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Le triomphe de la vérité

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Sous L’Arbre à Palabres avec Sébastien Azondékon, Professeur titulaire d’Économie et de Gestion à l’Université du Québec en Outaouais:« Aujourd’hui, Bio Tchané incarne la crédibilité aux yeux des Béninois »


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Sébastien Azondékon: « ...puisque tout le monde se met à genou devant vous, vous pouvez devenir très tôt sans aucune notion de dictature, un dictateur...»

Invité de la rubrique « Sous l’Arbre à palabres », l’ancien Conseiller spécial à l’économie du Général Mathieu Kérékou et Professeur titulaire d’Économie et de Gestion à l’Université du Québec en Outaouais, Sébastien Azondékon jette un regard critique sur la gouvernance économique depuis 2006 sous Boni Yayi et apprécie l’initiative d’un forum pour relancer l’économie nationale. Fervent militant de l’Alliance ABT, il explique les raisons de son soutien à l’ancien Président de la BOAD, Abdoulaye Bio Tchané et apprécie le discours tenu par le Chef de l’Etat le 1er Août dernier à l’occasion de la célébration des 52 ans d’indépendance du Bénin.

                                                                                                      Et si on en parlait

Vous avez été pendant longtemps Conseiller spécial à l’économie du président Mathieu Kérékou. Maintenant que vous ne l’êtes plus, quel regard jetez-vous aujourd’hui sur l’économie béninoise ?

C’est vrai que j’ai été le Conseiller spécial du président Mathieu Kérékou après une absence du territoire national pendant deux décennies. Je suis revenu puis fortuitement, suite à une émission intitulée « Gros plan » que j’ai animée sur l’ORTB (Office de Radiodiffusion et Télévision du Bénin), le président m’a appelé et nous avions eu trois heures de discussions. C’est la première fois que je l’ai côtoyé sinon c’est un homme que j’ai combattu durant toute ma jeunesse. Mais après l’avoir réellement connu, les relations entre lui et moi sont devenues particulières. Donc, après l’émission, il m’a appelé. Mais j’étais un peu inquiet à l’idée de m’y rendre.

 Cependant, je n’y serais pas allé, que c’aurait été la pire erreur de ma vie. Je me suis rendu à l’invitation. On a échangé entre père et fils. C’était très amical. Et je lui ai dit les vérités que je pensais. Mais, j’ai vu un homme qui ne semblait pas être celui que j’ai combattu. Je lui ai dit : « Saviez-vous que j’ai passé toute ma vie à vous combattre ? Et maintenant vous m’invitez chez vous. En vérité, j’étais frileux à l’idée de venir parce que j’avais peur qu’une fois chez vous, vous me coffriez ! » Il a ri et c’est là qu’il a su que j’étais un « anarcho-gauchiste » dans le temps.

 On a fait trois heures de discussion ! Pour moi, un président qui m’invite pour la première fois et me consacre trois heures de temps, c’est très rare. Donc, j’ai été honoré et c’est suite à cela qu’il a exprimé le désir de me voir travailler à ses côtés. Il a pris toutes les dispositions et écrit au Canada pour me demander de venir. J’ai accepté parce que c’était utile pour mon pays, pour moi-même. Bien sûr, ce n’était pas rose, ce séjour au Palais ; c’était dur.

Ce n’était pas du côté du président Mathieu Kérékou que c’était dur, mais cela l’était. Il m’a toujours tenu en grand respect, avec beaucoup de considération. Durant tout le temps, il ne m’a jamais appelé par mon nom. Il m’a toujours appelé professeur et des fois même, je me sentais très petit par rapport à cette considération qu’il me donnait et pour me demander quelque chose, c’est vraiment de père à fils. Quand je n’étais pas sur la bonne voie, il me le disait et si je suis sur la bonne voie, il le disait également. C’est pour vous dire que ce n’est pas parce que je suis professeur titulaire que je suis mieux qu’un général, que je suis mieux que n’importe qui, mais non.

Je suis professeur titulaire dans un domaine et je peux dire que dans tous les autres domaines, je suis ignorant titulaire. Donc, ce monsieur m’a appris à connaître le Bénin et j’ai beaucoup admiré la connaissance qu’il a de ce pays. On parle, on parle et il dit : « Professeur, quelle intelligence ? Mais malheureusement, vous ne connaissez pas votre pays ». Et il me dit comment je ne connais pas mon pays. On a travaillé ensemble pendant cinq ans, un an au Canada et le reste ici. J’ai éprouvé du plaisir. Bien sûr, par rapport à la cour, j’ai vécu l’enfer parce que c’était dur. C’est vrai que ça m’a beaucoup formé à connaitre ce que c’est qu’une cour présidentielle.

 Je vois que je suis en mesure de comparer, de dire des choses pertinentes puisque le président Yayi Boni est quelqu’un que je connaissais très bien, c’est un ami à moi. Je l’ai toujours dit, c’est mon aîné parce qu’il a trois ans de promotion sur moi. Quand il était venu, je me suis dit que c’est une belle expérience que le peuple allait faire. Mais, j’avais des appréhensions puisque si je me mets à sa place, c’est comme la première fois où j’ai rencontré le président Mathieu Kérékou. J’ai vu que j’étais très ignorant sans le savoir.

Tout le reste était plus grand que la science qui m’habite et je me dis que lui n’a pas eu à faire ce chemin-là. Est-ce qu’il pourra nager dans cette eau trouble et savoir se positionner par rapport à ce labyrinthe qu’est le pouvoir d’Etat et la cour présidentielle ? Parce que quand vous devenez président, vous n’avez plus que des ordres à donner aux autres et si vous n’avez pas confiance en vous avant d’arriver là, parce que vous étiez dubitatif à votre connaissance, rapidement vous commencez par vous trouver des qualités que vous n’avez jamais pensé avoir. Et, puisque tout le monde se met à genou devant vous, vous pouvez devenir très tôt sans aucune notion de dictature, un dictateur.

