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Le triomphe de la vérité

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Professeur Jean Pierre EZIN, nouveau commissaire à la CEDEAO AU SIÈGE DE « L’EVÈNEMENT PRÉCIS »:« Il faut que les peuples sentent que la CEDEAO leur sert à quelque chose »


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03373ème invité de la rubrique « Sous l’Arbre à Palabre », le Professeur Jean Pierre Ezin, récemment élu Commissaire à la CEDEAO en charge de l’éducation, des sciences et de la culture, parle à cœur ouvert. Qu’il s’agisse du bilan de son mandat à l’Union Africaine, des conditions de son élection à ce nouveau poste, ou encore des questions purement nationales, Lépi, révision de la constitution, les grèves en cours, et tout le reste, l’homme a partagé avec  notre rédaction, ses appréhensions, ses analyses et ses propositions à tous les niveaux. Lisez plutôt.

Dites-nous quelles sont vos premières impressions en arrivant dans nos murs ?

Ce n’est pas en arrivant ici que j’ai formé mes impressions. C’est l’originalité de la formule qui m’avait déjà impressionné. Quand on m’a dit que ce type d’émission existe au niveau de la presse écrite, j’ai trouvé l’idée originale et je pense qu’elle mérite de prospérer. Parlant de la rédaction, franchement, elle ne m’a pas impressionné parce qu’il y a mieux. Mais dans le cadre de notre pays, que des idées géniales naissent des structures qui ne sont pas à la hauteur de ce qu’on voit ailleurs, je dis ce n’est pas l’argent qui fait le bonheur et je vous félicite pour cela.

Alors, monsieur le commissaire, le Bénin traverse une crise sociale avec la paralysie de l’administration publique. Tous les secteurs sont en grève. Quelle lecture faites-vous de la situation ?

Non seulement je vis la situation avec vous, je la subis aussi avec vous. Parce que je suis dans une période où il faut légaliser pas mal de pièces. Mais les lieux où il faut faire cela sont fermés. Actuellement, quand vous allez à la mairie, elle est fermée. Vous allez au tribunal, même chose ; à la sécurité publique, les gens refusent de vous servir. Vous voyez, on tourne en rond. Et je crois qu’il est peut-être temps d’en sortir. Il faut alors que quelqu’un prenne l’initiative de couper ce cercle vicieux dans lequel nous sommes en train de tourner.

Qui, selon vous, doit prendre cette initiative ?

La décision la plus forte doit venir du chef de l’Etat, d’une façon ou d’une autre. Je ne dis pas qu’il cède à tout ce que demandent les travailleurs, mais de trouver les voies et moyens pour couper la corde. Il n’y a personne d’autre qui puisse le faire en dehors du chef de l’Etat.

Personnellement, quelles solutions vous préconisez ?

Vous me demandez de parler au nom du gouvernement. Mais je ne suis pas dans le gouvernement. Je ne peux que dire ce que j’observe de l’extérieur.

Qu’est-ce que le pouvoir peut faire, selon vous ?

Le pouvoir a des milliers de solutions. Alors, je demanderais au chef de l’Etat de choisir l’une de ces solutions même si cela fait mal. Je ne peux pas en dire plus. Parce qu’avec mon poste au plan international, je n’ai pas la latitude d’intervenir dans la politique nationale de mon pays. C’est cela l’ambiguïté que nous vivons et que je dois assumer en tant que fonctionnaire international. Mais, je réaffirme que c’est le chef de l’Etat qui doit trouver la solution parce que c’est à lui qu’incombe cette responsabilité. Et je suis sûr qu’il y pense énormément, qu’il va choisir la solution qui va lui paraitre la moins douloureuse et qui sera la mieux adaptée à la situation.

Vous êtes commissaire en charge des ressources humaines à la Cedeao, un poste que vous aviez occupé à l’Union africaine. Alors, quel bilan faites-vous de votre passage à la tête de ce département à l’UA ?

A l’Union africaine, il y a un département des ressources humaines, de la science et de la technologie. C’est à ce poste là que j’ai exercé pendant les cinq dernières années (quatre années régulières et une année de transition). J’avais la charge de l’éducation, dans son ensemble, et de l’autonomisation de la jeunesse. A ce poste, je crois que nous avons essayé, avec mon équipe, de sortir un peu du train-train des réunions de l’Union africaine où on fait prendre des décisions aux chefs d’Etat et puis après, ce n’est pas suivi. Dès notre arrivée, il y a Jean Ping qui est habitué à ce cercle et, tout de suite, il nous a dit : ‘’Ecoutez, il y a assez de rhétorique. Il faut passer aux actes’’. Donc, pendant le mandat, il s’agissait de passer aux actes, de créer des choses à partir des décisions déjà prises. Et l’une des décisions les plus fortes que nous avons prises avec mon équipe est la création de l’université panafricaine. J’ai découvert l’idée de cette université en 2013. Cette idée avait été développée par Haïlé Selassié dans son discours à l’ouverture de la conférence qui a créé l’Oua. Il disait : « Former les cadres à l’extérieur c’est bon. Mais les former à l’intérieur est mieux ». Ce qui veut dire qu’il faut créer, de toute urgence, une université africaine qui permette de préparer nos cadres à l’intérieur du continent et non plus de les envoyer à l’extérieur où, ils sont formés dans une culture et reviennent pour travailler dans une autre. Il y a cette dichotomie qui les empêche de bien travailler. Donc, nous avons décidé de lancer l’idée de la création de cette université panafricaine. J’ai dit que c’est à partir des documents qui existent déjà. J’ai eu la chance qu’avant d’aller là en 2008, en 2006, les chefs d’Etat avaient pris la décision de mettre en place un plan d’action décennal d’éducation pour l’Afrique 2006-2015. Et là-dedans, ils se sont donné sept (07) priorités sur lesquelles il faut focaliser l’action de nos Etats pendant la décennie 2006-2015. Parmi les priorités, figure l’enseignement supérieur africain. La même année, comme par hasard, ils ont pris la décision de revitaliser les universités africaines. Alors, ces deux idées mises bout à bout m’ont donné l’opportunité de créer cette université panafricaine qui regroupe cinq facultés mais dispersées dans chacune de nos régions. Ainsi, dans chaque région, il y aura une faculté thématique de cette université, c’est-à-dire, une faculté qui sera consacrée à un seul thème avec ses différentes ramifications. Le rectorat de cette université sera implanté quelque part sur le continent. Mais, ce qui était urgent, c’est de commencer d’abord avec les facultés. Suivant le principe qui est de partir des universités qui existent, nous avons, avant mon départ de ce poste, mis en place quatre des cinq facultés. Il y a une faculté des sciences de la vie et de la terre qui est basée à l’Université d’Ibadan. Elle se consacre à l’agriculture, à la santé et à l’environnement. Une autre faculté des sciences de l’eau, de l’énergie et du suivi du changement climatique qui est implantée en Algérie ; une faculté des sciences sociales, des humanités et de la gouvernance qui est implantée à Yaoundé 2 et enfin une faculté des sciences fondamentales (mathématiques, physiques etc…) qui est implantée à l’université des technologies de l’agriculture à Nairobi au Kenya. Il y a une 5ème faculté qu’on n’a pas pu démarrer avant mon départ. C’est la faculté des sciences et technologies de l’espace. Voilà l’université panafricaine qui a démarré avec ces quatre facultés. Laissez-moi vous dire qu’il y a même des étudiants béninois qui y sont parce que la spécificité de recruter est sur mérite. On lance un appel à candidature. Les étudiants intéressés envoient leurs dossiers qu’on étudie de fond en comble pour savoir s’ils sont en mesure de continuer leurs études pour la maîtrise et le doctorat. Parce que plus bas, on ne recrute pas. Il faut qu’ils aient, dans le système LMD que nous avons aujourd’hui, passé le niveau de la licence ou l’ancienne maitrise. Et là, on les recrute pour faire le master et le doctorat.

