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Le triomphe de la vérité

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Bio Tchané invité par RFI et Jeune Afrique: « Après 2016, Yayi pourra aller et venir en toute liberté »


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Bio TchanéAbdoulaye Bio Tchané a été le samedi 06 décembre le grand invité de l’émission ‘’Echos d’ici Echos d’ailleurs’’ de Radio France Internationale en collaboration avec l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique. Lors de cette émission mensuelle qui reçoit de grands noms de l’économie et de la finance africaine, Bio Tchané a évoqué presque tous les grands sujets économiques du moment. Il  a laissé entendre que la croissance économique en Afrique ne permet pas encore de réduire la pauvreté. Il a alors proposé des pistes pour lutter efficacement contre ce phénomène, notamment, en s’attaquant au péril du chômage des jeunes considéré, de son point de vue, comme un grave danger pour nos pays. Il propose, non seulement,  que le pays encourage ses investisseurs nationaux à y investir mais aussi et surtout qu’il se tourne résolument vers le Nigeria. Proposition concrète : inciter les opérateurs économiques à investir dans l’énergie afin d’exporter le surplus vers notre grand voisin de l’Est. Sur le plan politique, le président de l’Alliance ABT souligne que la démocratie béninoise s’honorera   d’un Boni Yayi ancien président de la République, comme trois de ses prédécesseurs qui sont heureux de vivre dans un pays   de démocratie et de liberté.

RFI-Jeune Afrique : Abdoulaye Bio Tchané, vous êtes Béninois, économiste, vous avez été ministre sous la présidence de Mathieu Kérékou. Entre 1998 et 2002, vous avez détenu le portefeuille de l’économie et des finances. Et puis, vous avez passé les six années suivantes au FMI pour y diriger le département Afrique. Entre 2008 et 2011, vous avez présidé aux destinées de la Banque Ouest-africaine de Développement (BOAD). Aujourd’hui, vous présidez le Fonds africain de garantie auprès de la Banque africaine de Développement. On a envie de vous demander si vous n’êtes pas embêté d’être à la tête de cette institution.

Abdoulaye Bio Tchané : Je remercie Jeune Afrique et RFI de m’inviter à cette émission. Je voudrais saluer tous les auditeurs. Quand vous parlez de moi, j’ai l’impression de vivre au passé. Je préside comme vous le dites le Fonds africain de garantie qui est une institution panafricaine importante pour les PME, notamment. Mais, je fais autre chose. J’ai surtout un cabinet de conseil qui s’appelle Alindaou Consulting International qui fait du conseil à quelques entreprises, mais aussi à quelques gouvernements africains qui veulent encore écouter quelques conseils sur la gestion macroéconomique, les questions institutionnelles, mais aussi des conseils à des grandes entreprises internationales qui veulent   venir sur le continent.

J’ai précisé tout à l’heure que vous avez été ministre des finances. J’ai omis de préciser que vous vous êtes lancé dans la vie politique. En 2011, vous avez fait le choix d’une carrière politique. Où est-ce qu’on est le plus efficace, dans la vie publique ou dans l’économie privée ?
J’allais dire « les deux ». J’ai été dans le public pendant très  longtemps. J’ai pris plaisir à faire beaucoup de choses,  notamment, au Gouvernement, ensuite au Fonds monétaire international et enfin à la Banque ouest-africaine de développement. A chacun de ces postes, j’ai vu quelle différence vous pouvez apporter aux individus, aux ménages et aux Gouvernements. Aujourd’hui, je sais ce qu’un Gouvernement peut apporter. En tant que dirigeant d’entreprise, je sais ce que vous pouvez apporter dans la vie des autres, par l’exemplarité de ce que vous pouvez faire, par les conseils que vous pouvez apporter aussi bien à des entreprises qu’à des institutions. Peut-être que si j’avais commencé cette carrière un peu plus tôt dans le privé, j’aurais apporté un peu plus de différences dans la vie des gens.