Vous savez ce que je veux dire, ce sont les peuples qui créent leur dictateur et c’est très facile de tomber là-dedans si on ne s’y est pas bien préparé. Et, quand j’ai eu à constater ce qui se passait dans l’entourage du président Boni Yayi, j’ai eu pitié de lui. J’ai dit que ce que le Général a vécu et surmonté grâce à l’expérience, Boni Yayi va le vivre et s’il ne sait pas faire, il va succomber à cause de l’inexpérience. Je ne sais pas si le temps m’a donné raison. Mais je pense que le temps ne m’a pas donné tort. Il y a un principe sacré : lorsque vous êtes au pouvoir, vous êtes dans une tour d’ivoire.

Vous êtes en quelque sorte déconnecté. Ce qui se passe dehors, vous ne le savez pas. Mais les gens qui vous entourent viendront vous dire : « Monsieur le président, dans le peuple, tout le monde est acquis à votre cause, vous êtes le plus gentil, le plus beau, le plus intelligent… ». Mais il faut savoir prendre ça avec beaucoup de recul sinon, ça vous saoûle. C’est pourquoi, on dit aux politiciens « de la tour d’ivoire, à ton tour d’y voir » !

Lorsque les gens viennent vous colporter des choses pour rester dans vos bonnes grâces, pour avoir de la promotion, faites attention et vérifiez au moins ce qu’ils ont dit. Et de ce point de vue, celui avec qui j’avais travaillé avait un service de renseignements bien au point. Je ne crois pas que ce soit le cas maintenant. C’est tout ce que je peux dire.

Alors, à titre de comparaison, vous confirmez que tout ce qui se passe sous Yayi est négatif?

Non, je ne dis pas que c’est négatif, mais je dirai que l’expérience a fait son chemin et a donné des preuves. L’inexpérience aussi nous a montré ses limites. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a que des actions négatives ou des actions positives d’un côté ou de l’autre.

Au moment où vous conseilliez le président Kérékou et maintenant où votre ami Boni Yayi se fait conseiller par d’autres, quel est l’état de l’économie ?

Au moment où je conseillais le président Kérékou, je ne peux pas dire que tout était rose. Non ! Mais la conjoncture était différente parce que « Monsieur Tout le Monde » arrivait à mieux joindre les deux bouts. C’est comme on dit de façon technique, le panier de la ménagère se portait mieux. Prenez par exemple le Port Autonome de Cotonou. Ça fonctionnait beaucoup mieux. C’était le centre d’activités où vous pouviez trouver de grands hommes d’affaires, de grands bandits aussi -ce n’est pas que j’encourage le banditisme- mais tout le monde y trouvait sa part.

Là, la misère se sentait beaucoup moins et dans d’autres secteurs d’activités, les choses allaient beaucoup mieux. Bien sûr, dans tout régime politique, il y a une certaine proportion des positionnements qui sont purement politiques voire fantaisistes. Mais il ne faut pas que ce soit le gros lot. Il faut tout faire pour que cela ne se généralise pas. Je ne peux pas dire que le Général ne faisait pas des promotions à ses amis politiques qui l’ont supporté. Dans tout régime politique, dans tous les pays, vous verrez cela, mais avec retenue. Et il faut tout faire pour que cela ne se généralise pas.

Je le dis parce que le Président de la République peut provenir d’un parti. Mais une fois élu, il devient Président de tous ses concitoyens y compris ceux qui n’ont pas voté pour lui. Or, les gens de son entourage mettront tout en œuvre pour l’amener vers le parti pris. Et s’il ne sait pas faire, il tombe et crée autour de lui une cour de privilégiés et d’intrigants. Là, qu’est-ce qu’ils vont vous dire ? « Les nominations doivent venir de là, c’est nous qui sommes là aujourd’hui, c’est nous qui avons le pouvoir ». Mais, c’est faux dans le cas d’espèce. Car, les Fcbe n’ont jamais eu le pouvoir et ce n’est pas les Fcbe qui ont amené Boni Yayi au pouvoir. Mais, ils se plaisent à dire ça et en profitent pour jouer la clarinette à leur chef à longueur de journées.

Le pouvoir, c’est une drogue, c’est la plus puissante des drogues. La jouissance qu’il y a dans le pouvoir, comme l’a dit Michael Gorbatchev, dépasse l’orgasme. C’est-à-dire que quand vous êtes là, vous êtes au contact des choses, et quand vous ne savez pas faire, vous perdez l’âme. Je suis sûr que le Président Boni Yayi n’était pas tout ce dont on le taxe avant de venir au pouvoir. Ça, c’est faux et j’en suis convaincu. Le pouvoir, ça peut vous dénaturer si vous ne savez pas faire. Le pouvoir peut vous dénaturer si vous ne savez pas faire.

Le phénomène d’édification d’un parti se situe également dans le dynamisme. Le parti naît peut être très large avec beaucoup de ferveur. Mais au fur et à mesure que l’intérêt devient consistant, il y a du filtre. Et si on ne sait pas faire, le parti peut se réduire à un pré-carré de fidèles qui ne sont pas nécessairement des compétents mais des courtisans et qu’il faut nommer là. Dès que celui-ci sent qu’il a une parcelle de pouvoir, il cherche aussi à nommer quelqu’un qu’il connaît et contrôle.

Si le chef ne sait pas faire, il sera poussé à la chose la plus grave : le népotisme, le régionalisme. Et cela va saper toute votre action. On aura beau reprocher tout au général Mathieu Kérékou, on reconnaîtra que quand on parle de l’unité nationale, il en est -tous politiciens confondus- l’incarnation. Il a su doser. Moi, il a fallu que je l’approche, pour savoir comment ce monsieur forme ses gouvernements. Un jour, il me dit : « Professeur suggérez-moi un gouvernement ». Voulant promouvoir la compétence, je lui ai proposé des cadres rompus à la tâche.Si vous lui proposez quelque chose et qu’il est d’accord, il ne vous répond pas.