Etant donné que vous êtes Béninois, dites-nous quelles sont les idées fortes qui concernent le Bénin et que vous avez défendues au cours de votre mandat ?

Certes, je suis un candidat présenté par le Bénin et élu par la communauté africaine. Mais, je n’étais pas à ce poste comme représentant du Bénin. Après les élections, nous prêtons serment pour dire qu’à partir de ce moment-là, on ne dépend plus de notre pays d’origine ; ni d’aucun autre Etat. On n’a d’ordre à recevoir d’aucun chef d’Etat.

DSCI0094Est-ce à dire que vous n’avez reçu aucune fiche portant une proposition du Bénin que vous avez traitée ?

C’est tant mieux que le Bénin ne fasse pas cette pression qui consiste à envoyer des propositions extra par des fiches comme vous le dites. Je ne crois pas qu’il y ait un pays qui procède de la sorte. Par contre, on suit tous les débats. Que ce soit des ambassadeurs, des ministres des Affaires étrangères ou au niveau des chefs d’Etats, on est là à tous les débats. Je suis la sensibilité des pays à travers les interventions à différents niveaux de nos responsables. Je connais suffisamment le Bénin pour dire ‘’Tiens, dans tel domaine, nous avons besoin de l’Union africaine’’. L’université panafricaine, c’est d’abord une réponse au problème d’université au Bénin parce que c’est le système que je connais le mieux. Pour avoir été recteur au Bénin, je compare le système universitaire béninois à celui des Américains, par exemple, l’université de Californie et je constate qu’ils ont plus de chance d’avoir une université qui propulse le développement. Et l’université panafricaine, avec ces différentes facultés, a l’ambition de créer ce type de structure. Par exemple, à chacune des facultés que j’ai citées tout à l’heure, il est prévu que soit rattachée ce que nous avons appelé des instituts-satellites. Ce centre satellite prendrait un pan de ce que développe la faculté pour le développer davantage ou pour en faire bénéficier davantage les nationaux avec la participation de tous les étudiants venus de toute l’Afrique ou de l’étranger. Et l’université d’Abomey Calavi a été choisie sur la base d’une compétition, parce que tout est à base de compétition, pour abriter le centre satellite de biotechnologie. L’université d’Abomey-Calavi est désormais l’un des dix (10) centres satellites susceptibles d’être rattachés à la faculté qui est à Ibadan et qui abrite déjà le centre de biotechnologie, de recherche de haut niveau, donc de Master et PHD.

Le bilan que vous nous présentez-là est quand même élogieux. A un moment donné, on croyait que vous alliez être reconduit dans vos fonctions. Mais, vous êtes parti. Qu’est-ce qui justifie cela ?

Non, rien ne le justifie. Mais, quelque chose l’explique, parce que ce n’est pas juste.

Ou bien le Bénin vous a abandonné ?

Ah non, je vais l’expliquer. C’est une situation qui n’est pas juste. Vous voyez, dans chacune de nos régions, dès le départ, à tort ou à raison, les chefs d’Etats ont pris comme décision de donner à chaque région deux postes de commissaires y compris le président et le vice-président de commission. Et parmi les deux commissaires, il doit y avoir un homme et une femme. Il se trouve que, pour mon deuxième mandat, j’étais seul candidat à mon poste. J’avais tellement brillé qu’on n’avait pas trouvé de concurrents. Les concurrents savaient que s’ils se présentaient, que cela ne marcherait pas. Au niveau de tous les ambassadeurs, on ne me jetait que des fleurs. Je ne suis pas très sensible aux fleurs. Si c’est des roses, il peut y avoir des épines dedans. Les fleurs qui ne piquent pas, je ne suis pas sensible à ça. Comme c’était d’avance acquis, tout le monde s’est endormi un peu. Et qu’est-ce qui s’est passé ? Dans notre région, ici, nous avons droit à deux postes pour un homme et une femme. Et on ne fait pas d’élection à tous les postes en même temps. C’est l’un derrière l’autre. Il se trouve que, sur le poste vacant des affaires politiques qui passe en deuxième position après le poste de paix et sécurité, il y avait une candidate du Nigéria et elle a été élue. Donc, le poste de femme est pourvu. J’étais seul candidat. Avant ce poste des affaires sociales, il y avait un candidat de la Sierra Léone. A tort ou à raison tout le monde disait que ‘’non celui-là…’’, parce qu’on le connait à l’union. Il avait travaillé comme médecin au Centre médical. Donc, tout le monde disait qu’il ne peut pas passer. Mais, malheureusement, c’est lui qui est passé. Une fois qu’il a été élu au poste des affaires sociales, il n’y avait plus possibilité de mettre le poste que j’occupais à compétition. C’était fini. Il n’y avait plus de possibilité. Il fallait reprendre les élections. Donc voilà.

On dirait une mort subite ?

Oui, la mort subite. C’est exactement cela, comme on le dirait en football. Mais, je vis encore quand même.

Donc, vous confirmez que le gouvernement ne vous a pas abandonné ?

Le gouvernement ne m’a pas abandonné parce que personne ne s’attendait réellement à ce qui était arrivé. Dans une de nos rencontres, récemment, le chef de l’Etat a même dit devant tout le monde qu’il a été aussi surpris que tout le monde. Non, je ne peux pas dire que le Gouvernement m’a abandonné. Le Gouvernement ne m’a pas abandonné. Bon, on n’avait pas fait une campagne tout comme si on était en concurrence rude. Je suis sûr que si j’avais un concurrent, le Gouvernement se serait battu et moi-même, avec plus d’ardeur et de conviction. Mais, comme c’était une victoire d’avance, ça a endormi tout le monde. Et nous avons été surpris par ce résultat médiocre.

