.
.

Le triomphe de la vérité

.

Dossier spécial Gnonnas Pedro, 10 ans après: Retour sur la mémoire d’une légende sacrifiée


Visits: 60

Il a été une des forces et valeurs captivantes de la musique béninoise. Décédé le 12 août 2004, il y a exactement dix ans, ce mardi 12 août, que Gnonnas Pedro a déposé le tablier de la vie. Auteur-compositeur, le salsero a fait la fierté du Bénin sous d’autres cieux. Mais qu’est-ce qui est en train d’être fait pour honorer sa mémoire?  C’est une question qui trouve pleinement sa réponse au musée Gnonnas Pedro sis à Lokossa.

Un tour dans la ville de Lokossa, précisément au musée Gnonnas Pedro, et le constat est désolant et affligeant. Une grande maison au portail ocre, clôture jaune mordue par d’épaisses couches de moisissures et de hautes herbes, vous accueille. Une construction pratiquement inhabitée qui offre a tout venant une vieillesse déconcertante. C’est la maison de l’ancien arrangeur et membre du groupe Africando, feu Gnonnas Pédro. De son vivant, la vedette l’a construite pour y passer des séjours tranquilles. Mais elle a été transformée en musée depuis que le salero a quitté ce monde. C’est en réalité dans les murs de cette concession qu’on retrouve encore les traces marquantes de l’existence de l’icône. Et pourquoi le chanteur a-t-il choisi construire à Lokossa ? La réponse de celui qui est appelé à faire découvrir cet univers à la fois lugubre, mythique et poignant : « Il était très attaché à sa ville natale », a repliqué Laurent Mondoukpè, dit Lorenzo, l’homme de main de l’artiste qui se dit ‘’fils adoptif et bras droit du maestro’’.
A l’intérieur de la maison, c’est le silence radio. Un vent frais et calme distille l’arôme des herbes sauvages. Sur la véranda, un géant portrait décoloré par la poussière. C’est le maestro. « Il a fait cette vue en 1966 à la sortie de son premier album sur lequel il a chanté ‘’Djédjéviyinlo toblo’’ (une berceuse en langue mina : ‘’ Petit enfant, ne pleure plus, la nuit peut t’arracher ta voix, ne pleure plus’’). Ce portrait avait été réalisé par feu Joseph Kpobly », a rappelé Laurent Mondoukpè. ‘’C’est la chambre qu’habitait le maestro chaque fois qu’il faisait un tour chez lui’’. Dans le salon, une odeur chargée d’un passé en ruine. Un vieux matelas à même le sol et un saxophone déteint retiennent l’attention. De grands tableaux d’affichage fixés au mur portent un nombre important de vieilles photos. L’ensemble des images retrace dans une parfaite confusion le parcours de l’artiste. Un gramophone et un électrophone superposés gisent dans une épaisse couche de poussière. Une étagère chargée de cassettes traine non loin. La mallette d’une guitare repose derrière une armoire hermétiquement fermée. Sur un buffet, un saxophone et, dans un désordre indescriptible, des objets d’art et un magnétophone. Au pied du mur juste à l’entrée de la chambre à costume de la star, se trouve le portrait de sa mère.
A l’intérieur de la chambre à costume, un semblant de soin s’offre aux regards. Les différentes distinctions de la vedette sont rangées d’un côté, ses godasses d’un autre puis ses costumes de scène couverts de toiles cirées accrochés les uns derrière les autres à des porte-manteaux. Sur le mur, sont accrochés quelques-uns de ses chapeaux, couverts de poussière, dont le fameux sombrero mexicain qui rappelle la brillante aventure avec le groupe panafricain Africando. A observer de près, on se souvient, comme si c’était hier, de chacun des clips dans lesquels le vénérable salsero a porté ces vêtements, surtout avec les explications de Lorenzo qui, pour le moins qu’on puisse dire, reste la mémoire vivante du maestro. A la sortie de la chambre principale, un petit jardin parsemé de fleurs. Il semble plus ou moins bien entretenu. Gnonnas Pédro repose à cet endroit. Une pierre tombale soigneusement carrelée achève le décor. Là-dessus on peut admirer un portrait de la vedette altéré par la poussière, un siège en fer, une lanterne bleue, des couronnes de fleurs, une petite caisse en terre cuite, deux objets d’art et l’inscription ‘’Ici repose Gnonnas Pedro décédé le 12 août 2004 dans sa 61ème année’’.
