grand marché de consommateurs. On encadre des paysans et nous suivons rigoureusement comment ils doivent conduire telle ou telle plantation pour avoir les meilleurs produits. Si on avait formé des entrepreneurs, certains auraient saisi ce créneau pour reprendre le travail que fait le laboratoire des Nigérians qui arrivent pour encadrer et mieux encadrer les paysans à mieux conserver ou à mieux aménager les plantations.

Apparemment, l’Etat béninois n’est pas encore prêt pour accompagner la recherche
C’est ce que je viens de dire. Il ne faut plus simplement s’agenouiller et tendre la main à l’Etat. Il faut revoir comment nous allons générer davantage des ressources à l’interne. Comment aussi restreindre certains avantages et serrer la ceinture pour financer l’essentiel. Tout cela est dans la vision de donner davantage à la recherche pour qu’elle puisse jouer pleinement son rôle. La second chose, c’est que les grands budgets que nous sommes partis négocier ne sont pas pour développer les labos. Non ! Cette fois-ci, il faut convertir ces recherches en produits palpables à travers les incubateurs. Vous savez, la grande critique qu’on formule à l’endroit des universités est que nous formons des chômeurs. Depuis déjà deux ans, nous avons pris cela au sérieux. La première étape, c’est le volontariat. La seconde, ce sont les incubateurs. Cette fois-ci, nous allons former des entrepreneurs dans des incubateurs que nous propose un jeune américain depuis un an et demi. Il est notre expert et est d’ailleurs présentement au Bénin pour poursuivre son œuvre. Cette fois-ci, les apprenants qui ont les meilleures idées de projets de création d’entreprises seront formatés, assistés et accompagnés même à la sortie de l’incubateur. Ils vont doucement commencer à développer leurs industries qui nécessitent des budgets conséquents. C’est pourquoi, nous courons au niveau des grandes banques pour nous permettre d’accompagner ces porteurs de projets afin qu’ils soient plus visibles.

Quelles appréciations faites-vous de la politique béninoise ?
Je suis de l’avis du chancelier Bismarck qui disait à ses compatriotes allemands : « Ne soyez pas des hommes politiques qui, tôt, pensent à leurs enfants. Soyez des hommes d’Etat qui, tôt, pensent à leurs petits fils, à leurs arrières petits fils ». Disons que nous sommes dans un système qui est qualifié de démocratie qui est, pour moi, de la patate chaude qui nous a été filée après nos indépendances. La patate, ça veut dire que c’est bon. Mais, c’est chaud. Les vrais attributs de la démocratie ne nous ont pas été révélés. C’est la discipline, l’ordre, le civisme, le patriotisme, l’assiduité au travail. Ce sont les vraies valeurs structurantes de ce qu’on peut appeler une démocratie. Si vous n’avez pas la discipline, il n’y a pas l’ordre qui va avec, le sacrifice par le travail, le patriotisme, du civisme, des règles élémentaires et basiques sans lesquelles le développement et la satisfaction du citoyen ne seront pas au rendez-vous. Le système est exactement perçu par rapport au concept. Mais, qu’est-ce qui fait qu’on a un fétiche qui danse très bien au milieu de la foule ? Qu’a-t-on fait jusqu’à ce que vous le voyiez bien habillé en train de danser ? On ne cherche pas à le savoir. Je crois que c’est ce qui manque. Je pense que c’est à ce niveau qu’il faut qu’on travaille. Au-delà de ça, je pense que nous sommes dans un système où l’histoire est telle que nous n’avons de leçon que vis-à-vis des dirigeants. Le modèle que tout le monde suit, c’est quasiment le dirigeant. Si vous voulez, faites l’expérience. Malheureusement, bon nombre de dirigeants oublient qu’ils sont des modèles. Ils oublient que c’est leurs pas que nous suivons. Je vais dire que si cet oubli est associé à du désordre, ça conduit à un genre de chaos structuré. Je pense que chaque peuple mérite son régime politique. Quand je suis devenu vice-recteur en 2006, je ne criais jamais sur quelqu’un. Quand je te dis 8h, à 8h je suis là. C’est pareil à la tête du rectorat. Je ne suis pas l’homme qui crie sur un enseignant, qui crie sur un agent. C’est pourquoi, maintenant, tout le monde respecte les horaires. La ponctualité est devenue très essentielle au niveau de l’UAC. Il y a un certain nombre de valeurs que nous avons commencé à partager. Je me l’impose d’abord. Et je ne peux dire à quelqu’un, tu es un retardataire, si moi-même j’ai une pile de dossiers sur ma table, si moi-même je ne traite pas en temps réel les dossiers des collègues. Je ne peux faire que l’abus d’autorité pour aller taper l’autre alors que, moi-même, je suis quatre fois plus sale. Comment voulez-vous aller dire dans une salle qu’elle est sale si votre propre maison est une porcherie ?