Monsieur le commissaire, quelle différence y a-t-il au niveau des procédures ?

Les procédures adoptées par l’Union africaine sont vraiment mauvaises. Parce que, c’est exactement la même chose qu’avait vécu mon prédécesseur qui est une libyenne. C’est vrai qu’il y avait plusieurs candidats derrière elle. Mais, il y avait une candidate de l’Afrique du Nord, de l’Egypte, en l’occurrence, qui convoitait le poste Energie et infrastructures arrivant en troisième position. Je vous disais que le poste des ressources humaines arrivait en cinquième position. Alors, une fois que l’Egyptienne a été élue, c’était la mort subite pour la Libyenne. Donc, elle ne pouvait plus se porter candidate. Et c’est vraiment mauvais parce que cet ordre élimine arbitrairement des gens.

Lorsque vous parlez de mauvaise procédure, ça veut dire que vous avez été aussi mal élu ?

Oui, on est passé par là parce que la procédure existe. Quand mon prédécesseur avait été élu, ça n’a pas vraiment choqué les gens. Mais, mon élimination a tellement choqué qu’immédiatement il a été pris la décision de reprendre la procédure. Donc, à quelque chose, malheur est bon.

Donc, la procédure a été revue ou bien c’est en cours ?

La procédure va être revue pour les prochaines élections qui auront lieu en 2016. Le processus est lancé et ils ont commencé à recruter les experts pour revoir ça.

En fait, votre élimination a-t-elle servi l’Afrique ?

Exactement, le Bénin a servi l’Afrique.

Actuellement, vous êtes au niveau de la CEDEAO. Quels sont les grands défis que vous comptez relever ?

Je n’avais pas fini avec la question précédente. Parlant donc de procédure parce qu’on est en train de comparer les deux procédures, celle de la CEDEAO est beaucoup plus juste et rationnelle. Alors, la décision qui a été prise par le chef de l’Etat, je vais vous en donner copie, c’est de donner à chaque pays un commissaire. Donc, chacun des quinze pays aura un commissaire. Les commissaires seront sélectionnés comment ? Ils ont une base élaborée par des experts. Et ils ont attribué des postes aux pays compte tenu du potentiel qu’ils ont. C’est comme ça que le Bénin a hérité du poste d’éducation sciences et culture. Avant, c’était ‘’Ressources humaines, sciences et technologie’’. Maintenant, ‘’Ressources humaines’’ est remplacé par ‘’Culture’’. Le Bénin a hérité de ce poste-là. Et la règle est que chaque pays désigne trois candidats. Alors, les trois candidats vont subir une interview de recrutement normal. Et à l’issue de cette interview, on retient le meilleur des trois.

Et vous étiez candidat avec qui ?

J’étais candidat avec l’ancien recteur de l’Université d’Abomey-Calavi, Norbert Awanou et Mme Amoussa qui a été une ancienne de la faculté de gestion de l’université de Parakou. Voilà les trois candidats que le Bénin a présentés. Donc, à tour de rôle, chacun a passé l’interview et le jury a élaboré son rapport. Les ministres des Affaires étrangères se sont retrouvés en session extraordinaire pour évaluer les résultats donnés par l’interview et nommer maintenant les responsables des différents comités aux différents postes.

Selon vous, qu’est-ce qui a pesé dans le choix ?

Je n’étais pas membre du jury. J’étais juste candidat.

Ou bien, c’est votre expérience diplomatique ou encore votre capacité à pratiquer la langue anglaise qui a séduit plus d’un ?

Je ne sais pas. Je n’étais pas dans le secret des dieux. C’est vous qui me dites ça. Moi, on m’a posé des questions et j’ai répondu avec conviction. C’était tout.

Les questions étaient dans quelle langue, s’il vous plait ?

Les questions, d’une façon générale, étaient en français. Quand un Anglais posait une question, on avait le droit d’utiliser les écouteurs pour pouvoir entendre ce qu’il dit. Mais, quand on a fini cette étape, il y avait le président de la commission qui n’était pas membre du jury, mais qui assistait et avait le droit de poser les deux dernières questions. La première question qu’il a posée est : ‘’Qu’est-ce que vous savez de la CEDEAO ? Comment on peut améliorer les choses ?’’ J’ai répondu. Et puis après, il a commencé par poser sa dernière question et c’était une question de langue. Comme c’est la culture, moi je m’attendais à ce qu’on dise ‘’Quelles sont les différentes langues chez nous ?’’… Donc, il a commencé par parler l’anglais, et moi j’ai saisi mon écouteur. Puis son assistant m’a dit non, cette question, c’est sans écouteur, vous devrez entendre et répondre en anglais. Donc, c’est comme ça qu’il a posé sa question en anglais. Ce n’était pas difficile de répondre. Maintenant, quelle impression ça fait sur les gens ? Vraiment, moi, je ne sais pas.

C’était une épreuve de nerfs ?

C’est une épreuve sérieuse. Et c’est là où je trouve que la CEDEAO a de l’avenir par rapport à l’Union africaine. Si l’Union africaine ne prend pas exemple sur nos communautés régionales, mais elle sera dépassée. C’était vraiment sérieux. Un panel de ministres des Affaires étrangères plus le président de la commission qui vous interrogent, chacun. Et ils sont vraiment bien structurés. Chacun avait sa question et le président du jury savait quelles questions l’un allait poser par rapport à l’autre et ils savaient les enchaîner. Et là, il fallait répondre tout le temps. Au début, le président me dit : ‘’Soyez détendu. C’est une épreuve comme une autre. Ne vous en faites pas. Mais, je lui ai dit : ‘’Ecoutez, Monsieur le président, dans un tel état de stress, comment voulez-vous qu’on soit détendu ?’’ Et ça les a fait rigoler.

Est-ce que la tâche sera facile ?

J’espère qu’elle sera facile. Les résultats seront plus immédiats.

Et vos challengers ? Comment ont-ils accueilli la nouvelle ?

Mais, ils ne m’ont pas encore félicité. Il faut qu’ils me félicitent. C’est comme ça que ça se passe après chaque élection. Je suis sûr qu’ils sont déjà au courant et ils connaissent mon numéro de téléphone. C’est ce que j’aurais fait si j’avais été battu. Je ne partais pas là gagnant. Je partais là comme un concurrent et j’ai réussi. Donc, j’ai droit à des félicitations et j’attends.

Revenons donc à notre question, les défis à relever ?