Il fallait faire un saut dans le cadre d’à côté pour découvrir le monde de rêve de Gnonnas Pedro. Malgré l’odeur suffocante et le chaos qui embrassent tout visiteur, c’est un endroit dont le dispositif retrace dans ses moindres détails tout un rêve à peine réalisé. Un grand espace peint en noir dénommé ‘’Podium du soir au village’’ avec une minuscule scène autrefois dédiée aux spectacles. Aujourd’hui, il végète dans l’insalubrité avec, à la clé, une odeur suffocante d’urine et de déjections de ruminants, des gravats, des vêtements usagés et des tas d’immondices. A l’étage se trouve un showroom, une sorte de boîte de nuit inachevée. « Le rêve de mon patron était de faire de cet endroit une boîte de nuit. Il a amorcé la construction quand la mort l’a fauché », a révélé Lorenzo. Le plus surprenant, selon Lorenzo, c’est que le musée végète depuis un bon moment dans l’obscurité et sans eau potable pour non payement des factures ». Une manière, n’est-ce pas, de rehausser l’ambiance funèbre du musée, dégradant ainsi l’auguste mémoire du regretté. Même Lorenzo, le gardien de la maison, un sexagénaire, vivote apparemment. « Je fais du mieux que je peux pour entretenir la maison. C’est parfois la recette de mes petits jobs qui sert pour l’entretien. Mes multiples démarches envers les autorités et la famille pour me venir en aide sont vaines. C’est vrai qu’entre temps, certaines autorités avaient pris l’engagement de faire quelque chose. Mais jusque-là on attend. Si vous voyez des herbes un peu partout, c’est parce que l’âge pèse sur mon dynamisme et mon patron, de là où il est, sait que j’ai la volonté de mieux faire», s’est-il plaint. On pourrait bien craindre que ce musée disparaisse un de ces jours. Puisque les objets qui font qu’on appelle cet endroit musée sont en train de disparaitre à petit feu. « Il a trois cent un (301) cravates », a dit Lorenzo en soulevant un sachet qui n’en contient maintenant qu’à peine une cinquantaine. Et à la question où sont passées les autres, la réponse a été à peine compréhensible. « Comme il est mort, les gens sont… inh, vous comprenez non», a-t-il servi avec un sourire banal. Se rappelant les exploits de cette gloire de la musique béninoise et faisant face à une telle désolation, on sort de son ancienne résidence, devenue par la force des choses ‘’Musée Gnonnas Pedro’’, le front bas, tout indigné. Et à cette allure, on est même tenté d’y voir l’exemple type d’une mauvaise gestion du patrimoine culturel au Bénin.
Et pourtant, l’homme n’a pas été aussi effacé. Ses distinctions en disent longs sur son parcours. Lauréat du Kora Awards 98, Gnonnas Pedro, avant sa mort, a été reçu dans l’ordre national de mérite du Bénin en décembre 1995. Il a, par ailleurs, décroché le prix ‘’Kundé’’du meilleur artiste de l’Afrique de l’Ouest en 2001 au Burkina Faso. A travers une lettre de félicitation, il a été honoré par la nation béninoise le 26 septembre 1998 sous le ministre honoraire de la culture, Sévérin Adjovi, actuel maire de la cité des Kpassè, Ouidah. C’était en reconnaissance des nobles et loyaux services rendus à la nation pour la promotion et le développement de la culture. A son palmarès, il a aussi compté le prix spécial ‘’Bénin Golden awards 2003’’ puis le prix d’excellence de la Loterie nationale du Bénin en 1994 sous l’ancien ministre des finances, Paul Dossou. Plein d’autres sésames tutoient son nom, tels que Conavab, Africando All Star pour ne citer que ceux-là. Et son éclatant passage dans le groupe Africando reste gravé dans la mémoire de tous les Béninois.