Mais quand il n’est pas d’accord, il vous répond tout de suite avec beaucoup d’annotations. Un jour, il m’a appelé. Il me dit : « Professeur, est-ce que ce sont seulement ceux qui parlent bien Français qui peuvent être ministres au Bénin? ». Je me demandais ce qu’il voulait dire par là ? ». Il a poursuivi en ces termes : « Vous êtes resté à l’extérieur et beaucoup de réalités de votre pays vous échappent ». Alors, j’ai commencé par faire une analyse rétrospective de tous les gouvernements qu’il a eu à former depuis qu’il a pris le pouvoir.

J’étais en seconde quand il a pris le pouvoir. Il a nommé des gens dans ce pays et on l’a critiqué. Il est originaire de l’Atacora comme vous le savez. Il me dit encore, « Pourquoi l’Atacora aura tant de ministres ? ». Je dis : « par respect au principe de l’équilibre régional ». Il me dit « Professeur, le président là il est d’où ? ». Je dis « de l’Atacora ». Et il dit « Le président seul ne vaut-il pas tous les ministres ? ». C’est ça, ce qu’on appelle le dosage, mes amis !

Il n’a pas été dans de grandes écoles pour aller apprendre les sciences politiques, il n’a pas fait le Doctorat comme nous, mais il a le flair, le sens de l’équilibre et de l’équité. C’est pourquoi je vous dis que j’ai appris beaucoup de choses à ses côtés. C’est pourquoi, avant que les gens n’arrivent aux affaires, il faut qu’ils aient au moins goûté à la chose politique, pas forcément par la même expérience que j’ai eu à faire, mais au moins ça. Sinon, ceux qui sont aux côtés du chef, s’ils connaissent mieux la chose politique que vous, ils vont vous manipuler à leur convenance.

Et moi, je suis convaincu à 100% que Boni Yayi, pensant qu’il dirige les gens, est fortement manipulé. Et là, il va commettre toutes les erreurs, parce que les manipulateurs ce ne sont pas eux les responsables. Quel que soit ce qui se passe, c’est le chef qui en est responsable. On va dire que c’est Yayi qui a fait ça. Il ne faut pas qu’il s’en offusque. Car, si tu acceptes toute la jouissance qu’il y a dans le pouvoir, il faut aussi en accepter l’amertume.

Que pensez-vous de la gestion économique actuelle du Bénin ?

Tout le monde vit le sentiment que les agrégats économiques sont tombés. Entre le sentiment que l’on a et ce qu’on vit, où se trouve la réalité ? C’est ce qu’on vit. Ecoutez, le FMI n’a jamais dit dans son rapport que tout est bon au Bénin. La preuve, quand le président était venu le 1er Août à la télé, il montrait le rapport aux journalistes en disant : « lisez, on a écrit ici satisfait, ici satisfait ». On peut avoir satisfait sur plusieurs critères et se retrouver globalement dans « insatisfait ».

 Le Président n’a jamais donné lecture de l’appréciation globale. Cela serait mieux accepté. Moi, je dis que nous ne devons pas chercher à nous dédouaner facilement. Nous ne devons pas chercher des auto-satisfécits. Parce que nous sommes dans un régime démocratique, nous passons et le Bénin reste. Et tout ce que nous avons fait, ça devient de l’histoire et on nous jugera par rapport à ça.

Mais Professeur on dit que les agrégats sont mauvais. Qu’en pensez-vous ?

Seul ici, je n’aurais jamais prononcé le mot agrégat avant de quitter votre studio. Parce que je ne suis pas dans mon amphithéâtre. Ce que je dis avec vous, c’est à l’attention de « Monsieur Tout le Monde ». Est-ce que « Monsieur Tout le Monde » connaît ce qu’on appelle agrégat ? Je crois que non. Moi, au lieu de me baser sur les agrégats que tout le monde sait déjà mauvais puisque nous sommes dernier, je préfère m’appuyer sur le vécu. Ecoutez messieurs, avec de bons agrégats, est-on dernier ?

Donc, j’assume cette dernière position. Ce qui me permet de dire que les agrégats sont mauvais. Sans même recourir à la science qui m’habite, c’est que le gouvernement même dit en conseil des ministres qu’arrivé au port de Lomé, on compte 40 bateaux alors qu’à Cotonou on trouve dans le même temps à peine 5 ! C’est le gouvernement qui dit ça, ce n’est pas moi. La situation est si difficile aujourd’hui que le citoyen béninois peine à s’offrir un repas par jour. Mais, ce sont les agrégats qui parlent comme ça.

Alors là, je n’ai même plus besoin de dire que ça va mal et très mal même. Je préfère ça que d’aller parler d’équilibre macro-économique, car si nous venons sur des plateaux de télévision ou des rubriques du genre utiliser des termes savants mais opaques parce que nous sommes détenteurs de gros diplômes, alors nous sommes de véritables érudits qui n’ont pas leur place dans la transformation qualitative de la société.

N’est-ce pas ce qui conduit le gouvernement à prendre l’initiative d’un forum ?

Je dis que le gouvernement n’a pas initié un forum. Si on dit ça, je dis non. C’est l’alliance ABT qui l’a initié. Avec ce qui se passe là, le pire est encore devant nous. Et même si nous sommes opposants, nous sommes avant tout des républicains et nous respectons le jeu démocratique. Ce n’est donc pas une raison pour nous de dire « laissons le pays couler ». Le président Yayi va partir et laissera un trou profond si rien n’est fait. Et si nous laissons couler le pays et que nous venons au pouvoir, avant de combler un tel trou, ce sera difficile. Nous devrons d’abord ramener le pays à la surface, ce ne serait pas facile.