Depuis que je suis né, j’ai géré des structures d’éducation et de science. Mais, jamais une structure de culture. Je vais dire que ça c’est mon premier défi. J’avais dit au jury que le premier défi auquel je ferai face si j’arrivais à être sélectionné, c’est la culture. Je n’ai aucune expérience de la gestion d’une structure de culture. Or, je sais, d’expérience vécue que dans notre région, qu’il y a une telle diversité culturelle qui est là comme une mine d’or qu’on n’exploite pas. Donc, mon premier défi, c’est de savoir comment gérer efficacement cette mine d’or pour que ça profite à nos populations. Parce que l’objectif de la CEDEAO, c’est une communauté des peuples et non une communauté des gouvernements. Donc, il faut que les peuples sentent que la CEDEAO leur sert à quelque chose. Et la première façon de faire sentir au peuple que la CEDEAO lui sert à quelque chose, c’est de mieux s’occuper de la culture. Et ça, c’est un défi. Quand je suis allé prendre fonction récemment à Abuja, puisque j’ai déjà pris fonction, on nous a dit qu’il va falloir une semaine pour qu’on nous montre comment les structures marchent. Mais, au moment de me passer service, ma collègue qui s’occupait de la culture m’a dit qu’au niveau du département de la culture, il y a une seule personne et que celle-ci n’est ni un fonctionnaire permanent, ni un contractuel ni un consultant. C’est une personne qui a été prêtée par le Ministère de la culture du Nigéria. Je me demande comment on peut parler de culture dans ces conditions-là. Donc, il n’y a rien. Et mon premier défi, c’est de combler très rapidement ce vide. Il faut qu’on mette en place un département de culture digne de notre région avec sa diversité culturelle à valoriser. C’est vrai qu’il y a des choses qui existent déjà, à savoir, le Fespaco, M’Bassa, un certain nombre d’initiatives qu’on doit encourager. Mais, il faut une politique culturelle pour la Cedeao et mon premier défi, c’est bien ça.

Autres défis à relever ?

En dehors de ça, il y a l’éducation qui est mon combat de tous les jours, et là, c’est de faire en sorte que l’Université panafricaine prenne racine aussi rapidement que possible. Parce que j’ai dit, tout à l’heure, que les centres satellites, il y en a dix par faculté et nous avons cinq facultés. Ce qui nous donne cinquante centres satellites plus les cinq facultés, et ça fait cinquante cinq institutions universitaires pour cinquante-quatre pays. Donc, dans chacun de nos pays, il peut y avoir au moins un centre satellite de l’université panafricaine. Je vais faire en sorte qu’à la fin de mon mandat, tous les Etats de l’Afrique de l’Ouest aient leurs centres satellites rattachés à l’université panafricaine. Et si nous pouvons nous lancer dans la bagarre, nous ferons en sorte que le rectorat de l’université panafricaine soit abrité par un Etat de l’Afrique de l’ouest.

Vous avez parlé de la culture, de l’éducation. Dites-nous ce que le Bénin, votre pays peut attendre de vous ?

Pour relever ce défi-là, si le Bénin, mon pays, peut donner de la vitalité à son centre satellite rattaché à l’université panafricaine, c’est déjà très bien ; et si le Bénin peut faire en sorte que ça revitalise la politique culturelle nationale, ce serait très bien. Maintenant, je ne peux pas dire que je vais faire ça pour le Bénin. Je ne fais rien pour le Bénin mais tout pour l’Afrique de l’Ouest et le Bénin, en tant qu’un pays de l’Afrique de l’Ouest, doit pouvoir tirer profit de ça.

Le Fitheb qui est un label béninois est en difficulté. Que pensez-vous faire pour venir à la rescousse de ce festival ?

Je ne pense rien faire. Je suggère simplement aux responsables du Fitheb de saisir la commission de la Cedeao. Si ce n’est pas encore fait, il est encore temps pour le faire. Si je ne l’ai pas cité tout à l’heure, c’est parce que je ne peux pas tout citer. Je sais qu’il y a des festivals de danse, de ci et ça. Je suis informé de tout ça. Mais, il faut structurer pour en faire une politique. Et, dans cette politique-là, si un pays nous saisit d’un dossier, on verra comment lui donner une dimension régionale.

Dans vos réformes, vous avez parlé du système LMD. Comment pensez-vous défendre ce système qui est toujours en souffrance dans nos universités ?

Le système LMD n’est pas à défendre. C’est un système qui existe au Bénin depuis 25 ans. Et les pays francophones sont en train d’entrer dedans de pleins pieds. Est-ce que ça traine au niveau du Bénin ? Je ne crois pas. Le Bénin a été un pionnier dans ce domaine-là. Vous savez qu’il y a un Institut de mathématiques et de sciences physiques (Imsp) qui brille de tous feux à Dangbo. Il a été créé il y a 25 ans. A la création de l’Imsp, nous avons opté pour le LMD et donc, il y a 25 ans que le Bénin pratique le LMD. C’est-à-dire que nous recrutons nos étudiants au niveau maîtrise, leur faisons faire un DEA et ils font le PHD qui est un doctorat unique. Ce n’est plus le doctorat du troisième cycle, le doctorat d’Etat. Donc, il y a plusieurs maîtrises et doctorats qui ont été délivrés ou des PHD par cet institut. C’est maintenant qu’on est en train de généraliser avec toutes les facultés. Mais l’Imsp, à travers l’université d’Abomey-Calavi, est dans ce système il y a bien longtemps.

Selon le Recteur, c’est qu’il faut formater les enseignants pour la réussite du système LMD ?

Le Recteur a ses raisons de dire ça, puisque s’il faut appliquer à la lettre ce que dit le LMD, il faut former l’étudiant non seulement pour avoir le diplôme, mais aussi pour avoir les compétences à développer. C’est vrai, nous autres, enseignants, nous ne sommes pas toujours aptes à donner cette compétence-là aux étudiants. On se préoccupe de leur donner le plus brillamment possible le diplôme sans faire cas des compétences par rapport au marché local ou mondial de l’emploi. Ce n’est pas notre sensibilité et je comprends que c’est l’inquiétude que le recteur exprime. Ça aussi, il n’en est qu’au début. L’Imsp ne se pose plus cette question parce qu’on a frotté avec pas mal de réalités. Il reçoit plein d’enseignants, de chercheurs d’un peu partout et nous envoyons également nos enseignants aller capitaliser de l’expérience dans ces grandes universités. Mais, je crois que, petit à petit, on va y arriver. Le Recteur a raison. Mais on peut l’apaiser et lui dire de laisser le temps au temps, d’insister sur la formation de qualité et je crois que ça ira.

Des voix s’élèvent, aujourd’hui, pour remettre en cause tout ce qui se fait dans le système éducatif béninois. En tant qu’enseignant émérite, quelle appréciation faites-vous de cette situation ?