Les temps forts de son décès
Gnonnas Pedro a tiré sa révérence dans la matinée du jeudi 12 août 2004 à Cotonou. Entouré de ses proches parents, cette mort brusque de la vedette faisait suite à neuf mois d’un cancer de la vessie. Le début de ce mal remontait à novembre 2003, selon les témoignages de Pascal Zounon, son correspondant permanent à Paris. Pour lui, le devis des soins de la maladie dont souffrait le chanteur était élevé et il était retourné au Bénin, a enchaîné avec la tournée du groupe Africando aux Etats-Unis, en Angleterre, comme si de rien n’était. « Pedro se savait condamné, mais c’était quelqu’un de très déterminé. De plus, il ne voulait pas que sa maladie soit connue. Peu de gens étaient au courant de ses problèmes», avait témoigné le correspondant.

La remontée du temps  
Depuis que cette icône béninoise de la salsa a tiré sa révérence, les artistes qui se tapent avec avidité le nom de sommité  et  les autorités béninoises en charge de la culture  se font désirer lors des cérémonies d’hommage qui lui reviennent de droit. « Incroyable mais vrai ! Les artistes béninois, sommités ou non, ont tourné dos à feu Gnonnas Pédro. Le nom Gnonnas Pédro semble ne plus rien dire pour les artistes béninois. Idem pour les autorités et acteurs culturels qui avaient promis, au soir de la mort de la vedette, de s’investir pour que son nom reste à jamais gravé dans la tête des Béninois. Mais, c’est actuellement la grande désolation. On n’arrive pas à s’expliquer ce qui se passe. Hormis les enfants de l’artiste, Kuami Mensah, Gilles Gnonnas…, aucun artiste à l’exception de Robinson Sipa n’a songé à se rendre à Lokossa pour honorer la mémoire du disparu. Tous ont fait défection malgré les efforts des frères Gnonnas. Aucun des artistes béninois, même ceux qui se surnomment pompeusement ‘’sommités’’, n’ont pas cru devoir saisir la balle au bond pour témoigner leur solidarité avec les enfants de Gnonnas Pédro et exprimer tout au moins leur affection et attachement à la famille éplorée. Idem dans les rangs des autorités qui confessaient leur estime à Gnonnas Pédro de son vivant. Après sa mort, « l’estime » tant clamée par ces « oiseaux de mauvais augure » n’a pas survécu au temps. Il s’agissait, sans nul doute, d’une estime apparente qui n’a rien de profond. On en a la preuve depuis la troisième édition des cérémonies d’hommage à Gnonnas Pédro. Est-ce à dire que cette figure de la musique africaine n’a rien apporté au Bénin culturel ? Est-ce à dire que Gnonnas Pédro n’a inspiré aucun artiste, même ceux qui ont repris quelques-uns de ses titres ? Est-ce à dire que le peuple béninois et la famille des artistes ne restent pas redevables à cet homme qui a fait la gloire du Bénin dans le groupe musical Africando ?

La leçon

King Mensah du Togo a initié à Lomé au Togo un spectacle de reconnaissance et d’hommage à Gnonnas Pédro » s’indignait le journaliste Serge-David Zoueme dans un article qu’il a publié sur son blog dans le cadre du 4ème  anniversaire du décès du salsero. Et à Franck Raoul Pedro du journal L’Autre Quotidien de mentionner dans un de ses articles publié dans le cadre du 7ème anniversaire de décès et relayé par l’agence Web Beninsite, que même du vivant du ‘’Dadjè national’’, l’ingratitude était de mise. « Au soir de sa vie, alors qu’on s’y attendait le moins, un miracle se produit et le projette sur les rampes de la gloire à travers son intégration au célèbre groupe Africando. Le Bénin en a été flatté à plus d’un titre. Mais jamais, cet illustre personnage n’a bénéficié d’un hommage national de son vivant ».

Teddy GANDIGBE

Reviews

  • Total Score 0%



One thought on “Dossier spécial Gnonnas Pedro, 10 ans après: Retour sur la mémoire d’une légende sacrifiée

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

You cannot copy content of this page