C’est pourquoi on a dit qu’à cette allure il faut un sursaut patriotique. Parlons maintenant et respectons donc nos paroles. Ça prend non seulement un consensus mais aussi une approche inclusive. Et c’est l’exemple que je donne. En 1989, le pays était à terre. Nous avons eu le courage. Et celui qui est là aussi a vu qu’on ne peut pas faire autrement. Il a convoqué une conférence nationale. Cela a été fait. Et les gens ont dit que la conférence doit être souveraine et ses décisions exécutoires. Les thuriféraires du régime étaient contre. Et il a fallu la croix et la bannière pour qu’ils entendent raison.

 Mais leur chef comme il aime son pays, a dit non. C’est ça la grandeur de l’homme. Et quand la conférence a poursuivi ses travaux jusqu’à la fin, ils lui ont dit « tu refuses, voici le discours de refus ». En ce temps, s’il disait ça qui pouvait broncher ? Mais on sait ce qu’on a enduré. Ceux qui sont là aujourd’hui n’ont pas fait ce chemin-là. Et ce chemin est jonché d’embuches, je peux vous le dire.

Que pensez-vous alors de l’idée du forum économique que préconise le Président de la République ?

Quand il venait clôturer la conférence nationale en février 1990, le Président Kérékou avait un discours de remise en cause totale des décisions de la conférence en poche, un discours rédigé par les barons de son parti, le PRPB.Et quand il venait, les gens l’ovationnaient parce qu’ils savaient qu’il allait tout balayer du revers de la main. Alors qu’il s’est fait écrire un autre discours. Il a alors dit « j’accepte ». Il s’en est suivi l’Hymne National à l’unisson. Du coup, le peuple venait de prendre un consensus. C’est inclusif. Parce que toutes les forces étaient là. Ceci vient de faire vingt deux ans.

Depuis notre indépendance, quel consensus nous avons eu et qui soit aussi durable ? Aucun. Nous avons des phénomènes cycliques qui arrivent. Ils peuvent ne pas arriver de la même manière. Mais quand ça arrive, nous devons aller nous ressourcer dans notre patrimoine expérientiel. On l’interroge : «En de tels moments, lorsque de pareilles circonstances s’étaient présentées, qu’est-ce que nous avions bien pu faire ? » Parlons ensemble et décidons de comment nous allons nous gouverner économiquement et socialement. Politiquement, nous l’avons déjà fait et nous avons réussi. La preuve, quand quiconque manifeste le moindre désir de révision opportuniste de la constitution, même dans les villages les plus reculés, les populations disent vigoureusement « Non ! nous ne voulons pas » !

 C’est un consensus puissant. Redéfinissons le même consensus au plan économique pour baliser l’action gouvernementale pour que, si un Président arrive là, il ne fasse pas ce qui lui passe par la tête. C’est ça la Conférence nationale sur l’économie. Mais si c’est un forum, vous voulez qu’on fasse un forum en plus de tous les autres fora qu’on a déjà faits et qui n’ont jamais rien donné, un forum pour placoter encore pour qu’en sortant de là personne ne soit engagé à rien ?

 Mais, ça ce serait encore plus terrible. Si le président estime que la situation d’aujourd’hui n’est pas comparable à celle d’alors, puisque c’est lui le premier magistrat du pays, alors je lui dirai « Monsieur le Président, allez consulter les comptes-rendus que vous avez donc faits rien que sur l’affaire du PVI. Le Béninois peine à se donner un repas par jour. En 1989, ce n’était pas comme cela. Il peinait à se donner deux repas. Donc je dis, Monsieur le Président, vous êtes notre Président à nous tous. Pas le président des FCBE, mais le président à nous tous. Même de ceux qui sont dans l’opposition.

 De la tour d’ivoire à votre tour d’y voir. Parce que lorsque vous dites ça, le citoyen lambda dira : est-ce que nous sommes dans le même Bénin que notre Président ? Nous, on est dans le Bénin où on peine à se donner un repas par jour. Mais lui, par contre, il est dans le Bénin de l’abondance. Et s’il dit ça, vous allez dire qu’il a tort ? Non, mais il est simple dans sa façon de raisonner ».

Comment appréciez-vous l’intervention du Chef de l’État le 1er Août dernier ?

J’ai suivi cette intervention comme tout le monde. Je m’attarderai seulement sur certains points saillants. Le Chef de l’État a dit que même si on bloque le port, on peut payer plusieurs mois de salaires. Plusieurs, ce n’est pas défini là. Si on me disait exactement tel nombre de mois je suis d’accord. Plusieurs, c’est déjà à partir de deux (02), nous sommes d’accord. Mais supposons que ce soit comme cela. Si le Président est élu pour garantir seulement les salaires, est-ce la peine d’avoir même un gouvernement pour parler de ministre des finances ?

Donnons cette masse salariale à quelqu’un qu’on va appeler ministre de la fonction publique et à chaque fin de mois, vous venez vous mettre en rang et il vous distribue ça. Moi, je pense que la gouvernance, c’est beaucoup plus qu’un problème de salaire. C’est pour ça que le Président vient avec un projet de société. Et dans ce projet de société, nulle part il n’est question de salaire. On suggère le développement de plusieurs choses qui génèrent le salaire. Je suis déjà content que le Président n’ait pas dit qu’on va payer les salaires jusqu’à la fin de son mandat.Il a dit qu’on va payer pour plusieurs mois.

 Je ne pense pas que ce soit le Président de la République qui ait eu l’initiative de ces paroles. La courtisanerie est passée par là. Or, les courtisans ne réfléchissent que pour eux-mêmes et leurs ventres. Alors que ce peuple ne dort plus, puisqu’il ne mange pas. Comme je vous l’ai dit, je n’ai pas dit que tout ce que le Président a dit est mauvais. Je fais la part des choses. Mais il y avait des propos qui ne devraient jamais sortir de la bouche d’un Chef d’Etat. Des propos tels que « ils sont tous petits ; mes enfants sont plus diplômés qu’eux… ».