C’est vital pour un système éducatif de se remettre en cause, lui-même, pour dire ‘’Est-ce que je fais bien ? Qu’est-ce que je ne fais pas bien ?’’ On fait l’état des lieux. On regarde ce qui est fait. Ce qui n’est pas bien fait, il faut corriger. Par contre, il faut promouvoir ce qui est bien fait. Donc, que le système se remette en cause, c’est bien, c’est sain. Maintenant, personne ne prend vraiment des décisions fortes. C’est le déclin des sciences en général et des mathématiques en particulier. C’est mortel pour notre pays si on continue sur cette descente en enfer des mathématiques.

Qu’avez-vous fait, personnellement, vous qui êtes un enseignant émérite des mathématiques ?

L’IMSP a été créé il y a 25 ans. On a mis la physique en plus parce que les mathématiques, déjà à l’époque, souffraient. On a créé cet institut pour pallier cette insuffisance d’attention qu’on accorde aux mathématiques. Je vous fais une confidence. Si on n’avait pas créé cet institut de mathématiques et de sciences physiques il y a 25 ans, il n’y aurait plus d’enseignant dans ces matières à l’université d’Abomey-Calavi. Tous ceux qui enseignent là, aujourd’hui, sont des diplômés de l’Imsp ou la plupart, sauf les anciens, bien évidement. Tous les jeunes qui enseignent là aussi bien au département de mathématique que de physique sont pour la plupart issus de l’Institut de mathématiques et de sciences physiques. Donc, on a anticipé sur cette carence que nous constatons aujourd’hui en disant qu’il faut régler absolument ce problème avant qu’il ne se pose et c’est ce qui s’est passé.

Puisque nous sommes toujours dans le système éducatif, dites-nous, s’il faut corriger, formater ou changer ce que nous avons au Bénin

Le système éducatif n’est pas à côté de la plaque. Nous continuons d’y envoyer nos enfants. Nous continuons d’y former des gens. Donc, il n’est pas complètement à côté de la plaque comme vous le dites. Il y a des faiblesses et la première, c’est son manque de rigueur. Le système n’est pas assez rigoureux, c’est-à-dire qu’on fait des programmes qu’on ne se préoccupe pas d’exécuter jusqu’au bout. Pour un oui ou un non, le système s’envenime, s’enrhume, ça ne passe pas, c’est la grève de ceci, c’est la grève de cela, cahin-caha, on perd deux mois au cours de l’année scolaire. Mais on passe les examens quand même sur la base des programmes qu’on a élaborés. Tout ça, ce n’est pas fait pour montrer l’efficacité du système. Donc, moi, ce n’est pas le système que je remets en cause, mais la façon dont le système lui-même est vécu, comment on le fait vivre. Il y a trop de perturbations extérieures au système. Il y a eu des années ici, je crois, entre 2007 et 2008 avant mon départ à l’Union africaine. C’était quoi ? C’était formation des enseignants pour l’approche par compétence ou je ne sais quoi. ça a fait couler beaucoup d’encre. On dit que le programme qui doit former les élèves doit avoir des compétences, d’autres disent non, le programme est mauvais, les nouveaux programmes et ainsi de suite.

Quelle est votre position ?

Ma position est très claire et je l’ai dit même en peu de mots tout à l’heure. Un système qui se remet en cause est toujours un bon système. On dit non, la façon dont on a formé jusque là, il faut la changer. Et c’est de ce changement qu’on ne voulait pas courant 2005 à 2008. C’est à ça là qu’on recourt maintenant. On ne peut pas former les gens uniquement pour les diplômes. Non, il faut les aider à acquérir des compétences qu’ils auront à développer eux-mêmes sur le terrain. Soit se créer des emplois, soit pour s’adapter aux emplois. Je suis un défenseur acharné du programme d’approche par compétence.

Il paraît que les enfants n’arrivent pas à écrire leurs prénoms ?

S’ils n’arrivent pas à écrire leurs prénoms aujourd’hui, est-ce que demain ils n’arriveront pas toujours à l’écrire ? Si non, selon le système, on met l’accent sur la capacité de l’enfant à communiquer, à conquérir le marché de l’emploi que de s’intéresser à la grammaire ou la conjugaison et les enfants ne savent plus écrire. Ne pensez-vous pas qu’il y a quelque chose qui manque-là ?

Savoir écrire son nom, c’est quoi, selon vous et ça m’amène à quoi ? Ça m’apporte quoi ? Si c’est écrire Jean-Pierre ou bien quel autre prénom m’apporte quoi ? Mais avec les anglophones, ils ont toujours écrit mon nom n’importe comment. Mais, ça ne m’empêche pas de me reconnaître derrière le nom. C’est quoi ? Nous n’allons pas nous accrocher à l’orthographe compliqué de la langue française et oublier que ce qui fait la valeur de l’homme aujourd’hui, c’est sa capacité à communiquer, à faire comprendre ses idées.

Vous avez fait l’Union africaine et en quelque sorte, vous maîtrisez un peu les programmes des autres pays membres. Et s’il vous était donné de noter le Bénin par rapport aux autres pays…

Mais là, je ne peux pas noter le Bénin.

Une appréciation par rapport aux autres pays

Ecoutez, je ne vais pas me mettre à faire un classement. Non ! Mais c’est qu’il y a des aspects du Bénin que les gens veulent bien copier. On a même initié un séminaire ici où on a voulu que tout le monde copie cette idée-là du Bénin, mais il y a d’autres idées qui viennent du Nairobi, etc. C’est comme ça que nous travaillons. On cherche là où il y a les meilleures idées et on les pousse. Le Bénin a trouvé cette idée quand ils ont créé les centres universitaires. Mais, il fallait trouver une solution au manque de professeurs. On remarque la présence de micro universités qui ne répondent pas aux normes en ce qui concerne le système LMD

On remarque que certaines écoles universitaires sont dotées de deux ou trois classes et d’aucuns estiment que c’est beaucoup plus politique que professionnel ?

Ces centres universitaires ont été créés quand ? Je crois que les plus anciens doivent remonter à cinq ans, pas plus. Laissons-les d’abord grandir avant de pouvoir les juger pour dire qu’ils répondent ou qu’ils ne répondent pas aux objectifs. Moi, je suis d’accord que l’université soit un pôle de développement dans cette région. Donc, si un centre universitaire est un pôle de développement dans chaque région où il est implanté, je suis parfaitement d’accord. Qu’on lui laisse le temps de grandir un peu.

Actuellement, nous constatons que, presque tous les secteurs d’activités sont en grève. Le cas le plus fréquent est encore l’école avec la grève qui perdure. Vu le temps que prend le débrayage, d’aucuns estiment que 1989 n’est pas trop loin, c’est-à-dire, une année blanche. D’ici mars, la possibilité d’aller à une année blanche se rapproche. Quel est votre avis là-dessus ?