Parler-nous un peu du harcèlement des étudiantes par les professeurs sur le campus ?
Il y a deux niveaux de harcèlement. Il y a des étudiants qui peuvent harceler les professeurs et vice versa. Ce qui veut dire que cela existe malheureusement sur notre campus. J’ai mis du temps pour en être informé. Le cas qui m’a paru le plus dramatique, malheureusement, la fille l’a caché. Elle a carrément abandonné les études à cause de cela. Mais moi je l’ai appris très tardivement. Le professeur a été rappelé à l’ordre et mis en garde. Dès que ça tombe dans mes oreilles, je vous l’ai dit, je ne vis pas avec des problèmes.  Je résous les problèmes. Je les résous à l’amiable mais dans la fermeté. Nos amitiés ne peuvent se consolider que lorsque nous avons de bonnes pratiques. Je suis ferme sur ce principe. Quand ça tombe dans mes oreilles, il n’y a rien à faire. Je ne connais pas de baobab. Ça arrive et c’est dommage. Mais c’est aussi un milieu humain. Nous sommes plus de 100.000 étudiants  pour à peu près 1031 enseignants. Donc, ça fait un gros village. Donc, vous ne pouvez pas manquer de voir ce qui se passe au sein de la société, dans une société aussi représentative.

Beaucoup de vos collègues ne sont pas venus chercher leurs lettres de félicitations
On peut dire qu’il y a un problème de communication au plan administratif. Est-ce que j’ai pu les joindre ? Nous envoyons seulement au niveau des établissements qui doivent informer les uns et les autres. Souvent, les enseignants concernés sont entre deux avions.

Vous pensez qu’il n’y a rien qui cloche ?
Mais non, c’est une lettre de félicitations. Donc, on vient prendre pour dire merci. Combien de fois les agents sont félicités ? On oublie souvent. Dès qu’il y a un mouvement du côté des apprenants et que c’est un mouvement pacifique, on le laisse faire. J’ai reçu un premier mouvement de protestation. Ils sont venus manifester, danser, crier dans les hauts parleurs. Je suis descendu, on a échangé, j’ai pris leur motion. Vous dites que le décret est faux et non applicable. Ce n’est pas le rectorat. Le président qui a signé est là. Vous devez lui demander qui a falsifié sa signature ? Si vous n’êtes pas satisfaits, c’est la Cour suprême qui gère ces problèmes. Vous critiquez l’arrêté du ministre. Le ministre qui a signé l’arrêté est là. Allez le voir ! Une fois que c’est signé, le recteur applique, il n’y a rien à faire. C’est ainsi qu’une République se gère dans la discipline.

Vous autorisez l’entrée des forces publiques à l’université ?
Systématiquement ! Dès que vous débordez vos limites de franchises universitaires, quelle est la force d’un recteur pour arrêter les jets de pierres ? Quelle est la force d’un recteur pour arrêter ceux qui sortent des gourdins pour dire qu’ils veulent taper l’autre parce qu’il va au cours ? Quelle est ma force ?

Cela coûte combien pour l’université ?
Ça dépend du nombre d’agents que je reçois. Par exemple, si ça devient extrêmement chaud comme on le dit, on demande suffisamment de renforts. Quand c’est de la distraction, on dit, faites un tour pour dissuader.

Il n’y a pas de zèle dans les rangs des forces de l’ordre ?
Il faut vous dire que l’université est représentative de notre société. Il y a ceux qui sont bien formés et qui font leur travail avec art. Combien de policiers savent réellement comment on maîtrise une foule ? Ce sont des étudiants qui ont même évolué et qui sont devenus officiers. Je demande souvent aux étudiants s’ils pensent que ceux-là sont tombés du ciel. Bon nombre ont pris par ici. C’est le devoir, leur mission de venir mettre de l’ordre. Il y aura toujours des débordements, il y aura excès de zèle et ce n’est pas seulement ici. Aux Etats-Unis, en Europe, lorsque vous déployez quelques-uns sur le terrain, certains interprètent déjà le seul fait d’être en treillis comme une primauté sur les autres citoyens. C’est à nous d’avoir des comportements dignes et responsables qui feront que les forces de l’ordre n’auraient rien à faire à l’Université. C’est donc par la faute des étudiants mêmes que nous sommes obligés au rectorat de faire appel aux forces de l’ordre.

