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Le triomphe de la vérité

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Edito du 26 mars 2006: Bénin blues


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Il faut rendre grâce à notre constitution. Si ce n’était les nombreuses balises qu’elle a posées pour empêcher tout coup d’Etat, il y a longtemps que le pire serait advenu.

        Aujourd’hui, la situation du Bénin est comparable à celle d’un pays au bord de l’éclatement. Pas d’eau, pas d’électricité, l’internet est soumis à mille caprices et les grèves s’enchainent. Pour aggraver le tout, des rumeurs de maladie sont agitées autour du Chef de l’Etat. On le dit souffrant, et certains le retrouvent même en consultation en Afrique du Sud via le Nigeria. Mais dans ce charivari annonçant le déluge, c’est la force des Béninois qui étonne. Notre faculté d’autodérision, cette vaste capacité que nous déployons à nous moquer de nous-mêmes et de nos malheurs se met ici en vedette.

        Il y a ceux qui trouvent un malin plaisir à solliciter des marches dans tout le pays. Maintenant que le Chef de l’Etat est entouré de toutes les difficultés, ces petits malins voudraient bien que les marcheurs et leurs suppôts se déchaînent à nouveau dans les arènes comme ils savent si bien le faire. « Soutien indéfectible », aviez-vous dit ? Eh bien, c’est le moment plus que jamais de sortir les bottes pour « soutenir », lorsque le courant est coupé, que l’eau est coupée, que l’internet vaut plus que l’or, que les grèves ne s’arrêtent plus que les marches de protestation redoublent…

        « L’homme souffre si profondément qu’il a dû inventer le rire », disait le philosophe allemand Nietzsche. Mais ce rire thérapeutique trouve sa racine dans les iniquités du système qui a fabriqué trop de frustrations et de déceptions pour ne pas engendrer le désespoir par ces temps d’obscurité. Peut-être qu’un jour, nous accosterons aux rivages de l’espoir. Le changement nous a déçus et la refondation nous a simplement trompés. Et il y a de plus en plus de jeunes béninois qui se demandent s’il ne faut pas partir.

Partir, oui, partir. Partir vers des cieux plus cléments où couleront à foison le miel et l’argent facile. Les cieux voluptueux où les gros salaires permettront de construire une vie. Mais si nous partons tous, qui construira le Bénin ? Qui donc construira nos villages où une misère rance accable nos parents ? Qui ? Qui donc luttera un jour contre le taux de chômage et de sous-emploi ahurissant, cette administration publique gangrénée de partout et cette école où s’abime l’intelligence au fronton des grèves? Qui ? A quand demain ? A quand le bonheur pour ce peuple mien ?

        Ces questions sans réponses hantent pourtant l’esprit de tous les patriotes béninois qui voient dans les difficultés d’aujourd’hui les fruits amers de nos inconséquences individuelles et collectives.

        Au moment où l’électricité, l’eau et l’internet sont élevés au rang de produits de luxe en plein XXIème siècle, le vaste dépaysement qui nous étreint est même une bouée de sauvetage. Il faut visiter les petites et moyennes entreprises pour savoir les dégâts qu’engendrent les coupures intempestives d’électricité. Je plains particulièrement celles dont l’existence même dépend de l’électricité : les petites poissonneries de quartier, les vitriers, certains couturiers, les maisons de glace ou encore les pharmacies. Des dangers planent sur leurs têtes, si elles ne trouvent pas les moyens de se procurer un groupe électrogène.

        Paradoxalement, tout cela arrive en 2014, année où le budget général de l’Etat a prévu 2000 mégawatts aux Béninois. En vérité, il n’y a pas de plus cruel gouvernement que celui qui insulte l’intelligence de son peuple. Convaincu de n’avoir à faire qu’à un peuple d’ignares, convaincu que le jeu de l’argent déboursé à gauche et à droite est capable de noyer, même sans coup férir, toute volonté de révolte populaire, le régime Yayi ne se plaint pas vraiment de l’état du pays.

Par Olivier ALLOCHME

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