L’année blanche n’est pas loin. Je regrette de constater que le temps passe, les cours ne reprennent pas et l’Etat ne nous entend pas. Si on a passé toute l’année en grève, on va constater que les élèves et les étudiants n’ont rien appris, on va faire quoi ? On va organiser l’examen sur quoi ? C’est une préoccupation qu’il faut prendre en compte. J’ai envie de rebondir sur quelque chose. Quand j’étais à l’Union africaine, nous avons constaté que dans notre région, c’est là où il y a le plus de jours perdus dans l’éducation des enfants pour faits de grèves. Alors, comme on ne peut rien faire pour notre région seule, nous avons lancé l’idée d’une conférence panafricaine pour le développement et l’éducation des maîtres. C’est de là que ça part et dans l’éducation, on met tout. Il y a l’éducation de base, l’éducation civique, il y a tout et le développement des maîtres qui prend en compte leur confort social. Donc, chaque année, depuis 2011, on réunit cette conférence qui rassemble les ministères. Les ministres viennent au moins pour une journée. Des cadres des ministères, les syndicalistes qui viennent et ensemble ils débattent de ces problèmes-là. Maintenant, que faire pour sortir de cette médiocrité qui handicape l’éducation dans notre région ? Voilà, la conférence a commencé. On s’est déjà réuni deux fois. Je crois que cette année, on va encore se réunir et la réflexion pousse. Nous sommes dans un secteur où l’acte qu’on pose aujourd’hui n’a pas le résultat demain. Il faut compter une dizaine d’années pour que ça commence par se faire sentir. Ce n’est pas le cas de la politique. Mais, c’est le cas de l’éducation des hommes.

Voilà que nous sommes là, actuellement. Le gouvernement ne démord pas. Les syndicalistes aussi sont sur leur position. S’il vous était donné de faire des propositions pour que nous puissions sortir de cette crise, que proposeriez-vous ?

Je n’ai pas de propositions à faire. J’ai déjà dit ce que je pensais de votre question. C’est une situation qui a sûrement une solution et le chef de l’Etat a, à sa disposition, trente-six mille solutions. Qu’il prenne une de ces solutions et coupe ce cercle vicieux.

Le Bénin organise le deuxième forum national sur l’éducation. Quels sont vos souhaits ?

Ce que je souhaiterais pour ce deuxième forum de l’éducation est qu’on regarde vraiment les conditions de travail des maîtres et qu’on apporte, de façon définitive, une solution. Quand les enseignants se mettent en grève, ils ne se mettent pas en grève parce que le programme qu’eux-mêmes, ils ont élaboré, ne répond pas aux données de base. Ils se mettent en grève parce que les primes n’ont pas été payées. Il faut faire en sorte qu’on mette un terme à cela.

Parce qu’ils seraient mal payés ?DSCI0089

Ce n’est pas ce que je dis, parce que, pour être mal payé, il faut évaluer par qui on est payé et par quoi on est payé. Si je prends tout l’argent que j’ai dans ma poche pour donner à mes enfants à manger et ils trouvent qu’ils ne mangent pas bien, je ne me donnerai pas la mort puisqu’ils mangeraient moins bien.

C’est un aspect déjà réglé, selon le gouvernement ?

Je ne sais pas. Moi, je dis que c’est l’un des problèmes qu’il faut aborder, à savoir, les conditions de travail des maîtres. En ce qui concerne le second problème, il faut regarder la structure de notre système qui fait que bon an mal an, on se retrouve à l’université avec une pléthore d’étudiants qui veulent faire droit, science sociale, etc. Et très peu s’orientent vers les sciences, les études d’ingénieurs, etc. Quand j’ai dit ça, je n’ai rien dit encore parce que, pour savoir comment restructurer l’éducation, il faut déjà savoir ce que l’on veut faire de l’étudiant qui sort. Si c’est juste pour aller conduire zémidjan, bon alors, on lui donne des règles de sécurité pour la sécurité de ses clients et pour sa propre sécurité. Mais si on veut qu’il participe au développement du pays, il faut vraiment redéfinir l’enseignement depuis même l’école primaire pour voir comment sensibiliser davantage les étudiants, les élèves à la créativité. Il faut que nos élèves deviennent créatifs. Pas des gens qui répètent seulement ce qu’ils ont appris parce que le maitre le veut comme ça. Vous voyez que nous touchons déjà à la formation des maitres. Si les maitres les poussent à créer, ils seront de moins en moins répétiteurs. Mais si les maitres évaluent leurs compétences uniquement par leurs capacités à répéter ce qu’ils ont appris, alors on n’avance pas. C’est très compliqué. Si le forum peut se pencher sur ces genres de questions, dont la formation et les conditions des maitres, je crois qu’on n’aura pas ce problème.

Quelle appréciation faites-vous de la politique de placement des cadres béninois à l’extérieur ?

Ça ne me gène pas de dire que le gouvernement n’a pas une politique de placement des cadres. En tout cas, depuis 2008 quand je suis arrivé à ce niveau international, je ne perçois pas de politique de placement de nos cadres. Maintenant, il est temps de la mettre en place parce qu’il y a des pays qui sont très agressifs. Si on avait cette politique, on aurait su qu’il y a un danger en ce qui me concerne. Il est peut être limite. Mais, il est réel que si c’est le poste des affaires sociales que j’avais, je ne subirais pas de mort subite. Une politique aurait perçu ça et permis de maintenir mon poste, et c‘est dommage.

 Il existe pourtant un institut en la matière ?

Le fait d’avoir mis l’institut en place ne suffit pas. Mais est-ce que l’institut fonctionne ?

Les pays qui placent leurs cadres arrivent à réussir alors que le Bénin n’y arrive pas

C’est ça, parce que nous dormons trop facilement sur nos lauriers. Il faut nous remettre à la réalité et reconnaitre que ce qui est bon chez les autres, qu’on cherche à le copier et intelligemment. Notre attache consiste à copier ce qui est bon chez les autres et l’adapter à nos réalités parce que les postes internationaux sont bien pour la visibilité du pays.

Pourquoi, il y a tant de difficultés pour le Bénin, jadis quartier latin de l’Afrique, dans le placement des cadres à l’extérieur ?