Il y a un de vos prédécesseurs qui a dit qu’il a dirigé sans que les forces de l’ordre ne mettent pieds dans l’université
On dit, autres temps autres mœurs. En ce temps, si les étudiants étaient si calmes pourquoi il faut faire venir les forces de l’ordre. Ils ne sont même pas contents quand on leur dit de venir sur le campus. Des injures, des jets de pierres. Même si on ne leur lance rien, ce n’est pas à l’université que les mots manquent. Ce sont les étudiants qui nous poussent à cela.

Carte d’identité: Intellectuel et autodidacteBrice SINSIN

A 55 ans, le professeur Brice Sinsin peut se définir comme un self-made man. Il quitte  ses parents déjà à l’âge de sept ans  pour suivre un tuteur, le mari à sa sœur aînée. « Je vivais seul avec lui et il fallait me prendre en charge, » dit-il. Il a été contraint de se prendre en charge très tôt. Certificat d’études primaires à l’école du quartier Hountondji à Abomey, BEPC au Collège d’enseignement général 1 d’Abomey et Bac D au Lycée Houffon de la même ville. Il s’envole pour l’université libre de Bruxelles en Belgique pour des études d’agronomie. Il a toujours aimé les sciences. En terminale, se rappelle-t-il encore, bon nombre de ses camarades qui, comme lui, aimaient les mathématiques, avaient choisi la médecine. «Je suis allé en agronomie sans savoir ce qu’est l’agronomie », dit-il. Alors que l’un de ses enseignants le sollicitait pour un domaine bien connu comme la génétique, c’est vers une science neuve, la foresterie, qu’il s’oriente sans en savoir grand-chose. Son diplôme d’ingénieur en poche, il soutient un doctorat sur l’écologie des pâturages. C’était le 04 février 1993. «J’adorais la faune sauvage…Mais j’étais choqué par le fait que les éleveurs étaient les plus persécutés dans les aires protégées. Je ne comprenais pas pourquoi on les réprimandait ». Sa thèse sera alors le résultat d’une longue attention accordée à une famille d’éleveurs nomades qu’il suit depuis Banikoara jusqu’au Nord-Niger. Recruté à l’Université nationale du Bénin, Brice Sinsin crée un laboratoire scientifique qui s’occupe des questions d’écologie et d’environnement, et fonde plus tard le département d’aménagement et de gestion de l’environnement de la Faculté des sciences agronomiques. Ce fut un tremplin qui lui permit d’approfondir ses recherches en foresterie. Il a publié un livre fondateur, La Flore du Bénin, encore considéré comme un classique en matière d’études forestières. L’étude débouche sur la mise en place de l’herbier national où sont stockées 2.811 plantes spécimens. Dans un autre ouvrage qu’il a publié quelques temps après, on peut retrouver tous les noms des espèces de plantes que nous avons au Bénin, mais aussi avec une clé de détermination. Il gravit très vite les échelons. En 2005, il est passé professeur titulaire en foresterie. Vice-recteur  en 2006, il est recteur depuis 2011. « Ce pays a besoin de travailler. Mon expérience à l’UAC a montré qu’on peut redresser toutes nos structures », assure-t-il avant d’ajouter : « Travaillons, travaillons, travaillons jusqu’à ce que mort s’en suive ».

Intimité: Un « mange-tout »

Avec seulement deux garçons, le recteur a une vie de famille plutôt rangée. « J’en voulais, moi, un seul quand les parents ont commencé par m’assommer et j’ai fait le second », dit-il, pour indiquer qu’il n’a jamais voulu d’une famille nombreuse. Ayant parcouru presque toutes les brousses d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, il avoue avoir mangé de tout : chenilles, vers, serpents… « La seule chose que je n’ai pas pu manger est la viande du singe », dit-il. A table, le professeur ne dédaigne ni le vin rouge ni le sodabi qu’il prend d’ailleurs lors de ses pérégrinations dans les villages.

La Rédaction

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