La souveraineté est au peuple, appartient au peuple et le peuple est grand, plus grand que celui qu’il a élu. Puisque celui qu’il a élu est sous lui. Alors, quand vous dites ça, c’est grave. Moi, je suis fier de dire que tout ce que j’ai aujourd’hui, je l’ai eu de moi-même. Le Bénin ne m’a pistonné nulle part. Mes enfants sont à l’extérieur, ils étudient et ils travaillent. Mais je ne peux jamais dire qu’ils sont plus compétents que les enfants formés à l’école de la République, même si cela était vrai. Est-ce la faute de ces enfants-là si les choses en sont ainsi ? Non ! C’est la faute à leur gouvernement.

Lui par exemple, ce pays lui a beaucoup donné et comme on le dit :« A qui il a été beaucoup donné, il sera beaucoup demandé ». La preuve, il ne s’est pas nommé Président de la Boad ! C’est le Bénin qui l’a nommé. Si vous avez bénéficié de tous ces avantages et que vous voulez comparer le niveau de vos enfants à celui des enfants de la République, je dis que c’est grave. Troisième chose, lorsque le chef de l’Etat dit : « Ils pensent que moi je n’ai pas mes partisans dans le Bénin profond, ils vont s’affronter », ça c’est encore gravissime. Notre Président doit à l’avenir éviter de telles déclarations absolument inopportunes par les temps actuels.

Qu’a-t-il alors dit de bon dans l’interview ?

Tout le reste pour moi, n’importe quel Président peut dire ça.

Kérékou ne disait-il pas aussi des choses de ce genre ?

Il disait que nous avons à faire à des intellectuels tarés, il disait aussi que ses ministres sont à 90% corrompus. Ce n’est pas la même chose. S’il dit que ses ministres sont à 90% corrompus, il fait par la suite un remaniement et dans ce remaniement le ministre dégommé ne devient plus conseiller spécial.

Parce qu’un Conseiller spécial a plus de pouvoir qu’un ministre. Et si vous le dégommez, c’est parce qu’il est contre-performant. Mais, on constate aujourd’hui que c’est l’incompétent dégommé qui devient Conseiller spécial alors que le conseiller spécial est dans le pré-carré du Président de la République. Il n’a aucun autre chef que le Président. Moi, je l’ai été et je sais ce que ça veut dire.

Mais actuellement le Chef de l’Etat n’a qu’un seul Conseiller spécial ?

Actuellement, je ne sais pas le nombre fixe mais il semble qu’on a dégraissé un peu. Il est important de reconnaitre quand même que n’importe quelle personne qui n’est pas capable de se conseiller, est aujourd’hui nommée Conseiller spécial. Disons-nous la vérité, et on a fait bondir leurs rémunérations.

Comprenez donc que les problèmes que l’on a aujourd’hui ne sont que le cumul des erreurs commises par le passé. Vous savez, il y a un principe en statistique qui dit que lorsque vous accumulez les petites causes à effets individuels minimes, le cumul des effets peut devenir monstrueux. C’est ce que nous vivons aujourd’hui.

Le discours du chef de l’Etat le 1er Août vous a-t-il fait oublier la Lépi que vous attaquiez tant ?

Moi, je n’attaquais pas particulièrement la Lépi mais au contraire toute la gouvernance. A propos de la Lépi, je vous tiendrai le même langage que celui que j’ai tenu sur une télévision de la place. Un professeur de statistiques, lorsqu’il veut parler, met des gants parce qu’on ne pourra jamais le prendre en porte-à-faux. Je dis que la Lépi peut exister. Je ne sais pas. Si elle existe, il faut la corriger avant n’importe quelle élection. Mais si elle n’existe pas, que veut-on corriger alors ?

Elle a été découverte par les députés au Centre international des conférences ?

C’est faux. Si elle existe, ce n’est pas dans un ordinateur qu’elle serait. Orden Alladatin disait qu’elle doit être affichée et on doit la voir. C’est fantastique, ce qu’il a dit. Si c’est ainsi qu’on va me démontrer que la Lépi existe je dis non qu’elle n’existe pas. Ils n’ont qu’à me trouver un autre argument.

La loi a recommandé qu’on mette la Lépi sur internet. Seriez-vous d’accord qu’on mette vos données personnelles sur l’Internet en l’état actuel des choses ?

Mais oui ! Je ne suis pas un criminel. Au contraire, en faisant ainsi, c’est une publicité pour moi, ce qui fait ma fierté. Le fait de mettre simplement sur le Net Azondékon Sébastien, professeur titulaire d’économie, vous savez combien de contrats ça peut me rapporter ? Mais ça sera énorme.

Le fait de mettre par exemple sur Internet la situation matrimoniale d’un citoyen qui a quatre femmes, ça ne va pas le déranger?

Mais si quelqu’un a quatre femmes et qu’il n’en est pas fier, c’est grave. Mon père en avait 7. Ça fait 25 ans que je travaille au Canada. Mes collègues me disent « toi tu es trop intelligent ; ton papa doit avoir été ministre au Bénin ». Et je leur rétorque : « Jamais, mon père est un cultivateur et analphabète ». Et ils disent « Non ! Mais comment tu as eu deux doctorats ? ». Et je leur réponds que chez moi, on attribue les bourses au mérite. « Tu as des frères ? ».

 Je dis que j’en possède 50. Mais je ne rougis pas de ce que j’en ai 50. Ça c’est moi. Pourquoi veut-on me dissocier de cela ? Mes collègues disent : « On ne te croit pas. Toi, tu as 50 frères ? Cite leurs noms et nous allons voir. » Et je commence à les citer. Et ils disent : « Tu as vraiment 50 frères, sinon les prénoms ne peuvent pas venir automatiquement comme ça ». Vous pensez que cette situation me rend malheureux ? Mais non ! C’est ma réalité.