C’est simplement parce que nous dormons un peu sur nos lauriers. Mais, on a fini d’être quartier latin de l’Afrique. Il faut commencer par nous mettre dans la réalité. Il est temps qu’on cherche à copier ce qui est bon chez les autres et intelligemment afin de l’adapter à nos réalités. Il faut comprendre que les postes internationaux sont bons pour la visibilité du pays. Mais, je pars de l’Union africaine à la Cedeao. Et d’un certain point de vue, ça me plait et ce que je vais faire au bout de quatre ans sera vu. Ce que j’ai fait à l’Union africaine me suffira dans une dizaine d’années. Et il faut préciser que tous les partenaires financiers se bousculent pour soutenir cette initiative. Mais les résultats, c’est dans 10 ans. Par contre, le peu qu’on va faire, puisque je vais à la Cedeao avec l’idée de créer un centre de recherches pour la communauté de l’Afrique de l’ouest sera bien vu. Si on met un (01) an ou un et demi à travailler ça sérieusement, tout le monde sentira avant les quatre ans qu’il y a quelque chose qui change. Au moins, au niveau des scientifiques, ils sentiront quelque chose sur le développement de leur vision pour la science et ça se verra. Or, à l’Union africaine, cela ne se voit pas.

Nous sommes à la veille de la célébration d’un nouvel anniversaire de la conférence des forces vives de la nation. Vous avez été aussi un homme politique. Quel regard portez-vous sur la démocratie béninoise depuis 1990 ?

(Long silence)

Etes-vous déçu ?

Je ne suis pas déçu puisque le Bénin continue de vivre et vit de beaucoup d’espoir. Ce qui était moins bien hier est meilleur aujourd’hui et ce qui est moins bien aujourd’hui, sera meilleur demain. Je suis dans cette dynamique-là. Passée l’euphorie de la toute première année où il y avait un président et puis un premier ministre élu par la conférence et qui a vraiment mis tout le monde à l’aise dans cet apprentissage de la démocratie. Mais depuis, je crois que les réalités nous ont rattrapé. Il y a un pouvoir qui a été mis en place par critique politique. Du coup, si le pouvoir veut appliquer sa politique, elle est obligée de s’inspirer des rigueurs et d’en imposer aux peuples. Ce que nous avons vécu jusqu’à présent. Si le pouvoir propose un programme à vie et vient mettre le programme en branle, il faut bien que tout le monde, plus ou moins, accepte tout ça. Ceux qui n’acceptent pas constituent une opposition ; une opposition forte dans laquelle chacun dit sa façon de percevoir le programme.

Votre avis sur la révision de la Constitution

Vous avez dit dès le départ que je suis un homme politique. Ce n’est plus le commissaire. Déjà en 2001, j’avais tenu un congrès. Ce que nous appelons conseil national à Goho et j’avais dit que notre constitution était à revoir. Ce qu’il fallait revoir était de généraliser la Céna et créer une Cour des comptes. Ce sont les deux points clés dont je me souviens. Mais la révision de la constitution qui est proposée aujourd’hui ne me surprend pas. Déjà en 2001, je disais qu’il fallait y aller et aujourd’hui, je vais dire que je n’y vais pas ? Pour quelle raison ? C’est le climat. Je suis sûr que par rapport à tout ce qui est proposé, tout le monde est d’accord. Tout le monde est d’accord pour la Cour constitutionnelle et pour la Cour des comptes. Tout le monde est d’accord pour que la Cena soit constitutionnalisée. Mais, ce qui ne va pas, c’est que le peuple n’a plus confiance en ses leaders et c’est peut-être à ce niveau qu’il y a problème. Ce n’est pas la révision qui est demandée qui est problème.

Pourquoi lui prête-t-on cette intention ? Moi, je l’ai entendu dire qu’il ne reste pas. Je l’ai entendu dire pendant qu’il était président de la commission de l’Union africaine. Il l’a dit à toutes nos réunions, à toutes les réunions de chefs d’Etats. Il l’a dit à la télé, pour les journalistes que vous êtes et vous l’avez révélé au grand jour. Pourquoi ne voulez-vous pas croire ce qu’il dit ?

Il faut dire également qu’il a été fait un mauvais procès à la Lépi disant qu’elle a été réalisée pour avantager certains. Au moment où la Lépi a été faite, les gens qui n’étaient pas dedans ont boycotté le processus et se sont ravisés plus tard. Le fait d’avoir boycotté la Lépi les a lésé. C’est de leur faute. Maintenant, puisqu’ils n’ont pas participé pleinement à créer quand même une entorse à la Lépi, il faut la corriger. Je suis tout à fait d’accord pour la correction de la Lépi. Alors, pourquoi ça traine ? On me dit que c’est parce que les bailleurs de fonds ne veulent pas financer. Je dis, heureusement qu’ils ne veulent pas financer parce qu’on ne peut pas faire financer notre démocratie par les autres tout le temps. Il faut qu’on se serre la ceinture si déjà ça nous coûte quelque chose. Et parce que nous devons, nous-mêmes, financer la correction de la Lépi, on n’a pas le nombre de milliards qu’il faut.

Avez-vous votre carte Lépi ?

Non, j’étais à Addis-Abéba et nous n’avons pas été concernés. Donc, je ne suis pas encore sur la liste électorale.

Que dites-vous au sujet du grand retard que connaissent les élections communales et municipales prévues pour 2013 ?

C’est vraiment dommage parce que l’une des caractéristiques d’une démocratie qui marche, c’est de tenir les élections à bonne date et le fait qu’on ne tient pas les élections à bonne date n’est pas un bon signe pour la santé de notre démocratie.

A qui incombe cette faute, selon vous ?

Au peuple béninois.

 Mais, c’est le gouvernement qui convoque le corps électoral 

J’ai écouté récemment le ministre Sacca Lafia et il a fait un raisonnement rigoureux. Il dit qu’avant de convoquer le corps électoral, il faut qu’une liste électorale existe. Mais la liste électorale n’existe pas parce que la Lépi n’a pas été corrigée. Le point de départ de toutes nos élections jusqu’aux élections présidentielles est la correction de la Lépi. Donc, il faut nous atteler à la correction de la Lépi.

 L’une des vraies difficultés de la structure en charge de la correction de la Lépi est relative aux ressources financières. Et là-dessus, le gouvernement peine à mettre la main dans la poche ?

Le gouvernement peine à mettre la main dans la poche parce que le peuple béninois n’a pas cet argent dans sa caisse. Le gouvernement est le gestionnaire de la caisse du Bénin. Le Bénin n’a pas cet argent dans la caisse et c’est ça le problème. Et c’est pour ça que je dis que les bailleurs de fonds ont bien fait de dire qu’ils ne veulent pas subventionner et le Bénin n’a qu’à se serrer la ceinture. Le Bénin est un pays souverain et par rapport à ça, ils ont raison de dire ‘’c’est votre souveraineté, allez-y’’ et maintenant nous devons nous serrer la ceinture.

Quelles propositions faites-vous ?

Le processus électoral commence par la révision de la Lépi. Pour l’aboutissement de la révision de la Lépi, que le gouvernement, au besoin, appelle des taxes exceptionnelles pour dire ‘’je demande à tous les Béninois de payer telle somme d’argent pour la révision de la Lépi’’.

