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Le triomphe de la vérité

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Fernand Nouwligbèto: « Le théâtre béninois ne nourrit pas encore son homme »


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Fernand Nouwligbeto

Fernand Nouwligbeto

Journaliste au départ, mais aujourd’hui professeur – assistant à l’Université d’Abomey- Calavi (UAC), Fernand Nouwligbèto est et demeure un artiste comédien sinon un acteur culturel de l’environnement théâtral du Bénin. Membre très actif du complexe artistique et culturel Kpanlingan dans les années 90, il a fait remarquer que l’artiste comédien béninois ne profite pas encore de son art en dépit des avancées enregistrées. C’est à travers un entretien qu’il a accordé à l’Evénement Précis, le jeudi 28 mars dernier dans les locaux de l’Ecole Normale Supérieure de Porto- Novo.

L’Evénement Précis : M. Nouwligbèto, est-ce qu’on peut affirmer aujourd’hui que le théâtre béninois a évolué ?

M. Fernand Nouwligbèto : Je crois que nous avons progressé dans certains domaines. Mais, dans d’autres, le théâtre béninois a régressé. Il y a beaucoup d’efforts qui ont été consentis dans le domaine de la réflexion, sur la pratique théâtrale. Des universitaires ont eu à faire des publications sur le théâtre béninois, l’évolution depuis la période coloniale jusqu’à nos jours et même pré-coloniale jusqu’à nos jours. On a essayé de s’interroger sur un certain nombre de problèmes auxquels ce théâtre est confronté et d’esquisser des pistes de solutions. Le progrès qui a été aussi fait porte sur la production théâtrale, la production dramatique, c’est-à-dire, la rédaction et la publication de textes de théâtre. Il y a de nouvelles plumes qui sont apparues, déjà dans les années 90 et cela s’est accentué. Globalement, on peut sentir qu’il y a, de plus en plus, de jeunes auteurs béninois qui produisent et publient des textes. Donc, quand on observe ces deux plans, on peut dire oui, il y a des progrès. En revanche, ce qui a beaucoup manqué et continue de poser de sérieux problèmes à l’essor du théâtre béninois, ce sont les représentations théâtrales en quantité et de qualité. Si nous mettons de côté le théâtre scolaire qui continue plus ou moins de progresser, de gagner plus d’établissements scolaires, on constate que le théâtre professionnel s’étiole ; le théâtre marque le pas sérieusement ; et il suffit de comparer les représentations théâtrales du début des années 90 jusqu’à la fin de cette même année, à ce qu’on observe de l’année 2000 à nos jours, pour se rendre compte qu’il y avait eu véritablement effervescence théâtrale dans les années 90 et qu’actuellement, on assiste à une sorte de tassement de la production théâtrale. Il y a donc lieu de s’interroger. Or, le théâtre, ce n’est pas que le texte ; le théâtre, c’est aussi et surtout le spectacle. Cela manque beaucoup. Nous avons effectivement reculé dans ce domaine et il urge d’y remédier.

Qu’est-ce qui est à la base de ce recul ?

D’abord, il y a des constats qu’on peut faire. Et ces constats, c’est que les générations, le rythme de succession des générations d’acteurs de théâtre béninois est trop rapide, c’est-à-dire que la rotation est trop élevée, le rythme est trop élevé. On a vu des acteurs du monde théâtral qui ont émergé dans les années 90 mais qui ne sont plus là maintenant. Or, de 1990 à 2013, c’est 23 ans ! Ce n’est pas suffisant. On doit toujours avoir ceux – là dans le monde théâtral. Mais ils ne sont plus là. La plupart des troupes de théâtre créées dans les années 90 n’existent pratiquement plus. Et celles qui continuent d’exister comme le complexe Kpanlingan, comme Agbohounkoko marquent le pas. Le rythme de production est très lent. On ne les voit plus, ces troupes là. L’autre signe ou du moins l’autre manifestation de ce tassement de la production spectaculaire, c’est la fréquentation des centres et lieux de spectacles. Le public ne se déplace plus comme avant. L’affluence a beaucoup diminué. Tout cela constitue des signes révélateurs de la léthargie du théâtre béninois.

M. le professeur, que faire?

Pour y remédier, il faut d’abord chercher à connaître les causes. Et l’une de ces causes au Bénin, c’est que la pratique n’arrive pas encore à nourrir son homme. La plupart de ceux qui ont commencé à le faire au début des années 90 se sont rendus compte qu’ils ne peuvent plus continuer. Ceci parce qu’ils sont devenus des pères et mères de familles. Ils ont commencé à avoir des ambitions comme n’importe quel homme. Or, avec le théâtre, ils se sont rendu compte que c’est extrêmement difficile d’y parvenir. Beaucoup ont quitté la scène et sont allés dans l’arène sociale pour avoir de quoi se nourrir et nourrir leurs familles. Donc, il faut d’abord résoudre l’équation ‘’ comment faire pour que le théâtre nourrisse son homme au Bénin’’ avant d’envisager d’autres solutions.

Affirmez-vous que le théâtre béninois ne nourrit pas son homme ?

Le théâtre béninois ne nourrit pas encore son homme. Il y a certes des exceptions. Mais, ce n’est pas encore ça. Quand je prends des gens comme Alougbine Dine et Lazarre Houétin, on se rend compte qu’ils ont commencé à vivre véritablement du théâtre grâce à leurs expériences au niveau externe. Ce n’est pas au Bénin ! Ils ont commencé à en vivre véritablement lorsqu’ils sont partis poursuivre leurs expériences ailleurs, sous d’autres cieux avant de revenir. On a l’impression qu’à l’interne, c’est difficile, c’est encore très compliqué. Je trouve que les artistes béninois n’arrivent pas encore à prêter suffisamment oreilles aux sollicitations du public. Il y a divorce du monde artistique d’avec le public. Ce n’est pas le public qui s’est détourné de la scène. Mais, ce sont, au contraire les artistes qui ont tourné le dos au public. Il faut qu’ils reviennent au public, il faut qu’ils abordent les sujets que le public aime et qui constituent son lot au quotidien. Or, la plupart font des pièces qui sont destinées au marché extérieur, au marché européen. C’est cela qu’on vit prioritairement au détriment du public local.

Parlez-nous des dernières actualités du complexe artistique et culturel Kpanlingan ?

Ce complexe est toujours là. Il est actuellement dirigé par Sosthène Zohoun. Mais le rythme de production a beaucoup chuté de telle sorte que je me demande combien de fois, ils sortent par an. D’abord, les heures de travail, les heures de répétition ont beaucoup diminué. Avant, on était là à 15 heures et on finissait autour de 19 heures. Mais maintenant, c’est à 17 heures qu’on vient et on rentre avant 19 heures. Et cela se comprend. Le divorce semble se prononcer entre les artistes et le public. Il faut donc qu’on retourne au public. Le public aussi bien local qu’international. Et cela ne peut se faire qu’à travers des types de productions qui permettent aux artistes de traduire les préoccupations du public. Il n’y a pas eu, par exemple, de théâtre sur le scandale Icc. Or, les Béninois veulent ça.

Un appel aux jeunes aspirants

Il faut que les jeunes sachent que la pratique théâtrale est une pratique sociale et de vie majeure et que cela permette de s’émanciper culturellement et psychologiquement. Ils ont donc intérêt à lire les grands auteurs dramatiques mais aussi à faire des mises en scène, jouer, s’émanciper et s’éclater.

Entretien réalisé par Esckil AGBO

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