Le privé est-il plus utile, plus efficace, plus porteur que le public ?
Le privé est certainement plus porteur de changements, plus porteur de modifications et d’amélioration des conditions de vie des  gens. Aujourd’hui, il n’y a aucun doute que c’est là qu’il faut que nos Etats avancent en lui donnant un peu plus de places aussi bien dans la mise en œuvre des programmes que dans les financements.  Quand vous regardez  même dans les pays développés, les financements les plus importants viennent du secteur privé.

Est-ce le cas au Bénin ?
Ce n’est pas encore le cas au Bénin, pour des raisons dont nous pourrons discuter un peu plus tard. Parce que, vous savez, il y a un aspect très important lorsque vous parlez du secteur privé, c’est la confiance. Il faut de la confiance pour que le secteur privé investisse, il faut de la confiance pour que les financements privés viennent dans un pays ou dans un autre.

Parlant du climat des affaires, si on regarde ce qui se passe un peu en Afrique aujourd’hui, on a l’impression qu’il y a un dynamisme économique dans beaucoup de pays. On a l’impression qu’au Bénin, les entrepreneurs ont plutôt tendance à se replier sur eux-mêmes, à rester dans le secteur informel.   Est-ce que vous partagez ce point de vue, et comment expliquez-vous que le Bénin manque un peu de ce dynamisme du secteur privé ?
D’abord, pour appuyer ce constat général que vous faites, il faut soutenir l’idée qu’il se passe beaucoup de choses en Afrique aujourd’hui. Dans presque toutes  les sous-régions, je le vois dans tous mes déplacements, il y a un engouement évident pour les investissements en Afrique. Et vous le constatez dans les chiffres des investissements directs étrangers, notamment. Maintenant, à l’intérieur de ce continent, il y a deux groupes. Il y a les pays qui arrivent à attirer les investissements directs étrangers et d’importants investissements locaux. Les investissements, c’est d’abord et avant tout les investissements des Africains chez eux et puis les investissements directs étrangers. Il y a des pays qui arrivent à attirer ces investissements.

Est-ce que le Bénin y arrive ?
Deuxièmement, il y a des pays qui n’arrivent pas à attirer ces investissements. Et parmi ces pays, il y a  malheureusement le Bénin.

Pourquoi ?
Je l’ai dit tout à l’heure, il y a une question de confiance. D’abord,     dans les infrastructures qui doivent attirer les investissements les plus importants, il faut  un cadre légal. Ce cadre légal et réglementaire n’existe pas encore au Bénin, notamment pour les partenariats public-privé qui sont ceux qui attirent le plus d’investissements aujourd’hui dans les pays africains. Deuxièmement, même s’il avait existé, il y a un aspect beaucoup plus important qui est la capacité du Gouvernement et du pays à donner confiance à ces investisseurs qu’une fois qu’ils auraient investi, ils pourraient espérer un retour sur investissement important, sans intervention de l’Etat et des autorités publiques. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Est-ce que les investisseurs béninois eux-mêmes ont confiance dans leur propre pays ?
C’est pour cela que je vous dis que quand on parle d’investissement, il s’agit des investissements locaux, donc des Béninois en l’occurrence, que des investissements étrangers. On peut faire toutes les politiques que vous voulez pour que les investisseurs étrangers viennent, si les investisseurs locaux ne sont pas à l’aise, vous ne les verrez pas. Pourquoi ? Parce que quand je suis étranger et que je vais dans un pays en tant qu’investisseur, je veux savoir d’abord si ceux qui ont déjà investi dans ce pays sont contents des investissements qu’ils font. Est-ce que les hommes d’affaires béninois qui investissent dans l’économie  béninoise sont suffisamment contents de ces investissements qu’ils font ? Ce n’est manifestement pas le cas, notamment, pour les plus  importants. Je veux dire encore une fois que c’est très important de faire une place et une place importante aux investisseurs, en particulier aux investisseurs privés nationaux. C’est leur succès, c’est la confiance qu’ils ont dans l’économie de leur pays et dans l’économie de la sous-région qui peut garantir aux investisseurs de la sous-région qu’il y a une place pour eux également dans ce pays.