La preuve quand j’étais parti sur Canal 3 la fois dernière, en abordant le sujet de coton, je n’ai pas hésité à dire que je suis un fils du coton et que si vous me voyez en veste comme ça je ne l’ai pas été tout le temps. J’ai travaillé dans le coton, j’ai fait le traitement et je suis né dedans. Après avoir travaillé toute la journée, on nous faisait boire 250 ml d’huile rouge pour ne pas mourir. Si vous voulez, je vous amène dans mon village pour que vous puissiez prendre des témoignages. Là-bas même, je me retrouve dans mon milieu car quand je suis à Cotonou je ne me sens pas chez moi. C’est pire au Canada.

Pourquoi ça me ferait mal que les gens sachent que j’ai plusieurs femmes, si réellement j’en ai plusieurs ? Attention, je ne parle pas de moi-même car je n’en ai qu’une seule ! Sous d’autres cieux, au Canada, par exemple là où je vis, on dit que la polygamie n’est pas permise. Je dis Ok. Mais moi, j’enseigne dans un département où nous sommes 40 professeurs et nous sommes très peu à ne pas avoir divorcé. Je leur dis : « Mais vous pensez que cela est mieux que ma réalité ? ». Ma réalité dit : « Tu prends et tu gardes ». Ne pensez pas que parce que je viens de l’Afrique tout y est noir. Pas du tout ! Entre celui qui a tout gardé et celui qui voltige d’une femme à l’autre, qui est mieux ?

Pourquoi avoir choisi de vous engager aux côtés d’Abdoulaye Bio Tchané ?

Bio Tchané, c’est un aîné à moi, comme Yayi est un aîné à moi. Mais, quand un individu commence par manifester des ambitions pour la magistrature suprême, il faut l’écouter forcément. Retenez d’abord que ce n’est pas la région d’appartenance de quelqu’un qui me motive. Je vais vous dire pourquoi.

Aujourd’hui on parle de village planétaire. Ce qui signifie que si toute la terre est devenue un village, le Bénin n’y est qu’un point. Et nous avons tous étudié au secondaire qu’un point n’a pas de dimension et on reste à se chamailler pour dire que je suis de telle région et de telle région alors que dans le point, on ne vous retrouve pas. Ma préoccupation, c’est que je veux un bon président pour mon pays. Mais pas un président de telle ou telle région.

Alors, je reste ouvert. Celui qui a été aux affaires une fois, je le juge sur son expérience. Celui qui est nouveau je lui demande ses projets à lui. C’est de cette manière que j’ai questionné Abdoulaye Bio Tchané et qu’on a parlé pendant plus de trois heures d’horloge. Et je lui ai dit que si vraiment il va faire tout ce qu’il m’a dit, il a mon appui. Et quand moi je donne mon appui, c’est pour du vrai. On n’a donc pas besoin de manger ensemble avant que je ne décide de soutenir un candidat si je vois que ce qu’il veut faire est bien.

Je suis d’accord que le fait de le soutenir, c’est un suffrage que je lui donne. Mais ce n’est pas simplement cela. Je suis aussi là pour veiller à ce qu’il le gère correctement, c’est plus que le suffrage. Il a besoin de la quantité pour être président. Mais, une fois élu, il a besoin de la qualité pour travailler. Est-ce que je suis capable de lui apporter un plus ? Je pense que oui.

 C’est à la fin de cet entretien que nous avons parlé un peu de nos parcours et c’est à cet instant donc qu’il a constaté que moi aussi j’avais travaillé avec le Général. Sinon, il ne le savait pas. Mais moi je savais qu’il fut ministre des finances. Et il était surpris d’apprendre que moi aussi, je fus Conseiller spécial du général Mathieu Kérékou, car je travaillais dans une discrétion totale comme l’exige ce poste.

Après l’expérience de 2011, pensez-vous qu’il a des chances pour 2016 ?

L’expérience de 2011 a été un non événement.

Pourquoi?

Je le dis parce que si l’on me demande d’analyser le scrutin de 2011, je vous dirai tout de suite qu’il n’y a pas moyen d’analyser cela. La preuve, le nombre d’électeurs n’était pas connu. Si, on ne connaît pas le nombre d’électeurs, mais comment peut-on arriver à établir un ratio ? Au moins, au cours primaire on nous a appris qu’on ne peut jamais établir le quotient d’une fraction sans en connaître le dénominateur et vous voulez qu’on interprète une élection dont on ne connaît pas le nombre d’électeurs. Nous, on a accepté les résultats, car nous sommes républicains et démocrates.

Au regard du bilan du « régime des économistes » au pouvoir, pensez-vous qu’un économiste comme Abdoulaye Bio Tchané a encore des chances d’être élu président en 2016 ?

Comme le disent les gens de chez moi, dans les chansons populaires, si le ventre pouvait être une calebasse qu’on pouvait ouvrir, je l’ouvrirais et je montrerais que votre cœur toque pour mon candidat. La crédibilité aujourd’hui, qui l’a ? Disons-nous la vérité ! Je pense que, pour la première fois, notre peuple va faire un bon choix plutôt que d’aller encore se créer des problèmes.

Alors, je vais vous opposer cet adage populaire qui dit : « Est-ce parce que le cheval t’a terrassé que tu vas refuser d’aller à cheval ? » Ça veut dire que tous les économistes ne se ressemblent pas. Chaque économiste a son parcours. Nous connaissons qui est qui dans ce Bénin et qui fait quoi. Moi, je le dis toujours : chaque personne a son parcours. Mais, si nos parcours ne sont pas les mêmes, comment voulez-vous que nous ayons les mêmes visions, les mêmes conceptions, les mêmes convictions ? Alors, si on dit de ne plus jamais élire un économiste, là c’est grave.