Pensez-vous que le gouvernement ne dispose pas de la dizaine de milliards nécessaires pour corriger la Lépi alors qu’il dépense beaucoup ailleurs ?

Je n’ai jamais été ministre des finances. Je ne le suis pas non plus et je n’ai pas vocation de l’être. Je ne cherche pas ce qu’il y a dans la caisse. Je crois simplement à ce qu’on me dit. Il n’y a pas l’argent. J’imagine que, dans la caisse, il n’y a pas cet argent pour faire ces élections et ces élections ne seront pas payées.

A cette allure, d’aucuns craignent que le blocage de la correction de la Lépi conduise le Bénin à vivre des situations de troubles déplorables. Qu’en dites-vous ?

 

Il faut expliquer ce qui se passe. Il faut expliquer que si on ne fait pas les élections, il y aura des troubles graves parce que nous n‘avons pas d’argent et nous demandons au peuple béninois de cotiser telle somme d’argent, par exemple. C’est une façon de régler ce problème en faisant contribuer le peuple.

DSCI0090 Né à Guézin dans le département du Mono en 1944, le Professeur Jean Pierre Ezin est issu de parents paysans. Un père pêcheur et une mère vendeuse de poissons. « Dans notre village, quand j’ai grandi, ma famille paraissait parmi les familles bourgeoises de la localité », témoigne-t-il cependant. Il a fait ses premiers pas à l’école primaire catholique d’Agatogbo en 1951, et le secondaire au collège Aupiais à Cotonou en 1956. « J’ai bénéficié d’une bourse pour finir puisqu’on m’a sauté une classe. Je suis resté au collège Aupiais pendant sept années. Après, je suis allé à l’université, raconte-t-il, nanti d’un baccalauréat série C, avec mention passable. Il s’en explique : « Il faut dire que le bac se passait en deux phases. La première était le bac matériel à la fin de la classe de 1ère avec la mention assez bien. Cela a permis de me classer parmi les étudiants qui pouvaient aller dans les écoles. Et en terminale, j’ai pris la responsabilité nationale de la Jeunesse des étudiants catholiques (JEC). Là, j’ai mis assez d’énergie. Car, j’ai une conviction à défendre. Malheureusement, dans le mois de décembre, notre professeur de mathématiques est décédé dans un accident de circulation ». Mais, le fait d’être aujourd’hui brillant mathématicien n’a pas été sans lui. Par la suite, au lieu d’aller dans un lycée, il intègre une école préparatoire appelée Ecole supérieure des travaux publics (ESTP) en France en septembre 1963. Mais il change d’option et retourne à Dakar en 1964 pour faire une maitrise en mathématiques puis retourne, à nouveau, en France pour faire son troisième cycle à l’issue duquel il obtient le doctorat de troisième cycle en 1972. Il enseigne, par la suite en France pendant un an avant de regagner son pays pour enseigner à l’université nationale du Bénin, au département de mathématiques. En 1977, il eut une autre opportunité pour devenir maitre-assistant pour enseigner à l’Université de Lilles. Il soutiendra sa thèse de doctorat le 18 décembre 1981. « Le 24 décembre 1981, je suis revenu au Bénin. Je crois que la thèse m’a fait connaitre. C’est ainsi qu’en 1986, les Affaires étrangères françaises ont fait de moi un invité spécial à l’école polytechnique où j’ai fait six mois. J’étais là quand en 1986, on m’a fait la proposition d’aller au centre international de physique théorique où on voulait créer une section mathématiques. Donc, je me suis retrouvé avec un Anglais qui était d’ailleurs le responsable du groupe. Il y avait aussi un Italien, un Mexicain, un Béninois », se souvient-il. Il y est resté jusqu’en 1988. Dans la période, le directeur de ce centre lui disait : « Mais écoutes, tu retournes maintenant au Bénin. Mais tu vas complètement disparaître. Moi, quand j’ai fini mes études, on m’a nommé chef service des œuvres universitaires pour m’occuper du football. J’ai dû renoncer pour retourner en Angleterre ». Il ajoute : « si tu suis ce chemin-là, tu vas disparaitre. Alors, ce que je vais te faire, je vais mettre à ta disposition 25 mille dollars tous les ans et tu peux recruter des étudiants en doctorat. Cela va te permettre de te maintenir dans la recherche ». Après analyse, le professeur Ezin acquiesce. D’où la création de l’Institut national de mathématiques et de physiques (IMSP). « Donc, c’est moi qui ai créé l’IMSP avec la bénédiction d’Abdoul Sallam », se réjouit-il. Cet institut a donc fait son petit bonhomme de chemin et, aujourd’hui, fait partie des fleurons des sciences fondamentales en Afrique. Comme meilleur souvenir de sa carrière, il avoue que le plus grand était son bref passage comme recteur à l’Université nationale du Bénin en 1990. « J’ai été nommé après les soubresauts de la conférence des forces vives de la nation. C’est ce qui fait qu’on me reconnait comme le premier recteur du renouveau démocratique », dit-il. « Quand je me rappelle de ce contact avec les jeunes qui sont bouillants, qui croient que la démocratie est la liberté à tout et où on peut tout casser, où il faut tout le temps les contenir avec la raison », affirme-t-il. « Je respectais les franchises universitaires. Je n’acceptais pas les policiers sur le campus. Et pour le faire, j’avais des ministres compréhensifs. Le ministre de l’Intérieur était Fèliho et celui de l’Education, Paulin Hountondji. Donc, il y avait une complicité entre nous qui permettait de comprendre les étudiants. Je ne dis pas que c’est impossible de respecter les franchises universitaires, mais pour moi, c’est indispensable. Oui, j’ai géré l’université sans policiers ».

Intimité: Une vie sobre

Le Professeur  Jean Pierre Ezin est au nombre des ces éminents universitaires qui n’ont que leur tête dans le papier. Et même s’il lui arrive de se distraire, cela ne se passe qu’en famille. Il est donc  un homme sobre. Et a eu la chance de tomber sur une femme de même nature. «Elle n’était ni belle, ni vilaine. Mais je l’ai aimée comme elle était » raconte-t-il de son épouse qu’il rencontra pour la première fois en France, alors qu’ils étaient tous étudiants. Il a le même attachement pour ses quatre enfants, dont son aînée qui est également scientifique. Le professeur Jean Pierre Ezin est également un catholique très fervent et est très impliqué dans les activités catholiques tant au plan national que dans son Guézin natal. Comme activité sportive, il marche beaucoup. Ses 70 ans qu’il célèbre cette année ne demandent sans doute pas mieux pour maintenir une santé qui n’est plus dans la fleur de l’âge.

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