Il y a une affaire qui a défrayé la chronique dans ce pays, c’est l’affaire Talon. Il y a quelque mois, le Bénin a été condamné par la justice à 129 milliards de FCFA dans cette affaire. Est-ce que vous avez l’impression qu’elle participe du mauvais climat des affaires ?
Vous avez raison. N’en  faisons pas une affaire générale. L’affaire générale, c’est le traitement du secteur privé par le Gouvernement, l’environnement et le climat général des affaires qui n’est évidemment pas porteur. Premièrement, vous constaterez qu’il y a des arriérés de paiement importants vis-à-vis du secteur privé. C’est une entrave pour le développement de ce secteur. Deuxièmement, c’est une entrave au bon fonctionnement des banques. Vous verrez que la plupart des banques béninoises ont un niveau relativement élevé de créances malsaines. Ça participe de cela. Vous interrogerez les banques béninoises sur leur capacité à accorder des prêts au secteur privé, et elles vous diront qu’elles n’y iront pas. Troisièmement, vous noterez que beaucoup de ces entreprises, notamment, les plus importantes, se plaignent de harcèlement fiscal. Tout cela participe d’un climat qui n’est pas porteur et qui ne rassure pas les investisseurs potentiels. Evidemment, s’y ajoutent d’autres éléments qui empêchent les investisseurs de venir. Je prends, par exemple, la qualité de l’énergie électrique au Bénin qui n’est pas suffisamment importante. Le déficit énergétique est tel que quelqu’un qui a envie d’investir et qui a besoin d’énergie, vous dira qu’il ne peut pas, pour l’instant, venir au Bénin.

De ce que vous dites, on a l’impression que l’économie béninoise n’est pas en très bon état. Tous ces handicaps que vous énumérez coûtent-ils des points de croissance à l’économie béninoise ?
Il est évident que si tout cela était corrigé, si vous aviez un environnement des affaires plus porteur, si vous aviez une qualité et un volume d’énergie plus satisfaisant, si vous aviez un cadre légal et réglementaire plus porteur, si vous aviez une confiance des investisseurs nationaux  en leur économie, vous aurez un taux de croissance beaucoup plus élevé. Un indicateur : comparez le taux de croissance    du Nigeria à celui du Bénin, et vous verrez le gap qu’il y a là et qui est un  indicateur de ce que vous dites.

Malgré ce que vous dites, le Bénin affiche un taux de croissance de 5%. Pour beaucoup de pays dans le monde, ce serait une croissance insolente. Pourtant la pauvreté continue de frapper beaucoup de gens dans le pays. Cette configuration croissance et pauvreté concerne tout le continent. C’est ce que disait récemment l’économiste Ralph Staiger, coordonnateur d’un rapport de la CNUCED. Quelle réaction cela vous inspire ?
C’est un constat général qui est juste et qu’il faut nuancer tout simplement  par le fait qu’il y a deux groupes de pays en Afrique. Il y a les pays qui affichent des taux de croissance beaucoup plus élevés ou relativement insolents et qui ne sont pas dans cette catégorie dont il vient de parler. Mais il y a beaucoup d’autres pays qui sont dans cette catégorie, et notamment le Bénin, qui ont un taux de croissance qui, dans le contexte actuel, peut paraître relativement élevé mais qui par rapport aux besoins du pays, reste relativement insuffisant. Quand  vous parlez d’un taux de croissance de 5%, rappelez-vous que nous parlions déjà, il y a quelques années, de la nécessité d’avoir, pour ces pays-là, au moins un taux de croissance de 7%, uniquement pour arriver à réduire la pauvreté. Quand vous regardez le niveau de pauvreté au Bénin, vous avez un taux de 47%. C’est-à-dire qu’il y a 47% des Béninois qui vivent en-deçà du seuil de pauvreté indiqué par la communauté internationale. Cela vient de ce que pendant de nombreuses années, bien que vous ayez un taux de croissance qui paraît relativement élevé, vous avez un taux de croissance de la population qui est de l’ordre de 3%. Quand vous faites le décompte de cette différence entre le taux de croissance réelle et le taux de croissance de la population, vous arrivez à un taux de croissance par habitant qui est parfois négatif. C’est-à-dire que vous avez une baisse de la production. Les classes les plus élevées voient leurs rémunérations qui s’accroissent beaucoup plus vite que celles de la population qui est en bas. Vous avez donc la population la plus pauvre qui voit sa part baisser et dont le nombre s’accroit pendant que vous avez les gens les plus riches qui accroissent leur niveau d’enrichissement. Le taux de croissance reste insuffisant pour arriver à casser ce phénomène.