Le peuple béninois va demander au candidat « Est-ce que tu es sûr de faire ce que tu es en train de nous promettre ? Je suis contre le fait de signer un chèque à blanc à quelqu’un pour lui donner le pouvoir. Malheureusement, nous sommes dans un pays où nous n’avons pas beaucoup de ressources et puis on a toujours connu des déceptions. Si je dis que je suis Bio Tchané par conviction, comment voulez-vous que je réfléchisse encore autrement ? Pour moi, nous sommes là pour gagner. Je ne veux pas faire une nouvelle expérience.

Pensez-vous qu’il a les moyens financiers nécessaires à la victoire ?

Sébastien Azondékon est l’un des plus pauvres au Bénin. C’est pour cela que je n’ai pas des ambitions de présidentiable. Si c’est parce qu’on donne qu’on gagne, alors, on ne doit plus jamais se plaindre. Maintenant, il faut opposer des projets de société. Il faut que les candidats qui aspirent à la magistrature suprême aient le courage de plancher face à face pour défendre leurs projets. C’est là où on va choisir le meilleur. Et je pense que si on fait ça, ce serait mieux. Je vous donne l’exemple de ce qui se passe à Kpomassè.

 J’ai vu hier (Ndlr : mardi 21 août 2012) à la télé l’épisode « tomatique ». La dame est ménagère comme le fut ma mère. Des paniers de tomates, de belles tomates, juteuses et les gens ont trimé parce qu’on leur a dit « faites de la tomate » et ils l’ont fait. Moi, je ne savais pas qu’il y avait eu des promesses faites par le président en personne. C’est la femme là qui l’a dit avant de poursuivre : « Voilà ce panier, c’est à 500 Francs »; j’ai attrapé ma tête en me disant « tout ça là à 500 Francs ?

Je suis prêt à acheter tous les paniers et aller faire quelque chose de bon avec ». « On nous a dit de cultiver la tomate et voilà. J’interpelle le président, il a dit de cultiver la tomate et je vais amener des machines et on va vous les transformer. Mais où sont les machines ? ». Elle venait de faire le bilan du gouvernement. Elle n’a pas besoin d’être Docteur avant de faire le bilan.

S’il vous était donné de conclure cet entretien, que diriez-vous ?

Je vous encourage à travailler davantage parce que c’est à cette condition que vous triompherez. Je garde de vous les meilleures impressions et je vous remercie pour cet entretien cordial.

                                                                                                                        Carte d’identité

La longue marche d’un fils de paysan vers les sommets de l’excellence

La vie n’a pas été un long fleuve tranquille pour le Professeur Sébastien Azondékon. Né quatre ans avant l’indépendance, le natif d’Aklankpa, village situé au centre du Bénin, a tôt fait d’épouser les vertus du travail et de la rigueur pour se frayer un chemin dans la vie. Fils d’un père paysan et d’une mère ménagère, il fait ses premiers pas à l’école aux premières heures de l’indépendance du Bénin (Ex Dahomey). « J’ai commencé mon cours primaire à Aklankpa en 1961-1962 où j’ai obtenu mon CEP et mon entrée en 6ème en 1967.

Au cours secondaire Monseigneur Steinmetz de Bohicon, j’ai décroché le Bac série C après sept années d’études », déclare-t-il. Amoureux des langues, il se retrouve en Faculté de sciences sans y avoir éprouvé une quelconque passion. « Je n’avais rien pour devenir mathématicien. Je n’avais rien non plus pour devenir économiste. J’avais tout d’un littéraire parce que j’ai fait le Latin, l’Anglais, l’Espagnol, l’Allemand. J’ai fait beaucoup de langues et pourtant j’ai été bachelier de la série C avec la mention ‘’Assez bien’’ en 1974 ».

Ainsi, le Baccalauréat en poche, il se retrouve dans la seule université du pays, l’Université nationale du Bénin (UNB) où il obtient une bourse canadienne à laquelle il ne pourra pourtant jamais jouir. « J’ai été victime d’injustice dans ma vie. J’avais droit à une bourse canadienne. On me l’a donnée quand j’ai réussi à mon Bac C et on me l’a arrachée. Ce n’était pas dû à une affaire de performances mais plutôt à la magouille ». Cette situation lui laisse un goût amer, mais ne freine pas pour autant sa volonté de se réaliser. Il s’inscrit en Faculté de sciences et obtient une Licence Maths-physique avant de décrocher une bourse pour l’Union Soviétique.

« Je n’avais rien d’économiste quand un beau matin, on m’a dit que j’ai une bourse pour aller en Union Soviétique. Je me suis d’abord interrogé parce que c’est à ceux qui décrochent fraîchement le Bac qu’on donne la bourse. Mais moi, on me l’a donnée. Il y a quelque chose qu’on appelle le destin et personne ne peut aller contre cela ». Arrivé dans ce pays sans aucune notion de la langue russe, il s’inscrit en Statistique et Economie. «Je suis parti, j’ai fais mon Master, mon Doctorat en Statistiques économiques».

De retour au pays, le professeur Sébastien Azondékon décide d’embrasser la carrière d’enseignant à l’UNB en devenant le premier professeur de statistiques dans une université béninoise. « Je suis revenu comme professeur à l’Université nationale du Bénin où j’ai enseigné de 1984 à 1986. J’ai enseigné à la FASJEP (Faculté des sciences juridiques et d’économie politique), à l’INE (Institut national d’économie) et à l’ENA (Ecole normale d’administration). Quelques années après son retour au pays, il est nommé Conseiller technique à l’économie du président de la république à 26 ans. « J’ai refusé, mais on m’a dérangé.

Cependant, je ne le voulais pas parce que je venais de finir mes études et j’avais 26 ans. Et j’ai demandé au Directeur de cabinet du président de la République, M. Taèvi comment on pouvait me dire, à mon âge, d’aller conseiller un président ? ». Face à ce refus qui frise un mépris en pleine effervescence révolutionnaire, les collaborateurs du président Mathieu Kérékou s’offusquent : « vous vous foutez du Président de la République ? Nous allons vous mettre hors d’état de nuire », lui promettent-ils. « A cause de ce problème, on m’a convoqué quatre fois et chaque fois que j’allais on me fouillait jusqu’aux couilles. Je n’avais plus envie de rester là surtout que je suis subversif », explique-t-il.