Est-ce qu’on n’est pas trop bloqué sur ces taux de croissance, sans regarder les transformations de l’économie ?
Il y  a deux choses. La première, c’est que la croissance africaine a changé. C’est vrai que dans les années 2004-2007, la croissance africaine était beaucoup plus basée sur les matières premières, notamment, le pétrole. Pour vous donner une indication, entre 2004 et 2007, 25% de la croissance économique africaine étaient basées sur les matières premières. C’est un fait. Mais depuis, cette tendance s’est inversée. Donc, la croissance aujourd’hui, depuis 2007, est davantage basée sur les autres secteurs. Pour preuve, la contribution des mines et du pétrole a baissé dans l’ordre de 10-11% dans la croissance. Les autres secteurs, et vous le voyez dans une grande économie comme le Nigeria, c’est l’agriculture, c’est les télécommunications, c’est le commerce et l’industrie. C’est vrai que nous avons besoin d’aller vers une plus grande valorisation de nos matières premières, une plus grande valorisation de l’agriculture, et vous le voyez déjà dans un pays comme le Nigeria. Maintenant, il faut que nous mettions davantage l’accent sur la distribution et les secteurs qui créent les emplois,  dans le même temps que nous changeons cette structure et cette valorisation de nos matières premières et de nos productions. Parce que là, c’est le défi majeur qui est le défi africain aujourd’hui : comment faire pour que la croissance induise davantage d’emplois, et notamment des emplois pour les jeunes.

Il y a un secteur qui est porteur d’emplois, aujourd’hui, c’est l’agriculture. Mais à voir l’effondrement des cours du coton, est-ce que ce n’est pas dangereux de tout miser sur l’agriculture ?  
C’est dangereux. Il faut avoir une économie diversifiée. Ce n’est pas tout à fait encore le cas au Bénin. Mais quand vous voyez la distribution du produit intérieur brut au Bénin, vous voyez qu’on n’est pas  trop loin.  La production agricole, c’est 25 à 30% du PIB. Ce qu’il faut pour l’agriculture, c’est d’accroitre les rendements, et nous en avons parlé récemment, mes amis politiques et moi. Le coton en est un très bon exemple. Quand les pays africains ont fait un combat à l’OMC, il y a quelques années sur les prix du coton, c’était un combat noble. Mais en même temps, c’était un combat qui, s’il  avait été gagné à long terme, ne nous aurait pas profité beaucoup parce que les rendements du coton, notamment, au Bénin, restent dérisoires.

La révolution burkinabè est-elle emblématique des problèmes économiques de l’Afrique ?
Oui et non. C’est la conséquence des difficultés économiques que nous connaissons un peu partout en Afrique. Vous savez, l’emploi des jeunes est une préoccupation sociale. C’est également une préoccupation économique. Mais, aujourd’hui elle est devenue une question de sécurité nationale.

Qu’entendez-vous par sécurité nationale ?
70% des chômeurs en Afrique sont des jeunes. Non seulement, ils sont 70%, mais ils n’ont pas de perspectives à court terme d’avoir un emploi. Vous avez au Bénin, des jeunes diplômés, Bac plus trois, Bac plus six, qui sont à la maison depuis dix ans. J’ai reçu un courrier il y a quelque temps dans mon  e-mail,  de quelqu’un qui me disait : « Ecoutez, monsieur le Président, je vous écris parce que je suis désespéré. Je suis à la maison depuis dix ans, j’ai un Bac plus six. Je suis marié et père d’un enfant. Tout ce que je vous demande, c’est de m’aider à avoir un emploi. » La conséquence, c’est que beaucoup de ces jeunes sont désespérés et sont là exposés à toutes sortes de risques. C’est le terreau à tout ce que nous voyons de bon, mais aussi de mauvais. La deuxième conséquence, c’est l’aspiration des jeunes, mais aussi de la population à un peu plus de démocratie. Et cette démocratie-là, elle est universelle. Je veux dire qu’elle n’est pas seulement européenne, américaine ou asiatique. Elle est aussi africaine. Les gens veulent avoir un espace de liberté. Je crois que c’est ce message qu’il faut comprendre. Oui, il nous faut un développement économique. Dans un pays comme le Bénin où nous avons une démocratie en place depuis des années, les jeunes se demandent quel en est le dividende économique. Ils veulent avoir les dividendes de cette démocratie. Et ce dividende commence par l’emploi. C’est pour cela qu’il faut que nous comprenions qu’avec la masse de ces jeunes qui attendent, avec l’absence de perspective qui est là, c’est un danger sécuritaire pour l’ensemble de nos pays.

Est-ce que cela veut dire que, selon vous, ce qui s’est passé au Burkina-Faso peut se reproduire ailleurs au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Sénégal parce qu’ils veulent des emplois, parce que la croissance ne se mange pas?
Oui et non. Oui, parce que le phénomène que je décris est partout. Il y a un Think tank américain (une de ces institutions qui surveillent la démocratisation dans les pays africains et qui réfléchissent sur ces questions), qui a documenté il n’y a pas longtemps,  comment sont constituées les troupes des différents mouvements djihadistes. Cette institution est arrivée à la conclusion que 40% de ces combattants étaient des jeunes qui étaient à la quête de revenus.

Aqmi ou Boko Haram, est-ce la conséquence du désœuvrement des jeunes ?
Absolument. Deuxièmement, c’est un fait qu’il y a une aspiration réelle à une plus grande démocratisation de nos pays. C’est un fait que les gens veulent une alternance. Evidemment, derrière ce principe qui est affirmé, il y a des rythmes différents d’un pays à un autre.  Dans mon pays le Bénin, il y a eu depuis 1990 plusieurs alternances. Nous avons au Bénin trois anciens chefs d’Etat qui vivent dans le pays en toute liberté, qui vont et qui viennent. J’espère que bientôt il y en aura un quatrième qui pourra aller et venir en toute liberté. C’est ce que les gens veulent. Tant que derrière cela il n’y a pas des fruits économiques de cette démocratisation, tant que ces fruits ne sont pas distribués aux populations, notamment, sous la forme d’emplois durables pour les jeunes, il y aura des difficultés dans un certain nombre de pays.

Vous, vous êtes un ancien du FMI. Lorsque Jean-Baptiste Le Hen,  le représentant résident du FMI au Burkina Faso dit que son institution n’oblige pas le pays à adopter son programme, on sent quand même que le nouveau pouvoir burkinabè n’a pas vraiment le choix.
Oui, le Fonds Monétaire International a beaucoup de pouvoir dans les pays africains. Mais en dernier ressort, les Gouvernements ont la latitude d’accepter ou non de mettre en œuvre telle ou telle mesure. Ce qu’il est important de savoir, c’est que nous devrons nous engager dans des réformes, quel que soit le régime. Le Burkina a connu des succès par le passé, mais il ne faut pas dormir sur ses lauriers. Nous devrons attirer davantage d’investisseurs étrangers, accroitre les investissements locaux. C’est par des réformes qu’on pourra y arriver, notamment, dans des secteurs aussi importants que l’énergie.