 Finalement, le président Mathieu Kérékou se plie à la décision du jeune universitaire tandis que ses collaborateurs poursuivent leurs menaces en inscrivant la mention « à surveiller de près ». Quelques temps après ces échanges, ils passent à l’action. « Trois mois après, on a lancé un mandat d’arrêt contre moi sous le prétexte que je suis « anarco-gauchiste. C’est un de mes étudiants qui m’a sauvé la vie en me l’apprenant », se souvient-il. Il décide alors d’emprunter le chemin de l’exil pour sauver sa vie.

 « J’ai enseigné à l’extérieur, au Nigeria durant deux ans et demi et ensuite je suis parti au Canada sans diplôme, sans pièce d’identité, sans rien. Mes diplômes sont restés à la maison et je n’avais rien pour justifier de mes compétences. Je me suis donc inscrit pour faire un deuxième Doctorat en business administration. C’est comme cela que je me suis donc refait et au lendemain de la soutenance de ma thèse, j’ai eu un poste à l’université de Québec en 1991. Je n’ai pas eu deux doctorats parce que je le voulais. Il fallait que je mange. J’avais une femme et deux enfants, il faut que nous mangions ».

 Il réussi, à force d’abnégation, à devenir le premier noir professeur titulaire dans son université. Professeur à l’Université du Québec en Outaouais depuis 23 ans et Professeur titulaire depuis 15 ans, il est présentement le Directeur des Programmes de 2ème Cycle en Gestion de Projet, Consultation et Changement, Éditeur (Français) de la Revue trilingue ‘’The Journal Of Global Business Administration’’. « Le système canadien est juste et reconnait les mérites. Je suis avec des Blancs.

J’ai été le premier noir dans mon département. On ne vendait pas du tout chère ma peau. Mais on est tous restés là. Ce n’est pas comme en France. Des gens avaient fait 30 ans avant que je vienne. Mais j’ai été le premier à passer au grade de Professeur titulaire. Je ne pense pas qu’en France, cela peut se passer, ni au Bénin. Alors, même si je n’aime pas le racisme, j’adore ces façons de faire et c’est ça que je veux imiter dans mon pays », confie-t-il.

Ce parcours élogieux lui vaut d’être à nouveau sollicité – une nouvelle fois – par le Président de la République en qualité de Conseiller spécial. Il occupera ce poste cinq années durant. Et fort des nombreux sacrifices consentis pour se hisser au sommet de la hiérarchie sociale, il exige respect et considération. « J’ai eu la chance de réussir dans ma vie. Je ne suis pas plus valable que quiconque et cette réussite fait que je n’accepte pas qu’on dise que je suis petit.

 Je ne suis pas petit. Je suis grand. Des gens qui ont mes pedigrees aujourd’hui dans le monde, sont-ils légion ? Et pourquoi on va me dire que je suis petit ? Je dis non. Je ne le suis pas. Chaque peuple a besoin de modestie. Même si j’ai le président devant moi, je dis non, je ne suis pas petit », clarifie-t-il.

Retourné au Canada pour se consacrer à l’enseignement après l’accession de Boni Yayi à la tête du Bénin en 2006, le Professeur Azondékon, polyglotte qui s’exprime couramment en Français, Anglais, Espagnol et Russe, est cependant rattrapé par le virus de la politique. Il s’engage au sein de l’Alliance ABT où il milite aux côtés de l’ancien Directeur Afrique du Fonds Monétaire International (FMI) et candidat malheureux à l’élection présidentielle de mars 2011.

                                                                                                                Intimité

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Marié et père de quatre (04) enfants, le professeur Sébastien Azondékon voue un attachement particulier aux mets de son pays malgré son éloignement de la terre natale. « A l’heure où le citoyen béninois peine à se donner un repas par jour, moi je mange toujours des mets béninois au Canada. Je ne peux faire deux jours sans manger la pâte », confie-t-il en précisant son penchant pour l’igname pilée, en bon natif d’Aklampa dans le département des Collines.

 Il n’en est pas de même des boissons alcoolisées ni celles sucrées. « Je prends de l’eau, pas d’alcool ni de boisson sucrée ». A défaut, explique-t-il, «je me contente d’un seul verre de vin à table ». Né d’une famille nombreuse où la polygamie est érigée en règle, Sébastien Azondékon n’a pas emboîté les pas de ses cinquante (50) frères. Il a fait le choix de demeurer fidèle à une seule femme. « Je suis le seul monogame de ma famille. J’aime tout ce que ma femme me donne et depuis que je l’ai connue en 1974, j’ai toujours eu des problèmes, mais elle ne m’a jamais laissé et elle m’a tout donné.

 Je sacrifie quelques fois ma vie de famille mais je n’y peux rien. Ma femme endure beaucoup et je l’en remercie », se félicite-t-il. Occupé par ses choix, le sport a cessé d’être une priorité pour le professeur Azondékon. « Quand j’étais au collège, je faisais du volley-ball et du basket. Maintenant, je fais de la marche ».

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2 thoughts on “Sous L’Arbre à Palabres avec Sébastien Azondékon, Professeur titulaire d’Économie et de Gestion à l’Université du Québec en Outaouais:« Aujourd’hui, Bio Tchané incarne la crédibilité aux yeux des Béninois »

  1. Timdara

    Le professeur déclare être parmi les plus pauvres du Benin. Auriez-vous une idée du salaire d’un professeur au Canada ou celui de conseiller spécial du President? Mes recherches sur internet indiquent que le salaire d’un professeur titulaire dépasse 120 000$. Quel est le salaire approximatif d’un conseiller spécial du président?
    Merci,
    Tim

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