Quel genre de réformes appelez-vous de vos vœux ?
Il faut distribuer davantage de revenus tirés des ressources minières, notamment aux communautés vivant dans ces régions.  Il faut dégager davantage d’emplois. Le Burkina est un cas important où le chômage, notamment, parmi les jeunes, est élevé. Les réformes qu’il faut, ce sont celles qui permettent à l’Etat de générer des ressources plus importantes. Ce sont les réformes dans des secteurs aussi importants que l’agriculture pour que le pays soit moins exposé aux cours internationaux du coton avec des rendements beaucoup plus élevés. Il faut poursuivre les réformes qui introduisent un peu plus de flexibilité dans l’économie lorsque vous êtes exposés à des chocs externes du genre de ceux qu’on connaît sur les prix de l’or, sur les prix du coton, et sur les autres matières premières.

Quand on voit que depuis quelques années, les prix des matières premières sont en très forte baisse, est-ce que vous n’avez pas d’inquiétude sur le financement de ces réformes et de ces grands projets ?
Oui, je suis inquiet de constater que les prix du coton, du pétrole et d’autres matières premières  baissent dans le contexte que nous connaissons où les Etats ont besoin davantage de ressources. Mais, en même temps, je veux souligner qu’aujourd’hui, en 2014, les investissements en infrastructures, qui sont les plus importants    pour le développement économique et social de nos pays, dépendent davantage du secteur privé que du secteur public. Aujourd’hui, que ce soit dans nos pays ou dans les pays plus développés, vous avez trois types d’investisseurs. Il y a des investissements publics qui sont d’origine budgétaire, des investissements en partenariat public-privé, et des investissements de plus en plus nombreux dans le secteur privé. Dans le secteur de l’énergie  en Côte d’Ivoire, les plus gros investissements ont été réalisés depuis les années 1990 essentiellement par le secteur privé, en partenariat public privé. C’est pour cela que c’est important d’avoir ce cadre légal et  réglementaire, mais aussi ce cadre de confiance. Depuis 1990, le gouvernement ivoirien n’a mis fin à aucun des contrats qui ont été signés dans ce pays, malgré les différentes alternances qu’il y  a eu. Cela a commencé sous le régime de feu Houphouët-Boigny et le premier ministre Allassane Ouattara qui a introduit ces réformes. Elles se sont poursuivies avec les autres Gouvernements. Depuis, la Côte d’Ivoire est l’un des rares pays de la sous-région  à bénéficier de la stabilité en disponibilité d’énergie. Les volumes de ressources qui peuvent être dégagés et investis par le secteur privé, directement ou en partenariat public-privé, sont  beaucoup plus élevés que ce que n’importe lequel de nos Etats est en mesure de mettre sur la table.  Et c’est pour cela qu’il faut créer le cadre légal et réglementaire. Cela commence bien sûr par la gouvernance publique et la qualité des institutions. C’est pour cela que je suis d’accord avec ceux qui pensent qu’en Afrique, il faut des institutions fortes. Ces institutions, ce sont des institutions politiques, mais aussi des institutions économiques, une banque centrale crédible, un processus budgétaire crédible. Voilà les conditions qui sont indispensables pour qu’on puisse financer les investissements, notamment en infrastructures.

Qu’est-ce qui fait que le Bénin n’arrive pas à s’accrocher à son grand voisin de l’Est, le Nigeria ?
Il y a les différences de politiques. Il y a les différences d’approches. Il y a certaines contraintes. La monnaie, les populations vous diront qu’elles sont parvenues à franchir cette différence.

Le FCFA n’est pas un obstacle au développement ?
Le CFA  n’est pas un obstacle comme le Naira n’est pas un obstacle. Les Nigerians viennent acheter des vivres au Bénin avec leurs Naïras sans difficulté. Les réexportateurs béninois revendent leurs  importations aux Nigérians sans difficulté.  L’intégration informelle existe. Elle a besoin d’être, pour le Bénin, mieux structurée. Le Bénin a besoin de regarder davantage vers le Nigeria.

Ce sont les opérateurs privés qui développement leurs échanges avec le Nigeria. Apparemment les pouvoirs publics ne suivent pas le mouvement.
Les pouvoirs publics ont besoin d’être proactifs. Il ne suffit pas de faire des déclarations  d’intention pour dire que les deux pays doivent s’arrimer ou que le Bénin est un des Etats du Nigeria, pour que cela se fasse automatiquement. Il y a de vrais sujets de coopération entre les deux pays. Moi, je vous dis que la voie royale pour le développement du Bénin, c’est dans les relations économiques et sociales  avec le Nigeria.

Est-ce que vous pouvez donner quelques exemples de ce qui pourrait être fait ?
Un exemple à l’industrialisation et à la construction d’une économie plus performante au Bénin et au Nigeria, c’est l’énergie. Aujourd’hui, le Bénin se positionne comme un importateur d’énergie du Nigeria. Nous savons, vous et moi, que le Nigeria a de très importants problèmes structurels en matière énergétique. Pour moi, l’approche énergétique entre le Bénin et le Nigeria, c’est que le Béninois soit un exportateur d’énergie sur le Nigeria. Vous voyez la différence d’approche ? Je ne me positionne pas comme un importateur d’énergie à prix subventionné du Nigeria, mais au contraire, je positionne le Bénin comme un exportateur d’énergie sur le Nigeria.

C’est un peu le monde à l’envers…
C’est le monde à l’envers mais c’est cette voie qui est possible. Ce n’est pas le gouvernement béninois qui produit l’énergie, dans ces conditions-là. C’est le secteur privé béninois qui produit l’énergie et qui la revend au secteur privé et au secteur public, éventuellement, du Nigeria.

En juin dernier, les bailleurs de fonds ont accordé huit milliards d’Euro au Bénin. Est-ce que là-dedans il y a des  projets d’infrastructures qui concernent le Nigeria ?
D’abord, ramenons les choses à leur véritable dimension. C’était une table ronde sur le Bénin. Croyez-moi, j’en ai fait des dizaines quand j’étais directeur Afrique du Fonds Monétaire International et plus tard à la BOAD. Les tables rondes sont des déclarations d’intention qui n’engagent personne. Ce sont des promesses de financement.   Après vous avez une deuxième étape, parce que sur ces promesses qui sont sur une liste de projets, vous avez maintenant à réaliser des études sur ces projets et à  les présenter à ces bailleurs de  fonds qui, en ce moment, saisiront leurs différents organes. Lorsqu’une institution comme l’AFD, par exemple, arrive à la table ronde du Bénin, et dit qu’elle est prête à s’engager  sur tel projet d’environ un milliard d’euros, c’est sans la décision des organes de l’AFD. Les organes de l’AFD s’engageront sur ce projet et diront qu’ils donneront un milliard lorsque les Béninois auront produit une étude au Conseil d’administration de l’AFD. En ce moment-là, vous avez un engagement. C’est la deuxième étape. Troisième étape, vous allez maintenant constituer les dossiers qui permettent  de décaisser les fonds pour le projet. Donc, entre la table ronde qui fait des promesses et la réalisation des projets, il peut s’écouler des années.

Propos recueillis par
Jean-Pierre Boris de RFI et
Frédéric Maury de Jeune Afrique

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